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13/12/2022 | FRANCE | N°18/05683

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 13 décembre 2022, 18/05683


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 18/05683 -
No Portalis 352J-W-B7C-CM5YY

No MINUTE :

Assignation du :
04 Mai 2018

JUGEMENT
rendu le 13 décembre 2022
DEMANDERESSE

Association FEDERATION FRANCAISE DE TENNIS
[Adresse 5]
[Localité 6]

représentée par Maître Louis DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0035 et par Maître Serge LEDERMAN de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, v

estiaire #K0035

DÉFENDERESSES

Société VIAGOGO AG
[Adresse 2]
[Localité 3] (SUISSE)

Société VIAGOGO ENTERTAINMENT INC.
[Ad...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 18/05683 -
No Portalis 352J-W-B7C-CM5YY

No MINUTE :

Assignation du :
04 Mai 2018

JUGEMENT
rendu le 13 décembre 2022
DEMANDERESSE

Association FEDERATION FRANCAISE DE TENNIS
[Adresse 5]
[Localité 6]

représentée par Maître Louis DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0035 et par Maître Serge LEDERMAN de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0035

DÉFENDERESSES

Société VIAGOGO AG
[Adresse 2]
[Localité 3] (SUISSE)

Société VIAGOGO ENTERTAINMENT INC.
[Adresse 4]
[Localité 7] (ETATS-UNIS)

représentées par Maître Annabelle RICHARD du PARTNERSHIPS PINSENT MASONS FRANCE LLP, avocat au barreau de PARIS, avocats postulant, vestiaire #R0020 et par Maîtres Diane MULLENEX et Mélina WOLMAN du PARTNERSHIPS PINSENT MASONS FRANCE LLP, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidants, vestiaire #R0020

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DEBATS

A l'audience du 29 Juin 2022, tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11 Octobre 2022 et prorogé en dernier lieu au 13 décembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

1. La Fédération Française de Tennis (ci-après FFT), est une association régie par les dispositions de la loi du 1er juillet 1901. En tant que fédération sportive agréée, conformément aux dispositions du code du sport, elle a pour mission d'organiser les compétitions de tennis sur le territoire national, d'assurer et de contrôler le développement de ce sport en France. Dans ce cadre, la FFT organise annuellement, habituellement entre mai et juin, les Internationaux de France de tennis, plus communément appelés Roland Garros.

2. La FFT, en tant qu'organisatrice de la compétition, revendique la propriété des droits d'exploitation du tournoi de Roland Garros, ainsi que de plusieurs marques françaises et européennes :

- La marque française semi-figurative no1630776, déposée le 3 décembre 1990 et régulièrement renouvelée le 20 octobre 2010 pour désigner notamment en classe 41 les services de " divertissement ; spectacles ; organisation de concours et de manifestation sportives":

- La marque verbale française "ROLAND GARROS " no1625392, déposée le 6 novembre 1990 et régulièrement renouvelée le 21 août 2020 pour désigner notamment en classe 41 les services de " divertissements ; spectacles ".

- La marque verbale française " ROLAND GARROS " no3622169 déposée le 13 janvier 2009 et valablement renouvelée le 6 novembre 2018 en classes 38 pour désigner les services de " télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données " ; " communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé " ; " promotion publicitaire ayant trait en particulier à des événements sportifs ".

- La marque verbale de l'Union européenne " ROLAND GARROS FRENCH OPEN " no003498276, déposée le 31 octobre 2003 notamment en classe 9 pour désigner les "publications électroniques (téléchargeables) fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'Internet " et en classe 41 les " services de réservation de billets pour des événements divertissants, sportifs et culturels ".

3. La société de droit américain Viagogo Entertainment exploite le site internet acessible à l'adresse [01]; ainsi que ses extensions internationales, tandis que la société de droit suisse Viagogo AG exploite le site internet accessible à l'adresse [01];. Elles présentent le site "[01]" comme hébergeant une plateforme offrant des services de vente directe ou de mise en relation d'acheteurs et de vendeurs de billets d'accès à des manifestations sportives ou culturelles.

4. La FFT expose avoir découvert au mois de septembre 2017, que le site acessible à l'adresse [01]; commercialisait des billets pour l'édition 2018 de Roland Garros, ce qu'elle a fait constater par différents procès-verbaux les 20 septembre 2017,13 avril 2018, 1er juin 2018, 27 mars 2019, 3 avril 2019 et 5 mars 2020, l'huissier ayant constaté l'offre à la vente de billets pour les internationaux de Roland Garros sur ce site, sans qu'aucune acquisition ne lui soit possible avec une adresse IP française.

5. Aussi, la FFT a-t'elle mis en demeure les sociétés Viagogo, par une lettre du 2 novembre 2017, de cesser toute commercialisation de billets pour l'édition 2018 du tournoi de Roland Garros, de cesser d'exploiter ses marques "Roland Garros", ainsi que de lui communiquer le volume de billets vendus sur leur plateforme et la liste de leurs fournisseurs.

6. Ses demandes n'ayant pas été satisfaites, la FFT a, par actes d'huissier du 17 janvier 2018, fait assigner les sociétés Viagogo en référé devant le délégataire du président de ce tribunal, lequel, par une ordonnance du 6 avril suivant, a fait interdiction à ces sociétés de faire usage des marques "Roland Garros" et de commercialiser les billets litigieux, a ordonné la communication par les sociétés Viagogo de toutes informations de nature à permettre à la FFT de chiffrer son préjudice et notamment la quantité de billets vendus, leurs prix et la liste des fournisseurs, et les a condamnées in solidum au paiement d'une provision de 60.000 euros.

7. Par un arrêt du 7 février 2020, la Cour d'appel a confirmé la décision du juge des référés tout en portant à 80.000 euros le montant de la provision due par les sociétés Viagogo à la Fédération.

8. La FFT s'est pourvue au fond devant le tribunal de grande instance de Paris par une assignation du 4 mai 2018.

9. Par une ordonnance du 20 novembre 2020, le juge de la mise en état a liquidé l'astreinte qui assortissait la décision par laquelle il avait ordonné aux sociétés Viagogo de communiquer les pièces nécessaires à l'évaluation du préjudice de la FFT et condamné ces sociétés au paiement de la somme de 270.000 euros à ce titre. Par une ordonnance rectificative du 22 décembre suivant, il a renouvelé l'astreinte de 1 000 euros par jour de retard prononcée par le juge de la mise en état dans son ordonnance du 13 septembre 2019, cette astreinte, applicable dès la signification de l'ordonnance du 20 novembre 2020 pour une durée de 3 mois, pouvant être liquidée par le juge de la mise en état ou le tribunal selon la date à laquelle la liquidation sera sollicitée, le cas échéant.

10. Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 février 2022, la FFT demande au tribunal de :
- La Recevoir en ses demandes, fins moyens et prétentions ;
Y faisant droit :
- Juger que les demandes de la FFT sont recevables et bien fondées;
- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG ;
- Juger que la loi française est applicable à l'ensemble des faits commis sur la plateforme Viagogo, quels que soit le lieu de ka vente des billets d'accès, la nationalité ou le domicile de l'acheteur, l'accessibilité et la destination de la plateforme et de ses extensions;
- Rejeter les questions préjudicielles formulées par les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG ;
- Juger que les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG sont les éditeurs du site [01] et de ses différentes extensions ;
- Juger que la marque " ROLAND GARROS " no3622169 a fait l'objet d'un usage sérieux pour les "services de publicité et promotion publicitaire ayant trait en particulier à des événements sportifs" en classe 35 et les "services de télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données", les services de "communications par terminaux d'ordinateurs" et les services de "communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé" en classe 38 ;
- Juger que la marque "ROLAND GARROS FRENCH OPEN" no003498276 a fait l'objet d'un usage sérieux pour les produits consistant en des "publications électroniques (téléchargeables) fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'internet" en classe 9 ;
En conséquence,
- Rejeter les demandes reconventionnelles en déchéance partielle formulées par les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG à l'encontre de ces marques ;
- Juger qu'en reproduisant le signe "ROLAND GARROS" sur leur site [01] et ses différentes extensions pour offrir à la vente des billets pour assister au tournoi de Roland-Garros 2018, les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG ont commis des actes constitutifs de contrefaçon des marques suivantes : "La marque verbale française "ROLAND GARROS " no3622169 déposée le 13 janvier 2009, la marque verbale française "ROLAND GARROS" no16225392 déposée le 6 novembre 1990, la marque semi-figurative française no1630776 déposée le 3 décembre 1990, la marque verbale de l'Union européenne "ROLAND GARROS FRENCH OPEN" no3498276 déposée le 31 octobre 2003 ;
- Juger qu'en reproduisant le signe " ROLAND GARROS " sur la plateforme Viagogo à l'occasion de l'édition 2018 du tournoi Roland-Garros, les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG ont porté une atteinte injustifiée et retiré un bénéfice indu des marques de renommée française "ROLAND GARROS" no1625392 et no1630776 ;
- Juger qu'en proposant à la vente dans le monde entier des billets pour assister aux éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de Roland-Garros sans autorisation de la FFT, les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG ont violé le droit exclusif de la FFT de commercialiser la billetterie de cette compétition ;
- Juger que les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG, en faisant un usage illicite des marques de la FFT à titre de marques d'appel et en tirant profit des efforts et des investissements conséquents de la FFT dans le monde entier à l'occasion des éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de Roland-Garros, se sont rendues coupables d'actes de parasitisme au préjudice de la FFT ;
- Juger que les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG se sont également rendue coupables d'actes de concurrence déloyale dans le monde entier à l'occasion des éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de Roland-Garros :
" En désorganisant le réseau de distribution mis en place par la FFT;
" En violant ou à tout le moins en se rendant complices de la violation des conditions générales de vente ;
" En se rendant coupables de pratiques commerciales trompeuses.
En conséquence :
- Interdire aux sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG, à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard, de reproduire et de faire usage, de quelque manière et à quelque titre que ce soit les marques françaises no3622169 ; 1625392 ; 1630776 sur le territoire français et de la marque de l'Union no3498276 sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne ;
- Condamner à titre provisionnel et in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG à verser à la FFT la somme de 500 000 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par les actes de contrefaçon de marques susvisés ;
- Condamner à titre provisionnel et in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG à verser à la FFT la somme de 500 000 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel causé par les actes de contrefaçon de marques susvisés ;
- Condamner à titre provisionnel et in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG à verser à la FFT la somme de 300.000€, sauf à parfaire, à titre de dommage et intérêts en réparation du préjudice causé par les atteintes portées aux marques de renommée " ROLAND GARROS " no1625392 et no1630776;
- Condamner à titre provisionnel et in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG à verser à la FFT la somme de 500.000 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation de son droit exclusif d'exploitation ;
- Condamner à titre provisionnel et in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG à verser à la FFT la somme de 250 000 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale susvisés ;
- Constater que les sociétés Viagogo AG et Viagogo Entertainment n'ont pas produit les documents et informations dont le juge de la mise en état a ordonné la communication aux termes de son ordonnance du 13 septembre 2019 ;
- Liquider en conséquence l'astreinte prononcée dans l'ordonnance de liquidation d'astreinte du 20 novembre 2020, rectifiée par ordonnance du 22 décembre 2020, à hauteur de 90 000€ ;
- Ordonner aux sociétés Viagogo de communiquer à la FFT, au moyen de documents comptables certifiés par des commissaires aux comptes indépendants, les informations et documents suivants :
" La quantité de billets d'accès aux éditions 2018, 2019, 2020 de Roland Garros acquis par les sociétés Viagogo, ou qui lui ont été confiés dans le monde entier, en vue de leur mise en vente sur l'ensemble des extensions de la plateforme Viagogo ;
" La quantité de billets d'accès aux éditions 2018, 2019, 2020 de Roland Garros vendus dans le monde entier sur l'ensemble des extensions de la plateforme Viagogo ainsi que le chiffre d'affaires brut correspondant réalisé par les sociétés Viagogo ;
" La localisation territoriale ou à tout le moins l'adresse de facturation déclarée par chacun des acheteurs lors de son achat en ligne et l'ouverture de son compte ;
" La liste des internautes utilisant la plateforme Viagogo pour revendre des billets d'accès aux éditions 2018, 2019 et 2020 de Roland Garros auprès desquels les sociétés Viagogo ont obtenus ces billets qui ont été revendus sur leur plateforme, le prix d'achat et de revente de ces billets, ainsi que les numéros de série desdits billets.
- Prononcer à l'encontre des sociétés Viagogo AG et Viagogo Entertainment une astreinte définitive et solidaire de 10 000€ par jour de retard jusqu'à la production complète et intégrale des documents et informations visés dans l'ordonnance du 13 septembre 2019 et dans la nouvelle mesure de communication de pièces sollicitées dans les présentes, à compter de la signification du jugement à intervenir et ce, pendant une durée de 6 mois;
- Se réserver la liquidation des astreintes ;
- Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir en tête des pages d'accueil du site [01] et de ses extensions, ou à toutes autres adresses qui leur seraient substituées, accompagné de sa traduction dans toutes les langues dans lesquelles ce site serait disponible, en caractères lisibles et noirs sur un fond blanc et sur une surface égale à au moins 30% de cette page d'accueil, pendant une durée de 3 mois dans un délai de 8 jour à compter de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 2 000 € par jour de retard ;
- Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir dans 5 supports, journaux ou revues, papier ou en ligne, au choix de la FFT, dans la limite de la somme de 7 000€ par publication à la charge des sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG ;
- Autoriser la FFT à faire publier, pendant ce même délai, sur son propre site internet accessible à l'adresse www.fft.fr, le dispositif du jugement à intervenir en français et en anglais ;
- Condamner in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc.et Viagogo AG à verser à la FFT la somme de 85 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à laquelle s'ajoutera le remboursement des frais exposés pour diligenter les constats d'huissier des 20 septembre 2017 et 13 avril 2018 ;
- Ordonner l'exécution provisoire de droit du jugement à intervenir en toutes ses dispositions, sans constitution de garantie et nonobstant appel ;
- Condamner in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG aux entiers dépens, en ce compris les frais exposés pour la signification des actes de procédure et leur traduction dont distraction au profit de la SAS De Gaulle Fleurance et Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

11. Dans leurs dernières conclusions notifiées électroniquement le 27 janvier 2022, les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG demandent au tribunal de :
- Prononcer la déchéance des droits de la FFT sur :
" Sa marque " Roland Garros " no3622169, pour les " services de publicité et promotion publicitaire ayant trait en particulier à des événements sporitfs " en classe 35 et les "services de télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données", les services de "communications par terminaux d'ordinateurs" et les services de "communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé" en classe 38, et ce à compter du 13 janvier 2014;
" Sa marque " ROLAND GARROS FRENCH OPEN " no003498276, pour les produits consistant en des "publications électroniques (téléchargeables) fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'Internet" en classe 9, et ce à compter du 31 octobre 2008 ;
- Saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes:
" Les articles 10, paragraphe 2, a) et b), de la directive 2015/2436 sur les marques et 9, paragraphe 2, a) et b) du règlement 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne, doivent-ils être interprétés en ce sens que l'exploitant d'un site internet offrant un service de mise en relation d'utilisateurs pour la revente de billets d'accès à divers évènements culturels ou sportifs, dont les noms usuels sont protégés par des marques appartenant à des tiers, organisateurs desdits évènements, qui utilise sur son site, toujours sous la même forme et sans l'accord des titulaires des marques, des signes identiques ou similaires à ces marques pour présenter aux acheteurs potentiels les billets proposés par la seule indication du nom de l'évènement auquel ces billets donnent accès, d'une date et le cas échéant du nom des équipes participant à un match, accomplit ce faisant des actes d'usage de ces signes à titre de marque et, dans l'affirmative, portant, ou susceptible de porter atteinte, à l'une des fonctions de la marque au sens de la jurisprudence de la Cour de justice, et en conséquence susceptibles de constituer une atteinte au droit sur les marques en cause ? "
" En cas de réponse positive à la question précédente, les articles 14, paragraphe 1er, c), et paragraphe 2, de la directive 2015/2436, et 14, paragraphe 1er, c), et paragraphe 2, du règlement 2017/1001, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'appliquent aux actes en cause ? " ;
- Débouter la FFT de l'ensemble de ses demandes ;
- Annuler l'ordonnance du juge de la mise en état du 13 septembre 2019 en ce qu'elle a condamné les sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG à communiquer au moyen de documents comptables certifiés par des commissaires aux comptes indépendants, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé un délai de 20 jours à compter de la présente ordonnance des informations suivantes :
" La quantité de billets d'accès à Roland Garros 2018 et Roland Garros 2019 acquise par les sociétés Viagogo, ou qui lui a été confiée, en vue de leur mise en vente sur l'ensemble des extensions du site Viagogo ;
" La quantité de billets d'accès à Roland Garros 2018 et Roland Garros 2019 vendus dans le monde entier sur l'ensemble des extensions du site Viagogo ainsi que le chiffre d'affaires brut correspondant réalisé par les sociétés Viagogo ;
" La localisation territoriale déclarée par chacun des acheteurs lors de son achat en ligne et l'ouverture de son compte ;
" La liste des fournisseurs de billets d'accès à Roland Garros auprès desquels les sociétés Viagogo ont obtenu les billets qui ont été revendus sur les sites Viagogo, le prix d'achat de ces billets, ainsi que les numéros de série desdits billets ;
- Rejeter la demande de liquidation d'astreinte ;
- Rejeter la demande fixation d'une astreinte définitive ;
- Rejeter la demande de publication judiciaire ;
- Condamner la FFT à verser aux sociétés Viagogo Entertainment Inc. et Viagogo AG chacune la somme de 80 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
En tout état de cause,
- Condamner la FFT aux entiers dépens.

12. L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 17 février 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 29 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur le non-respect des droits exclusifs d'exploitation du tournoi de "Roland Garros" (qui est préalable en ce qu'il conditionne l'atteinte aux marques "Roland Garros")

Moyens des parties

13. La FFT soutient qu'elle bénéficie d'un monopole d'exploitation portant sur le tournoi de Roland Garros et notamment sur la vente et la revente de billets. Elle considère que les sociétés Viagogo ont porté atteinte à son droit privatif dès lors qu'elles ont commercialisé sur leur plateforme des billets d'accès aux éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de Roland Garros. Elle précise à cet égard que l'usage d'un logiciel de géo-blocage pour empêcher l'acquisition de billets par les internautes français est indifférent puisque son monopole a vocation à s'appliquer au-delà des frontières nationales et qu'il est en tout état de cause facile de contourner ce blocage. Elle considère en conséquence que les sociétés Viagogo ont empêché la réalisation des objectifs d'intérêt général qu'elle poursuit. Elle ajoute que les défenderesses ne peuvent se prévaloir d'un quelconque épuisement de droits dès lors que cette notion ne s'applique qu'aux produits.

14. Les sociétés Viagogo affirment au contraire que l'article L. 333-1 du code du sport n'a pas vocation à s'étendre au marché secondaire de billets. Elles expliquent qu'elles n'ont en tout état de cause pas porté atteinte au monopole concerné dès lors que, d'une part, elle se sont contentées de permettre la revente de billets et n'ont donc procédé à aucune captation de flux économique et que, d'autre part, le logiciel de géo-blocage mis en oeuvre sur leur plateforme empêche toute acquisition de billets depuis la France, seul pays où doit selon elles s'appliquer le monopole en cause. Elles considèrent enfin que le développement d'une plateforme de revente pour les billets d'accès au tournoi de Roland Garros est légitime en l'absence de service analogue proposé par la FFT.

Appréciation du tribunal

15. Selon les articles L. 100-1 et L. 100-2 du code du sport, "Le développement du sport pour tous et le soutien aux sportifs de haut niveau et aux équipes de France dans les compétitions internationales sont d'intérêt général.
L'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les associations, les fédérations sportives, les entreprises et leurs institutions sociales contribuent à la promotion et au développement des activités physiques et sportives.
Ils veillent à assurer un égal accès aux pratiques sportives sur l'ensemble du territoire.
Ils veillent également à prévenir et à lutter contre toutes formes de violence et de discrimination dans le cadre des activités physiques et sportives.
L'Etat et les associations et fédérations sportives assurent le développement du sport de haut niveau, avec le concours des collectivités territoriales, de leurs groupements et des entreprises intéressées." Aux fins de permettre aux fédérations sportives d'assurer cette mission d'intérêt général de développement de la pratique du sport et d'égal accès aux pratiques sportives, l'article L. 333-1 alinéa 1er du même code prévoit que :
"Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l'article L. 331-5, sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent."

16. Ce monopole n'est pas limité au service de billeterie. Le code pénal réprime en effet le fait de vendre de manière habituelle les billets d'accès à une manifestation sportive sans l'accord du propriétaire de cette manifestation, de même que le fait, de manière habituelle, de fournir des moyens en vue de la revente de ces billets. Ainsi l'article 313-6-2 du code pénal prévoit que:
"Le fait de vendre, d'offrir à la vente ou d'exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle, est puni de 15 000 € d'amende. Cette peine est portée à 30 000 € d'amende en cas de récidive.
Pour l'application du premier alinéa, est considéré comme titre d'accès tout billet, document, message ou code, quels qu'en soient la forme et le support, attestant de l'obtention auprès du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation du droit d'assister à la manifestation ou au spectacle."

17. Les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de ce texte renseignent sur l'objectif poursuivi par le législateur au moyen de ce renforcement du monopole des fédérations sportives sur les événements sportifs qu'elles organisent (et qu'elles sont, selon le code du sport, seules à pouvoir organiser) : "Depuis quelques années, les pratiques de revente massive de billets ou de titres d'accès à des manifestations tant sportives que culturelles, dans le but d'en tirer un bénéfice, ont tendance à s'amplifier. Il est fréquent que, dès les premiers jours de mise en vente de billets par un producteur ou un organisateur de spectacle ou de manifestation sportive, la pénurie soit créée : une grande partie, voire la totalité des titres d'accès à la manifestation est achetée par une poignée d'individus, qui les revendent ensuite à un prix qui leur permet d'en tirer un substantiel bénéfice. Lors des événements très courus, cette pratique est devenue? très courante. À voir le nombre de sites de revente de billets sur Internet, on est conduit à penser qu'il s'agit d'une activité des plus lucratives ! Les contentieux fleurissent entre les sociétés qui se sont spécialisées dans cette activité et les organisateurs, producteurs ou institutions proposant des spectacles, concerts, matchs et compétitions sportives, voire des expositions. (...)"

18. Il n'apparaît pas inutile en outre de rappeler que ces dispositions légales ont été validées en ces termes par le Conseil constitutionnel:
"6. D'autre part, le législateur a également souhaité garantir l'accès du plus grand nombre aux manifestations sportives, culturelles, commerciales et aux spectacles vivants. En effet, l'incrimination en cause doit permettre de lutter contre l'organisation d'une augmentation artificielle des prix des titres d'accès à ces manifestations et spectacles.
7. En deuxième lieu, la vente de titres d'accès et la facilitation de la vente ou de la cession de tels titres, ne sont prohibées que si elles s'effectuent sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de la manifestation ou du spectacle.
8. En dernier lieu, il résulte des travaux parlementaires qu'en ne visant que les faits commis «de manière habituelle», le législateur n'a pas inclus dans le champ de la répression les personnes ayant, même à plusieurs reprises, mais de manière occasionnelle, vendu, cédé, exposé ou fourni les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation ou à un spectacle.
9. Il résulte de ce qui précède que l'infraction ainsi définie ne méconnaît ni le principe de nécessité des délits et des peines, ni celui de légalité des délits et des peines.
10. Il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789, ainsi qu'à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
11. Compte tenu, d'une part, des objectifs de valeur constitutionnelle et d'intérêt général énoncés aux paragraphes 5 et 6 et, d'autre part, de ce que le législateur a réprimé la seule revente de titres d'accès, sa facilitation et celle de la cession de tels titres, uniquement lorsqu'elles sont réalisées à titre habituel et sans l'accord préalable des organisateurs, producteurs ou propriétaires des droits d'exploitation, le législateur n'a méconnu ni la liberté d'entreprendre ni la liberté contractuelle ni le droit de propriété.
12. L'article 313-6-2 du code pénal, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution."
(Décision no 2018-754 QPC du 14 décembre 2018, Société Viagogo et autres)

19. En l'occurrence, la FFT doit être regardée comme propriétaire du droit d'exploitation portant sur les éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de tennis de "Roland Garros" et notamment sur les services de billetterie y afférent. La FFT dispose donc d'un monopole sur l'exploitation de l'événement litigieux, lequel s'analyse en un droit de propriété lui permettant notamment d'interdire à toute autre personne l'exploitation des manifestations sportives en cause, tandis que le monopole d'exploitation, en raison des motifs mêmes de sa création ci-dessus rappelés, octroyé à la FFT concernant la vente de billets des tournois qu'elle organise, s'étend incontestablement au marché secondaire.

20. Il ressort en outre des différents procès-verbaux de constat versés aux débats que les sociétés Viagogo exploitent une plateforme sur laquelle ont été mis en vente des billets donnant accès aux éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de Roland Garros, sans qu'aucune autorisation ne leur soit donnée par la FFT. La mise en oeuvre d'un logiciel de géo-blocage, visant exclusivement les internautes français est à cet égard indifférente, ce d'autant plus que les constatations d'huissier démontrent qu'il est relativement aisé pour un internaute français de contourner cette mesure de blocage.

21. Surtout, même si le fait générateur est ici en principe exclusivement commis à l'étranger (la revente et l'achat du billet) le dommage est entièrement subi en France s'agissant de la vente de billets d'accès à une compétition sportive ayant lieu en France, organisée par une personne morale ayant son siège en France, le monopole dont bénéficie la FFT visant, d'une part, la protection des licenciés français de tennis contre le renchérissement du coût des billets résultant de leur revente, ainsi, d'autre part, que la sécurité de l'événement par la maîtrise de l'identité de ses spectateurs.

22. La FFT démontre encore que les défenderesses, loin d'adopter un rôle neutre purement technique, sont à l'origine de l'architecture du site et notamment du classement des billets en rubriques spécifiques (les rubriques "sport" ou "tennis" en particulier), assurent la promotion du tournoi "Roland Garros" en publiant des messages, visant notamment à indiquer l'état des stocks de billets aux internautes, offrent à ces derniers la possibilité de choisir leur place et leur positionnement dans les tribunes, sont les interlocutrices uniques de l'acquéreur lors de la transaction, ne permettent pas à l'acquéreur de connaître l'identité du vendeur, assurent la délivrance du billet et garantissent son remplacement en cas de problème par un billet similaire ou plus avantageux. Ces différents éléments établissent amplement que les sociétés défenderesses ne jouent pas un rôle purement passif, ne leur conférant ni connaissance ni contrôle sur le contenu de leur plateforme marchande. Au contraire, il en résulte que les sociétés Viagogo organisent leur plateforme en toute connaissance des billets qui y sont commercialisés, optimisant la présentation de l'offre en vente et la promotion. Elles ne peuvent par conséquent se prévaloir du statut d'hébergeur tel que défini par l'article 6-I 2o de la LCEN et ne peuvent bénéficier du régime de responsabilité atténuée qui lui est associé.

23. Il en résulte qu'en proposant à la vente, dans le monde entier, des billets pour assister aux éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de Roland Garros, sans autorisation de la FFT, les sociétés Viagogo ont porté atteinte au monopole d'exploitation de la FFT dans des conditions excédant le rôle de simple hébergeur d'annonces, et engagé leur responsabilité à ce titre.

2o) Sur les atteintes aux marques "Roland Garros"

a - Sur les demandes de déchéance partielle des marques de la FFT

Moyens des parties

24. Les sociétés Viagogo sollicitent, sur le fondement de l'article L. 714-5 du code de propriété intellectuelle, la déchéance partielle de la marque verbale française " ROLAND GARROS " no3622169 et de la marque verbale de l'Union européenne " ROLAND GARROS FRENCH OPEN " no003498276. Les défenderesses soutiennent en effet que la FFT n'a pas fait, entre le 28 septembre 2016 et le 28 septembre 2021, un usage sérieux et à titre de marque de ces deux marques relativement à certains produits et services. Plus précisément, elles relèvent l'absence d'usage adéquat par la FFT de la marque française no3622169 pour les "services de publicité et promotion publicitaire ayant trait en particulier à des événements sportifs" en classe 35, et les "services de télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données", ainsi que les services de "communications par terminaux d'ordinateurs" et de "communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé" en classe 38. S'agissant de la marque de l'Union européenne no003498276, elles soulignent l'absence d'usage sérieux à titre de marque en matière de "publications électroniques (téléchargeables) fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'Internet" en classe 9.

25. En particulier, les sociétés Viagogo estiment que les pièces faisant état de l'usage du signe semi-figuratif sont impropres à démontrer un usage sérieux des marques verbales visées par la demande en déchéance dès lors que ce logo présente des différences particulièrement importantes et distinctives par rapport aux marques en cause. Elles indiquent également que l'usage des signes concernés est effectué non pour désigner les produits ou services en cause mais pour identifier le tournoi Roland Garros dans son ensemble. Elles précisent s'agissant des "services de publicité et promotion publicitaire ayant trait en particulier à des événements sportifs" visés par la marque française no3622169 que les signes utilisés pour désigner ces activités de promotion de la FFT ne désignent pas des activités de promotion "ayant trait en particulier à des évènements sportifs" et ne démontrent donc pas un quelconque usage des marques en cause pour désigner ce service précis.

26. S'agissant des services de "télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données", de "communications par terminaux d'ordinateurs " et " de communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé ", les sociétés Viagogo soulignent qu'aucun des usages rapportés par la FFT ne correspond à la notion de service de communication tel que défini par l'article 32 du code des postes et des communications électroniques. Elles ajoutent en tout état de cause que les intitulés relatifs aux services de "communication par terminaux d'ordinateurs " et de " communication (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé " sont trop larges, et qu'une preuve d'usage relative à ces services n'emporterait protection que pour la sous-catégorie de service précisément concernée. Les défenderesses considèrent par ailleurs que l'usage des signes en cause pour désigner une offre de Wifi est purement symbolique et ne saurait constituer un usage sérieux des marques contestées. S'agissant enfin des " publications électroniques (téléchargeables) fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'Internet " visées par la marque européenne no003498276, les sociétés Viagogo expliquent que l'usage des signes en cause pour désigner des brochures informatives ne constitue pas un usage pertinent à titre de marque dans la vie des affaires. Elles précisent en outre que les preuves d'usages présentées par la FFT n'illustrent qu'un usage sur le territoire français des signes en cause et non un usage à l'échelle européenne.

27. La FFT conteste l'absence d'usage sérieux de ses marques "ROLAND GARROS" no3622169 et " ROLAND GARROS FRENCH OPEN " no003498276 s'agissant des produits et services concernés et pendant la période allant du 28 septembre 2016 au 28 septembre 2021.

28. Elle soutient à cet égard que l'usage sérieux de ces signes est établi dès lors que le signe verbal "ROLAND GARROS" et le signe semi-figuratif sont régulièrement associés aux produits et services en cause. En particulier, la FFT affirme utiliser ces signes pour désigner ses " services de publicité et promotion publicitaire ayant trait en particulier à des événements sportifs " en les faisant figurer sur la page de son site internet listant les différents partenaires publicitaires du tournoi, en faisant figurer ces signes au sein des contrats publicitaires conclus pendant la période pertinente, en associant les signes en cause à des publicités présentes sur le site du tournoi ou parues dans des magazines et en faisant apparaître ces deux signes sur les publications publicitaires émises par le compte Instagram du tournoi. Elle ajoute que le fait que les signes verbaux et semi-figuratifs présentés soient différents des marques en cause est inopérant dès lors que l'article L. 714-5 du code de propriété intellectuelle et la jurisprudence admettent l'usage d'une marque sous une forme modifiée à condition que, comme en l'espèce, le signe exploité n'altère pas le caractère distinctif de la marque enregistrée.

29. Elle indique également avoir fait usage, pendant la période litigieuse, des signes évoqués afin de désigner ses services de " télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données", de "communications par terminaux d'ordinateurs" et de "communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé", dès lors qu'elle a fait figurer ces signes dans des offres de services incluant une connexion Wifi et qu'elle désigne par ces signes son offre d'application mobile ainsi que son site internet. Elle considère enfin désigner par les signes en cause son offre de " publications électroniques (téléchargeables) fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'Internet", dès lors que des communiqués de presse, des fiches de résultats, des programmes journaliers et des fiches relatives au protocole sanitaire ou au règlement sont disponibles en téléchargement sur le site internet du tournoi et sont systématiquement associés aux deux signes décrits.

Appréciation du tribunal

30. Selon l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle :
"Encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l'enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d'Etat.
Est assimilé à un usage au sens du premier alinéa :
1o L'usage fait avec le consentement du titulaire de la marque;
2o L'usage fait par une personne habilitée à utiliser la marque collective ou la marque de garantie ;
3o L'usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée ;
4o L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement, par le titulaire ou avec son consentement, exclusivement en vue de l'exportation."

31. De même, aux termes de l'article 58 du Règlement 2017/1001 :
"1. Le titulaire de la marque de l'Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon:
a) si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu'il n'existe pas de justes motifs pour le non-usage; toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire est déchu de ses droits si, entre l'expiration de cette période et la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, la marque a fait l'objet d'un commencement ou d'une reprise d'usage sérieux; cependant, le commencement ou la reprise d'usage fait dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande ou de la demande reconventionnelle, ce délai commençant à courir au plus tôt à l'expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n'est pas pris en considération lorsque des préparatifs pour le commencement ou la reprise de l'usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande ou la demande reconventionnelle pourrait être présentée;"

32. Il est constant qu'un usage sérieux s'entend d'un usage à titre de marque qui ne se limite pas à un usage sporadique et symbolique de la marque concernée. Il convient en outre de préciser que sa preuve incombe au titulaire de la marque pour chaque territoire où il se prévaut de droits privatifs sur la marque concernée et, qu'est assimilé à un usage sérieux de la marque invoquée, celui fait sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif.

33. Concernant les "services de publicité et promotion publicitaire ayant trait en particulier à des évènements sportifs", il résulte des pièces communiquées par la demanderesse que la marque verbale "ROLAND GARROS " (de même que le signe semi-figuratif) a fait l'objet, durant la période envisagée (2017 / 2020), d'accords de partenariat permettant à certaines sociétés d'associer leur enseigne, leur marque ou leurs produits aux marques en cause, à travers notamment des publicités publiées dans des magazines ou sur les réseaux sociaux, ainsi qu'à la compétition toute entière. Il en résulte que la FFT, par le biais de ces accords de partenariat, et vis à vis des annonceurs ayant fait le choix de s'associer à l'événement, a bien fait usage de la marque no 3622169, à titre de marque, pour leur proposer des services de publicité, en particulier ceux qu'elle propose dans le cadre de l'événement. Il n'est par ailleurs pas discuté que, pour ce public professionnel, la marque "ROLAND GARROS" désigne le tournoi de tennis organisé par la demanderesse. En conséquence, les partenariats organisés par la FFT constituent bien un usage de ses marques se rapportant à des "services de publicité et promotion publicitaire ayant trait en particulier à des évènements sportifs" pendant la période courant du 28 septembre 2016 au 28 septembre 2021.

34. Concernant les services de "télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données", de "communication par terminaux d'ordinateurs" et les services de "communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé", il convient de rappeler que, conformément à l'article L. 32, 6o, dernier §, du code des postes et des communications électroniques, ne constitue pas un service de communication électronique le service qui consiste à communiquer du contenu via un service de communication électronique.

35. En l'espèce, la FFT exploite une application mobile intitulée " Roland Garros Officiel " ainsi qu'un site internet. Néanmoins, les sociétés Viagogo indiquent avec raison que le simple fait de communiquer des informations via un réseau informatique ne permet pas de caractériser l'existence d'un service de communication électronique, l'utilisation de moyens de communication en ligne ne s'analysant pas en la fourniture d'un moyen de communication en ligne. Il ressort à cet égard des éléments versés aux débats que la FFT n'exploite ce site et cette application qu'afin de communiquer des informations et du contenu relatifs à son activité. Il en résulte que les services invoqués ne constituent pas des services de "communication par terminaux d'ordinateurs" ni des services de "communication (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé" et ne démontrent pas un usage de la marque en cause pour ces services.

36. De même, dans la mesure où la FFT, bien qu'elle exploite ce site internet et cette application, ne fournit pas elle-même des services de communication en ligne, elle ne rapporte pas la preuve de l'usage de la marque "ROLAND GARROS " pour des "services de télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données ".

37. S'agissant de l'usage de la marque verbale européenne " ROLAND GARROS FRENCH OPEN" no003498276 déposée en classe 9 pour désigner les "publications électroniques (téléchargeables fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'Internet", il ne ressort des pièces aucun usage du signe pour les services de "publications électroniques (téléchargeables) fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'Internet", dès lors que les usages du signes "Roland Garros" ne sont pas substituables à ceux du signe "Roland Garros French Open" aux fins de justifier de l'usage de ce dernier pour les produits et services qu'il désigne.

38. En conséquence, il sera fait droit aux demandes des sociétés Viagogo en déchéance de la marque française "Roland Garros" no3622169 en ce qu'elle désigne en classe 38 des services de "télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données", de " communication par terminaux d'ordinateurs " et les services de " communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé " et des " services de télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données ", ainsi que de la marque de l'Union européenne "Roland Garros French Open" no003498276 en ce qu'elle désigne en classe 9 les "publications électroniques (téléchargeables) fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'Internet".

b - Sur la contrefaçon de marques

Moyens des parties

39. La FFT soutient que les sociétés Viagogo ont contrefait sa marque verbale française " ROLAND GARROS " no3622169 par reproduction à l'identique de ce signe pour désigner des services identiques à ceux visés par cette marque, à savoir des services de " télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données " ; " de communication par terminaux d'ordinateurs ; communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé " et de " publicité et promotion publicitaire ayant trait en particulier à des événements sportifs". De la même manière, la demanderesse estime que les sociétés Viagogo ont commis des actes de contrefaçon par reproduction en reprenant le signe verbal " ROLAND GARROS" protégé par la marque française no1625392 afin de désigner précisément à des services de " divertissements ; spectacles ", pourtant couverts par cette marque. Elle ajoute que les défenderesses ont en tout état de cause contrefait les quatre marques en cause par imitation. Elle considère en effet que les sociétés Viagogo ont fait usage du signe verbal " ROLAND GARROS ", identique au signe verbal protégé par les marques no1625392 et no3622169 et très similaires au signe semi-figuratif protégé par la marque française no1630776 en ce qu'il intègre le signe verbal en cause et au signe verbal " ROLAND GARROS FRENCH OPEN " protégé par la marque européenne no3498276 en ce qu'il est constitué du signe " ROLAND GARROS " associé à l'élément " FRENCH OPEN " particulièrement peu distinctif. Elle ajoute que les services proposés par les sociétés Viagogo sont extrêmement similaires aux services désignés par ces marques dès lors qu'il s'agit de services de mise en relation des internautes, de services de promotion offerts aux vendeurs, de services d'offre et de vente de billets relatifs à des événements sportifs ou culturels s'analysant en des activités de divertissement et propose du contenu téléchargeable sur internet. La demanderesse déduit de ce qui précède que l'usage, à titre de marque, du signe " ROLAND GARROS " sur la plateforme génère un risque de confusion dans l'esprit du public qui est amené à croire à une autorisation de la FFT au bénéfice des sociétés Viagogo pour qu'elles commercialisent les billets du tournoi Roland Garros. Elle précise enfin que les sociétés Viagogo ne peuvent se prévaloir d'aucune exception

40. En réponse, les sociétés Viagogo indiquent en préambule n'avoir pu contrefaire les marques françaises invoquées dès lors qu'aucune des offres de billets litigieuses n'a été réalisée en direction du public français. Elles précisent à cet égard qu'il importe peu que les offres aient été visibles par le public français dès lors qu'il est impossible de les accepter avec une adresse IP française. Les défenderesses ajoutent que les actes d'usage reprochés ne constituent pas un usage au titre de marque du signe litigieux. Elles considèrent en effet que leur usage du signe verbal " Roland Garros " ne désigne pas le service fourni mais a simplement pour objet d'identifier le tournoi auquel donnent accès les billets mis en vente.

41. Les défenderesses ajoutent que l'usage fait du signe litigieux ne porte aucune atteinte à la fonction essentielle des marques de la FFT. Elles indiquent à cet égard que la mention du signe litigieux ne trouble pas le consommateur moyen quant à l'origine du service proposé par la plateforme Viagogo et ne saurait lui laisser penser qu'existe un partenariat entre la FFT et les défenderesses.

42. Eu égard à ces deux moyens, la défenderesse demande que soit posée à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " Les articles 10, paragraphe 2, a) et b), de la directive 2015/2436 sur les marques et 9, paragraphe 2, a) et b) du règlement 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne, doivent-ils être interprétés en ce sens que l'exploitant d'un site internet offrant un service de mise en relation d'utilisateurs pour la revente de billets d'accès à divers évènements culturels ou sportifs, dont les noms usuels sont protégés par des marques appartenant à des tiers, organisateurs desdits évènements, qui utilise sur son site, toujours sous la même forme et sans l'accord des titulaires des marques, des signes identiques ou similaires à ces marques pour présenter aux acheteurs potentiels les billets proposés par la seule indication du nom de l'évènement auquel ces billets donnent accès, d'une date et le cas échéant du nom des équipes participant à un match, accomplit ce faisant des actes d'usage de ces signes à titre de marque et, dans l'affirmative, portant ou susceptibles de porter atteinte à l'une des fonctions de la marque au sens de la jurisprudence de la Cour de justice, et en conséquence susceptibles de constituer une atteinte au droit sur les marques en cause ?".

43. En tout état de cause, les sociétés Viagogo affirment qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les marques de la FFT et le signe utilisé sur leur plateforme dès lors que le signe protégé par la marque française no1630776 et le signe " ROLAND GARROS FRENCH OPEN " protégé par la marque européenne no003498276 ne sont que moyennement similaires au signe utilisé sur le site Viagogo et que les produits et services visés par les marques de la FFT sont différents de celui proposé par la plateforme Viagogo. A titre subsidiaire, elles indiquent bénéficier de l'exception de référence nécessaire dès lors qu'elles ne pouvaient désigner le tournoi de Roland Garros autrement qu'avec le signe " ROLAND GARROS " mais également de la règle de l'épuisement des droits, les billets litigieux constituant selon elle des produits ayant été commercialisés une première fois par la FFT. A ce titre, elle demande que la question suivante soit posée à la CJUE : " En cas de réponse positive à la question précédente, les articles 14, paragraphe 1er, c) et paragraphe 2, de la directive 2015/2436 et 14 paragraphe 1er c) et paragraphe 2, du règlement 2017/1001 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'appliquent aux actes en cause ? ".

Appréciation du tribunal

44. Selon l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne "La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
a) sur l'interprétation des traités,
b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.
Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais."

45. Par un arrêt du 6 octobre 1982 (Srl CILFIT et Lanificio di Gavardo SpA contre Ministère de la santé, Aff. 283/81), la Cour de justice des Communautés Européenne a dit pour droit que :

"L'article 177, alinéa 3, du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu'une question de droit communautaire se pose devant elle, de déférer à son obligation de saisine, à moins qu'elle n'ait constaté que la question soulevée n'est pas pertinente ou que la disposition communautaire en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la Cour ou que l'application correcte du droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable; l'existence d'une telle éventualité doit être évaluée en fonction des caractéristiques propres au droit communautaire, des difficultés particulières que présente son interprétation et du risque de divergences de jurisprudence à l'intérieur de la Communauté."

46. Il résulte en outre de l'article 1er, paragraphe 5, des Recommandations de la Cour à l'attention des juridictions nationales, relatives à l'introduction de procédures préjudicielles (2018/C 257/01) que :
"5. Les juridictions des États membres peuvent saisir la Cour d'une question portant sur l'interprétation ou la validité du droit de l'Union lorsqu'elles estiment qu'une décision de la Cour sur ce point est nécessaire pour rendre leur jugement (voir l'article 267, deuxième alinéa, TFUE).
Un renvoi préjudiciel peut notamment s'avérer particulièrement utile lorsqu'est soulevée, devant la juridiction nationale, une question d'interprétation nouvelle présentant un intérêt général pour l'application uniforme du droit de l'Union ou lorsque la jurisprudence existante ne paraît pas fournir l'éclairage nécessaire dans un cadre juridique ou factuel inédit."

47. Interprétant les dispositions de la directive 89/104, dont les textes de droit interne réalisent la transposition, et le règlement no 40/94, rédigé sur ce point en termes identiques au règlement 2017/1001 ici applicable, la Cour de justice de l'Union européenne a, par un arrêt du 12 juillet 2011 (C-324/09), rappelé que :

"Il y a, cependant, lieu de préciser que la simple accessibilité d'un site Internet sur le territoire couvert par la marque ne suffit pas pour conclure que les offres à la vente y affichées sont destinées à des consommateurs situés sur ce territoire (voir, par analogie, arrêt du 7 décembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof, C-585/08 et C-144/09, non encore publié au Recueil, point 69). En effet, si l'accessibilité, sur ledit territoire, d'une place de marché en ligne suffisait pour que les annonces y affichées relèvent du champ d'application de la directive 89/104 et du règlement no 40/94, des sites et des annonces qui, tout en étant à l'évidence destinés exclusivement à des consommateurs situés dans des États tiers, sont néanmoins techniquement accessibles sur le territoire de l'Union seraient indûment soumis au droit de l'Union.
Il incombe, par conséquent, aux juridictions nationales d'apprécier au cas par cas s'il existe des indices pertinents pour conclure qu'une offre à la vente, affichée sur une place de marché en ligne accessible sur le territoire couvert par la marque, est destinée à des consommateurs situés sur celui-ci. Lorsque l'offre à la vente est accompagnée de précisions quant aux zones géographiques vers lesquelles le vendeur est prêt à envoyer le produit, ce type de précision a une importance particulière dans le cadre de ladite appréciation."

48. Au cas particulier, il importe, afin d'apprécier une éventuelle atteinte aux marques, de déterminer si les offres à la vente litigieuses étaient effectivement destinées au public français (ou européen). Il ressort ici du constat d'huissier en date du 20 septembre 2017 que des offres de vente des billets d'accès au tournoi de Roland Garros ont effectivement été visibles par les internautes résidant en France et se connectant à la plateforme via une adresse IP française. Ces différents billets étaient visibles sur la version française de la plateforme Viagogo, s'accompagnant parfois de messages en langue française à caractère informatif ou promotionnel comme " Billets Roland Garros " ou " bientôt en rupture de stock - plus que quelques billets restant ". Des mesures de géo-blocage empêchaient certes les internautes français de procéder à l'achat des billets litigieux. En dépit toutefois des mesures de géo-blocage prises par les sociétés Viagogo, le site litigieux doit être considéré comme ciblant notamment les internautes francophones. Il s'ensuit que la demanderesse est fondée à se prévaloir d'une éventuelle atteinte à ses marques françaises.

49. Aux termes des articles L. 713-2 et L. 713-3 anciens du code de la propriété intellectuelle, réunis en 2019 sous l'article L. 713-2 du même code :

"Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque."

50. L'article 9 du règlement (UE) 2017/1001 du parlement européen et du conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne dispose de la même manière que :

"1) L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.
2) Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque:
a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée;
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque; "

51. Dit autrement, une marque française ou européenne est contrefaite par la reprise servile du signe protégé afin de désigner des produits ou services identiques à ceux visés par la marque, ainsi que par l'usage d'un signe similaire pour désigner des produits similaires, dès lors que cet usage crée un risque de confusion dans l'esprit du public.

52. L'existence d'un risque de confusion, lequel comprend un risque d'association dans l'esprit du public concerné, s'apprécie de manière globale, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, au regard de l'impression d'ensemble produite par les signes en cause, mais également de l'identité et/ou similarité des produits et services couverts, un faible degré de similitude entre les marques opposées pouvant être compensé par un degré élevé de similitude entre les produits ou services couverts.

53. L'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs dominants.

54. Il résulte en l'occurrence des constats d'huissiers précités que les différentes extensions de la plateforme Viagogo ont reproduit le signe sous sa forme verbale "ROLAND GARROS" afin de désigner des billets d'accès à l'édition 2018 du tournoi et plus globalement le service de bourse de billets qu'elles proposent.

55. Le signe utilisé sur la plateforme Viagogo est donc identique à la marque verbale française "ROLAND GARROS" no1625392 (qui désigne les manifestations sportives) et force est de constater qu'il est utilisé par les sociétés défenderesses pour désigner des billets d'accès à la manifestation sportive organisée par la demanderesse. La contrefaçon est donc établie.

56. Le signe utilisé par les sociétés Viagogo imite en outre la marque semi-figurative française no1630776 dont l'élément verbal "ROLAND GARROS " est celui qui sera retenu comme principal par le public pertinent. De la même façon le signe verbal présent sur la plateforme est très similaire à la marque verbale européenne "ROLAND GARROS FRENCH OPEN" (qui désigne elle aussi en classe 41 les activités sportives et le divertissement)

57. Les sociétés Viagogo font usage de ces signes dans le cadre de leur activité de revente de billets, afin d'identifier les billets litigieux permettant d'accéder à la compétition sportive du même nom.

58. En l'occurrence, le public pertinent est constitué des amateurs de tennis intéressés par la compétition ; il est d'attention moyenne. S'il apparait ici que le public pertinent ne confondra pas la billetterie en ligne officielle de la FFT et le service de vente de billets proposé par la plateforme Viagogo, il n'en demeure pas moins que la désignation du tournoi Roland Garros par le signe verbal "ROLAND GARROS" est de nature à lui faire croire qu'il existe a minima un partenariat entre la FFT et les sociétés Viagogo permettant à cette dernière d'utiliser ce signe. Il en résulte que l'usage de ce signe par les défenderesses engendre un risque de confusion dans l'esprit du public pertinent et que la contrefaçon de marques, chacune pour le territoire qui la concerne, est établie.

59. Il ressort en outre de l'article L. 713-6, b) dans sa version antérieure au 15 décembre 2019 que le titulaire de marque ne peut prohiber l'usage de sa marque en tant que "référence nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée, à condition qu'il n'y ait pas de confusion dans leur origine ". Il résulte également de l'article 14, 1o, c) du Règlement (UE) 2017/1001 que le titulaire d'une marque européenne ne peut interdire l'usage " de la marque de l'Union européenne pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque l'usage de cette marque est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée ".Le deuxième paragraphe de cet article précise en outre : " Le paragraphe 1 ne s'applique que lorsque l'usage par le tiers est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale".

60. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, la notion d' "usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale" s'entend en substance du respect par le tiers faisant référence à une marque protégée d'une certaine loyauté à l'égard des intérêts légitimes du titulaire de la marque (voir notamment : CJCE, 23 février 1999, C-63/97).

61. L'usage fait des marques ici par les sociétés Viagogo, aux fins de la fourniture d'un service de revente habituelle de billets, activité dont elle connaît le caractère illicite s'agissant des compétitions sportives organisées en France aux fins d'en garantir la sécurité et de prévenir l'augmentation des prix des billets, ne peut être regardé comme honnête au sens du règlement.

62. En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire de poser à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle, la présente affaire ne soulevant aucune question nouvelle d'interprétation du droit de l'Union, il y a lieu de rejeter le moyen des sociétés Viagogo tiré de l'usage des marques à titre de référence nécessaire.

63. S'agissant de l'épuisement des droits, il ressort en substance de l'article 15 du Règlement (UE) no2017/1001 et de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle antérieur à la réforme que le droit conféré à un titulaire de marque ne lui permet pas de s'opposer l'usage de cette marque pour des produits mis dans le commerce au sein du marché européen et avec son consentement.

64. En l'espèce, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Viagogo, le billet d'accès à un évènement sportif ne constitue qu'un support du contrat conclu entre l'acquéreur du billet et l'organisateur. Pris dans cette fonction, un billet ne constitue pas un produit et la notion d'extinction des droits ne peut donc lui être appliquée. Il y a donc lieu de rejeter ce moyen.

c - Sur l'atteinte à la renommée des marques de la FFT

Moyens des parties

65. La FFT soutient que ses marques " ROLAND GARROS " et en particulier la marque verbale française " ROLAND GARROS" no1625392 et la marque semi-figurative française no1630776 jouissent d'une importante renommée, notamment en ce qu'elles désignent des services de " divertissement " et de " spectacle " en classe 41. Afin de démonter la renommée de ses marques, la demanderesse fait notamment état d'un sondage d'opinion réalisé par l'IFOP en 2019, des nombreux partenariats ayant été conclus avec des entreprises tierces et de l'important succès télévisuel que représente l'événement. Elle déduit de cette notoriété que ses marques jouissent d'un pouvoir d'attraction propre, indépendant des services et produits qu'elles désignent et que leur reprise par les sociétés Viagogo lui causent un préjudice considérable dès lors qu'elle affaiblit leur distinctivité.

66. Les sociétés Viagogo indiquent en préambule que les demandes formulées par la FFT sur le fondement de la marque de renommée sont rigoureusement identiques à celles fondées sur l'atteinte à ses marques déposées. Elles ajoutent que la renommée des marques no1625392 et no1630776 n'est pas établie et estime au contraire que la FFT ne démontre pas la renommée de ces marques vis-à-vis des services désignés mais se contente de prouver la renommée du tournoi Roland Garros lui-même. A titre subsidiaire, elles affirment qu'aucune atteinte aux marques de renommée n'est constituée en l'espèce dès lors d'une part que les actes litigieux ne sont pas localisés en France et d'autre part que l'usage du signe " ROLAND GARROS " sur la plateforme Viagogo n'est pas un usage à titre de marque. Elles soutiennent enfin qu'en tout état de cause, la FFT ne démontre pas que l'usage en cause a porté atteinte à ses marques renommées.

Appréciation du tribunal

67. L'article L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle dispose dans sa version antérieure à 2019 que :
"La reproduction ou l'imitation d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.
Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à la reproduction ou l'imitation d'une marque notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle précitée. "

68. Une marque est considérée comme renommée lorsqu'elle est connue d'une partie significative du public pertinent et qu'elle exerce un pouvoir d'attraction propre, indépendant du produit ou du service qu'elle identifie, étant précisé que le public pertinent est celui concerné par la marque (CJUE, 14 septembre 1999, C-375/97, General Motors, points 24 et 26). Pour apprécier la renommée, sont notamment - mais pas exclusivement - pris en compte l'ancienneté de la marque, son succès commercial, l'importance du budget publicitaire consacré, l'étendue géographique et la durée de son usage, son référencement dans la presse ou encore l'existence de sondages (CJUE, 14 septembre 1999, C-375/97, General Motors, point 27 ; TUE, 10 mai 2007, T-47/06, Antartica c/OHMI et the Nasdaq Stock Market, points 46 et 52).

69. Afin de caractériser l'atteinte à la renommée d'une marque, il importe que le public concerné établisse un lien entre le signe et la marque, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'un risque de confusion, étant précisé que l'intensité de la renommée de la marque peut être prise en compte pour apprécier l'existence d'un tel lien (CJUE, 23 octobre 2003, C-408-01, Adidas-Salomon AG et Adidas Benelux BV c/ Fitnessworld Trading ; CJUE, 27 novembre 2008, C-252-07, Intel Corporation c/ CPM United Kingdom, point 53). Enfin, ce lien établi entre le signe litigieux et la marque revendiquée doit porter préjudice au caractère distinctif de cette marque, ce qui suppose que le comportement économique du consommateur moyen ait été modifié par l'usage du signe.

70. Au soutien de la renommée de ses marques " ROLAND GARROS", la demanderesse verse aux débats un rapport de l'IFOP en date de 2019 démontrant que près de 94% de la population français connait le tournoi de Roland Garros. Elle démontre également que, chaque année, plusieurs partenaires commerciaux lui versent plusieurs millions d'euros pour voir leurs marques associées au signe " ROLAND GARROS " (en 2019, la BNP/Paribas a ainsi versé 10 845 784 euros à la FFT à cette fin). En outre, le tournoi de Roland Garros est largement suivi à la télévision par les amateurs de tennis français : près de 3,119 millions de personnes ont par exemple regardé la finale masculine de l'édition 2017. Enfin, le tournoi attire de nombreux spectateurs chaque année et, en particulier, 480 575 spectateurs en 2018.

71. Il en résulte que le signe "ROLAND GARROS" est connu d'une part significative du public concerné pour désigner un événement sportif.

72. L'usage qui est fait de ce signe par les sociétés défenderesses apparait comme étant de nature à créer un risque de lien entre elles et la Fédération organisatrice de l'événement dans l'esprit du public pertinent. En outre, cet usage massif et non-autorisé est de nature à affaiblir le caractère distinctif de ces marques, en conduisant le consommateur moyen à croire que le signe en cause n'est que la désignation générique du tournoi éponyme et non une marque dont l'usage est réservé à son titulaire.

73. Les sociétés Viagogo ont donc porté atteinte à la renommée des marques de la FFT.

3o) Sur les mesures de réparation

Moyens des parties

74. La FFT soutient avoir subi un important préjudice du fait des agissements des sociétés Viagogo. En particulier, elle affirme que l'usage de ses marques sur la plateforme en cause et pour une durée d'au moins 8 mois lui ont causé un important préjudice d'image, en associant ses marques à une plateforme peu fiable et propice à la spéculation, préjudice qu'elle entend voir réparé par le versement de 500 000 euros à titre provisionnel. De la même manière, elle estime que compte tenu de la durée de l'usage illicite et des sommes traditionnellement versés par les partenaires de la FFT afin d'utiliser ses marques, il y a lieu de condamner les défenderesses au versement de 500 000 euros en réparation du préjudice patrimonial de la FFT. Elle estime par ailleurs que l'atteinte à ses marques de renommée justifie le versement de 300 000 euros.

75. S'agissant de l'atteinte à son monopole d'exploitation sur le tournoi de Roland Garros, la FFT expose que les agissements des sociétés Viagogo l'ont empêché de réaliser ses objectifs d'intérêt public et lui ont en outre causé un préjudice économique important. Elle sollicite à ce titre le versement de 500 000 euros par les défenderesses.

76. S'agissant des actes de contrefaçon de marques, les sociétés Viagogo rappellent que les actes litigieux n'ont été que de courte durée et ont cessé dès le 19 avril 2018. Elles ajoutent que, s'agissant du préjudice moral, la FFT ne démontre pas l'existence d'un préjudice extrapatrimonial. Elles expliquent également que la FFT ne peut prétendre avoir subi un quelconque préjudice économique du fait de l'usage de ses marques dès lors que la revente d'un billet légitimement acquis ne lui cause aucune perte. Elles exposent en outre que la FFT ne justifie pas la somme forfaitaire sollicitée, ne démontrant pas en quoi celle-ci correspondrait à la redevance qu'auraient eu à payer les sociétés Viagogo pour être autorisées à utiliser les marques en cause. S'agissant de l'atteinte aux marques renommées de la FFT, les défenderesses affirment que le préjudice invoqué repose sur des faits identiques à ceux visés au titre de la contrefaçon de marques simples.

77. Les défenderesses soutiennent par ailleurs que la FFT ne démontre aucunement l'existence de son préjudice lié à la violation de son monopole d'exploitation. Plus précisément, elles expliquent que la demanderesse n'a pu subir aucun manque à gagner ni aucune perte dès lors qu'elle avait déjà perçu le prix du billet lors de la première vente et qu'aucune vente n'a été faite en France.

Appréciation du tribunal

78. En proposant un service de revente, dans le monde entier, des billets pour assister aux éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de "Roland Garros", sans autorisation de la FFT, les sociétés Viagogo ont porté atteinte au monopole d'exploitation de la FFT et engagé leur responsabilité à ce titre.

79. En revanche, ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés Viagogo, la FFT, auprès de qui les billets ont nécessairement été régulièrement acquis en raison du monopole, n'a pas subi un préjudice équivalent aux gains générés par l'activité de revente de ces billets. Il en résulte que la demande aux fins de communication de pièces aux fins de réparation d'un préjudice économique basé sur les gains générés par l'activité des sociétés Viagogo ne peut qu'être rejetée.

80. La FFT est cependant en droit, en vue d'un litige futur et sur le fondement du droit commun tel qu'il résulte des articles 132 et suivants du code de procédure civile, et en particulier de l'article 145 de ce même code, de connaître "la liste des fournisseurs des billets d'accès au tournoi (entendu comme les utilisateurs utilisant la plateforme pour revendre des billets) auprès desquels les sociétés ont obtenu illicitement ces billets revendus illégalement, le prix de revente des billet ainsi que les numéros de série". Il sera donc fait droit à cette demande de communication de pièces sous astreinte, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte conformément aux dispositions de l'article L. 131-3 du code des procédures civles d'exécution.

81. La FFT a en outre subi un préjudice d'image résultant de l'augmentation artificielle des prix des titres d'accès aux Internationaux de "Roland Garros" à laquelle aboutit l'activité des sociétés défenderesses, dont le consommateur est amené à croire, à tort, qu'elle lui bénéficie. Les pièces versées aux débats établissent en effet que les prix des billets sur la plateforme "Viagogo" sont sensiblement plus élevés que ceux proposés par la FFT (à titre d'exemple le prix des billets du match du court [X] [C] du 27 mai 2018 est vendu 230 euros sur le site des défenderesses contre 110 euros selon la grille tarifaire de la demanderesse : pièces FFT no10 et 11). L'activité des sociétés défenderesses est en outre à l'origine d'un risque en terme de sécurité de l'événement également source d'un préjudice moral. Ces préjudices seront réparés par le versement de la somme de 200.000 euros non pas à titre provisionnel comme demandé par la FFT mais définitif, cette somme tenant compte de la durée de la violation des dispositions légales françaises (3 ans) et de la non exécution de l'ordonnance de référé du 25 octobre 2019 par les sociétés défenderesses.

82. En ce qui concerne la contrefaçon de marques (contrefaçon et atteinte à la renommée des marques), le préjudice est en revanche nécessairement minime. Ainsi qu'il a été vu, la FFT n'a subi ici aucune perte et la contrefaçon de marques n'est caractérisée qu'en raison de l'illicéité, en France de l'activité de revente de titres d'accès à des manifestations sportives sans l'accord de leur organisateur. L'atteinte aux marques (contrefaçon et renommée dont la réparation ne saurait en tout état de cause se cumuler) a en outre cessé à compter d'avril 2018, le tournoi de "Roland Garros" étant à compter de cette date désigné sur le site internet des sociétés défenderesses sous le signe "French Tennis Grand Slam Tournament" lequel n'est pas protégé par le droit des marques. Il est également rappelé, s'agissant des marques françaises, qu'en raison de mesures de géoblocage les internautes français n'ont pu acquérir de billet sur la bourse organisée par les sociétés défenderesses. Il en résulte que le préjudice, aussi bien moral que matériel subi par la FFT au titre des atteintes aux marques, sera, sauf à excéder le principe de réparation intégrale, réparé par le versement de la somme, également définitive et non pas provisoire, de la somme de 15.000 euros.

83. Selon l'article 794 du code de procédure civile dans sa version issue du Décret no2019-1333 du 11 décembre 2019 "Les ordonnances du juge de la mise en état n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée à l'exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir, sur les incidents mettant fin à l'instance et sur la question de fond tranchée en application des dispositions du 6o de l'article 789." Les ordonnances ayant enjoint aux sociétés Viagogo de communiquer certaines pièces étaient, au moins partiellement justifiées. Leur annulation ne saurait donc être ordonnée, ce d'autant moins qu'elles étaient susceptibles d'appel conformément aux dispositions de l'article 795, 4o du code de procédure civile.

84. En outre, selon l''article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution "Le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.
Le taux de l'astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation.
L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère." Les sociétés Viagogo ne peuvent s'opposer à la communication des informations personnelles de leurs utilisateur alors que le Règlement Général pour la Protection des Données prévoit spécifiquement qu'une telle communication est autorisée lorsqu'elle résulte d'une obligation légale, ce que constitue nécessairement une ordonnance d'un magistrat judiciaire. En définitive, il ressort des moyens invoqués que les sociétés Viagogo se contentent de contester le bien-fondé de l'ordonnance en cause et ne font pas état de difficultés, au sens de l'article L. 131-4 précité, les ayant empêchées d'exécuter les mesures de communication de pièces. En conséquence, il y a lieu de prononcer la liquidation de l'astreinte de 1 000 euros ordonnée le 20 novembre 2020 pour une durée de trois mois à compter de la signification de l'ordonnance en cause. En l'occurrence, l'ordonnance a été signifiée à la société Viagogo AG le 14 janvier 2021 et à la société Viagogo Entertainment le 26 mars 2021. Les trois mois se sont donc écoulés sans que les mesures ordonnées soient exécutées. Il y a en conséquence lieu de liquider l'astreinte prononcée et de condamner les sociétés Viagogo à payer à la FFT la somme de 90.000 euros à ce titre.

85. La demande de publication sera en revanche rejetée, les autres dispositions du jugement réparant suffisamment le préjudice subi.

4o) Sur les autres demandes (parasitisme et fautes distinctes de concurrence déloyale)

86. Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." et "Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence."

87. Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce. Est à cet égard fautif le fait, pour un professionnel, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com. 26 janvier 1999, pourvoi no96-22.457 ; Cass. Com. 10 septembre 2013, pourvoi no12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme.

88. En outre, toute offre publicitaire portant sur des produits de marque dont le distributeur ne dispose pas en quantité suffisante pour satisfaire la demande de la clientèle est illicite (Cass. Com., 30 janvier 2001, pourvoi no 98-21.359, Bull. 2001, IV, no 28) ce qui correspond à la pratique dite des marques d'appel.

89. Il est par ailleurs admis que le non-respect par un opérateur économique des règles du droit de la consommation créé une distorsion dans le jeu de la concurrence constitutive, en soi, d'un acte de concurrence déloyale par désorganisation du marché de nature à ouvrir un droit à réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle, ce dont il résulte qu'une partie est fondée à se prévaloir de pratiques commerciales réalisées en méconnaissance de la réglementation prescrite par le code de la consommation, dès lors qu'elles lui ont causé un préjudice.

90. En l'occurrence, même en supposant que les défenderesses ont commis des actes distincts de parasitisme et de concurrence déloyale, sous la forme de pratiques commerciales trompeuses, d'une complicité de violation des conditions générales de vente de la FFT, ou encore de pratiques illicites de marques d'appel, il n'est en l'occurrence justifié d'aucun préjudice distinct de celui résultant de l'atteinte au monopole d'exploitation de la compétition sportive objet du présent litige, déjà indémnisé, de sorte que les demandes de ces chefs seront toutes rejetées.

91. Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Viagogo seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer à la FFT, sous la même solidarité imparfaite, la somme de 70.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (cette somme incluant le remboursement des nombreux frais de constats par huissier de justice).

92. Aucune circonstance ne justifie ici d'écarter l'exécution provisoire de plein droit dont bénéficie la présente décision en application de l'article 514 du code de procédure civile, sauf en ce qui concerne l'inscription de la déchéance au Registre des marques compte tenu des effets irrémédiables d'une telle inscription.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

PRONONCE la déchéance partielle de la marque française "Roland Garros" no3622169 en ce qu'elle désigne en classe 38 des services de "télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données", de "communication par terminaux d'ordinateurs", les services de "communications (transmission) sur réseau informatique mondial ouvert et fermé" ainsi que les "services de télécommunication par voies télématiques en vue d'obtenir des informations contenues dans des banques de données " ;

PRONONCE la déchéance partielle de la marque de l'Union européenne "Roland Garros French Open" no003498276 en ce qu'elle désigne en classe 9 les "publications électroniques téléchargeables fournies en ligne à partir de bases de données informatiques ou d'Internet" ;

DIT que la présente décision une fois passée en force de chose jugée sera transmise à l'INPI à l'initiative de la partie la plus diligente aux fins d'inscription au Registre national des marques ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc et Viagogo Ag à payer à la Fédération française de tennis la somme de 200.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l'atteinte portée à son monopole d'exploitation sur la vente de billets d'accès aux manifestations sportives qu'elle organise, en l'occurrence les éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de "Roland Garros", son monopole s'étendant à la revente à titre habituel de ces billets d'accès à des internautes ne résidant pas en France;

LIQUIDE l'astreinte prononcée par l'ordonnance du 22 décembre 2020 à la somme de 90.000 euros et condamne in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc et Viagogo Ag au paiement de cette somme à la Fédération française de tennis ;

ORDONNE aux sociétés Viagogo AG et Viagogo Entertainment de communiquer à la Fédération française de tennis, la liste des fournisseurs auprès desquels elles ont obtenu les billets d'accès aux éditions 2018, 2019 et 2020 du tournoi de "Roland Garros" offerts à la vente sur leur site, ainsi que les numéros de série de ces billets, et ce, sous astreinte provisoire de 1.000 euros par jour de retard à exécuter la présente décision, courant à l'expiration d'une délai de 30 jours suivant la signification du présent jugement, et pendant 180 jours ;

SE RESERVE la liquidation de cette astreinte ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Viagogo Entertainment Inc et Viagogo Ag à payer à la Fédération française de tennis la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts réparant le préjudice moral et matériel causé par les atteintes à ses marques (contrefaçon et atteinte à la renommée) constatées jusqu'en avril 2018 ;

FAIT DÉFENSE aux sociétés Viagogo Entertainment Inc et Viagogo Ag de reproduire et de faire usage, des marques françaises no3622169, no1625392 , no1630776 sur le territoire français et de la marque de l'Union européenne no3498276 sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne, pour désigner l'activité de revente habituelle et non autorisée de billets d'accès au tournoi de "Roland Garros", et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, courant à l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ;

REJETTE toutes les autres demandes de la Fédération française de tennis (publication de la décision, concurrence déloyale et parasitaire) et des sociétés Viagogo (transmission d'une question préjudicielle, annulation de l'ordonnance du juge de la mise en état du 13 septembre 2019) ;

CONDAMNE in solidum les société Viagogo AG et Viagogo Entertainment Inc aux dépens et autorise la SAS De Gaulle Fleurance et Associés à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum les société Viagogo AG et Viagogo Entertainment Inc à payer à la Fédération française de tennis la somme de 70.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (cette somme incluant le remboursement des frais de constats par huissier de justice);

RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire sauf en ce qui concerne l'inscription au registre des marques de la déchéance partielle prononcée.

Fait et jugé à Paris le 13 décembre 2022.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 18/05683
Date de la décision : 13/12/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-12-13;18.05683 ?
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