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15/12/2022 | FRANCE | N°19/07749

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 15 décembre 2022, 19/07749


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/07749
No Portalis 352J-W-B7D-CQGEX

No MINUTE :

Assignation du :
26 juin 2019

JUGEMENT
rendu le 15 décembre 2022
DEMANDERESSE

S.A.S.U. E REMY MARTIN ET Co
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Me Christian HOLLIER-LAROUSSE de l'ASSOCIATION HOLLIER-LAROUSSE et Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0362

DÉFENDERESSES

S.A.R.L ELS
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentée par Me Gérard HAAS de la SELARL H

AAS SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0059 et Me Caroline PECHIER de la SELARL JURICA, avocat au barreau de l...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 19/07749
No Portalis 352J-W-B7D-CQGEX

No MINUTE :

Assignation du :
26 juin 2019

JUGEMENT
rendu le 15 décembre 2022
DEMANDERESSE

S.A.S.U. E REMY MARTIN ET Co
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Me Christian HOLLIER-LAROUSSE de l'ASSOCIATION HOLLIER-LAROUSSE et Associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0362

DÉFENDERESSES

S.A.R.L ELS
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentée par Me Gérard HAAS de la SELARL HAAS SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0059 et Me Caroline PECHIER de la SELARL JURICA, avocat au barreau de la CHARENTE, avocat plaidant

S.A.R.L. BACCHUS BOLLEE
[Adresse 5]
[Localité 9]

représentée par Me Pierre MASSOT de la SELARL ARENAIRE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0252

S.A.R.L. COGNAC EMBOUTEILLAGE
[Adresse 13]
[Localité 2]

représentée par Me Thibault LACHACINSKI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0730 et Me Marie CHAMFEUIL, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 19 septembre 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu le 17 novembre 2022. Le délibéré a été prorogé au 15 décembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. La socie te E. [S] Martin et Co se pre sente comme l'une des plus anciennes maisons de cognac et indique bénéficier d'une réputation mondiale.

2. Elle est titulaire des marques suivantes :

-la marque verbale française « LOUIS XIII DE RE MY MARTIN » no 94 529 471, de pose e le 19 juillet 1994 dans la classe 33 pour de signer les « boissons alcoolisées, à l'exception des bie res »,

-la marque verbale de l'Union Europe enne « LOUIS XIII » no 12 035 747, de pose e le 1er aou t 2013 dans les classes 33, 41 et 43 pour de signer notamment les « boissons alcoolise es (a l'exception des bie res), a savoir cognac, brandy, eaux de vie...boissons spiritueuses...ape ritifs, digestifs... ».

3.La société Bacchus Bollee se présente comme une entreprise spécialisée dans le négoce de vins et spiritueux et la fabrication de boissons alcoolisées, notamment du brandy.

4. La socie te Cognac Embouteillage se présente comme ayant pour activité principale est le conditionnement de vins et spiritueux.

5. La société ELS se présente comme spécialisée dans l'embouteillage et le conditionnement des vins et spiritueux.

6. Le 4 juin 2019, la Direction ge ne rale des douanes et droits indirects a mis en retenue au sein de ses locaux un certain nombre de marchandises, essentiellement des bouteilles de brandy, qu'elle soupc onnait d'e tre des produits contrefaisants.

7. Parmi ces marchandises, des bouteilles conditionnées par les sociétés Cognac Embouteillage et ELS, notamment pour la société Uni-Harmonac, aujourd'hui Bacchus Bollee.

8. Par acte du 26 juin 2019, la société E. [S] Martin et Co a assigné en justice, les sociétés Bacchus Bollee, ELS et Cognac Embouteillage devant le tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon des marques verbales française et de l'Union europe enne estimant que l'objet de la retenue, en particulier la désignation "PRINCE LOUIS" porte atteinte à ses droits.

9. Par des conclusions d'incident signifie es par la voie e lectronique le 3 novembre 2020, la socie te Bacchus Bollee a sollicité du juge de la mise en e tat qu'il dise le tribunal de Paris partiellement incompétent pour connaître des demandes.

10. Par une ordonnance du 18 décembre 2020, le juge de la mise en état a rejeté l'incident formé par la socie te Bacchus Bollee et condamné cette dernière a payer a la socie te E. RE MY MARTIN et Co, la somme de 1000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de proce dure civile, réservant les dépens.

11. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 décembre 2021, la société E. [S] Martin et Co demande au tribunal de :

En application des dispositions du Règlement (UE) no 2017/2001 du 14 juin 2017 sur la Marque de l'Union Européenne, et des articles1240 du Code civil et L. 711-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle, et de l'article 1240 du Code Civil,

-la dire propriétaire des marques suivantes :
*la marque dénominative « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN » no94 529 471 pour désigner des « Boissons alcooliques (à l'exception des bières) »,
*la marque de l'Union Européenne « LOUIS XIII » no 12 035 747, déposée le 1er aout 2013 pour désigner notamment les « boissons alcoolisées (à l'exception des bières), à savoir cognac, brandy, eaux de vie...boissons spiritueuses...liqueurs...apéritifs, digestifs... »,
-rejeter les demandes présentées par les défenderesses,
-dire qu'en conditionnant et commercialisant du brandy sous la dénomination PRINCE LOUIS, la Société Cognac Embouteillage, la société ELS et la société Bacchus Bollee se sont rendues coupables de contrefaçon de la marque dénominative LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN no 94 529 471, et de la marque de l'Union Européenne « LOUIS XIII » no 12 035 747,
-interdire à la Société Cognac Embouteillage, à la société ELS et à la société Bacchus Bollee de conditionner et de commercialiser des alcools sous la dénomination PRINCE LOUIS, ainsi que toute dénomination comportant le terme « LOUIS », et ce sous astreinte définitive de 1.000 euros par infraction constatée à compter du délai d'un mois suivant la signification du jugement à intervenir.
-condamner in solidum la Société Cognac Embouteillage, la société ELS et la société Bacchus Bollee à verser à la Société E. Remy Martin et Co la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, quitte à parfaire.
-à titre subsidiaire, ordonner aux sociétés défenderesses de communiquer à la société E. Remy Martin et Co tous les documents commerciaux relatifs au conditionnement et à l'embouteillage et à la commercialisation de brandy sous la dénomination « PRINCE LOUIS », pendant la période non prescrite (postérieure au 26 juin 2014), pour lui permettre d'évaluer le préjudice subi du fait de la contrefaçon.
-autoriser la Société E. Remy Martin et Co à faire procéder à la publication du jugement à intervenir dans 5 journaux ou revues de son choix, aux frais in solidum de la Société Cognac Embouteillage, de la société ELS et de la société Bacchus Bollee dans la limite de 30.000 euros (H.T.).
-condamner in solidum la Société Cognac Embouteillage, la société ELS et la société Bacchus Bollee à verser à la Société E. Remy Martin et Co la somme de 50.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
-condamner in solidum la Société Cognac Embouteillage, la société ELS et à la société Bacchus Bollee en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître Christian HOLLIER-LAROUSSE, avocat.

12. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 9 novembre 2021, la société Cognac Embouteillage demande au tribunal de :

Vu les articles 1240 du Code civil, L713-1 et suivants et L. 716-1 du Code de la proprie te intellectuelle,

A titre principal :
-de bouter la socie te E. Remy Martin et Co de l'ensemble de ses demandes,
-subsidiairement, réduire le montant des dommages et intérêts à la somme de 1 euro symbolique,
-condamner la société Bacchus Bollee a garantir et relever indemne la socie te Cognac Embouteillage de toutes condamnations qui pourraient être prononce es a son encontre,
-condamner la socie te E. REMY MARTIN et Co a payer a la socie te Cognac Embouteillage une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de proce dure civile,
-condamner la socie te E. REMY MARTIN et Co aux entiers de pens de l'instance.

13. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 novembre 2021, la société ELS demande au tribunal de :

Vu l'article 9.2 b du Re glement (UE) 2017/1001 du Parlement europe en et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union europe enne,
Vu les articles L. 713-3 et L. 714-5 du Code de la proprie te intellectuelle et l'article 32-1 du code de procédure civile,
-prononcer la de che ance partielle, sur le fondement de l'article L. 714-5 du CPI, de la marque verbale franc aise « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN » no94 529 471 pour tous les produits couverts a l'exception des « eaux-de-vie de vin be ne ficiant de l'appellation d'origine contrôle e Cognac », a compter du 23 de cembre 1999, en raison du de faut d'usage se rieux de cette marque,
-débouter la socie te E.REMY MARTIN et CO de l'ensemble de ses demandes, fins et pre tentions,
-subsidiairement, si le tribunal « venait a constater l'existence d'acte de contrefaçon », condamner la socie te ELS a la garantir et relever indemne de toutes les condamnations qui pourraient e tre prononce es a son encontre au profit de la socie te E. REMY MARTIN et CO,
-condamner la socie te E. Remy Martin et Co a payer a la socie te ELS la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de proce dure civile, ainsi qu'aux entiers de pens dont distraction est sollicite e au profit de Mai tre Ge rard Haas conforme ment aux dispositions de l'article 699 du code de proce dure civile ;

14. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 4 février 2022, la société Bacchus Bollee demande au tribunal de :

Vu l'article 267 du Traite sur le fonctionnement de l'Union europe enne, les dispositions du Re glement (UE) no 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union Europe enne, et les articles L.711-1 et suivants, L.716-3, L.714-4 L.714-5, du code de

-la dire recevable en ses demandes de déchéance partielle et de nullité,
-prononcer la de che ance des droits de la socie te E. Remy Martin et Co sur les marques suivantes pour de faut d'exploitation se rieuse la marque franc aise « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN » no94529471 pour tous les produits de la classe 33, a l'exception de la sous-cate gorie des eaux- de-vie de vin be ne ficiant de l`AOC Cognac a compter du 19 de cembre 1999 ;
-prononcer la nullite pour de po t frauduleux de la marque « LOUIS XIII » no12035747, pour tous les produits de la classe 33, a l'exception de la sous-cate gorie des eaux-de-vie de vin be ne ficiant de l'AOC Cognac.
-ordonner que la de cision une fois de finitive soit transmise a l'INPI et a l'Office de l'Union europe enne pour la proprie te intellectuelle par le greffe ou a l'initiative de la partie la plus diligente pour inscription aux registres national et europe en des marques.
-débouter la société E. Remy Martin et Co de ses demandes,
-condamner la socie te E. Remy Martin et Co a verser a la socie te Bacchus Bollee la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de proce dure civile ;
-condamner la socie te E. Remy Martin et Coaux entiers de pens, dont distraction au profit de la SELARL Arenaire epre sente e par Mai tre Pierre Massot, avocat, conforme ment aux dispositions de l'article 699 du Code de proce dure civile.

15. Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions qui y sont contenus.

16. L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 février 2022, l'affaire plaidée le 19 septembre 2022 et la décision mise en délibéré au 17 novembre 2022 et prorogée au 15 décembre 2022.

SUR CE

1. Sur la déchéance de la marque française « Louis XIII de [S] Martin »

Moyens des parties

17. La société E. Remy Martin et Co soutient que sa marque est exploitée au sens de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle et ne peut encourir la déchéance.

Elle se prévaut du libellé de la classe 33 « boissons alcoolisées à l'exception des bières » pour dire que le Cognac est bien une boisson alcoolisée au sens de ce texte. Selon son argument, le Cognac relève d'une « catégorie de produits ou services définis de façon tellement précise et circonscrite » qu'il n'est pas possible d'opérer de divisions significatives en son sein.

La société E. Remy Martin et Co ne conclut pas sur l'existence d'une sous-catégorie autonome constituée des eaux-de-vie de vin bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée « Cognac ».

Elle estime l'enregistrement de sa marque valable selon les critères du e. de l'article 2 du décret du 31 janvier 1992. Elle rappelle un précédent ([Localité 8], 21 novembre 2017 no16/09255) ayant jugé, selon sa lecture, que le Champagne est une boisson alcoolisée et un « vin mousseux » ne pouvant donc justifier la déchéance d'une marque pour les vins qui ne bénéficieraient pas de l'AOC « Champagne ».

Elle précise que sa marque désigne des produits qui ne sont pas essentiellement différents car alcoolisés, incluent des produits visés par la demande de marque, des boissons alcoolisées, et que « le brandy constitue un produit identique aux « boissons alcoolisées » désignées par [ses] marques ».

18. La société SARL Bacchus Bollee soutient que l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit la déchéance du droit du titulaire qu'une marque qui n'en a pas fait un usage sérieux pendant une période de cinq ans.

Elle rappelle que la Cour de justice de l'Union européenne distingue pour les catégories de produits ou de services « suffisamment larges » leurs différentes « sous-catégories autonomes ». Selon son argument il convient d'appliquer le critère du non usage à chaque sous-catégorie autonome.

La société SARL Bacchus Bollee estime ainsi que la marque nationale « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN », déposée en classe 33, n'est utilisée que pour du Cognac et qu'en conséquence la déchéance est encourue pour toute ladite catégorie à l'exception de la sous-catégorie « eau-de-vie de vin bénéficiant de l'AOC Cognac » qu'elle qualifie de « parfaitement identifiable ».

19. La société SARL ELS soutient également que la déchéance de la marque litigieuse est encourue pour tous les produits couverts à l'exception des « eaux-de-vie de vin bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée Cognac ».

Elle rappelle que la protection ne couvre pour les catégories de produits ou de services « suffisamment larges » les « sous-catégories autonomes » dont relèvent les produits ou services pour lesquels la marqué a été effectivement utilisée.

Elle estime que les « Cognac » se distinguent des « brandy » en raison du cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée « Cognac » ou « Eaux-de-vie de Cognac » ou « Eaux-de-vie des Charentes », homologué par le décret no2015-10 du 7 janvier 2015, modifié par arrêté du 8 novembre 2018.

20. La société SARL Cognac Embouteillage ne conclut pas sur ce point.

Appréciation du tribunal

21. Aux termes de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle « encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l'enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d'Etat. / Est assimilé à un usage au sens du premier alinéa :
1o L'usage fait avec le consentement du titulaire de la marque ;
2o L'usage fait par une personne habilitée à utiliser la marque collective ou la marque de garantie ;
3o L'usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée ;
4o L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement, par le titulaire ou avec son consentement, exclusivement en vue de l'exportation ».

22. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans sa décision Ansul BV du 11 mars 2003 (C-40/01) que : « l'article 12, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu'une marque fait l'objet d'un «usage sérieux» lorsqu'elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l'exclusion d'usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque.

L'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque doit reposer sur l'ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l'exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l'étendue et la fréquence de l'usage de la marque.

La circonstance que l'usage de la marque ne concerne pas des produits nouvellement offerts sur le marché mais des produits déjà commercialisés n'est pas de nature à priver cet usage de son caractère sérieux, si la même marque est effectivement utilisée par son titulaire pour des pièces détachées entrant dans la composition ou la structure de ces produits ou pour des produits ou des services qui se rapportent directement aux produits déjà commercialisés et qui visent à satisfaire les besoins de la clientèle de ceux-ci ».

23. La Cour de justice de l'Union européenne rappelle par sa décision Ferrari SpA du 22 octobre 2020 (C-720/18 et C-721/18) que :

« 33. L'appréciation du caractère sérieux de l'usage de la marque doit reposer sur l'ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l'exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l'étendue et la fréquence de l'usage de la marque (arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C-40/01, EU:C:2003:145, point 43). (...)

36. Il ressort de l'article 13 de la directive 2008/95 que, si un motif de déchéance, tel que celui prévu à l'article 12, paragraphe 1, de cette directive, n'existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels cette marque est déposée ou enregistrée, la déchéance ne s'étend qu'aux produits ou aux services concernés.

37.S'agissant de la notion de « partie des produits ou services » visée à l'article 13 de la directive 2008/95, il y a lieu de relever que le consommateur désireux d'acquérir un produit ou un service relevant d'une catégorie de produits ou de services ayant été définie de façon particulièrement précise et circonscrite, mais à l'intérieur de laquelle il n'est pas possible d'opérer des divisions significatives, associera à une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services l'ensemble des produits ou des services appartenant à celle-ci, de telle sorte que cette marque remplira sa fonction essentielle de garantir l'origine pour ces produits ou ces services. Dans ces circonstances, il est suffisant d'exiger du titulaire d'une telle marque d'apporter la preuve de l'usage sérieux de sa marque pour une partie des produits ou des services relevant de cette catégorie homogène (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C-714/18 P, EU:C:2020:573, point 42).

38. En revanche, en ce qui concerne des produits ou des services rassemblés au sein d'une catégorie large, susceptible d'être subdivisée en plusieurs sous-catégories autonomes, il est nécessaire d'exiger du titulaire d'une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services d'apporter la preuve de l'usage sérieux de sa marque pour chacune de ces sous-catégories autonomes, à défaut de quoi il sera susceptible d'être déchu de ses droits à la marque pour les sous-catégories autonomes pour lesquelles il n'a pas apporté une telle preuve (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C-714/18 P, EU:C:2020:573, point 43).

39. En effet, si le titulaire d'une marque a enregistré sa marque pour une large gamme de produits ou de services qu'il pourrait éventuellement commercialiser, mais qu'il ne l'a pas fait pendant une période ininterrompue de cinq ans, son intérêt à bénéficier de la protection de sa marque pour ces produits ou services ne saurait prévaloir sur l'intérêt des concurrents à utiliser un signe identique ou similaire pour lesdits produits ou services, voire de demander l'enregistrement de ce signe en tant que marque (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C-714/18 P, EU:C:2020:573, point 43).

40. En ce qui concerne le critère pertinent ou les critères pertinents à appliquer aux fins de l'identification d'une sous-catégorie cohérente de produits ou de services susceptible d'être envisagée de manière autonome, le critère de la finalité et de la destination des produits ou des services en cause constitue le critère essentiel aux fins de la définition d'une sous-catégorie autonome de produits (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C-714/18 P, EU:C:2020:573, point 44) ».

24. Par cette même décision Ferrari SpA (C-720/18 et C-721/18) la Cour de justice précise que « la finalité et la destination des produits ou des services » en cause constitue le critère essentiel aux fins de la définition d'une sous-catégorie autonome de produits ou de services (§41 et C-714/18 §46), ce qui suppose une analyse « concrète » des produits ou des services pour lesquels la preuve de l'usage de la marque est rapportée (§42 et C-714/18 §46).

25. Ainsi, « seule importe, à cet égard, la question de savoir si le consommateur désireux d'acquérir un produit ou un service relevant de la catégorie de produits ou de services visée par la marque en cause associera à cette marque l'ensemble des produits ou des services appartenant à cette catégorie » (§43), à l'exclusion de la notion de « segment spécifique du marché » (§42).

26. Ne peuvent à ce titre suffire à caractériser « la finalité et de la destination des produits ou des services » un prix particulièrement élevé, la notion de « luxe » auquel revoie le produit ou les différentes finalités que ces produits peuvent avoir (§45-48).

27. Il appartient ainsi au tribunal saisi d'une demande de déchéance fondée sur l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle de réaliser un contrôle eu égard à la nature du produit et aux caractéristiques du marché considéré tenant, d'une part, au caractère restreint ou large de la catégorie considérée puis, d'autre part lorsque la catégorie est large, au champ d'application d'une ou plusieurs sous-catégories autonomes au regard des critères de leur finalité et de leur destination.

28. La démonstration du caractère particulièrement précis et circonscrit, ou bien large, de la catégorie, repose sur le titulaire de la marque qui doit justifier de son « usage sérieux » conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services.

29. S'il est établi que la catégorie du produit est large, il appartient alors au titulaire qui se voit opposer l'absence d'usage sérieux de sa marque de prouver, d'une part, l'existence d'une ou plusieurs sous-catégories autonomes, dont il peut seul se prévaloir afin de préserver la protection que lui confère sa marque et, d'autre part, l'usage sérieux du produit ou l'existence d'un juste motif, au sein de cette sous-catégorie.

30. Ce contrôle n'est pas abstrait et objectif mais concret, et spécifique aux seuls éléments soumis à la juridiction. Il varie selon la nécessité de concilier les droits du titulaire à créer ou conserver un débouché pour ces produits et services, avec l'intérêt des concurrents à utiliser un signe identique ou similaire pour lesdits produits ou services, voire de demander l'enregistrement de ce signe en tant que marque.

31. En l'espèce, il appartient à la société E. Remy Martin et Co de démontrer l'usage sérieux de sa marque verbale franc aise « LOUIS XIII DE RE MY MARTIN » no 94 529 471 pendant une période ininterrompue de cinq ou d'un juste motif de nature à écarter la déchéance, au sens de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle.

32. La demande de déchéance porte sur « tous les produits de la classe 33, a l'exception de la sous-cate gorie des eaux-de-vie de vin be ne ficiant de l`AOC Cognac a compter du 19 de cembre 1999 ».

33. La classe 33 prévue par l'arrangement de [Localité 7] du 15 juin 1957 est ainsi libellée « boissons alcoolisées à l'exception des bières ; préparations alcoolisées pour faire des boissons ».

34. Il est établi que le Cognac est bien une boisson alcoolisée, et relève donc de cette catégorie.

35. Il n'est pas contesté par les parties que la société E. Remy Martin et Co justifie de l'usage sérieux depuis le dépôt de sa marque, s'agissant de la seule eau-de-vie de vin bénéficiant de l'AOC Cognac, qu'elle commercialise, et pour laquelle elle dispose d'un savoir-faire dont conviennent les sociétés défenderesses. Ce produit est donc protégé par la marque verbale en litige..

36. La déchéance n'est donc pas encourue pour la catégorie des « boissons alcoolisées à l'exception des bières ; préparations alcoolisées pour faire des boissons » si celle-ci est qualifiée de catégorie « particulièrement précise et circonscrite (...) à l'intérieur de laquelle il n'est pas possible d'opérer des divisions significatives » au sens de la jurisprudence qui précède.

37. La déchéance peut, en revanche, être partiellement encourue si la marque verbale en litige est déposée au sein d'une « catégorie large, susceptible d'être subdivisée en plusieurs sous-catégories autonomes ».

38. Est donc débattu le caractère précis et circonscrit, ou large, de la catégorie 33, boissons alcoolisées à l'exception des bières et préparations alcoolisées pour faire des boissons.

39. La jurisprudence de la cour d'appel de Paris, citée en demande (Paris, 21 novembre 2017 no16/09255), identifie au contraire le Champagne, alors en litige et par comparaison, comme faisant partie, dans les circonstances de cette affaire, d'une « catégorie générique » des « vins mousseux ».

40. Le Tribunal de l'Union européenne dans une affaire [M] [H], SA du 29 avril 2009 (T-430/07) s'est fondé sur un faisceau d'indices (§29-37) pour dire que la classe 33 est une catégorie large. Étaient ainsi pris en compte par le Tribunal de l'Union européenne pour comparer deux produits alcoolisés en litige : leur nature tenant à leurs ingrédients méthodes de production au goût au parfum et à la couleur du produit, leur provenance géographique, l'utilisation en particulier pendant les repas ou non, le degrés d'alcool des produits, leurs canaux de distribution la complémentarité éventuelle et la circonstance qu'ils soient ou non concurrents.

41. Les critères définis par la Cour de justice pour identifier l'existence de sous-catégories autonomes et, par voie de conséquence, le caractère « large » de la classe litigieuse sont celui de la finalité et celui de la destination.

42. Les parties communiquent peu d'éléments permettant d'apprécier ces critères. La principale source écrite permettant de décrire le produit en litige est le cahier des charges de l'AOC Cognac versé aux débats.

43. S'agissant de la destination, le Cognac est une « eau-de-vie produite à partie de vins récoltés et distillés », pouvant être également appelée « brandy », nom provenant du néerlandais « brandwijn » signifiant « vin brûlé » en référence au procédé de distillation.

44. L'origine géographique du Cognac est protégée comme devant provenir de vins de la région de Cognac ou plus largement des Charentes, disposant d'un climat tempéré et homogène et d'une alimentation hydrique régulière. Cet espace est étendu pourvu que les procédés de vinification, de distillation et de vieillissement soient maintenus dans la région des Charentes.

45. Son procédé de fabrication repose sur une double distillation immédiatement après leur récolte de vins faiblement alcoolisés (7 à 12%), acides, et récoltés annuellement sur des vignes à maturité tardives disposant d'une densité et d'un écartement spécifique.

46. Le Cognac suppose l'utilisation d'un alambic aux caractéristiques spéciales à l'exclusion de certaines méthodes de production : industrielle, par pompes de centrifuge ou par palettes ou presse continue. Le produit est ensuite vieilli en fût exclusivement composé de bois de chêne pendant au minimum deux ans, son vieillissement modifiant son arôme et sa qualité.

47. S'agissant de la finalité, le Cognac est un alcool fort présentant un titre alcoométrique volumique compris entre 40% et 72%.

48. Sa fréquence de consommation n'est pas décrite par les pièces produites à l'exception de suggestions publicitaires qui font référence à un « digestif » en fin de repas, à un accompagnement avec des produits de consommation luxueuse ou occasionnelle.

49. Sa couleur varie selon son vieillissement mais doit comporter une absorbance minimale. Un Cognac jeune évolue du jaune pâle vers le jaune d'or. Vieilli, il prend des teintes ambrées devenant de couleur acajou pour les plus vieux.

50. Son goût est caractérisé par sa finesse aromatique et sa complexité. Il est décrit comme floral et fruité, évoluant par vieillissement vers la rondeur, par des notes de vanille, de noix de coco, de fruits secs ou confits, de tabacs, ou des caractères de torréfaction.

51. Le Cognac est historiquement un produit d'exportation majoritairement consommé hors de France, à 95% selon le cahier des charges de l'AOC précitée. Aucune pièce ne permet de déterminer ses canaux de distribution.

52. Les parties conviennent que certains Cognac peuvent constituer des produits de luxe et d'exception alors que d'autres peuvent avoir une qualité moyenne.

53. S'agissant de la garantie de l'identité d'origine des produits ou des services visés par la marque, il résulte de ce qui précède que le Cognac est une eau-de-vie de vin d'une grande qualité disposant d'outils de production spécifiques et d'une origine géographique protégés, ainsi que d'un goût et d'un aspect caractéristiques permettant de le distinguer d'autres eaux-de-vie.

54. Cette seule qualité permet de le distinguer des autres eaux-de-vie et l'inscrit dans un segment spécifique de marché ; notion indifférente à l'identification d'une sous-catégorie autonome ainsi qu'il a été exposé plus avant.

55. Ces différences permettent aux producteurs de Cognac de créer ou de conserver des débouchés par comparaison avec d'autres eaux-de-vie de vin distillées

56. Une sous-catégorie autonome « eau-de-vie de vin bénéficiant de l'AOC Cognac » aurait, au contraire, pour effet de rendre communes ces caractéristiques à tous les producteurs portant atteinte à la garantie de l'identité d'origine des produits en cause.

57.La destination et la finalité du Cognac permettent, ces éléments déduits, de constater qu'il est produit à base de vin par un procédé de distillation qui marque sa cohérence, et permet sa comparaison avec des autres eaux-de-vie de vin de qualité moindre, équivalente ou supérieure.

58. Il n'est pas démontré par le titulaire de la marque qu'il en serait de même avec l'ensemble des alcools, hors bières, visés par la classe 33.

59. En l'absence d'une argumentation développée du titulaire de la marque sur la délimitation d'une sous-catégorie autonome plus large, il sera donc relevé que les eaux-de-vie de vin, autrement appelées brandy, constituent une sous-catégorie autonome pertinente au cas d'espèce.

60. L'usage sérieux d'une eau-de-vie de vin étant établie de manière constante depuis le dépôt de la marque, la société E. Remy Martin et Co ne saurait en être déchue au sein de cette sous-catégorie autonome.

61. L'usage sérieux n'est en revanche pas démontré pour d'autres alcools hors bière au sens de la classe 33 en litige pour laquelle la marque est déposée.

62. Il convient donc de faire droit à la demande de déchéance pour l'ensemble de la classe 33 à l'exception des eaux-de-vie de vin, autrement appelées brandy.

2. Sur la demande de nullité de la marque de l'Union européenne « LOUIS XIII »

63. La société E. Remy Martin et Co estime que sa marque verbale de l'Union européenne « LOUIS XIII » est régulière. Elle rappelle que la marque nationale LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN et celle-ci n'ont ni le même signe ni le même territoire ce qui, selon elle, exclut la fraude.

Elle rappelle n'être pas tenue de connaître avec précision l'usage qu'elle fera de sa marque au moment de son dépôt ; que rien ne démontre qu'elle n'avait pas l'intention d'utiliser sa marque pour des boissons alcoolisées.

Elle ajoute que le seul fait de ne pas avoir exploité certains produits utilisés ne démontre pas la fraude ; qu'elle fait partie d'un groupe [Localité 11] Cointreau qui commercialise d'autres boissons que le Cognac.

Elle dénonce la demande de nullité comme ce qu'elle qualifie de « chantage » pour la faire renoncer à son action, rejette l'idée de monopole mais dit souhaiter pouvoir s'opposer à une imitation du signe pour d'autres boissons alcoolisées que le Cognac.

64. La société SARL Bacchus Bollee expose que le dépôt d'une marque sans intention de l'utiliser constitue un acte de mauvaise foi au sens de l'article 59 du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 et par application de l'adage fraus omnia corrumpit.

Elle rappelle des décisions du présent tribunal ayant retenu cette qualification pour des dépôts successifs, selon sa lecture, en tenant compte d'une volonté de contourner le risque de déchéance et de maintenir un monopole sur un vocable prisé pour sa dimension symbolique.

Elle précise que la société E. Remy Martin et Co n'a jamais utilisé le signe « LOUIS XIII » que pour des Cognacs et a donc, selon son moyen, par fraude, mentionné d'autres catégories d'alcool. Elle mentionne le dépôt le 17 juin 2021 d'une marque « LOUIS XIII THE DROP » pour les seules eaux de vie bénéficiant de l'AOP Cognac comme démontrant son argument.

65. La société SARL ELS ne conclut pas sur ce point.

66. La société SARL Cognac Embouteillage ne conclut pas sur ce point.

Appréciation du tribunal

67. Selon l'article 52, « causes de nullité absolue », du règlement 207/2009 du 26 février 2009, applicable, au regard de la date de dépôt fixée au 1er août 2013, en application de l'article 167 du même règlement : « 1. La nullité de la marque communautaire est déclarée, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:
a) lorsque la marque communautaire a été enregistrée contrairement aux dispositions de l'article
b) lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque.
2. Lorsque la marque communautaire a été enregistrée contrairement à l'article 7, paragraphe 1, point b), c) ou d), elle ne peut toutefois être déclarée nulle si, par l'usage qui en a été fait, elle a acquis après son enregistrement un caractère distinctif pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée.
3. Si la cause de nullité n'existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, la nullité de la marque ne peut être déclarée que pour les produits ou les services concernés ».

68. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit par son arrêt du 29 janvier 2020, Sky plc et alii aff. C-371/18 que « 1) Les articles 7 et 51 du règlement (CE) no40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) no1891/2006 du Conseil, du 18 décembre 2006, ainsi que l'article 3 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent être interprétés en ce sens qu'une marque communautaire ou une marque nationale ne peut pas être déclarée totalement ou partiellement nulle au motif que des termes employés pour désigner les produits et les services pour lesquels cette marque a été enregistrée manquent de clarté et de précision.

2) L'article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, tel que modifié par le règlement no1891/2006, et l'article 3, paragraphe 2, sous d), de la première directive 89/104 doivent être interprétés en ce sens qu'une demande de marque sans aucune intention de l'utiliser pour les produits et les services visés par l'enregistrement constitue un acte de mauvaise foi, au sens de ces dispositions, si le demandeur de cette marque avait l'intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d'une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d'obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque. Lorsque l'absence d'intention d'utiliser la marque conformément aux fonctions essentielles d'une marque ne concerne que certains produits ou services visés par la demande de marque, cette demande ne constitue un acte de mauvaise foi que pour autant qu'elle vise ces produits ou services ».

69. Par cette même décision, la Cour de justice rappelle que :

« 73. (?) ni ce règlement ni cette directive [no89/104] ne fournissent de définition de la notion de « mauvaise foi ». Il y a toutefois lieu d'observer que cette notion est une notion autonome du droit de l'Union et que, eu égard à la nécessité d'une application cohérente des régimes des marques nationaux et de l'Union, ladite notion doit être interprétée de la même manière tant dans le contexte de la première directive 89/104 que dans celui du règlement no40/94 (voir, par analogie, arrêt du 27 juin 2013, Malaysia Dairy Industries, C-320/12, EU:C:2013:435, points 34 et 35).

74. La Cour a eu l'occasion de juger que, outre le fait que, conformément à son sens habituel dans le langage courant, la notion de « mauvaise foi » suppose la présence d'un état d'esprit ou d'une intention malhonnête, il convient, aux fins de son interprétation, de prendre en considération le contexte particulier du droit des marques, qui est celui de la vie des affaires. À ce titre, les règles de l'Union en matière de marques visent, en particulier, à contribuer au système de concurrence non faussée dans l'Union, dans lequel chaque entreprise doit, afin de s'attacher la clientèle par la qualité de ses produits ou de ses services, être en mesure de faire enregistrer en tant que marques des signes permettant au consommateur de distinguer sans confusion possible ces produits ou ces services de ceux qui ont une autre provenance (arrêt du 12 septembre 2019, Koton Ma azacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C-104/18 P, EU:C:2019:724, point 45 et jurisprudence citée). (?)

76. Certes, le demandeur d'une marque n'est pas tenu d'indiquer, ni même de connaître, avec précision, à la date du dépôt de sa demande d'enregistrement ou de l'examen de celle-ci, l'usage qu'il fera de la marque demandée et il dispose d'un délai de cinq ans pour entamer un usage effectif conforme à la fonction essentielle de cette marque [voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Deutsches Patent- und Markenamt (#darferdas?), C-541/18, EU:C:2019:725, point 22].

77. Toutefois, (...) l'enregistrement d'une marque sans que le demandeur ait aucune intention de l'utiliser pour les produits et les services visés par cet enregistrement est susceptible d'être constitutif de mauvaise foi, dès lors que la demande de marque est privée de justification au regard des objectifs visés par le règlement no40/94 et la première directive 89/104. Une telle mauvaise foi ne peut cependant être caractérisée que s'il existe des indices objectifs pertinents et concordants tendant à démontrer que, à la date du dépôt de la demande d'enregistrement de la marque considérée, le demandeur de celle-ci avait l'intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d'une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d'obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque ».

70. En l'espèce, selon certificat de dépôt du 1er août 2013, la société E. Remy Martin et Co a déposé la marque de l'Union européenne « LOUIS XIII » dans les classes 33, 41 et 43 prévues par l'arrangement de [Localité 7] du 15 juin 1957.

71. L'argumentation des parties ne portant que sur la classe 33 qui précède, la juridiction n'est donc saisie que d'une demande de nullité portant sur cette catégorie par application de l'article 4 du code de procédure civile.

72. Le certificat de dépôt mentionne au titre de cette classe 33 « à savoir cognac, brandy, eaux-de-vie, rhum, whisky, boissons spiritueuses, alcool de riz, vodka, gin, saké, tequila , aquavit, liqueurs, vins tranquilles, extraits alcooliques, essences alcooliques, apéritifs, digestifs, cidres et cocktails alcoolisés ».

73. La démonstration du caractère frauduleux du dépôt repose sur la société SARL Bacchus Bollee, demanderesse reconventionnelle à la nullité, qui s'en prévaut.

74. Elle se fonde sur la circonstance que la marque de l'Union européenne «LOUIS XIII » n'est utilisée que pour la commercialisation d'une boisson particulière, le Cognac, à l'exclusion des autres boissons alcoolisées visées au justificatif de dépôt.

75. Il est admis par la société E. Remy Martin et Co que le dépôt de la marque de l'Union européenne « LOUIS XIII » a pour objet de la protéger sur l'ensemble du territoire de l'Union et d'empêcher son utilisation par un concurrent potentiel, y compris pour désigner d'autres boissons alcoolisées que le Cognac.

76. Il ressort des éléments de la cause que le dépôt de la marque « LOUIS XIII » dans la classe 33 est réalisé aux fins d'en obtenir un usage exclusif pour un produit particulier, le Cognac, qui est une boisson alcoolisée.

77. Il est tenu compte du contexte particulier du droit des marques, qui est celui de la vie des affaires. Le tribunal relève à ce titre que la protection, par le dépôt, de la marque verbale en cause, permet au consommateur de distinguer, sans confusion possible, le produit litigieux d'autres produits alcoolisés par sa qualité ; condition d'une concurrence non faussée entre les opérateurs économiques sur ce marché.

78. Au surplus, le déposant n'est pas tenu d'indiquer l'usage qu'il fera de la marque demandée ni à une particulière clarté ou précision dans les termes employés.

79. La circonstance que d'autres produits alcoolisés aient été mentionnés au dépôt n'est donc pas, en elle-même, de nature à démontrer la présence d'un état d'esprit ou d'une intention malhonnête.

80. Il n'est pas justifié par la société SARL Bacchus Bollee, au moment du dépôt, des indices objectifs pertinents permettant d'établir que la déposante était mue par une intention de porter atteinte aux droit des tiers ni qu'elle était contraire aux usages honnêtes. Elle ne prouve pas que l'usage exclusif obtenu l'est à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque.

81. En outre, en réponse à l'argument de la société SARL Bacchus Bollee, la juridiction relève que la société E. Remy Martin et Co, selon faits non contestés, produisait et commercialisait déjà au jour du dépôt de la marque litigieuse un Cognac de grande qualité sous la marque nationale « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN ». Il sera dit que cette seule circonstance ne permet pas de démontrer d'intention frauduleuse.

82. Le moyen est écarté. La demande de nullité de la marque est rejeté.

3. Sur la contrefaçon

Moyens des parties

83. La société E. Remy Martin et Co soutient que la dénomination litigieuse PRINCE LOUIS est exploitée par les Sociétés Bacchus Bollee, ELS et Cognac Embouteillage pour commercialiser du brandy et du cognac.

Elle soutient que le public pertinent est celui ayant une « attention normale » au regard du faible prix des produits ; que les produits sont identiques ou quasi-identiques, le Cognac étant un Brandy, c'est à dire une eau-de-vie à base de vin ; que la différence de prix des produits, respectivement 20 euros et 2 500 euros, n'est pas pertinente pour écarter la confusion mais aggravent son préjudice ; que, selon son argument, ses droits s'appréciant par rapport au dépôt alors que la contrefaçon dépend des conditions dans lesquelles les bouteilles sont commercialisées.

Elle expose que les produits en litige présentent des similitudes visuelles, phonétiques et intellectuelles ; que Louis XIII est un roi de France du XVIIème siècle et Prince Louis désigne le titre de noblesse le plus élevé évoquant le fils du roi ainsi que la royauté et la souveraineté française. Elle se prévaut du caractère distinctif particulier de sa marque dans la catégorie discutée et écarte les arguments tirés de l'existence de nombreuses marques mentionnant le prénom Louis comme ayant fait l'objet d'autres procédures ou accords de coéxistence.

Elle ajoute que sa marque bénéficie d'une grande renommée au sens de la jurisprudence de la Cour de justice en raison, selon son argument, d'un caractère fortement distinctif.

84. La société SARL Bacchus Bollee soutient que le niveau d'attention du consommateur de produits alcoolisés est un niveau moyen ; qu'il peut toutefois être considéré comme disposant d'un niveau d'attention élevé en raison du prix élevé des produits en cause, des circonstances de consommation, de l'habitude du consommateur de comparer les marques entre elles ; qu'il en est ainsi dans le secteur intéressé selon son argument.

Elle précise que le public pertinent consommant du Cognac sous les marques « LOUIS XIII » et « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN » est constitué de consommateurs particulièrement riches, voir de collectionneurs ; que ce produit n'est pas commercialisé dans la grande distribution mais selon des réseaux supposant une sélection restreinte de points de ventes ; que, selon sa lecture, le site internet de la demanderesse le rappelle.

Elle estime que le risque d'association ne suffit pas à caractériser le risque de confusion ; que plusieurs exemples en jurisprudence ont, selon elle, présenté des situation similaires excluant le risque de confusion ; qu'enfin l'INPI a rejeté l'opposition formée contre la demande d'enregistrement de la marque « PRINCE LOUIS » ainsi que d'autres marques incluant le prénom « Louis ».

85. La société SARL ELS estime qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les produits litigieux et les marques LOUIS XIII et LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN. Elle débat des décisions de l'INPI ayant rejeté des oppositions contre des marques de produits alcoolisés comportant le prénom Louis ou faisant référence à des rois de France, en particulier de l'une d'elle ayant déjà connu du signe « PRINCE LOUIS ».

Elle analyse le risque de confusion en se référant à un consommateur d'attention moyenne et qualifie de ténu le caractère distinctif de l'utilisation du prénom LOUIS dont elle dénonce une appropriation par la demanderesse comme méconnaissant la liberté du commerce et de l'industrie.

Elle rappelle que l'usage du prénom Louis est courant dans le domaine vitivinicole et dénombre 600 marques en vigueur en France le comportant en classe 33. Elle qualifie donc ledit prénom de banal et rappelle que le consommateur sur ce marché est habitué à distinguer des marques comportant les mêmes termes.

Elle considère visuellement que l'architecture des deux marques diffère par leur attaque et la présence du chiffre romain XIII ; que phonétiquement le rythme et les sonorités diffères tant d'attaque que finale ; que conceptuellement, LOUIS XIII est un ensemble indivisible faisant référence à un roi de France particulier pour exclure, selon son argument, tout risque de confusion ou d'association.

Elle conclut enfin à l'absence d'usage dans la vie des affaires ayant rempli des bouteilles reçues d'un tiers pour effectuer leur remplissage excluant son comportement actif et une maîtrise de l'acte constituant un usage au sens de jurisprudences de la Cour de justice rendue dans les affaires C-119/10, C-379/14 et C-567/18.

Elle conteste l'usage dans la vie des affaires alors qu'elle estime n'avoir fait qu'exécuter une partie technique du processus de production sur commande et instructions de la société Bacchus Bollee, qui lui a fourni les produits déjà pourvus du signe contrefaisant.

86. La société SARL Cognac Embouteillage soutient que la preuve de la contrefaçon n'est pas rapportée. Elle estime que les opérations de retenue douanière sont irrégulières et que le constat d'huissier ne démontre pas de contrefaçon de sa part. Elle considère le prénom Louis comme courant dans la langue française et ne peut suffire à caractériser la contrefaçon.

Par une argumentation subsidiaire, elle expose que le risque de confusion exigé par l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle n'est pas démontré en l'absence de similitudes visuelles, phonétiques ou conceptuelles et décrit ces dissemblances.

Elle rappelle que 27 mars sont déposées auprès de l'INPI pour du Cognac en mentionnant le prénom Louis qui est largement utilisé dans le secteur des boissons alcoolisées ; que les flacons ne sont pas protégés comme dessins ou modèles.

Elle estime les produits différents et dit que « même si le cognac est également une eau de vie de vins ses cépages et les conditions de sa distillation puis de son vieillissement le distinguent nettement du brandy qui n'est pas soumis à un cahier des charges aussi strict ».

Il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de leur argumentation portant sur le préjudice.

Appréciation du tribunal

87. S'agissant de la marque de l'Union européenne « LOUIS XIII », l'article 9, paragraphe 1, du règlement 1001/2017/UE du 14 juin 2017 dispose que « 1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. / 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque :
a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée;
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque (...)».

88. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans son arrêt du 15 décembre 2011 C-119-10 Frisdranken Industrie Winters – Red Bull Gmbh que « L'article 5, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu'un prestataire de service qui, sur commande et sur les instructions d'un tiers, remplit des conditionnements qui lui ont été fournis par ce tiers, lequel y a fait apposer préalablement un signe identique ou similaire à un signe protégé en tant que marque, ne fait pas lui-même un usage de ce signe susceptible d'être interdit en vertu de cette disposition » et en ce qui concerne l'entreposage, que (arrêt du 02 avril 2020 C-567-18 Coty-Amazon) « L'article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) no207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l'Union européenne], et l'article 9, paragraphe 3, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l'Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu'une personne qui entrepose pour un tiers des produits portant atteinte à un droit de marque, sans avoir connaissance de cette atteinte, doit être considérée comme ne détenant pas ces produits aux fins de leur offre ou de leur mise dans le commerce au sens de ces dispositions si cette personne ne poursuit pas elle-même ces finalités ».

89. S'agissant de la marque nationale « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN », l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle énonce que : « est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque ».

90. Pour caractériser la contrefaçon, il y a lieu de rechercher si, au regard d'une appréciation globale des degrés de similitude entre les signes et entre les produits désignés, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public concerné, ce risque de confusion devant être apprécié en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce qui incluent en particulier leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire.

91. L'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants.

92. Au cas présent, les éléments suivants permettent d'établir les faits objets des débats :

93. Selon pièce annexée au procès-verbal de retenue douanière du 18 juin 2019 (pièce demandeur 8.1bis) est constatée la retenue par le conditionneur Cognac Embouteillage à [Adresse 12]) de plusieurs biens et en particulier : « deux bouteilles de brandy portant la dénomination commerciale PRINCE LOUIS, le numéro de lot 2017/04/05 et une date de production gravée sur la bouteille no2017/04/05 ». Une photographie d'un flacon figure pièce 8.1.f. Indiquant PRINCE LOUIS XO » en caractères de grande taille.

94. Selon pièce annexée au procès-verbal de retenue douanière du 18 juin 2019 (pièce demandeur 8.1bis) est constatée la retenue par le conditionneur SARL ELS à [Localité 6] ([Localité 6]) de plusieurs biens et en particulier : « une carafe de brandy pleine portant la mention Prince Louis XO 70cl ». Une photographie d'un flacon figure pièce 8.2.k Indiquant « PRINCE LOUIS XO » en caractères de grande taille identique à la photographie figurant pièce 8.1.f.

95. Une autre photographie communiquée (pièce 9.1.f.) présente la même carafe et une étiquette sur le revers de la bouteille indiquant « PRINCE LOUIS » et comportant des mentions en langue chinoise.

96. Un courrier de l'inspecteur des douanes adressé à une société T Mark Conseils le 14 novembre 2019 indique qu'est en retenue « un rouleau d'étiquettes rouges portant la mention suivante « PRINCE LOUIS » et « deux bouteilles de 70cl de brandy dénommées PRINCE LOUIS » parmi d'autres éléments de même nature.

97. Un autre courrier du 21 novembre 2019 de l'inspecteur des douanes adressé à cette même société précise que sont retenus au sein des locaux de la société Bacchus Bollee à [Localité 9] ([Localité 9]) « un rouleau de contre étiquettes portant la mention suivante : PRINCE LOUIS (...) 122 bouteilles vides avec bouchons et étiquettes PRINCE LOUIS d'une contenance de 70cl, deux bouteilles de 70cl de brandy dénommées PRINCE LOUIS », parmi d'autres rouleaux d'étiquettes et contenants mentionnant d'autres marques. Sont également retenues 859 bouteilles vides d'une contenance de 70cl et 320 bouteilles vides d'une contenance de 100cl.

98. Selon procès-verbal de saisie-contrefaçon réalisée par Me [K], huissier de justice, le 31 janvier 2020 au sein des locaux de la société Bacchus Bollee à [Adresse 10]) il est constaté :
-la présence de bouteilles étiquetées sous diverses appellations contenant le prénom Louis.
-le résultat d'une recherche informatique par mots-clef, notamment la combinaison de mots « Prince Louis » qui indique « 1 classeur portant plusieurs mentions dont « PRINCE LOUIS » sans aucun document PRINCE LOUIS » un salarié indique « qu'il n'y en a pas ».

99. S'agissant de la régularité de la retenue douanière, la société Cognac Embouteillage rappelle qu'une opération de transit au sens de l'article 30 du Traité sur l'Union européenne empêche la mise en oeuvre d'une procédure de retenue comparable à celle de l'article L. 716-8 du code de la propriété intellectuelle (v. CJUE 23 octobre 2003, Rioglass SA, C-115/02).

100. Or, il n'est pas démontré par la société Cognac Embouteillage que les éléments qui précèdent, objets de la retenue douanière, provenaient d'un autre Etat membre que la France, même s'il est probable qu'ils étaient destinés à l'export. La qualification de bien de transit n'est donc pas démontrée.

101. Il n'est donc pas justifié d'écarter les procès-verbaux et courriers précités issus des retenues douanières.

102. S'agissant de la renommée, les marques de la société [S] Martin, disposent d'une renommée particulièrement importante alors que celles-ci sont mentionnées dans plusieurs classements internationaux de marque de luxe et reprises dans de nombreux articles de presse spécialisée.

103. Les marques bénéficient également d'une histoire liée à des évènements passés rappelés par la société demanderesse qui n'est pas contredite sur ce point. Enfin, la fiche technique de l'AOC Cognac mentionne [S] Martin comme un producteur historique de la région.

104. A l'inverse, il n'est démontré par aucune pièce que la marque Prince Louis bénéficie d'une renommée spécifique étant vraisemblablement destinée au marché chinois parmi d'autres marques comportant le plus souvent le prénom Louis dans leur nom.

105. S'agissant de l'identité des signes. Il est relevé visuellement que la marque PRINCE LOUIS comporte deux mots, dont le prénom LOUIS, ce qui la rapproche des marques de la société [S] Martin. Il est toutefois tenu compte de ce que n'y figure aucun chiffre et, s'agissant de la marque nationale, qu'elle ne comporte pas les mots « DE [Localité 11] MARTIN ».

106. Il est relevé phonétiquement la présence de quatre syllabes au prononcé de la marque PRINCE LOUIS ce qui la distingue de la marque LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN. Il est noté que l'attaque « LOUIS » diffère s'agissant des marques en litige.

107. Il est relevé conceptuellement que la marque PRINCE LOUIS, comme la marque LOUIS XIII ou la marque LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN associent ce prénom à un personnage historique de la monarchie. Seul diffère à ce titre l'utilisation d'un chiffre ou du titre de « prince » qui peut renvoyer tant à un noble de haut lignage qu'au fils du roi. L'association du prénom Louis et de la royauté induit directement un lien avec la culture française, en particulier l'histoire de France.

108. S'agissant du niveau d'attention du consommateur, il y a lieu de retenir que son attention porte à la fois sur la connaissance des marques en cause mais également sur sa capacité à les différencier.

109. A ce titre, le prix élevé de ces alcools et la coexistence de produits de grande qualité ou exceptionnels avec des produits de qualité ordinaire invite le consommateur à être particulièrement vigilant sur leurs différences. Le consommateur cherchera ainsi à les distinguer, afin de s'assurer que sa dépense correspond à la valeur réelle du produit.

110. L'existence de nombreux alcools comportant le prénom « Louis » dans le libellé de leur marque l'invite de même à un degré d'attention élevé pour ne pas les confondre. Un degré d'attention élevé est donc retenu.

111. Il résulte de ces éléments de fait que la marque PRINCE LOUIS associe un prénom identifié à un titre nobiliaire, à l'histoire de la France et à l'Ancien régime.

112. Un consommateur, même d'attention élevée, pourra ainsi raisonnablement estimer, en raison de l'identité des produits et en l'état de la forte similitude conceptuelle des signes, que les marques LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN, LOUIS XIII et PRINCE LOUIS renvoient à un même alcool, produit par un même producteur. Le risque de confusion est donc établi.

113. S'agissant de l'usage dans la vie des affaires, il ressort des différents procès-verbaux précités que l'administration des douanes a retenu des bouteilles et des étiquettes comportant la mention PRINCE LOUIS en nombre important.

114. Des bouteilles pleines sont ponctuellement retenues démontrant que ces bouteilles vides et étiquettes non apposées ont pour objet de contenir de l'eau-de-vie de vin.

115. En réponse au moyen de la société ELS qui se fonde sur les jurisprudences précitées de la Cour de Justice de l'Union européenne, il sera la présence d'une carafe étiquetée. La même circonstance est relevée s'agissant de la société Cognac Embouteillage

116. Cela peut constituer un indice indiquant qu'elle ne se contente pas de remplir les flacons qui lui sont fournis mais qu'elle y appose elle-même les marques litigieuses. Cet état de fait n'est toutefois pas démontré.

117. La présence d'étiquettes en rouleau, de bouteilles vides, et d'autre étiquetées en grand nombre dans un local de la société Bacchus Bollee démontre que celle-ci produit, conditionne et commercialise des bouteilles d'eau-de-vie de vin de marque PRINCE LOUIS.

118. L'usage dans la vie des affaires est donc établi pour toutes les parties.

119. Il résulte de ces circonstances que les conditions, respectivement, de l'article 9, paragraphe 1, du règlement 1001/2017/UE du 14 juin 2017 et de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle sont démontrées.

120. La contrefaçon est établie.

3. Sur les mesures de réparation

121. Aux termes de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle « pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels,matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon (...) ».

122. Il est rappelé que l'article L. 716-10 du même code réprime le fait de « détenir sans motif légitime, d'importer ou d'exporter des marchandises présentées sous une marque contrefaisante (...) ».

123. En l'espèce, il n'est retrouvé au sein des locaux de la société ELS et Cognac Embouteillage que deux bouteilles de Cognac pleines. Les conséquences économiques négatives et les bénéfices réalisés par les contrefacteurs apparaissent donc devoir être indemnisés de manière symbolique.

124. La seule circonstance que des produits contrefaisants soient présents au sein de sociétés ayant pour métier de conditionner les produits afin de les exporter et de les commercialiser cause un préjudice moral à la société demanderesse dont il convient de tenir compte.

125. Il résulte de ces circonstances que ces deux sociétés ont chacune causé un préjudice qu'il convient d'indemniser à hauteur de 3 000 euros pour chacun de ces faits.

126. Elles seront chacune condamnées in solidum avec la société Bacchus Bollee dont il est démontré qu'elle est leur commanditaire, et qui commercialise les produits ainsi conditionnés.

127. En revanche, il n'est pas justifié de condamner cette société à les relever et garantir de leurs condamnations alors que la société E. Remy Martin et Co et ses marques bénéficient d'une grande notoriété dans leur région d'activité et qu'elles n'ont pu ignorer la contrefaçon commise et ne peuvent l'imputer à un manquement de la société Bacchus Bollee.

128. S'agissant de la société Bacchus Bollee, sont retrouvées dans ses locaux 1 303 bouteilles dont 2 étiquetées avec la marque PRINCE LOUIS et pleines, 122 étiquetées avec la marque PRINCE LOUIS et 859 vides et non étiquetées.

129. Il n'est pas possible de dire que l'intégralité des 859 bouteilles vides sont destinées à la commercialisation. La présence de contre étiquettes peut indiquer qu'elles ont vocation à être apposées sur les bouteilles vides ou les 122 bouteilles pleines s'agissant de « contre-étiquettes » sans autre précision.

130. Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon apparaissent dès lors devoir être multipliées au regard du nombre important de bouteilles présentes. Il est toutefois à relativiser alors que les contrefaçons, ainsi que le rappelle la société demanderesse, concernent des produites d'une qualité infiniment moindre que son Cognac commercialisé sous les marques LOUIS XIII en litige en présence de consommateurs dotés d'une vigilance élevée.

131. Les bénéfices réalisés par le contrefacteur doivent tenir compte de la grande renommée des marques LOUIS XIII en litige, lui permettant de bénéficier d'économies promotionnelles et renforçant la réputation de ses produits, partant de sa qualité. Ces économies et bénéfices doivent être évalués au regard du nombre important de bouteilles et d'étiquettes saisies.

132. S'agissant du préjudice moral, la banalisation du produit que constitue une eau-de-vie de vin bénéficiant d'une grande renommée avec des produits de moindre qualité cause un préjudice. Ce préjudice est accentué par la circonstance que l'eau-de-vie de vin, et particulièrement le Cognac, sont largement exportés et ce qui aggrave la banalisation de la marque.

133. Il convient, par voie de conséquence, d'indemniser la société E. Remy Martin et Co à hauteur de 30 000 euros en réparation de son préjudice.

134. Il n'est pas démontré que les deux autres défenderesses ont participé aux actes de contrefaçon constatés dans les locaux de la société Bacchus Bollee. La société Bacchus Bollee est donc condamnée à payer cette somme. La demande dirigée contre les sociétés ELS et Cognac Embouteillage est rejetée.

135. Il convient, à titre de mesure de réparation, d'interdire aux trois défenderesses d'utiliser la dénomination PRINCE LOUIS, dans les conditions du dispositif. En revanche, la demande d'interdiction portant sur le prénom Louis est rejetée, la société E. Remy Martin et Co ne justifiant d'aucun droit sur ce seul prénom.

136. Il n'apparaît pas justifié d'ordonner la publication de la décision à intervenir.

137. La demande de communication de pièces étant présentée subsidiairement à la demande de condamnation en paiement, il n'y a pas lieu de statuer de ce fait.

4. Les demandes accessoires

138. Les défenderesses, parties perdantes, sont condamnées aux dépens et à payer à la société demanderesse la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; somme appréciée en équité en l'absence de justificatif ou d'accord des parties sur le montant des frais devant être payés par la partie perdante ou condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

PRONONCE la déchéance partielle de la marque nationale « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN »no 94 529 471, pour l'intégralité de la catégorie correspondant à la classe 33 définie par l'arrangement de [Localité 7] du 15 juin 1957 dans laquelle celle-ci est enregistrée à l'exception de la sous-catégorie autonome « eaux-de-vie de vin, autrement appelées brandy » identifiée au cas présent,

DIT que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI à l'initiative de la partie la plus diligente aux fins d'inscription au registre des marques,

REJETTE le surplus de la demande de déchéance partielle,

REJETTE la demande de nullité de la marque de l'Union européenne « LOUIS XIII » no 12 035 747,

CONDAMNE la société SARL Bacchus Bollee à payer à la société E. Remy Martin et Co la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice commercial et moral résultant des actes de contrefaçon de sa marque nationale « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN » no 94 529 471, et de sa marque de l'Union européenne « LOUIS XIII » no 12 035 747, par l'utilisation, pour le conditionnement et la commercialisation, de bouteilles d'eau-de-vie de vin portant la marque « PRINCE LOUIS »,

CONDAMNE in solidum, la société SARL ELS et la société SARL Bacchus Bollee à payer à la société E. Remy Martin et Co la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice commercial et moral résultant des actes de contrefaçon de sa marque nationale « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN » no 94 529 471 et de sa marque de l'Union européenne « LOUIS XIII » no 12 035 747, par l'utilisation, pour le conditionnement et la commercialisation de bouteilles d'eau-de-vie de vin portant la marque « PRINCE LOUIS »,

CONDAMNE in solidum, la société SARL Cognac Embouteillage et la société SARL Bacchus Bollee à payer à la société E. Remy Martin et Co la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice commercial et moral résultant des actes de contrefaçon de sa marque nationale « LOUIS XIII DE [Localité 11] MARTIN » no 94 529 471, et de sa marque de l'Union européenne « LOUIS XIII » no 12 035 747, par l'utilisation, pour le conditionnement et la commercialisation, de bouteilles d'eau-de-vie de vin portant la marque « PRINCE LOUIS »,

INTERDIT à la société SARL Bacchus Bollee, à la société SARL ELS et à la société SARL Cognac Embouteillage de conditionner et de commercialiser des alcools sous la dénomination « PRINCE LOUIS », et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours,

DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande de communication de pièces comptables,

REJETTE le surplus,

CONDAMNE in solidum la société SARL Bacchus Bollee, à la société SARL ELS et à la société SARL Cognac Embouteillage à payer à la société E. Remy Martin et Co la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la société SARL Bacchus Bollee, à la société SARL ELS et à la société SARL Cognac Embouteillage au paiement des dépens, dont distraction au profit de Maître Christian Hollier-Larousse, avocat,

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de plein droit, sauf en ce qui concerne l'inscription au registre des marques.
Fait et jugé à Paris le 15 décembre 2022.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 19/07749
Date de la décision : 15/12/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-12-15;19.07749 ?
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