La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/12/2022 | FRANCE | N°20/09239

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 08 décembre 2022, 20/09239


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 20/09239
No Portalis 352J-W-B7E-CS2UV

No MINUTE :

Assignation du :
29 septembre 2020

JUGEMENT
rendu le 08 décembre 2022
DEMANDERESSE

S.A.R.L. NEXTONE RESIDENCE
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Me Eléonore GASPAR de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P75

DÉFENDERESSES

S.A.S. HELIONWOOD
[Adresse 3]
[Localité 2]

S.A.S. HOTEL DUPLEIX SUFFREN
[Adresse 1]


[Localité 2]

représentées par Me Constance MONOD de l'AARPI VALMY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0386

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nath...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 20/09239
No Portalis 352J-W-B7E-CS2UV

No MINUTE :

Assignation du :
29 septembre 2020

JUGEMENT
rendu le 08 décembre 2022
DEMANDERESSE

S.A.R.L. NEXTONE RESIDENCE
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Me Eléonore GASPAR de la SELARL DUCLOS THORNE MOLLET-VIEVILLE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P75

DÉFENDERESSES

S.A.S. HELIONWOOD
[Adresse 3]
[Localité 2]

S.A.S. HOTEL DUPLEIX SUFFREN
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentées par Me Constance MONOD de l'AARPI VALMY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0386

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l'audience du 20 septembre 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que la décision serait rendue le 17 novembre 2022.
Le délibéré a été prorogé au 08 décembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. La société Nextone Résidence est spécialisée dans l'exploitation immobilière notamment de résidences hôtelières. Elle exploite depuis 2013 un hôtel classé 5 étoiles dénommé "Marquis Faubourg Saint-honoré", situé dans le [Localité 2]. Aux fins de cette exploitation elle a déposé les marques françaises suivantes désignant les services d'hôtellerie et de restauration en classe 43 :
- la marque verbale no3815966 "Marquis" déposée le 20 mars 2011;
- la marque verbale no3941569 "Marquis Faubourg Saint-honoré" déposée le 23 août 2012 ;
- la marque semi-figurative no3865066 "Marquis Cur Non" déposée le 7 octobre 2011 :

2. La société Helionwood est la holding d'un groupe spécialisé dans le domaine de l'hôtellerie désigné sous le signe "Inwood Hotels". Elle est la mère de la société Hôtel Dupleix Suffren, immatriculée en 2001, laquelle exploite depuis 2008 un hôtel (classé 4 étoiles) dénommé "Le Marquis" situé dans le [Localité 2], cette dénomination étant protégée par les marques verbales françaises suivantes, déposées le 10 juin 2015 et enregistrée le 2 octobre suivant, pour désigner les services de publicité en classe 35, d'affaires immobilières et de gestion financière en classe 36 et d'hôtellerie et restauration en classe 43 : "Marquis" no4187747, "Marquis Hôtel" no4187746, "Le Marquis Hôtel" no4187741, "Hôtel Marquis" no4187756, "Hôtel Le Marquis" no4187760, "Marquis Effeil" no4187750, "Le Marquis Effeil" no4187751 et "Hôtel Le Marquis Effeil" no4187764.

3. Par une lettre du 28 juillet 2020, la société Helionwood a mis en demeure la société Nextone Résidence de cesser tous usages du signe "Le Marquis", celle-ci exposant avoir découvert en 2020 l'existence de cet établissement hôtelier concurrent portant le même nom.

4. Considérant de son côté que la société Helionwood était forclose à contester la validité de ses marques au regard de leur exploitation publique et continue et qu'elle ne pouvait justifier de l'usage d'un nom commercial antérieur, la société Nextone Résidence a, par une lettre du 19 août 2020, parallèlement mis en demeure la société Helionwood de cesser l'utilisation du signe "Le Marquis" et de retirer l'ensemble des marques françaises précitées déposées en 2015.

5. C'est dans ce contexte que, par actes d'huissier en date du 29 septembre 2020, la société Nextone Résidence a fait assigner les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren devant le tribunal judiciaire de Paris, en nullité des marques "Marquis" no4187747, "Marquis Hôtel" no4187746, "Le Marquis Hôtel" no4187741, "Hôtel Marquis" no4187756, "Hôtel Le Marquis" no4187760, "Marquis Effeil" no4187750, "Le Marquis Effeil" no4187751 et "Hôtel Le Marquis Effeil" no4187764 ainsi qu'en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire.

6. Par une ordonnance du 9 juillet 2021, le juge de la mise en état a notamment :
- DIT la société Helionwood irrecevable en ses demandes en nullité des marques Marquis et Marquis Faubourg-Saint Honoré fondées sur le nom commercial " Le Marquis " (seule la société Hôtel Dupleix Suffren étant recevable à invoquer l'usage du nom commercial "Le Marquis" tandis que l'effectivité de cet usage est un moyen de fond) ;
- DIT la société Helionwood irrecevable en ses demandes en concurrence déloyale fondée sur le nom commercial "Le Marquis";
- DIT que les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren sont irrecevables en leurs demandes du fait de la forclusion par tolérance du fait de leur connaissance de l'usage des marques no3815966, no39411569 et no3865066 de la société Nextone depuis plus de 5 années.

7. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 janvier 2022, la société Nextone Résidence demande au tribunal de :

A titre liminaire,
- DÉCLARER irrecevables et en tout état de cause mal fondées l'ensemble des demandes de Hôtel Dupleix Suffren tendant à voir interdire l'usage du signe " Marquis" par Nextone,
- DÉCLARER irrecevables et en tout état de cause mal fondées les demandes en concurrence déloyale de Hôtel Dupleix Suffren fondée sur le nom commercial " Le Marquis " ;
- DÉCLARER irrecevables et en tout état de cause mal fondées les demandes de Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren tendant à contester la validité des marques de Nextone ainsi que leurs usages;

En tout état de cause,
- DIRE que Hôtel Dupleix Suffren n'a pas de droit antérieur sur le nom commercial " LE MARQUIS ";
- CONSTATER les droits antérieurs de Nextone sur les marques "Marquis " no3815966 et " Marquis Faubourg Saint Honore " no39411569 ;
- CONSTATER l'absence de risque de confusion entre la marque no 3865066 et le nom commercial " Le Marquis " ;

En conséquence,
- DÉBOUTER Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren de leur demande en illicéité des marques no3815966 et Marquis Faubourg-saint Honore no39411569 ;
- DÉBOUTER Hôtel Dupleix Suffren de ses demandes en concurrence déloyale et parasitisme.
- DÉBOUTER Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren de leur demande pour procédure abusive ;
- DÉBOUTER Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren de leur demande en publication du jugement ;
- JUGER qu'en utilisant le signe "Le Marquis" pour des services hôteliers, la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren ont commis des actes de contrefaçon de marque "Marquis" no3815966 et de la marque "Marquis Faubourg Saint-honore" no39411569 et ont porté atteinte aux noms commerciaux de Nextone ;
- INTERDIRE à la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren sous astreinte de 1000€ par jour de retard dans un délai de 15 jours calendaires à compter de la signification du jugement à intervenir, l'exploitation à quelque titre que ce soit, du signe " Le Marquis " ;
- JUGER qu'en déposant les marques Marquis no4187747, Marquis Hôtel no4187746, Le Marquis Hôtel no4187741, Hôtel Marquis no4187756, Hôtel Le Marquis no4187760, Hôtel Marquis Effeil no4187753, Marquis Effeil no4187750, Le Marquis Effeil no4187751 et Hôtel Le Marquis Effeil no4187764 le 10 Juin 2015, la société Helionwood a porté atteinte aux marques Marquis No3815966 et Marquis Faubourg Saint-honore no39411569 et a porté atteinte aux noms commerciaux de Nextone ;
- ANNULER en conséquence les marques Marquis No4187747, Marquis Hôtel No4187746, Le Marquis Hôtel No4187741, Hôtel Marquis No4187756, Hôtel Le Marquis No4187760, Hôtel Marquis Effeil No4187753, Marquis Effeil No4187750, Le Marquis Effeil No4187751 et Hôtel Le Marquis Effeil No4187764, de la société Helionwood ;
- INSCRIRE le jugement au Registre national des marques ;
- CONDAMNER solidairement la société Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren à verser à Nextone la somme de 50.000 Euros ;
- ORDONNER la publication du jugement à intervenir, constatant la contrefaçon commise par la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren au détriment de la société Nextone, dans trois publications au choix de la demanderesse, dans la limite de 1000€, par publication ;
- DIRE que les condamnations porteront sur tous les faits illicites commis jusqu'au jour du prononcé du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER solidairement la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren à payer à la société Nextone la somme de 20.000€ à titre de remboursement des peines et soins du procès, conformément à l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER solidairement la société Helionwood et la société Hôtel Dupleix Suffren aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la Selarl Duclos Thorne Mollet-Vieville et Associés, avocat aux offres de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

8. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 janvier 2022, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren demandent au tribunal de :
- DIRE que la société Hôtel Dupleix Suffren exploite de manière continue, paisible, non-équivoque et publique la dénomination commerciale "Le Marquis " depuis 2001 et qu'elle possède ainsi un droit privatif antérieur ;

En conséquence,
- DÉBOUTER la société Nextone Résidence de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre reconventionnel,
- DIRE que la société Nextone Résidence a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en reprenant fautivement le nom commercial antérieure "Le Marquis" exploitée par la Société Hôtel Dupleix Suffren ;
- INTERDIRE à la société Nextone Résidence toute utilisation, sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit (physique ou digital), de ses noms commerciaux litigieux reprenant le terme " Marquis ", et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard dans un délai de quinze (15) jours calendaires à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- DIRE qu'en application de l'article L131-3 du code de procédure civile d'exécution, les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par le Tribunal ayant statué sur la présente demande ;
- CONDAMNER la société Nextone Résidence à verser à la société Hôtel Dupleix Suffren la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
- PRONONCER l'illicéité des marques françaises no3815966 "Marquis", no3941569 "Marquis Faubourg Saint-honoré" et no3865066 "Marquis Cur Non" de la société Nextone Résidence.
- INSCRIRE le jugement au registre national des marques.
- ORDONNER l'insertion dans cinq journaux, au choix des sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren, et aux frais de la société Nextone Résidence, dans limite de 5.000 euros H.T., par insertion, du communiqué suivant, sous astreinte définitive de 1.500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir : "Par décision du..., le Tribunal Judiciaire de Paris a condamné la société Nextone Résidence pour avoir commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire par reprise illicite de la dénomination commerciale de l'hôtel "Le Marquis" de la chaîne d'hôtel Inwood Hotels et à verser à la société Hôtel Dupleix Suffren des dommages-intérêts." ;
- ORDONNER la diffusion dudit communiqué, pendant un délai d'un mois, en première page du site www.marquisfaubourgsainthonore.com/fr, dans sa partie supérieure, de façon immédiatement visible par le consommateur, dans une taille de caractères d'une valeur au moins égale à 12, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir.
- CONDAMNER la société Nextone Résidence à verser à la société Hôtel Dupleix Suffren la somme de 10.000 euros pour procédure abusive.
- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions, nonobstant appel et sans constitution de garantie.
- CONDAMNER la société Nextone Résidence à payer à la société Hôtel Dupleix Suffren la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

9. L'instruction a été close par une ordonnance du 21 avril 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 20 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

10. Il est observé à titre liminaire que la demande en "illicéité" des marques de la société Nextone présentées à titre reconventionnel (et préalable) par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren, laquelle s'analyse indiscutablement en une demande de nullité de ces marques, a déjà été déclarée irrecevable par le juge de la mise en état, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren en ayant toléré l'usage pendant plus de cinq ans. Cette demande apparaît donc irrecevable conformément aux dispositions de l'article 794 du code de procédure civile qui confère autorité de chose jugée aux ordonnances du juge de la mise en état statuant sur une fin de non-recevoir.

1o) Sur la nullité et la contrefaçon des marques "Marquis", "Marquis Hôtel", "Le Marquis Hôtel", "Hôtel Marquis", "Hôtel Le Marquis", "Hôtel Marquis Effeil", "Marquis Effeil", "Le Marquis Effeil" et "Hôtel Le Marquis Effeil", de la société Helionwood

Moyens des parties

11. La société Nextone Résidence soutient que les marques "Marquis", "Marquis Hôtel", "Le Marquis Hôtel", "Hôtel Marquis", "Hôtel Le Marquis", "Hôtel Marquis Effeil", "Marquis Effeil", "Le Marquis Effeil" et "Hôtel Le Marquis Effeil", de la société Helionwood, enregistrées en 2015 soit postérieurement aux siennes, mais il y a moins de cinq années de sorte qu'aucune forclusion ne lui est opposable, sont nulles. Elle fait à cet égard valoir que, déposées pour des services identiques voire similaires aux siens et, eu égard à leurs fortes ressemblances visuelle, auditive et conceptuelle, elles sont de nature à créer un indéniable risque de confusion dans l'esprit du public pertinent.

12. La société Nextone conteste toute antériorité de l'usage du nom commercial "Le Marquis" par la société Hôtel Dupleix Suffren et soutient à cet égard que les défenderesses ne peuvent se prévaloir de l'exception prévue à l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle. Selon elle en effet, les pièces versées aux débats ne permettent en aucun cas de conclure à la preuve d'un usage personnel, public, continu et non équivoque du signe "Le Marquis". En particulier, la société Nextone soitient que les courriers produits en pièce no6 ne sont pas destinés à la clientèle, tandis que les éléments relevés par M. [O] n'ont pas pour origine les sociétés défenderesses (en particulier l'url www.lemarquis.com . La société Nextone soutient encore que le nom commercial de la société Hôtel Dupleix Suffren n'a cessé d'évoluer au cours des années (Le Marquis Suffren, puis Le Marquis Eiffel) pour ne devenir "Le Marquis" qu'en période récente et postérieure au dépôt de ses marques.

13. Les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren concluent au rejet des demandes de nullité de leurs marques, les marques antérieures de la société Nextone qui servent de fondement à cette demande, étant selon elles "illicites" comme constitutives d'agissements déloyaux et parasitaires en raison de leurs droits antérieurs sur le nom commercial "Le Marquis".

14. Ces sociétés demandent en tout état de cause au tribunal de retenir qu'elles sont fondées à invoquer l'exception de l'usage antérieur à titre de nom commercial du signe "Le Marquis" et d'écarter, en conséquence, la demande en contrefaçon de marques, dont elles soulignent qu'elle ne pourra concerner qu'une partie des produits et services désignés à leur enregistrement. Elles indiquent verser aux débats des preuves de l'exploitation publique du signe "Le Marquis" en pièce no6, un dossier de présentation de l'hôtel Le Marquis en pièce no20, ainsi qu'un dossier de presse en pièce no21, et un rapport d'analyse de la présence du signe sur internet en pièce no22.

Appréciation du tribunal

15. Aux termes de l'article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle, "La marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales.
Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire." L'article L. 711-3 de ce code précise que "I.-Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment :
1o Une marque antérieure :
a) Lorsqu'elle est identique à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée;
b) Lorsqu'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits ou les services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure ; (...)"

16. S'agissant de la contrefaçon, l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que "Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque."

17. L'article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle précise toutefois que "L'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits ou services qu'il a désignés.
Ce droit s'exerce sans préjudice des droits acquis par les tiers avant la date de dépôt ou la date de priorité de cette marque.", tandis qu'aux termes de l'article L.713-6 II de ce même code "II. - Une marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, d'un nom commercial, d'une enseigne ou d'un nom de domaine, de portée locale, lorsque cet usage est antérieur à la date de la demande d'enregistrement de la marque et s'exerce dans les limites du territoire où ils sont reconnus."

18. Il convient ici de comparer les signes "Marquis", "Marquis Hôtel", "Le Marquis Hôtel", "Hôtel Marquis", "Hôtel Le Marquis", "Hôtel Marquis Effeil", "Marquis Effeil", "Le Marquis Effeil" et "Hôtel Le Marquis Effeil", de la société Helionwood, avec les signes "Marquis", "Marquis Faubourg Saint-honoré", "Marquis Cur Non" (signe semi-figuratif constitué d'un "M" stylisé figurant une bague, surmontée d'une courrone, entouré de deux licornes cabrées se faisant face, au-dessus d'un phylactère contenant une devise en latin signifiant "pourquoi pas") de la société Nextone Résidence.

19. Force est à cet égard de constater que les signes "Marquis" sont identiques. Ils sont déposés pour désigner des services au moins pour partie identiques à savoir les services d'hôtellerie. La nullité de la marque no4187747 est donc encourue.

20. Les autres signes constituent des imitations des marques antérieures de la société Nextone. Aussi, il convient de rappeler que, interprétant les dispositions de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), dont l'article L.713-2 réalise la transposition en droit interne, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (arrêt Canon du 29 septembre 1998, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik du 22 juin 1999, C-342/97). Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt Sabel du 11 novembre 1997, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (arrêt Canon, point 17).

21. En outre, l'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. Aux fins de cette appréciation globale, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (arrêt Gut Springenheide et Tusky du 16 juillet 1998, C-210/96, point 31 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97, point 26).

22. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les marques concernées, la juridiction nationale doit déterminer leur degré de similitude visuelle, auditive et conceptuelle et, le cas échéant, évaluer l'importance qu'il convient d'attacher à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou services en cause et des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ). Enfin, pour apprécier la similitude entre des produits ou des services, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits ou ces services ; ces facteurs incluent, en particulier, leur nature, leur destination, leur utilisation ainsi que leur caractère concurrent ou complémentaire (arrêt Canon, C-39/97, point 23).

23. Les produits et services désignés à l'enregistrement sont au moins pour partie les mêmes. Le public pertinent est en outre ici un consommateur à la recherche d'un hébergement hôtelier ; il est donc plutôt attentif, voire très attentif.

24. Les signes reproduisent en outre tous le mot "Marquis", lequel apparaît très distinctif pour désigner des services d'hôtellerie, les signes ne se distinguant que par l'ajout (pour certains signes des défenderesses) de l'article "Le" ou des éléments purement descriptifs "hôtel" ou de l'emplacement géographique de cet hôtel. Il en résulte que, si les signes sont visuellement et phonétiquement relativement distincts, ils apparaissent conceptuellement très proches, renvoyant l'un et l'autre à un univers noble et masculin.

25. Cette forte ressemblance conceptuelle, ainsi que l'identité au moins partielle des services concernés, ne sont pas compensées ici par les différences visuelle et auditive entre les signes, non plus que par le degré plutôt élevé d'attention du public pertinent, qui sera indéniablement amené à croire que les services d'hôtellerie proposés par les parties proviennent d'entités économiquement liées, ce qui n'est pas le cas. Le risque de confusion apparaît donc établi. Il entrainera l'annulation des marques pour les services de restauration, bars, hôtellerie, hébergement temporaire.

26. En ce qui concerne la contrefaçon, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren s'en défendent en concluant à l'antériorité de leurs droits sur le nom commercial "Le Marquis" ou encore "Le Marquis Eiffel" exposant exploiter ce nom commercial pour désigner un hôtel classé 4 étoile situé à proximité de la Tour Eiffel depuis 2001.

27. La société Helionwood et sa filiale à 100% la société Hôtel Dupleix Suffren, versent en premier lieu aux débats une revue de presse portant sur la période 2003 / 2008 correspondant à la période où l'hôtel était la propriété des fondateurs du groupe Helionwood. L'hôtel était à cette époque connu du public sous le nom commercial "Le Marquis" les articles produits émanant aussi bien de la presse spécialisée à l'attention des professionnels du secteur, que généraliste (ex : magazine "ELLE" de 2008).

28. Les sociétés défenderesses produisent également en pièce no6 des contrats avec différents partenaires, ou encore des courriers à ces mêmes partenaires, portant sur la période 2004/2012 lesquels démontrent l'usage par elles, du nom commercial "Le Marquis" (ainsi que "Le Marquis Eiffel") pour désigner leur hôtel de la [Adresse 1]. Il s'agit pour l'essentiel d'accords d'hébergement et il apparaît peu crédible que ces hébergements concernent un hôtel présenté à la clientèle sous un autre nom, contrairement à ce que suggère la société Nextone.

29. Par leur pièce no22, enfin, les défenderesses démontrent la réservation du nom de domaine etlt;www.lemarquisparis.cometgt; dès le 26 octobre 2005, et, par les extraits du site archive.org, une activité à cette adresse url dès l'année 2006 et sans discontinuer jusqu'en 2021.

30. Ce faisant, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren démontrent l'existence de leur droit antérieur sur le nom commercial "Le Marquis" ou "Le Marquis Eiffel". Les demandes fondées sur la contrefaçon, laquelle porte sur l'exploitation de l'hôtel situé [Adresse 1], seront donc rejetées.

2o) Sur la concurrence déloyale et parasitaire

a - Sur la demande à ce titre de la société Nextone

31.
La société Nextone reproche à ce titre aux défenderesses la reprise de son nom commercial "Le Marquis" par l'effet dun "glissement" de leur nom dont elles suppriment progressivement la référence à leur lieu d'implantation (Suffren, Eiffel). Or, les droits antérieurs établis des sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren sur le nom commercial "Le Marquis" ne peuvent que conduire au rejet de cette demande.

b - Sur les demandes à ce titre des sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren :

32. Ces sociétés fondent leurs demandes de ce chef sur la reprise de leur nom commercial "Le Marquis" par la société Nextone pour désigner la même activité d'hôtellerie, ainsi que la modification de son référencement sur internet en 2020. Or, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren ayant toléré depuis 2013 l'exploitation de l'hôtel de la demanderesse peuvent difficilement invoquer ici l'existence d'une faute de la part de la société Nextone, et ne rapportent surtout la preuve d'aucun préjudice en lien avec la reprise de ce nom, étant observé ici que le "Marquis Faubourg Saint-honoré" est un hôtel classé 5 étoiles et "Le Marquis Eiffel" un hôtel classé 4 étoiles, dont les clientèles sont relativement distinctes en raison des prix pratiqués par les établissements concernés. Les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren, qui se bornent à l'affirmer, n'offrent pas davantage de caractériser en quoi le "référencement Google" de l'hôtel "Marquis Faubourg Saint-honoré" serait depuis 2020 fautif comme imputable à la "refonte" (fautive) de son site internet par la société Nextone. Aussi, les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire formées par ces sociétés seront rejetées.

3o) Sur les autres demandes

33. Le succès des prétentions de la société Nextone commande de rejeter la demande fondée sur un abus de procédure présentée par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren.

34. Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer, sous la même solidarité imparfaite, à la société Nextone la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

35. Aucune circonstance ne justifie d'écarter l'exécution provisoire dont est de plein droit assortie la présente décision conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile, sauf en ce qui concerne la transcription au Registre des marques compte tenu des effets irrémédiables d'une telle transcription.

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

DÉCLARE IRRECEVABLE la demande en "illicéité" des marques présentée par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren ;

DÉCLARE nulles pour atteinte aux droits de marques antérieures de la société Nextone Résidence, les marques verbales françaises suivantes : "Marquis" no4187747, "Marquis Hôtel" no4187746, "Le Marquis Hôtel" no4187741, "Hôtel Marquis" no4187756, "Hôtel Le Marquis" no4187760, "Marquis Effeil" no4187750, "Le Marquis Effeil" no4187751 et "Hôtel Le Marquis Effeil" no4187764, de la société Helionwood, mais uniquement en ce qu'elles désignent en classe 43 les services de restauration (alimentation) ; hébergement temporaire ; services de bars , services de traiteurs ; services hôteliers ; réservation de logements temporaires ;

DIT que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l'INPI pour sa transcription sur le registre national des marques à l'initiative de la partie la plus diligente ;

REJETTE les demandes fondées sur la contrefaçon de ses marques en raison de l'usage antérieur démontré du nom commercial "Le Marquis" par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren pour désigner un hôtel situé [Adresse 1] ;

Rejette les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire présentées par les sociétés Nextone d'une part et Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren d'autre part ;

REJETTE la demande de dommages-intérêts pour abus de procédure présentée par les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren aux dépens et autorise la Selarl Duclos Thorne Mollet-Vieville et Associés à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum les sociétés Helionwood et Hôtel Dupleix Suffren à payer à la société Nextone Résidence la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire sauf en ce qui concerne la transcription au Registre des marques.

Fait et jugé à Paris le 08 décembre 2022.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 20/09239
Date de la décision : 08/12/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-12-08;20.09239 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award