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06/12/2022 | FRANCE | N°20/12527

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 06 décembre 2022, 20/12527


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/12527 -
No Portalis 352J-W-B7E-CTLZC

No MINUTE :

Assignation du :
02 décembre 2020

JUGEMENT
rendu le 06 décembre 2022
DEMANDERESSE

Société VITRY FRERES
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Delphine BRUNET-STOCLET de la SELARL SCHMIDT BRUNET LITZLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0183

DÉFENDERESSE

S.A.S. LABORATOIRES INNOXA
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Stéphanie CALER

O, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0204

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Linda BOUDOUR, juge
Arthur C...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/12527 -
No Portalis 352J-W-B7E-CTLZC

No MINUTE :

Assignation du :
02 décembre 2020

JUGEMENT
rendu le 06 décembre 2022
DEMANDERESSE

Société VITRY FRERES
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Delphine BRUNET-STOCLET de la SELARL SCHMIDT BRUNET LITZLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0183

DÉFENDERESSE

S.A.S. LABORATOIRES INNOXA
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Stéphanie CALERO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0204

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Linda BOUDOUR, juge
Arthur COURILLON-HAVY, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l'audience du 22 septembre 2022, tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir donné lecture du rapport et entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 06 décembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

____________________________

EXPOSE DU LITIGE

La SA VITRY FRERES a notamment pour activité la fabrication et la vente de tous articles et accessoires dans le domaine de l'hygiène et beauté.

Elle est titulaire de deux modèles communautaires sur des coupe-ongles déposés le 8 avril 2003 sous les numéros 000019187-0001 et 000019187-0002 et publiés le 8 juillet 2003.

La SAS LABORATOIRES INNOXA a pour activité la fabrication de parfums et de produits pour la toilette.

Elle a, par acte sous seing privé du 25 février 2020, fait l'acquisition partielle du fonds de commerce de la SAS VISIOMED, comprenant notamment des coupe-ongles de manucure et de pédicure.

Ayant découvert la commercialisation en pharmacie et sur les sites internet etlt;www.innoxa.fretgt; et etlt;www.santediscount.cometgt; de coupe-ongles référencés « Coupe-Ongles Manucure Extra-Plat 3700609709959 » et « Coupe-Ongles Pédicure Extra-Plat 3700609709973 », dont elle estime qu'ils reproduisent les caractéristiques de ses modèles de coupe-ongles spatule manucure et pédicure, la société VITRY FRERES a effectué des achats dans une pharmacie sise à [Localité 4] selon tickets de caisse des 15 février et 30 juin 2020, et fait procéder à un constat d'huissier sur ces sites internet selon procès-verbal du 30 juin 2020.

Puis, autorisée par ordonnance du 12 octobre 2020, la société VITRY FRERES a fait procéder à une saisie-contrefaçon au siège social de la société LABORATOIRES INNOXA selon procès-verbal du 3 novembre 2020.

Par courrier recommandé du 16 novembre 2020, la société VITRY FRERES a ensuite mis en demeure la société LABORATOIRES INNOXA de :
- reconnaitre ses droits antérieurs sur les modèles opposés ;
- reconnaitre ses droits d'auteur sur les modèles opposés ;
- cesser l'exploitation des coupe-ongles argués de contrefaçon ;
- procéder au retrait et à la destruction des stocks de coupe-ongles litigieux ;
- lui verser la somme forfaitaire de 75.000 euros en réparation de son préjudice.

La société VITRY FRERES a fait procéder à un second constat d'huissier sur le site internet etlt;www.santediscount.cometgt; selon procès-verbal du 27 novembre 2020.

Estimant que ses demandes n'étaient pas satisfaites, la société VITRY FRERES a, par acte d'huissier du 2 décembre 2020, fait assigner la société LABORATOIRES INNOXA devant le tribunal judiciaire de PARIS en contrefaçon de droit d'auteur et de modèles communautaires, et en concurrence déloyale.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2022 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 22 septembre 2022.

Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 octobre 2021, la société VITRY FRERES demande au tribunal, au visa des articles 4, 19, 82 83 et 90 du Règlement no6/2002 du 12 décembre 2001, des articles L. 112-1, L. 112-2, L.122-4, L.331-1-2, L. 515-1, L.521-4 ; L. 521-7, L. 522-1 et R. 221-1 du code de la propriété intellectuelle, des articles 1240 et 1241 du code civil, de :

« - DECLARER la société VITRY FRERES recevable et bien fondée en ses demandes formées à l'encontre de la société LABORATOIRES INNOXA ;

- VALIDER le procès-verbal des opérations de saisie-contrefaçons effectué le 3 novembre 2020 au siège social de la société LABORATOIRES INNOXA ;

- DIRE ET JUGER que la création et le modèle de coupe-ongles spatule revendiqué par la société VITRY FRERES bénéficient de la protection des Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle et du règlement no6/2002 du 12 décembre 2001 ;

- DIRE ET JUGER que la société LABORATOIRES INNOXA s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon de droit d'auteur et de modèle communautaire no000019187-0001 et no000019187-0002 en acquérant, stockant, mettant sur le marché, offrant en vente, vendant et commercialisant les produits contrefaisants référencés Coupe-Ongles Manucure Extra-Plat 3700609709959 et Coupe-Ongles Pédicure Extra-Plat 3700609709973 ;

- DIRE ET JUGER que la société LABORATOIRES INNOXA s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitisme en dénigrant la société VITRY FRERES et en présentant ses coupe-ongles litigieux de manière à créer un risque de confusion dans l'esprit du public, avec les produits de la société VITRY FRERES ;

- CONDAMNER la société LABORATOIRES INNOXA à payer, à la société VITRY FRERES la somme de 122 277,25 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice né des actes de contrefaçon de ses droits d'auteur et de ses modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 ;

- CONDAMNER la société LABORATOIRES INNOXA à payer, à la société VITRY FRERES la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice né des actes de concurrence déloyale ;

- FAIRE INTERDICTION à la société LABORATOIRES INNOXA de poursuivre la commande, l'acquisition, le stockage, la mise sur le marché, l'offre en vente, la vente et la commercialisation des coupe-ongles contrefaisants sur quelque territoire de l'Union Européenne que ce soit sous astreinte de 1.500 euros par infraction soit par modèle de coupe-ongles fabriqué, importé, exporté, offert en vente ou vendu ;

- ORDONNER la destruction, aux frais de la société LABORATOIRES INNOXA de l'intégralité du stock de produits jugés contrefaisants, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard passé le délai de 30 jours suivants la signification du jugement à intervenir ;

- SE RESERVER la liquidation des astreintes ordonnées ;

- AUTORISER la société VITRY FRERES à publier, en français et en anglais, le jugement à intervenir, par extraits, dans cinq revues ou journaux français ou internationaux de son choix et aux frais de la société LABORATOIRES INNOXA sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 8.000 euros H.T ;

- AUTORISER la société VITRY FRERES à diffuser, en toutes langues de son choix, la décision à intervenir sur son site Internet www.vitry.com ;

- CONDAMNER la société LABORATOIRES INNOXA à verser à la société VITRY FRERES la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;

- CONDAMNER la société LABORATOIRES INNOXA aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'huissier exposés par la société VITRY FRERES au titre des opérations de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020, et des constats d'huissier ».

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2022, la société LABORATOIRES INNOXA demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1 et L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle, des articles 4, 5, 6, 7 et 8 du Règlement (CE) 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires, des articles 1240 et 1241 du code civil, de :

« A titre principal,

- DIRE ET JUGER que la saisie-contrefaçon pratiquée dans les locaux de Laboratoires Innoxa le 3 novembre 2020 est nulle ;

- DIRE ET JUGER que les modèles de coupe-ongles spatule revendiqués par Vitry Frères ne sauraient constituer une création originale protégée au titre du droit d'auteur par les Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle ;

- DIRE ET JUGER que les modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 déposés par Vitry Frères le 8 avril 2003 ne répondent pas aux conditions de validité prévus par le Règlement (CE) no6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires ;

- DIRE ET JUGER qu'aucun prétendu acte de contrefaçon et de concurrence déloyale ne saurait pouvoir être retenu à l'encontre de Laboratoires Innoxa ;

En conséquence,

- ANNULER l'intégralité de la saisie pratiquée le 3 novembre en exécution de l'ordonnance du 12 octobre 2020 et des actes subséquents :
* Ordonner sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, la restitution à Laboratoires Innoxa des éléments saisis en suite de ces opérations et détenus tant par Vitry Frères que par l'huissier instrumentaire ;
* Faire défense à Vitry Frères de se prévaloir dans ses écritures dans la présente procédure, et dans toute autre action judiciaire ou extrajudiciaire qu'elle viendrait à engager et en tout état de cause de manière générale, du contenu des procès-verbaux de l'huissier instrumentaire, des pièces appréhendées lors des opérations de saisie, et des informations, pièces et documents dont elle a obtenu la communication dans le cadre de la saisie opérée le 3 novembre 2020 ;

- DEBOUTER Vitry Frères de l'intégralité de ses demandes ;

- PRONONCER la nullité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 déposés par Vitry Frères relative à son modèle de coupe-ongles spatule pour raison d'absence de nouveauté et de caractère individuel ;

A titre subsidiaire,

- DIRE ET JUGER que les modèles de coupe-ongles commercialisés par Vitry Frères et Laboratoires Innoxa présentent des différences nombreuses et substantielles excluant tout risque de confusion entre eux ;

En conséquence,

- DEBOUTER Vitry Frères de son action en contrefaçon ;

A titre infiniment subsidiaire,

- DIRE ET JUGER que Vitry Frères n'apporte aucune démonstration des préjudices dont elle demande la réparation au titre d'actes de contrefaçon et de concurrence déloyale ;

En conséquence,

- DEBOUTER Vitry Frères de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;

Et en tout état de cause,

- CONDAMNER Vitry Frères à verser à Laboratoires Innoxa la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER Vitry Frères aux entiers dépens par application de l'article 699 du code de procédure civile ».

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'originalité du coupe-ongles spatule

La société VITRY FRERES revendique l'originalité de la combinaison des caractéristiques suivantes de son coupe-ongles spatule :
« - le corps et le levier du coupe-ongles sont courbés et se superposent parfaitement ;
- le levier a pour caractéristique originale une forme de spatule (rétrécissement central, bout élargi et arrondi) ;
- le levier, une fois retourné, présente par sa courbure un angle d'ouverture à 45o ;
- le coupe-ongles spatule présente un point de contact entre le levier et le corps de forme arrondie et bombée ».
Elle soutient que cette combinaison est un parti pris esthétique qui n'est pas imposé par la fonction technique du coupe-ongles et porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

La société LABORATOIRES INNOXA, qui conteste l'originalité alléguée, fait valoir que les caractéristiques revendiquées par la demanderesse ne révèlent aucun effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de leur auteur, qu'elles sont au contraire banales et dictées par la fonction classique d'un coupe-ongles. Elle ajoute que de nombreux coupe-ongles commercialisés sur le marché et de nombreux modèles déposés présentent des caractéristiques similaires.

SUR CE,

Aux termes de l'article L. 111-1 alinéas 1 et 2 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

Selon l'article L. 112-1 du même code, ce droit appartient aux auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

L'originalité d'une oeuvre résulte notamment de partis pris esthétiques et de choix arbitraires de son auteur qui caractérisent un effort créatif portant l'empreinte de sa personnalité, et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable.

Lorsque la protection par le droit d'auteur est contestée en défense, l'originalité d'une oeuvre doit être explicitée par celui qui s'en prétend l'auteur, seul ce dernier étant à même d'identifier les éléments traduisant sa personnalité. En effet, le principe de la contradiction prévu à l'article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques revendiquées de l'oeuvre qui fondent l'atteinte alléguée et apporter la preuve de l'absence d'originalité de l'oeuvre.

En l'espèce, la société VITRY FRERES revendique l'originalité de la combinaison des caractéristiques suivantes :
- le corps et le levier du coupe-ongles sont courbés et se superposent parfaitement ;
- le levier est en forme de spatule ;
- le point de contact entre le corps et le levier est de forme arrondie et bombée ;
- le levier, une fois retourné, présente par sa courbure un angle d'ouverture à 45o.

Or, elle n'explicite pas en quoi la combinaison de ces caractéristiques du coupe-ongles spatule porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Elle se borne à effectuer une simple description objective qui ne permet pas de démontrer l'originalité qu'elle allègue tandis que celle-ci est contestée.

Dans ces conditions, le coupe-ongles spatule ne peut bénéficier d'une protection par le droit d'auteur.

En conséquence, la société VITRY FRERES sera déboutée de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur.

Sur la validité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002

La société LABORATOIRES INNOXA sollicite la nullité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 :
- pour défaut de nouveauté en ce que des modèles français, japonais et américains déposés antérieurement présentent les mêmes caractéristiques ;
- pour défaut de caractère individuel en ce que deux modèles japonais déposés antérieurement produisent une impression globale quasi-identique ;
- pour apparence exclusivement imposée par leur fonction technique en ce que la présence d'un levier est nécessaire pour actionner les lames coupantes ; la forme de spatule du coupe-ongles est indispensable pour un meilleur maintien de l'appareil au moment de la prise en main du coupe-ongles ; les fabricants de coupe-ongles sont techniquement contraints de respecter la présence d'un emboîtement du corps et du levier du coupe-ongles une fois replié ; la superposition parfaite entre le levier et le corps du coupe-ongles a vocation à permettre une bonne rotation du levier ; un levier présentant, par sa courbure, un angle d'ouverture à 45o permet d'obtenir une meilleure amplitude au moment de la découpe.

En réplique, la société VITRY FRERES fait valoir que :
- la nouveauté et le caractère individuel de ses modèles résident dans les caractéristiques suivantes : « le corps et le levier du coupe-ongles sont courbés et se superposent parfaitement » ; « le point de contact entre le levier et le corps de forme arrondie et bombée », et qu'aucun des modèles de coupe-ongles produits par la défenderesse à titre d'antériorité de toutes pièces ne présente la combinaison de ces caractéristiques et ne produit une impression globale identique à ses modèles ;
- l'apparence de ses modèles, qui n'est pas imposée par leur fonction technique, est esthétique.

SUR CE,

L'article 4.1 « conditions de protection » du Règlement (CE) no6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires dispose que « la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel ».

Aux termes de l'article 5 « nouveauté » du même règlement, « 1. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public :
a) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou le modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;
b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité.
2. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ».

L'article 6 « caractère individuel » dudit règlement énonce que « 1. Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public :
a) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou le modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;
b) dans le cas d'un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.
2. Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ».

Selon l'article 7 « divulgation » du même règlement, « 1. Aux fins de l'application des articles 5 et 6, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s'il a été publié à la suite de l'enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date visée à l'article 5, paragraphe 1, point a), et à l'article 6, paragraphe 1, point a), ou à l'article 5, paragraphe 1, point b), et à l'article 6, paragraphe 1, point b), selon le cas, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté. Toutefois, le dessin ou modèle n'est pas réputé avoir été divulgué au public s'il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret.
2. Aux fins des articles 5 et 6, il n'est pas tenu compte d'une divulgation si un dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée au titre de dessin ou modèle communautaire enregistré a été divulgué au public :
a) par le créateur ou son ayant droit ou par un tiers sur la base d'informations fournies ou d'actes accomplis par le créateur ou son ayant droit, et ce,
b) pendant la période de douze mois précédant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou la date de priorité, si une priorité est revendiquée.
3. Le paragraphe 2 est également applicable lorsque le dessin ou modèle a été divulgué au public à la suite d'une conduite abusive à l'égard du créateur ou de son ayant droit ».

L'article 8.1 « dessins ou modèles imposés par leur fonction technique et dessins ou modèles d'interconnexions » dudit règlement précise que « un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l'apparence d'un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique ».

La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « l'article 8, paragraphe 1, du règlement (CE) no6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires doit être interprété en ce sens que, pour apprécier si des caractéristiques de l'apparence d'un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, il y a lieu d'établir que cette fonction est le seul facteur ayant déterminé ces caractéristiques, l'existence de dessins ou modèles alternatifs n'étant pas déterminante à cet égard. Afin de déterminer si les caractéristiques concernées de l'apparence d'un produit sont exclusivement imposées par la fonction technique de celui-ci, au sens de cette disposition, il incombe au juge national de tenir compte de toutes les circonstances objectives pertinentes de chaque cas d'espèce. Il n'y a pas lieu, à cet égard, de se fonder sur la perception d'un « observateur objectif » (CJUE, 8 mars 2018, C-395/16).

Sur la nouveauté

En l'espèce, la société LABORATOIRES INNOXA oppose les antériorités suivantes :
- le point de contact arrondi et bombé et l'angle à 45o du modèle français no 56307 déposé le 14 mai 1957 ;
- le levier courbé du modèle français no984708 déposé le 11 août 1998 ;
- le levier en forme de spatule du modèle français no016664 déposé le 15 novembre 2001 ;
- la superposition parfaite des corps et levier courbés et le point de contact arrondi et bombé du modèle japonais no D1119484 déposé le 6 février 1998 ;
- le levier courbé en forme de spatule et le point de contact arrondi et bombé du modèle japonais no D2001 1054 déposé le 22 janvier 2001 ;
- le point de contact arrondi et bombé du modèle américain D437457 déposé le 13 décembre 2001.

Or, aucune de ces antériorités, prises individuellement, ne présente toutes les caractéristiques des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002, de sorte qu'aucune d'elles ne constitue une antériorité de toutes pièces. Au contraire, chacune d'elles présente des caractéristiques différentes dans ses lignes et formes qui ne peuvent être qualifiées de détails insignifiants. Dès lors, aucune des antériorités opposées par la société LABORATOIRES INNOXA n'est destructrice de nouveauté.

Sur le caractère individuel

A l'examen des deux antériorités opposées par la société LABORATOIRES INNOXA, force est de constater que les modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 suscitent une impression visuelle globale différente de chacune d'elles chez l'observateur averti qui est une personne qui s'intéresse au marché des accessoires de manucure et pédicure et se tient régulièrement informée, de sorte que le caractère individuel n'est mis à mal ni par le modèle japonais no D1119484 déposé le 6 février 1998 ni par modèle japonais no D2001 1054 déposé le 22 janvier 2001. Au contraire, en dépit du degré de liberté restreint dans l'élaboration des modèles eu égard aux contraintes imposées par la fonction technique du produit, le créateur a conféré aux coupe-ongles des lignes et formes qui se détachent des antériorités opposées, de sorte que ceux-ci présentent un caractère individuel. Dès lors, les modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 n'encourent pas davantage la nullité pour ce motif.

Sur les caractéristiques de l'apparence du produit imposées par sa fonction technique

Contrairement à ce qu'affirme la défenderesse, les caractéristiques de l'apparence des coupe-ongles objet des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002, en particulier la superposition parfaite du corps et du levier formant une courbe harmonieuse, la forme en spatule du levier et sa courbure lorsqu'il est retourné, la forme arrondie et bombée du point de contact entre le corps et le levier, ne sont pas imposées par leur fonction technique mais résultent d'une recherche esthétique.

En conséquence, au regard de tout ce qui précède, la société LABORATOIRES INNOXA sera déboutée de sa demande en nullité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002.

Sur la validité de la saisie-contrefaçon

La société LABORATOIRES INNOXA soutient que la saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 est nulle en ce que :
- il n'est pas démontré que la requête et l'ordonnance lui ont été signifiées préalablement aux opérations de saisie-contrefaçon et qu'elle a disposé du temps nécessaire pour en prendre connaissance ;
- il n'est pas établi qu'elle s'est vue remettre une copie du procès-verbal de saisie-contrefaçon à l'issue des opérations ou dans un délai raisonnable postérieurement à celles-ci, de sorte que cela lui a nécessairement causé un grief en ce qu'elle n'a pu ni organiser utilement sa défense préalablement à l'assignation ni agir en rétractation devant le président du tribunal judiciaire autorisé la saisie-contrefaçon par ordonnance du 12 octobre 2020.

La société VITRY FRERES répond que l'huissier instrumentaire a signifié la requête et l'ordonnance à la société LABORATOIRES INNOXA vingt-quatre (24) minutes avant le début des opérations de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020, et lui a signifié une copie du procès-verbal de saisie-contrefaçon le même jour à l'issue des opérations.

SUR CE,

Aux termes de l'article 114 du code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

L'article 495 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance sur requête est motivée. Elle est exécutoire au vu de la seule minute. Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée.

Selon l'article R. 521-3, alinéa 2 du code la propriété intellectuelle, à peine de nullité et de dommages-intérêts contre l'huissier, celui-ci doit, avant de procéder à la saisie, donner copie aux détenteurs des objets saisis ou décrits de l'ordonnance. Copie doit être laissée aux mêmes détenteurs du procès-verbal de saisie.

Le respect du principe de la contradiction, qui fonde l'exigence posée à l'alinéa 3 de l'article 495 du code de procédure civile, requiert que copie de la requête et de l'ordonnance soit remise à la personne à laquelle elle est opposée antérieurement à l'exécution des mesures d'instruction qu'elle ordonne (Cass. 2e civ., 10 février 2011, no10-13.894 et 1er septembre 2016, no15-23.326).

En l'espèce, il ressort tant de l'acte de « signification d'une ordonnance rendue sur requête » que du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 20 novembre 2020 (pièce VITRY FRERES no24) que seule la copie de l'ordonnance du 12 octobre 2020 a été signifiée par l'huissier instrumentaire. Il n'est aucunement fait état de la remise d'une copie de la requête.

Par ailleurs, aucun acte de l'huissier instrumentaire ne fait état de la signification du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020.

Dès lors, contrairement à ce qu'affirme la société VITRY FRERES, il n'est aucunement établi que la requête aux fins de saisie-contrefaçon et le procès-verbal de saisie-contrefaçon ont été signifiés à la société LABORATOIRES INNOXA.

Ces irrégularités, constitutives d'un vice de forme, lui font nécessairement grief dès lors qu'elle n'a pu ni prendre connaissance contradictoirement, tel que requis à l'alinéa 3 de l'article 495 du code de procédure civile, des droits revendiqués, moyens et pièces de la requête ayant déterminé la décision du juge, ni prendre connaissance contradictoirement, tel que requis à l'alinéa 2 de l'article R. 521-3 du code de la propriété intellectuelle, du contenu du procès-verbal de saisie-contrefaçon à l'issue des opérations ou dans un délai raisonnable, et ainsi apprécier en toute connaissance de cause l'opportunité d'un éventuel recours.

En conséquence, le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 sera déclaré nul.

La restitution à la société LABORATOIRES INNOXA des éléments saisis au cours des opérations de saisie-contrefaçon sera ordonnée.

Sur la contrefaçon de modèles communautaires

La société VITRY FRERES soutient que les coupe-ongles litigieux dégagent la même impression d'ensemble que ses modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 dès lors que les dimensions, les proportions et la courbure du corps et du levier sont identiques, et que le point de contact bombé et arrondi, la matière et la couleur sont également repris.

La société LABORATOIRES INNOXA fait valoir que les coupe-ongles litigieux présentent des différences permettant d'écarter la contrefaçon en ce que « la courbure est moins accentuée ; la superposition entre le corps et le levier n'est pas parfaite ; le point de contact est plus petit, plus bombé et plus prononcé ; l'épaisseur du levier n'est pas la même ; l'absence de lime oblongue ». Elle indique avoir puisé dans le fond commun dont elle a proposé son interprétation.

SUR CE,

L'article 10 du Règlement (CE) no6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires dispose que : 1. La protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente. 2. Pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle.

Aux termes de l'article 19, 1o du même règlement, le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins.

Selon l'article L. 515-1 du code de la propriété intellectuelle, toute atteinte aux droits définis par l'article 19 du Règlement (CE) no6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.

La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :
- « la notion d'utilisateur averti s'entend comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marque, auquel il n'est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n'effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle de l'homme de l'art expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d'utilisateur averti peut s'entendre comme désignant un utilisateur doté non d'une attention moyenne mais d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré » ;
- « S'agissant du niveau d'attention de l'utilisateur averti, il y a lieu de rappeler que, si celui-ci n'est pas le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé qui perçoit habituellement un dessin ou un modèle comme un tout et ne se livre pas à un examen de ces différents détails, il n'est pas non plus l'expert ou l'homme de l'art capable d'observer dans le détail les différences minimes susceptibles d'exister entre les modèles ou dessins en conflit. Ainsi, le qualificatif « averti » suggère que, sans être un concepteur ou un expert technique, l'utilisateur connaît différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d'un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement, et du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d'un degré d'attention relativement élevé lorsqu'il les utilise » (CJUE, 20 octobre 2011, C-281/10, points 53 et 59).

La reproduction des caractéristiques essentielles d'un modèle enregistré, engendrant la même impression visuelle globale, en constitue la contrefaçon (en ce sens, Cass. com., 26 mars 2008, no06-22.013).

En l'espèce, l'utilisateur averti pour apprécier l'existence d'une contrefaçon est une personne qui s'intéresse au marché des accessoires de manucure et pédicure et se tient régulièrement informée. Son niveau d'attention est élevé.

Il ressort de l'examen comparatif que les coupe-ongles litigieux référencés « coupe-ongle manucure extra-plat 5,7 cm 3700609709959 » et « coupe-ongles pédicure extra-plat 9 cm 3700609709973 » reproduisent les caractéristiques essentielles des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002, en particulier la courbure et la superposition parfaite du corps et du levier, la forme arrondie et bombée du point de contact entre le corps et le levier ainsi que la forme en spatule du levier, et produisent sur l'utilisateur averti sus-défini la même impression visuelle globale.

Contrairement à ce qu'affirme la société LABORATOIRES INNOXA, les différences qu'elle invoque ne sont pas de nature à écarter la contrefaçon. Celles-ci sont minimes et ne confèrent pas aux coupe-ongles litigieux une impression visuelle globale différente sur l'utilisateur averti.

La contrefaçon de modèles communautaires est alors caractérisée.

Sur la concurrence déloyale

La société VITRY FRERES soutient que la défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale en ce que :
- les représentants de la société LABORATOIRES INNOXA l'ont dénigrée auprès de plusieurs pharmaciens « en laissant entendre que sa situation économique serait critique » dans l'unique but de détourner sa clientèle ;
- la reprise de la mention « garantie à vie » sur l'emballage des coupe-ongles litigieux et les catalogue de la marque INNOXA « génère incontestablement un risque de confusion dans l'esprit du public, lequel sera porté à croire que ces coupe-ongles litigieux proviennent de la société VITRY FRERES, ou sont issus d'un partenariat avec cette dernière ».

La société LABORATOIRES INNOXA, qui conteste avoir commis des actes de dénigrement, fait valoir que l'attestation d'une pharmacienne produite par la demanderesse n'est pas probante et que la mention « garantie à vie », dont la demanderesse n'établit pas les investissements réalisés pour que cette mention constitue une valeur économique et dont elle ne saurait priver un concurrent, est utilisée par de nombreuses sociétés dans la description de leurs produits. Elle souligne que la demanderesse ne rapporte pas la preuve d'un préjudice.

SUR CE,

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Aux termes de l'article 1241 du code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion sur l'origine du produit dans l'esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.

En l'espèce, la société VITRY FRERES, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures, échoue à établir les actes de dénigrement auprès de plusieurs pharmaciens qu'elle allègue. Elle se borne à produire une seule attestation d'une opératrice conseillère en pharmacie dénuée de valeur probante dès lors que ni la pharmacie qui l'emploie ni la prétendue « représentante du laboratoire Innoxa » ne sont identifiées (sa pièce no17).

En outre, la mention « garantie à vie », souvent utilisée par les opérateurs économiques, n'est pas appropriable. Surtout, la société VITRY FRERES ne produit aucune pièce pour établir qu'elle utilise elle-même cette mention sur les emballages de ses coupe-ongles spatule et ses catalogues, et se borne à produire une page de son site internet etlt;www.vitry.cometgt; expliquant ce qu'est la garantie à vie qu'elle propose (ses pièces no20.1 et 20.2). Enfin, même à supposer qu'elle utilise cette mention, le risque de confusion tel qu'elle l'allègue n'est pas établi dès lors qu'il n'est pas démontré que la clientèle identifie l'origine de ses coupe-ongles spatule par la seule mention « garantie à vie », prise isolément.

En conséquence, la société VITRY FRERES sera déboutée de sa demande formée au titre de la concurrence déloyale.

Sur les mesures réparatrices au titre de la contrefaçon

La société VITRY FRERES, qui soutient que les chefs de préjudice visés à l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle sont cumulatifs, expose avoir subi un préjudice économique et un préjudice moral à hauteur de la somme totale de 122.277,25 euros.

La société LABORATOIRES INNOXA répond que la société VITRY FRERES ne rapporte pas la preuve de la réalité et du quantum de son préjudice et que ses demandes indemnitaires sont disproportionnées.

SUR CE,

Selon l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

L'article L. 521-8 du même code prévoient qu'en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise. Ces mesures sont ordonnées aux frais du contrefacteur.

Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

A titre liminaire, il sera rappelé qu'un préjudice hypothétique ne donne pas lieu à indemnisation et que le principe de la réparation intégrale implique une indemnisation du préjudice sans perte ni profit.

En outre, l'article L. 521-7 du code de la propriété intellectuelle, lequel emploie l'adverbe « distinctement » et non « cumulativement », commande une appréciation distincte des chefs de préjudice et non pas cumulative.

En l'espèce, le préjudice économique allégué par la société VITRY FRERES, tiré des prétendus bénéfices réalisés par la défenderesse et de son prétendu manque à gagner, n'est pas établi dès lors que les éléments du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 annulé ne peuvent être pris en considération et que les autres pièces versées aux débats ne permettent pas de l'établir.

En outre, force est de constater qu'en dépit des contestations de la défenderesse à cet égard, la société VITRY FRERES, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures, n'établit aucunement que les investissements qu'elle allègue correspondent à ses coupe-ongles spatule manucure et pédicure.

Elle n'est pas davantage fondée à solliciter le remboursement des frais de dépôt et de renouvellement des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 et le remboursement du coût des présentoirs de ses produits en pharmacies et parapharmacies, lesquels ne constituent pas un préjudice résultant de la contrefaçon.

En revanche, en tout état de cause, la commercialisation des coupe-ongles contrefaisants référencés « coupe-ongle manucure extra-plat 5,7 cm 3700609709959 » et « coupe-ongles pédicure extra-plat 9 cm 3700609709973 » entraîne une banalisation et l'avilissement des coupe-ongles spatule manucure et pédicure causant ainsi un préjudice moral à la société VITRY FRERES qui sera indemnisé à hauteur de la somme de 10.000 euros au titre de la contrefaçon des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002.

Des mesures d'interdiction et de destruction seront ordonnées selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. Le préjudice étant entièrement réparé par l'indemnité pécuniaire, la demande de publication du jugement apparait disproportionnée et sera alors rejetée.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.

La société LABORATOIRES INNOXA, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens à l'exclusion des frais d'huissier exposés au titre de la saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 annulée.

Les dépens ne comprennent que les seuls débours relatifs à des actes ou procédures judiciaires.

Dès lors, les procès-verbaux de constat d'huissier sur internet des 30 juin 2020 et 27 novembre 2020 (pièces VITRY FRERES no12 et 22) n'ayant pas été dressés sur autorisation judiciaire, les frais exposés ne constituent pas des dépens au sens de l'article 695 du code de procédure civile, mais des frais irrépétibles indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

L'équité commande de condamner la société LABORATOIRES INNOXA à payer à la société VITRY FRERES la somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais des procès-verbaux de constat d'huissier sur internet des 30 juin 2020 et 27 novembre 2020.

Sur l'exécution provisoire

Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.

En l'espèce, la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et il n'y a pas lieu d'y déroger.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

DEBOUTE la société VITRY FRERES de l'ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d'auteur ;

DEBOUTE la société LABORATOIRES INNOXA de sa demande en nullité des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 ;

DECLARE nul le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 ;

ORDONNE la restitution à la société LABORATOIRES INNOXA des éléments saisis au cours des opérations de saisie-contrefaçon ;

CONDAMNE la société LABORATOIRES INNOXA à payer à la société VITRY FRERES la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la contrefaçon des modèles communautaires no000019187-0001 et no000019187-0002 ;

FAIT INTERDICTION à la société LABORATOIRES INNOXA d'offrir à la vente et de commercialiser, sur le territoire de l'Union européenne, les coupe-ongles référencés « coupe-ongle manucure extra-plat 5,7 cm 3700609709959 » et « coupe-ongles pédicure extra-plat 9 cm 3700609709973 », et ce dans un délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement, puis sous astreinte de 200 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours ;

ORDONNE la destruction, sous le contrôle d'un commissaire de justice, des coupe-ongles référencés « coupe-ongle manucure extra-plat 5,7 cm 3700609709959 » et « coupe-ongles pédicure extra-plat 9 cm 3700609709973 », restant en stock à la société LABORATOIRES INNOXA, aux frais de cette dernière, à charge pour elle d'en justifier à la société VITRY FRERES, et ce dans un délai de 30 jours une fois le jugement devenu définitif, puis sous astreinte de 200 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours ;

DIT que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes prononcées ;

REJETTE la demande de publication du jugement ;

DEBOUTE la société VITRY FRERES de sa demande formée au titre de la concurrence déloyale ;

CONDAMNE la société LABORATOIRES INNOXA aux dépens, à l'exclusion des frais d'huissier exposés au titre de la saisie-contrefaçon du 3 novembre 2020 annulée ;

CONDAMNE la société LABORATOIRES INNOXA à payer à la société VITRY FRERES la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais des procès-verbaux de constat d'huissier sur internet des 30 juin 2020 et 27 novembre 2020 ;

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.

Fait et jugé à Paris le 06 Décembre 2022

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 20/12527
Date de la décision : 06/12/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-12-06;20.12527 ?
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