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25/11/2022 | FRANCE | N°21/01835

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 25 novembre 2022, 21/01835


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 21/01835
No Portalis 352J-W-B7F-CTYLO

No MINUTE :

Assignation du :
03 Décembre 2020

JUGEMENT
rendu le 25 Novembre 2022

DEMANDERESSE

SAS CLECIM anciennement PRIMETALS TECHNOLOGIES FRANCE SAS
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Maître Bertrand LIARD du LLP WHITE AND CASE LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0002

DÉFENDERESSE

S.A.S. DEEPGRAY VISION
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Grégoi

re DESROUSSEAUX et Maître Charles BOUFFIER de laSCP AUGUST et DEBOUZY et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0438

COMPOSITION DU TRIBUNAL

M...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 21/01835
No Portalis 352J-W-B7F-CTYLO

No MINUTE :

Assignation du :
03 Décembre 2020

JUGEMENT
rendu le 25 Novembre 2022

DEMANDERESSE

SAS CLECIM anciennement PRIMETALS TECHNOLOGIES FRANCE SAS
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Maître Bertrand LIARD du LLP WHITE AND CASE LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0002

DÉFENDERESSE

S.A.S. DEEPGRAY VISION
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Grégoire DESROUSSEAUX et Maître Charles BOUFFIER de laSCP AUGUST et DEBOUZY et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0438

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assisté de Quentin CURABET, Greffier

DEBATS

A l'audience du 29 Septembre 2022 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 25 Novembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La société VAI Clecim, immatriculée le 13 août 2003, a changé plusieurs fois de dénomination, devenant Siemens VAI Metals Technologies à compter du 3 novembre 2006, puis Primetals Technologies France à compter du 8 janvier 2015 et enfin Clecim depuis le 1er avril 2021.
Elle se présente comme une spécialiste de la fabrication, la vente, les services et la maintenance d'équipements et logiciels pour la métallurgie et comme la propriétaire, en particulier :
- d'un système automatique d'inspection de surface, le système SIAS, incluant différents équipements d'inspection, à savoir des composants matériels, tels qu'au moins une caméra, couplés à une interface logicielle nommée XLine,
- des marques française no3391687 et internationale no901458 "XLine" et des marques française no3391684 et internationale no901808 "SIAS".

2. La SAS Deepgray Vision a été créée le 20 janvier 2012 par MM [B] [H], [E] [J] et [Z] [N], salariés de la SAS Clecim jusqu'au 9 septembre 2011 ayant travaillé sur le système SIAS et le logiciel XLine.
Elle a principalement pour objet la conception, la réalisation et la fourniture d'équipements, de systèmes ou de prestations de service dans les domaines du traitement du signal, de l'imagerie et de la mesure, pour l'industrie notamment, le développement de logiciels, de sous-ensembles électroniques, optiques et mécaniques, la conception, le développement, le déploiement et la mise en route et la maintenance de systèmes complets.

3. La SAS Deepgray Vision est intervenue en novembre 2014 sur le système d'inspection automatique de surface installé en 2006 par la SAS Clecim sur le site d'[Localité 6] de la société Aperam Stainless France (ci-après Aperam).

4. Soutenant que la SAS Deepgray Vision avait utilisé le code source du logiciel XLine à cette occasion, et ainsi contrefait ses droits d'auteur sur ce logiciel et ses marques XLine et SIAS, la SAS Clecim a obtenu deux ordonnances en saisie-contrefaçon des 21 et 29 novembre 2018 et y a fait procéder au sein des locaux aux deux adresses de la SAS Deepgray Vision le 14 décembre 2018 par un huissier de justice assisté d'un expert en informatique.

5. Par acte du 11 janvier 2019, la SAS Clecim a assigné la SAS Deepgray Vision devant le tribunal judiciaire de Nanterre pour faire interdire la reproduction non autorisée la mise à jour de son logiciel XLine et la reproduction non autorisée de ses marques, sous astreinte.
Par ordonnance du 3 décembre 2020, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré celui-ci incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris.

6. La clôture des débats a été prononcée le 13 janvier 2022 par le juge de la mise en état mais ils ont été réouverts pour cause grave le 22 février 2022.

7. Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 avril 2022, la SAS Clecim demande au tribunal, au visa des articles L. 112-2, L. 122-6, L. 331-1-3, L. 335-3, L. 713-2 et L. 716-1 et L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle et 1240 du code civil, de :
- rejeter la demande de nullité de la saisie-contrefaçon,
- interdire à la société Deepgray Vision, sous astreinte, de :
- poursuivre la mise à jour du logiciel XLine auprès de tout tiers,
- poursuivre l'usage des marques XLine et SIAS,
- présenter, reproduire, commercialiser, céder et promouvoir le logiciel XLine de quelque façon que ce soit,
- faire usage, présenter, reproduire, commercialiser, céder et promouvoir le logiciel de Deepgray Vision et tout autre logiciel qui serait dérivé de celui-ci ou du logiciel XLine, ainsi que de cesser toute activité liée à l'inspection de surface,
- ordonner le rappel et la mise à l'écart définitive des circuits commerciaux de tous produits, articles ou documents faisant référence au logiciel XLine et/ou reproduisant les marques XLine et SIAS et leur remise à la société Clecim afin de les détruire,
- condamner la société Deepgray Vision à lui payer la somme de 3.000.000 d'euros, dont 1.000.000 d'euros en raison des conséquences économiques négatives de la contrefaçon et 2.000.000 d'euros en raison des bénéfices et des économies d'investissement que la société Deepgray Vision a retirés de son activité contrefaisante,
- condamner la société Deepgray Vision à lui payer la somme de 500.000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- l'autoriser à faire publier le jugement à intervenir,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
- débouter la société Deepgray Vision de l'ensemble de ses demandes, la condamner aux dépens et à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 mars 2022, la SAS Deepgray Vision demande au tribunal, au visa des articles 4, 32-1, 42, 46 et 122 du code de procédure civile, L. 122-6, L. 122-6-1, L. 331-1, L. 332-1, L. 332-2, L. 332-4, L. 711-2, L.712-1, L. 713-3-1, L. 713-6, L. 714-6, L.716-4-2, L.716-4-7, L. 716-5 et R. 332-2 du code de la propriété intellectuelle et 1240 du code civil, de :
Sur la contrefaçon de droit d'auteur :
- déclarer irrecevables les demandes de la société Clecim en contrefaçon de droit d'auteur pour défaut de titularité de droits sur le logiciel XLine ;
à titre subsidiaire,
- annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 pour défaut de titularité de droits de la société Clecim sur le logiciel XLine et les quatre marques XLine et SIAS, absence de preuve de l'originalité du logiciel XLine, absence de distinctivité des marques SIAS et déloyauté dans la présentation des faits au stade des requêtes en saisie-contrefaçon ;
- écarter des débats le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018, ainsi que les pièces adverses no23 à 27 et 42 et tous documents recueillis par suite de cette saisie-contrefaçon et, subsidiairement, en prononcer la nullité partielle pour les raisons précitées ;
à titre très subsidiaire,
- constater la licéité de son opération de tierce-maintenance corrective du logiciel XLine de novembre 2014 sur le site d'[Localité 6] de la société Aperam Stainless France ;
- rejeter les demandes de la société Clecim en contrefaçon de droit d'auteur ;
à titre infiniment subsidiaire,
- désigner un expert informatique avec la mission de comparer la solution d'inspection automatique de surface développée par elle et le logiciel XLine ;
Sur la contrefaçon de marque :
- déclarer irrecevables les demandes de la société Clecim en contrefaçon de marque pour défaut de production des certificats d'enregistrement originaux des quatre marques françaises et internationales XLine et SIAS ;
A titre subsidiaire,
- annuler les marques SIAS française et internationale pour absence de distinctivité ;
- rejeter les demandes de la société Clecim en contrefaçon des marques SIAS française et internationale compte-tenu de leur nullité ;
- annuler le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 pour les raisons précitées;
- écarter des débats le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018, ainsi que les pièces adverses no23 à 27 et 42 et tous documents recueillis à la suite de cette saisie-contrefaçon et, subsidiairement, prononcer la nullité partielle de ce procès-verbal pour les raisons précitées;
A titre très subsidiaire :
- constater l'usage des marques françaises et internationales XLine et SIAS à titre de référence nécessaire uniquement pour désigner le système SIAS et le logiciel XLine ;
- rejeter les demandes de la société Clecim en contrefaçon de marque ;
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme :
- rejeter les demandes de la société Clecim en concurrence déloyale ou parasitaire ;
A titre infiniment subsidiaire, sur le préjudice :
- déclarer irrecevables les demandes indemnitaires de la société Clecim sur le fondement de la contrefaçon pour ne pas avoir distingué ses préjudices au titre de la contrefaçon de droit d'auteur d'une part, et au titre de la contrefaçon de marque d'autre part,
- rejeter les demandes indemnitaires de la société Clecim sur le fondement de la concurrence déloyale ou parasitaire ;
A titre reconventionnel :
- condamner la société Clecim à lui payer la somme de 978.000 euros en réparation du préjudice causé par les actes de dénigrement et celle de 88.000 euros en réparation du préjudice causé par la procédure abusive ;
- ordonner l'exécution provisoire sur ses seules demandes reconventionnelles ;
En tout état de cause :
- rejeter l'ensemble des demandes de la société Clecim à son encontre ;
- condamner la société Clecim aux dépens, dont distraction au profit de Maître Desrousseaux en application de l'article 699 du code de procédure civile, et à lui payer la somme de 150.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

8. L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 avril 2022.

MOTIVATION

I - Sur la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 et la demande consécutive d'écarter des débats les pièces no 23 à 27 et 41

Moyens des parties

9. La SAS Deepgray Vision fait valoir que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 doit être annulé compte-tenu de :
- l'absence de preuve de la titularité de droits de la société Clecim sur le logiciel XLine lors de la requête ;
- l'absence de caractérisation de l'originalité du logiciel XLine lui permettant de revendiquer un droit d'auteur au stade de la requête ;
- l'absence de distinctivité des marques SIAS ;
- la déloyauté dont a fait preuve la société Clecim dans la présentation des faits pour étayer ses soupçons de contrefaçon, au stade de ses requêtes en saisie-contrefaçon, en soutenant faussement que les employés de Deepgray Vision avaient nécessairement utilisé ses codes sources pour intervenir sur le logiciel installé chez la société Aperam et avaient utilisé des informations confidentielles et démarché des clients de leur ancien employeur.
- si le tribunal devait considérer que la société Clecim était recevable à agir en contrefaçon des marques XLine, la nullité partielle du procès-verbal de saisie-contrefaçon concernera uniquement les opérations réalisées sur le fondement du logiciel XLine et des marques SIAS, à l'exclusion des marques XLine.

10. La SAS Clecim soutient que :
- elle est titulaire des droits sur le logiciel XLine et en a justifié à la date de la requête en saisie-contrefaçon par les mentions sur les diverses versions du logiciel ;
- elle a développé ce logiciel à partir de décembre 2001, bien avant d'être rachetée par la société Siemens AG, qui ne peut donc en être propriétaire ;
- l'originalité de ce logiciel, développé sur 10 ans et ayant fait évoluer l'état de l'art, a été démontrée lors de la présentation de la requête en saisie-contrefaçon ;
- sa présentation de ses soupçons dans la requête en saisie contrefaçon n'est aucunement déloyale ni mensongère, dès lors que l'intervention de la SAS Deepgray Vision chez la société Aperam est une opération de maintenance évolutive prohibée et nécessitait l'accès aux codes-source du logiciel ;
- l'éventuelle nullité de l'un de ses titres ne saurait emporter nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon, pas même partielle, car l'huissier n'a pas distingué les opérations en lien avec tel ou tel titre et le procès-verbal forme un tout indivisible.

Réponse du tribunal

11. L'article L. 332-4 du code de la propriété intellectuelle dispose notamment : "La contrefaçon de logiciels et de bases de données peut être prouvée par tout moyen.
A cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle du logiciel ou de la base de données prétendument contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant. La saisie-description peut se concrétiser par une copie des logiciels ou des bases de données prétendument contrefaisants.
La juridiction peut ordonner, aux mêmes fins probatoires, la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer un logiciel ou une base de données prétendument contrefaisants, ainsi que de tout document s'y rapportant." et l'article L. 722-4 prévoit les mêmes dispositions pour la preuve de la contrefaçon de marques.

12. L'absence de contradictoire et le caractère intrusif de la mesure de saisie-contrefaçon imposent que le requérant ne fasse pas une présentation déloyale des faits susceptibles d'influencer le sens de la décision qui sera rendue. Ce dernier se doit donc de porter à la connaissance du juge l'ensemble des éléments de droit et de faits utiles, afin de permettre à celui-ci de porter une appréciation éclairée sur la demande qui lui est soumise et d'ordonner une mesure proportionnée, en tenant compte des intérêts divergents du saisissant et du saisi.

13. En l'occurrence, à l'appui de ses requêtes des 21 et 25 novembre 2018, la société Clecim a présenté des éléments suffisants pour justifier de sa propriété du logiciel XLine par la production du cartouche de la version 5.1.2 de 2005 et de la version 9.3.4 de celui-ci sur laquelle figurait sa dénomination et d'offres commerciale et technique du 21 février 2006 à la société UgineetALZ (devenue Aperam ultérieurement) incluant la licence du logiciel XLine.

14. Il ne lui incombait pas, à ce stade, de justifier de l'originalité de ce logiciel, pas plus que de la validité de ses marques enregistrées.

15. S'agissant de la déloyauté de la présentation des faits à l'appui des requêtes des 21 et 25 novembre 2018, la société Clecim soutenait avoir découvert une intervention de maintenance de la société Deepgray Vision sur le logiciel XLine chez un de ses clients en novembre 2014 au cours de laquelle "les employés de la société Clecim ont nécessairement utilisé les codes sources de la requérante, strictement confidentiels, dont ils ont eu connaissance alors qu'ils étaient salariés de la requérante (Primetals). Plus spécifiquement, il était impossible pour la société Clecim de modifier activement la référence (numérotation et date) de la version du logiciel sans utiliser les codes sources de la requérante" et ajoutait qu'elle soupçonnait cette société, créée par trois de ses anciens salariés démissionnaires, de démarcher ses clients en contrefaisant ses droits d'auteurs sur le logiciels et ses marques XLine et SIAS.

16. A l'appui de ces affirmations, elle avait produit une attestation du 30 août 2018 de l'un de ses salariés, M. [M] [Y], relatant les circonstances dans lesquelles il avait découvert l'intervention de maintenance de la société Deepgray Vision en novembre 2014 sur le site de la société Aperam et indiquant "pour modifier cette partie, pour la compiler, il faut être muni des codes sources de XLine®. Ces codes sources sont la propriété de ma société et ne sont jamais donnés à nos clients. Pour que DEEPGRAY Vision puisse modifier cette partie, il a fallu que DEEPGRAY Vision soit en possession des codes sources du SlAS® et en plus les ait utilisés."

17. Or, la société Deepgray Vision produit à cet égard :
- une expertise non contradictoire réalisée le 11 juin 2021 par M. [G] [U], expert en informatique inscrit sur les listes des cours d'appel de Paris et Versailles, selon laquelle les indications de version et de date sont des champs texte qui se modifient avec un éditeur de texte, "il n'est aucunement besoin d'intervenir sur les codes sources de XLine pour modifier les numéros de versions et de date affichés par le logiciel" et la société Clecim "avait largement les moyens de vérifier sa théorie de l'utilisation des codes sources" en comparant ses versions 7.7.1 et 7.7.2 avec celle trouvée chez la société Aperam ;
- une attestation du 3 novembre 2021 de M. [O] [W], ingénieur ayant occupé des postes de direction à la société Clecim de janvier 2003 à juin 2010, selon laquelle un simple éditeur de textes permet de renseigner la date d'information, aux fins de traçabilité,
que la société Clecim ne critique pas sur le fond.

18. Sur ce point, la société Clecim indique dans ses conclusions qu'elle a fourni avec la requête, à l'appui de l'utilisation des codes sources, "des éléments probants incluant mais ne se limitant pas à l'attestation de M. [Y]". Le tribunal observe cependant que, bien que la question soit abordée à deux reprises dans ses conclusions, elle procède par affirmations et ne vise aucune autre pièce probante.

19. Néanmoins, la société Clelim pouvait légitimement admettre l'exactitude des faits attestés par son préposé et l'absence de vérification technique de celle-ci au stade de la requête ne caractérise pas une présentation déloyale des faits au magistrat.

20. De plus, la requête invoquait également une intervention de mise à jour du logiciel XLine par la société Deepgray Vision ainsi que des faits de contrefaçon de ses marques XLine et SIAS, pour lesquels elle apportait des preuves raisonnablement accessibles qui suffisaient à justifier la saisie-contrefaçon telle qu'elle a été autorisée

21. Il n'y a donc pas lieu de prononcer l'annulation du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018.

II - Sur la contrefaçon du droit d'auteur sur le logiciel XLine

1- Sur la titularité

Moyens des parties

22. La SAS Clecim fait valoir que :
- lorsqu'ils étaient ses salariés, MM [H], [J] et [N] ont développé ce logiciel, qui appartient donc à leur employeur ;
- son nom a toujours figuré sur les différentes versions du logiciel XLine, développé en interne à partir de 2001,y compris sur deux offres commerciale et technique de février 2006 ;
- elle est une filiale à 100 % de la société allemande Siemens AG depuis 2005, année où sa dénomination est devenue Siemens VAI Metals Technologies SAS, nom qui apparaît sur la version 7.7.1 du logiciel, et elle n'a jamais cédé ses droits d'auteur à sa maison-mère.

23. La SAS Deepgray Vision fait valoir que :
- la présomption de titularité du droit d'auteur est écartée lorsqu'une oeuvre est exploitée sous le nom d'un tiers ;
- les dénominations antérieures de la SAS Clecim sont VAI Clecim, SIEMENS VAI Metals Technologies SAS et Primetals Technologies France SAS ;
- il est inscrit "© VAI Clecim (2006). All rights reserved" et "© VAI Clecim (2003) All rights reserved" sur les offres commerciales et techniques communiquées en pièces adverses no7 et 8 et "© Siemens AG 2010 Tous droits réservés" sur les versions 7.7.1 et 7.7.2 du logiciel XLine sur les pièces adverses no2 et 10 ;
- la société Siemens AG est distincte de la société Clecim.

Réponse du tribunal

24. L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que "L'auteur, du seul fait de sa création jouit d'un droit de propriété sur celle-ci" et l'article L. 113-1 établit une présomption de qualité d'auteur à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée.
L'article L. 113-9, alinéa1, du code de la propriété intellectuelle dispose : "Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer."

25. La société Clecim verse aux débats (sa pièce no 36) une description des différentes versions du logiciel XLine entre le 19 décembre 2001 (version 1.0.0) - soit avant son immatriculation - et qui s'arrête le 2 décembre 2010 (version 8.0.2).

26. Sur les versions du logiciel XLine présentées dans les dossiers des parties apparaissent les mentions suivantes :
5.1.2 sept 16 2005 XLine Copyright [c] 2002 Tous droits réservés par VAI SIAS
6.0.0 nov 14 2005 XLine Copyright [c] 2005 Tous droits réservés par VAI Clecim
6.4.1 aug 20 2006 XLine Copyright [c] 2005 Tous droits réservés par VAI Clecim
7.7.1 jun 8 2010 XLine © Siemens AG 2010 Tous droits réservés
7.7.2 aug 26 2011 XLine © Siemens AG 2011 Tous droits réservés
9.3.1.2 nov 7 2014 XLine © Siemens SAS 2014 Tous droits réservés
9.3.3 jan 28 2015 XLine © Siemens SAS 2014 Tous droits réservés
9.3.1.2 mar 13 2015 XLine © Siemens SAS 2014 Tous droits réservés
27. Elles indiquent explicitement que les droits sont réservés, au moins à compter du 8 juin 2010, non pas à la société VAI Clecim (immatriculée au RCS de Saint-Etienne sous le numéro 324 905 165 et dont la dénomination est devenue Siemens VAI Metals Technologies à compter du 3 novembre 2006), comme précédemment, mais à la société Siemens AG (société allemande enregistrée au tribunal d'instance de Munich) et, à partir au moins du 7 novembre 2014 à la SAS Siemens, ce qui signifie que ces droits ont été transférés.
Le signe ©, pour copyright, vient renforcer ce sens, bien qu'il s'agisse d'une notion étrangère au droit français.

28. Quoiqu'interpellée sur ce point par les écritures adverses, la société Clecim ne produit aucun élément expliquant ces mentions si les droits sur le logiciel n'ont pas été cédés à ces entités, entretenant l'équivoque.

29. Au surplus, elle ne produit aucune pièce postérieure à février 2006 témoignant d'une exploitation du logiciel sous son nom.

30. Dans ces conditions, la société Clecim ne démontre pas qu'elle est titulaire des droits d'auteur sur logiciel XLine à la date des faits allégués de contrefaçon et ses demandes présentées sur ce fondement sont donc mal fondées.

2 - A titre superfétatoire sur la contrefaçon

31. Le droit d'auteur protège le code source, le code objet et le fichier exécutable des logiciels et l'article L.122-6 du code de la propriété intellectuelle en interdit la reproduction, l'adaptation et la vente non autorisées.

32. L'article L.122-6-1, I, du même code prévoit que : "Les actes prévus aux 1o et 2o de l'article L.122-6 ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l ‘utiliser, y compris pour corriger des erreurs.
Toutefois, l'auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1o et 2o de l'article L.122-6, nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser."

2. 1 - Sur la maintenance réalisée en novembre 2014

Moyens des parties

33. La SAS Clecim fait valoir que la société Deepgray Vision a commis des faits de contrefaçon de son logiciel lors des opérations de maintenance qu'elle a réalisées en novembre 2014 sur le site d'[Localité 6] de la société Aperam. En effet, pour utiliser à cette occasion la version 7.7.2 du logiciel XLine, elle l'avait nécessairement conservée frauduleusement car elle n'a pu la récupérer, comme elle le prétend, sur le site de [Localité 5] de la même société, dès lors, d'une part, qu'elle ne démontre pas avoir eu une mission sur ce site, et, d'autre part, que celui-ci disposait seulement de la version 7.5.0.
Au surplus, même dans ce cas, elle n'avait aucun droit de copier cette version sur le site d'[Localité 6], les deux sites bénéficiant de licences distinctes.
La société Deepgray Vision a effectué à cette occasion une opération de maintenance évolutive, la version 7.7.2 apportant des fonctionnalités complémentaires, des améliorations et des enrichissements par rapport à la version 7.7.1 et seul le titulaire d'une licence pouvait exécuter une opération de maintenance corrective.

34. La SAS Deepgray Vision oppose que les actes d'usage et de reproduction du logiciel XLine qui lui sont reprochés relèvent d'une opération de tierce maintenance corrective du logiciel XLine, parfaitement licite au regard de l'article L.122-6-1, I, du code de la propriété intellectuelle dès lors que Clecim ne s'est pas réservé par contrat la maintenance de son logiciel, que les dernières pièces produites ne démontrent pas que la version 7.7.2 n'avait pas été installée sur le site de [Localité 5] de la société Aperam, et que cette opération de tierce-maintenance n'a pas nécessité d'accéder et/ou d'intervenir sur le code source du logiciel XLine.

Réponse du tribunal

35. La société Clecim a installé un système SIAS et le logiciel XLine sur le site d'[Localité 6] de la société Aperam selon son offre précitée du 21 février 2006 et indique être réintervenue en 2018.
Il est constant que la société Deepgray Vision est intervenue en novembre 2014 auprès de la société Aperam et qu'il en a été fait un compte-rendu écrit dont il en ressort qu'elle a, à cette occasion, réalisé diverses prestations parmi lesquelles une "mise à jour software" permettant "de déporter vers l'appli Master la fonction de code CjP".

36. Aux termes de son offre à la société UgineetALZ (devenue Aperam), la société Clecim ne s'est pas réservé par contrat le droit de corriger les erreurs, ni de déterminer les modalités particulières pour la reproduction permanente ou provisoire du logiciel ni pour toute autre modification du logiciel en résultant au sens de l'article L.122-6-1, I, précité.
Dès lors, la société Aperam était en droit de réaliser elle-même la maintenance du logiciel, et tout autant, contrairement à ce que soutient la société Clecim, de la faire réaliser par un tiers.

37. S'agissant du caractère curatif ou évolutif de l'intervention du 18 novembre 2014, la société Clecim soutient qu'elle a ajouté une nouvelle fonctionnalité au logiciel, réalisant ainsi une opération prohibée de maintenance évolutive, sur la seule base du compte-rendu d'intervention de la société Deepgray Vision indiquant que son intervention a permis de "déporter vers l'appli Master la fonction de sélection du code CJP (...) Cela permet de centraliser cette configuration au niveau de l'appli Master et de s'affranchir du bug perte des paramètres MIE".
Or il ressort expressément de ces termes que le déport vers l'appli Master de la fonction de sélection du code CJP avait pour but de réparer un bug et d'assurer la stabilité du logiciel et non de lui ajouter une nouvelle fonctionnalité.
Dès lors, cette pièce, non corroborée par une autre analyse ou un autre document technique, ne saurait justifier que l'intervention réalisée en novembre 2014 n'était pas nécessaire pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, au sens de l'article L. 122-6.1 précité.

38. S'agissant de l'utilisation des codes sources, l'expert en informatique indépendant ayant assisté l'huissier durant les opérations de contrefaçon a déclaré "Les recherches en visuel et par mots clés n'ont pas permis de relever des éléments démontrant l'existence des sources d'une version du logiciel XLine ni même d'éléments constitutifs de ce logiciel".
Ces déclarations ne sont pas réputées non écrites, comme le soutient la société Clecim, dès lors que les ordonnances ayant autorisé la saisie contrefaçon prévoyaient l'autorisation donnée à l'huissier de poser toutes question afin, notamment, "d'obtenir une copie des codes sources et des fichiers exécutables de la requérante que la société Deepgray Vision utilise en violation de ses droits" et que c'est dans ce cadre que s'inscrivaient les déclarations de l'expert précitées.

39. Par attestations des 29 et 30 août 2018, M. [M] [Y] et M. [K] [D], alors salariés de la demanderesse, ont relaté les conditions de leur intervention dans les locaux d'[Localité 6] de la société Aperam le 29 mai 2018 et le fait qu'il ont appris à cette occasion que la SAS Deepgray Vision avait procédé, en novembre 2014, à des opérations de maintenance du logiciel XLine installé en 2006 par leur société.
M. [Y] a précisé qu'une modification de la fenêtre de la cartographie du logiciel avait été faite et que "pour modifier cette partie, pour la compiler, il faut être muni des codes sources de XLine®. Ces codes sources sont la propriété de ma société et ne sont jamais donnés a nos clients. Pour que Deepgray Vision puisse modifier cette partie, il a fallu que Deepgray Vision soit en possession des codes sources du SlAS® et en plus les ait utilisés. Ce qui n'aurait pas du être le cas." Outre l'affichage de la date et la version, M. [Y] ne mentionne aucune opération qui aurait requis l'utilisation des codes sources.
Cette attestation, émanant d'un salarié, dépendant de la demanderesse, n'est pas corroborée par d'autres éléments ; elle est expressément contredite par deux pièces émanant de tiers décrites supra (avis de l'expert en informatique Aymaret attestation de M. [W]).
Or, cet élément est le seul au dossier appuyant les affirmations de la société Clecim selon laquelle l'intervention de maintenance de novembre 2014 nécessitait de disposer des codes source du logiciel ou sa version 7.7.2.
Dans ces conditions, la SAS Clecim ne rapporte pas la preuve de son allégation selon laquelle la SAS Deepgray Vision aurait utilisé les codes sources du logiciel XLine, ni qu'elle détenait frauduleusement la version 7.7.2 en novembre 2014.

40. Il n'est donc pas démontré de contrefaçon du logiciel XLine lors de l'opération de maintenance de novembre 2014.

2.2 - Sur la reproduction du logiciel XLine par le logiciel DGSIS

Moyens des parties

41. La société Clecim fait valoir que :
- la saisie-contrefaçon démontre que la société Deepgray Vision a intégré les codes source et fichiers exécutables de son logiciel dans son propre système d'inspection de surface (DGSIS) qu'elle a développé grâce au savoir-faire et aux éléments protégeables de son logiciel ;
- le court délai durant lequel la SAS Deepgray Vision a mis au point son logiciel et le fait que M. [H] a eu accès à un projet de Siemens VAI avec ArcellorMittal en 2007 induit, de toute évidence, qu'elle a utilisé les informations confidentielles recueillies pour ses projets de 2012 et 2013 avec cette même société ;
- les observations de l'huissier sur l'absence de similitude entre XLine et DGSIS constituent des appréciations de sa part qui sont réputées non écrites.

42. La société Deepgray Vision soutient que :
- dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018, l'huissier et l'expert informatique relèvent expressément l'absence de détention du code source du logiciel XLine et l'absence de toute similitude de leur propre solution d'inspection automatique de surface avec ce logiciel ;
- son dossier crédit impôt recherche, rédigé en 2013, décrit précisément le caractère obsolète des systèmes industriels alors disponibles sur le marché, dont celui de Clecim ;
- le système qu'elle a développé est en tous points distinct du système de Clecim, notamment en termes d'architecture, d'électronique, de langage de programmation, de missions, de caméras et de protocoles ;
- en cas de doute du tribunal quant à l'originalité de sa solution d'inspection automatique de surface, il y aurait lieu d'ordonner une expertise sur ce point ;

Réponse du tribunal

43. C'est à juste titre que la société Deepgray Vision relève que les allégations de la société Clecim sur la contrefaçon du logiciel XLine par le logiciel DGSIS ne reposent sur aucune pièce probante et sont même expressément démenties par les observations de l'expert en informatique ayant assisté l'huissier durant les opérations de saisie contrefaçon.

44. En effet, celui-ci a déclaré "nous observons que la société Deepgray Vision développe une application en son nom, laquelle est réalisée sur d'autres technologies et langages de développement que ceux indiqués par Primetals".
Ces déclarations ne sont pas réputées non écrites, comme le soutient la société Clecim, dès lors que les ordonnances ayant autorisé la saisie contrefaçon autorisaient l'huissier à poser toutes question afin, notamment, "d'obtenir une copie des codes sources et des fichiers exécutables de la requérante que la société Deepgray Vision utilise en violation de ses droits" et que c'est dans ce cadre que s'inscrivaient les déclarations de l'expert précitées.

45. Par ailleurs, il s'est écoulé un délai de 10 mois entre la création de la société Deepgray Vision et sa demande d'éligibilité au statut de jeune entreprise innovante et de crédit impôt recherche.
En février 2013, l'administration fiscale, notamment sur la base d'un avis du 11 février 2013 du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, a fait droit à cette demande.
Il ressort expressément de cet avis - et de la copie du dossier que la société Deepgray Vision verse aux débats - qu'elle avait engagé 170.000 euros de dépenses de recherche en 2012 pour le recueil de données et que les travaux, notamment de détermination de nouveaux algorithmes, devaient être poursuivis en 2013, de sorte que le logiciel DGSIS n'était aucunement créé et ni développé à cette date. Il en ressortait également l'état de l'art et les défauts des systèmes industriels présents sur le marché (parmi lesquels celui de la demanderesse).

46. Il ne saurait donc en être déduit une quelconque contrefaçon du logiciel XLine et il s'en évince, au contraire, qu'il s'agit d'une solution innovante.
La société Clecim ne produisant aucun autre argument, ses allégations de contrefaçon ne sont donc pas établies, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une mesure d'instruction sur ce point.

47. Les demandes de réparation et d'interdiction de faire usage du logicielXLine sont rejetées.
Par ailleurs, la demande de la société Clecim tendant à interdire à la société Deepgray Vision "toute activité liée à l'inspection de surface" n'est justifiée ni en droit ni en fait et sera également rejetée.

III - Sur la contrefaçon des marques XLine et SIAS

1- Sur les titres

Moyens des parties

48. La SAS Deepgray Vision fait valoir que la SAS Clecim ne fournit qu'une impression d'écran de la base marque de l'INPI pour les marques françaises SIAS no3391684 et XLine no3391687, et des extraits détaillés du registre de l'OMPI s'agissant des marques internationales SIAS no901 808 et XLine no901 458, et pas de certificat d'enregistrement, seul document susceptible de lui donner qualité pour agir en contrefaçon de marque, de sorte qu'elle n'a pas qualité pour agir.

49. La SAS Clecim soutient que les photocopies du Bulletin officiel de la propriété industrielle délivrées par l'OMPI, tout comme les extraits de la base officielle de l'INPI sont probants.

Réponse du tribunal

50. La société Clecim produit deux extraits du Bulletin officiel de la propriété industrielle du 7 novembre 2005 et deux résultats de recherches sur le site de l'INPI en date du 1er septembre 2019 qui font apparaître :
- une marque SIAS déposée par la SAS VAI Clecim le 7 novembre 2005 dans les classes 7, 9 et 11 sous le numéro 05 3 391 684,
- une marque XLine déposée par la SAS VAI Clecim le 7 novembre 2005 dans les classes 7, 9 et 11 sous le numéro 05 3 391 687,
pour divers produits et services parmi lesquels les appareils d'inspection de surface, appareils de détection de défauts pour les produits métallurgiques et sidérurgiques et les logiciels et leur renouvellement à la date du 1er septembre 2019.

51. Les extraits du registre international des marques versés aux débats attestent de l'enregistrement:
- le 26 avril 2006, sous le numéro 901 458, au nom de la SAS VAI Clecim (puis Siemens VAI Metals Technologies à partir du 3 décembre 2014, puis Primetals Technologies France à partir du 7 janvier 2016) de la marque XLine dans les classes 9 (appareils d'acquisition d'images) et 42 (programmation par ordinateur), sur la base d'un enregistrement en France du 21 avril 2006 sous le numéro 05/3391687, et renouvelé le 26 avril 2016, désignant la Chine, la Communauté européenne et les Etats-Unis d'Amérique ;
- le 26 avril 2006, sous le numéro 901 808, au nom de la SAS VAI Clecim (puis Siemens VAI Metals Technologies à partir du 5 décembre 2007, puis Primetals Technologies France à partir du 7 janvier 2016) de la marque SIAS dans les classes 7 (machines), 9 (appareils d'acquisition d'images), 11 (rampes d'éclairage à diodes électroluminescentes) et 42 (programmation par ordinateur), sur la base d'un enregistrement en France du 21 avril 2006 sous le numéro 05/3391684, et renouvelé le 26 avril 2016, désignant la Chine, la Communauté européenne et les Etats Unis d'Amérique.

52. La titularité de ces marques est donc suffisamment démontrée sans qu'il y ait lieu d'exiger un certificat d'enregistrement.

2- Sur le caractère distinctif de la marque SIAS

Moyens des parties

53. La SAS Deepgray Vision fait valoir que :
- le signe SIAS est un acronyme des termes Système d'Inspection Automatique de Surface et constitue lui-même un terme générique dans le secteur des équipements et logiciels pour la métallurgie, couramment utilisé par les acteurs du secteur de la métallurgie depuis de nombreuses années, en France comme à l'étranger ;
- son utilisation du terme SIAS de manière usuelle, notamment dans ses échanges d'emails avec ses clients et prospects, ne constitue pas une contrefaçon des marques SIAS.

54. La SAS Clecim soutient que :
- le terme générique est "système automatique d'inspection de surface" dont l'acronyme est SAIS, et non "système d'inspection automatique de surface",
- la marque SIAS est distinctive par son usage et par les produits et services qu'elle désigne.

Réponse du tribunal

55. La marque internationale SIAS désigne l'Union européenne et la liste des produits et services associés a été réduite aux produits décrits dans les classes 7, 9 et 11, les services de la classe 42 ayant été supprimés.

56. L'article 189 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne dispose que : "Tout enregistrement international désignant l'Union produit, à compter de la date d'enregistrement visée à l'article 3, paragraphe 4, du protocole de Madrid ou de la date d'extension postérieure à l'Union prévue à l'article 3 ter, paragraphe 2, du protocole de Madrid, les mêmes effets qu'une demande de marque de l'Union européenne." et l'article 198, 1, que la nullité des effets d'un enregistrement international désignant l'Union peut être prononcée.
L'article 14 du même règlement prévoit : "1. Une marque de l'Union européenne ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires: (...) b) de signes ou d'indications qui sont dépourvus de caractère distinctif ou qui se rapportent à l'espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l'époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d'autres caractéristiques de ceux-ci;
(...) 2. Le paragraphe 1 ne s'applique que lorsque l'usage par le tiers est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale."
L'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable à la date d'enregistrement de la marque, disposait : "Le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.
Sont dépourvus de caractère distinctif :
a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;
b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de service ;
c) Les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l'usage."

57. Il résulte des pièces du dossier que l'inspection de surface consiste dans la détection de défauts pour les produits métallurgiques et sidérurgiques.

58. La société Deepgray Vision verse aux débats notamment :
- un brevet international déposé le 26 septembre 2003 intitulé "Procédé et dispositif de contrôle de positionnement dans un système d'inspection automatique de surface" dont la description indique notamment "la technique connue d'inspection automatique de surface concernée par la présente invention, que l'on dénommera par la suite la technique SIAS",
- un article de la revue de Métallurgie d'octobre 1996 intitulé "Système d'inspection automatique de surface SIAS" débutant par "Sollac, l'Irsid et MCS Matra ont développé en commun un système d'inspection automatique défauts de surface à grande vitesse de traitement",
- une présentation interne de la société Arcellor du 12 mai 2005 relative aux "contrats de maintenance des SIAS", énumérant plusieurs systèmes existant,
ainsi que plusieurs pièces postérieures démontrant l'utilisation courante de l'acronyme SIAS pour désigner les systèmes d'inspection automatiques de surface, à sa voir des systèmes de détection des défauts mécaniques par un ensemble composé d'un éclairage de la bande, de l'enregistrement par caméras et du traitement par informatique des données pour repérer les défauts.

59. La société Clecim, pour sa part, ne verse aucune pièce utilisant l'acronyme SAIS ou la locution "système automatique d'inspection de surface" dont elle prétend qu'elle est la désignation générique de ce système.

60. Dès lors, il y a lieu de retenir, au vu des références précitées et des pièces émanant d'au moins trois grands acteurs du secteur de l'industrie métallurgique, que les systèmes d'inspection des pièces similaires à celui de la société Clecim sont désignés de façon générique par l'acronyme SIAS, et que son usage, pour désigner les mêmes produits et services que ceux des dépôts de la marque SIAS par la SAS VAI Clecim (machines, appareils d'acquisition d'images, rampes d'éclairage à diodes électroluminescentes et programmation par ordinateur), préexistait à ce dépôt.

61. La société Clecim n'apporte pas plus de justification à son affirmation selon laquelle sa marque a acquis un caractère distinctif par l'usage et celle-ci est manifestement contredite par les différentes pièces produites datant de l'année 2019 et utilisant le l'acronyme SIAS dans l'acception ci-dessus décrite et non pour désigner le système de la société Clecim.

62. Dans ces conditions, la marque française SIAS numéro 05 3 391 684 déposée par la SAS VAI Clecim le 7 novembre 2005 est nulle et l'enregistrement de la marque internationale, en tant qu'elle désigne l'Union l'Union européenne, est de nul effet pour défaut de distinctivité pour l'ensemble des produits visés aux dépôts.

63. Il y a donc lieu de prononcer leur annulation et de rejeter les demandes fondées sur sa contrefaçon.

3- Sur la contrefaçon de la marque XLine

Moyens des parties

64. La SAS Clecim soutient que :
- la SAS Deepgray Vision a utilisé et reproduit la marque XLine dans "ses différentes propositions commerciales" saisies ;
- il existe une double identité de signe et de produit ;
- cette reproduction pour des produits et services similaires porte atteinte à la fonction essentielle de la marque en ce qu'elle laisse croire que la société Deepgray Vision est sa successeure ;
- il ne s'agit aucunement d'une référence nécessaire pour indiquer la destination du produit.

65. La SAS Deepgray Vision fait valoir qu'elle n'a utilisé les marques SIAS et XLine qu'à titre de référence nécessaire pour désigner le système et le logiciel éponyme, en particulier pour satisfaire aux demandes de maintenance de ces éléments qui émanent de ses clients et elle ne les a jamais reproduites.

Réponse du tribunal

66. L'article 14 du règlement (UE) 2017/1001 précité prévoit :
"1. Une marque de l'Union européenne ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires:
(...) c) de la marque de l'Union européenne pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque l'usage de cette marque est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique que lorsque l'usage par le tiers est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale."
L'article L. 713-6, I, 3o, du code de la propriété intellectuelle prévoit: "Une marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, conformément aux usages loyaux du commerce, (...) de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque cet usage est nécessaire pour indiquer la destination d'un produit ou d'un service, notamment en tant qu'accessoire ou pièce détachée."

67. En l'occurrence, la société Clecim n'a pas cru bon de viser précisément les pièces démontrant la contrefaçon de la marque XLine.
Il résulte des pièces saisies (communiquées sous le no25 dans les pièces de la demanderesse) que le terme "XLine" figure 9 fois dans 7 courriels émanant de M. [H] de la société Deepgray Vision et sert à chaque fois à désigner le système équipant le client comme accessoire de la prestation de maintenance.
Dans toutes ces hypothèses, il s'agissait d'un usage nécessaire pour désigner le produit du titulaire de la marque sans aucune mention de nature à laisser croire que la société Deepgray Vision succédait à la société Clelim.

68. La contrefaçon de la marque, ni la moindre atteinte à celle-ci, n'est donc pas démontrée et il y a lieu de rejeter les demandes de la société Clecim de ce chef.

IV - Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Moyens des parties

69. La SAS Clecim soutient que :
- la SAS Deepgray Vision s'est appropriée sa notoriété et le succès des produits qu'elle commercialise et a détourné la clientèle qui lui était traditionnellement attachée ;
- la SAS Deepgray Vision a commis les manoeuvres suivantes : utilisation d'informations confidentielles, commercialisation d'un logiciel prétendument nouveau, démarchage de ses clients, utilisation des marques, valorisation de l'expérience acquise alors que les fondateurs étaient ses salariés.

70. La SAS Deepgray Vision fait valoir que :
- aucune des pièces adverses n'établit d'acte de concurrence déloyale et/ou parasitaire qui lui soit imputable ;
- aucun de ses fondateurs n'était lié à la société Clecim par une clause de non-concurrence lorsque s'est déroulée l'opération de tierce maintenance litigieuse, en novembre 2014 ;
- elle ne procède à aucune publicité mensongère sur son site Internet et n'a jamais indiqué à ses clients que la société Clecim ne maintenait plus ses systèmes ;
- la solution qu'elle commercialise a été développée de façon autonome et indépendante, sur plus d'une année, en rupture avec l'état de l'art existant alors en la matière ;
- la simple détention / information sur les tarifs de sa concurrente ne constitue pas un acte de concurrence déloyale en l'absence de preuve d'une utilisation de ces informations pour pratiquer des tarifs systématiquement plus bas ;
- ce sont les clients de la société Clecim eux-mêmes qui font appel à elle (et non l'inverse).

Réponse du tribunal

71. La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l'article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, ceux parasitaires visant à s'approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d'un savoir-faire, de travaux ou d'investissements ou encore, ceux constitutifs d'actes de dénigrement ou de désorganisation d'une entreprise.

72. Il est constant que les fondateurs de la société Deepgray Vision sont d'anciens salariés de la société Clecim, démissionnaires en 2011, et non liés par une clause de non concurrence.
Il n'est pas contesté que la démission des fondateurs de la société Deepgray Vision était motivée par la fermeture de l'établissement de [Localité 7] dans lequel ils étaient employés, et non par un projet personnel de création d'entreprise.

73. Aucune des pièces versées aux débats ne corrobore les manoeuvres énumérées par la société Clecim. Au contraire les pièces recueillies dans le cadre de la saisie-contrefaçon accréditent les affirmations de la société Deepgray Vision sur le fait qu'aucune information confidentielle n'a été exploitée, que le système Deepgray fonctionne avec une technologie différente du système SIAS de la société Clecim et qu'aucune confusion n'a été entretenue entre la société Deepgray Vision et la société Clecim, la première tendant au contraire à se démarquer de la seconde.

74. Il est certain que les fondateurs de la société Deepgray Vision ont valorisé, notamment, leur expérience acquise alors qu'ils étaient les salariés de la société Clecim et qu'ils ont approché ou été approchés par ses anciens clients.
Pour autant cette valorisation d'expérience est parfaitement légitime et ne saurait être reprochée ni être qualifiée d'agissement s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle. Quant au démarchage d'anciens clients, corollaire du principe de liberté du commerce, il n'est pas plus contraire à lui seul aux usages de la vie des affaires.

75. La concurrence déloyale n'étant pas établie, il y a lieu de rejeter les demandes de ce chef.

V . Sur les demandes reconventionnelles

1- Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour dénigrement

Moyens des parties

76. La SAS Deepgray Vision fait valoir que :
- en janvier 2019 les dirigeants de Clecim se sont livrés à une véritable campagne de dénigrement à son encontre, présentant la contrefaçon comme avérée, alors qu'il n'existait qu'une ordonnance de saisie-contrefaçon non-publique et non-contradictoire ;
- la SAS Clecim a cherché par ses agissements à dissuader leurs clients communs de contracter avec elle, voire même de remettre en cause les contrats déjà conclus et a été condamnée par ordonnance de référé du 19 mars 2019 à cesser ce dénigrement sous astreinte de 5.000 euros par infraction considérée ;
- ce dénigrement a nécessité beaucoup d'énergie et de temps à rassurer les clients et lui a fait perdre la clientèle de son principal client, le groupe ArcelorMittal, avec lequel elle réalisait alors 71% de son chiffre d'affaires, et qui a suspendu leur collaboration du fait de la présente procédure.

77. La SAS Clecim soutient que :
- les termes de sa lettre du 22 janvier 2019 étaient modérés et non péremptoires, faisant état d'une décision qui, quoique non contradictoire, n'en était pas moins publique ;
- il n'est pas démontré que les destinataires de la lettre auraient, à la suite de sa réception, interrompu toute relation commerciale avec la SAS Deepgray Vision ;
- il n'existe aucun lien de causalité entre la prétendue décision d'Arcelor Mittal d'arrêter les nouvelles commandes auprès de la SAS Deepgray Vision et sa prétendue perte de chiffre d'affaires ;
- en 2016, soit seulement trois ans après sa création, la SAS Deepgray Vision réalisait déjà un chiffre d'affaires de 285.000 euros, soit la moitié du chiffre d'affaires de Clecim ; dès 2017, elle réalisait le même chiffre d'affaires que Clecim, pour le dépasser en 2018, et presque le doubler en 2019, tandis que la chute en 2020 s'explique par la crise sanitaire due au Covid-19 ainsi.

Réponse du tribunal

78. Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier.

79. Comme l'a constaté le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny dans son ordonnance du 19 mars 2019, la société Clecim a diffusé une lettre circulaire du 22 janvier 2019, notamment à la société ArcellorMittal le 24 janvier 2019, rédigée en anglais et dont la traduction - non contestée - démontre qu'elle est intitulée "Détournement et contrefaçon des droits de propriété intellectuelle de Primetals sur la technologie SIAS" et indique notamment que "le 21 novembre 2018, un tribunal français, accédant à notre requête, a admis le détournement et la contrefaçon potentiels de nos droits de propriété intellectuelle par cette société" et"Par les présentes, nous souhaitons officiellement informer votre société que, sur la base des éléments de preuve pertinents collectés, Primetals a initié, le 11 janvier 2019 une procédure judiciaire à l'encontre de la société Deepgray Vision afin de faire cesser définitivement le détournement et la contrefaçon de la propriété intellectuelle de Primetals et de prévenir tout risque pour nos clients en relation d'affaires avec cette société, dans le domaine de l'inspection de surface".

80. Il résulte de cette lettre, que la société Clecim qualifie elle-même de "communiqué", qu'elle a présenté à plusieurs clients comme acquis en justice le principe d'une contrefaçon par la société Deepgray Vision, sans user du conditionnel, seul l'adjectif "potentiel" venant nuancer légèrement le propos. Elle tendait également à dissuader ses destinataires, parmi lesquels la société ArcelorMittal, de poursuivre leurs relations avec à la société Deepgray Vision et donc de déstabiliser ce nouveau concurrent, en lui faisant perdre la clientèle d'un acteur majeur du secteur.

81. Bien qu'il ne soit pas nécessaire que l'information divulguée soit fausse pour caractériser le dénigrement, le tribunal observe en l'occurrence que la société Clelim ne pouvait ignorer à cette date que la saisie contrefaçon avait montré, d'une part, que la société Deepgray Vision ne détenait pas de copie, même partielle, du logiciel XLine et, d'autre part, qu'elle avait développé un système d'inspection de surface différent.

82. Ce procédé peut être qualifié de dénigrement et s'écarte des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires.

83. La société Deepgray Vision démontre que, dès réception de cette lettre, par courriel du 24 janvier 2019, le vice-président de la société Arcelor Mittal a donné instruction aux services achats du groupe de suspendre toute nouvelle activité avec elle et de signaler tous les contrats en cours dont la suspension pourrait devenir nécessaire.

84. Il en résulte qu'elle a dû essayer de rassurer ses interlocuteurs et argumenter pour tenter de redresser la situation.
Elle démontre également par une attestation circonstanciée de la société d'expertise comptable Exponens du 23 mars 2022 que :
- ce client représentait alors 70 % de son chiffre d'affaires,
- celui-ci, qui était en forte hausse depuis 2016 (de 285.000 euros à 764.000 euros en 2018) a diminué sensiblement en 2019 (711.000 euros), a été réduit à néant en 2020 et ressortissait à 152.200 euros en 2021,
- que son taux de marge nette était de 35 % en 2017, 52 % en 2018 et 46 % en 2019.

85. C'est à juste titre que la société Clecim fait observer que la pandémie de Covid-19 survenue en 2020 est à l'origine d'une suspension de l'activité d'Arcelor Mittal, de sorte que le chiffre d'affaire de 2020 ne saurait être expliqué par l'effet négatif du dénigrement opéré. En revanche, la baisse de l'activité de 2019 avec cette société apparaît directement corrélée avec celui-ci.

86. Au regard de ces éléments et de l'activité de la société, il y a lieu de fixer à 100.000 euros le montant de la réparation des actes de concurrence déloyale et de condamner la société Clecim à payer cette somme à la société Deepgray Vision.

2 - Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive

Moyens des parties

87. La SAS Deepgray Vision fait valoir que la société Clecim a abusé de son droit d'agir en ce que :
- la présente procédure a été engagée dans le seul but de lui nuire afin de l'écarter du marché de l'inspection de surface, comme en témoignent le montant exorbitant des demandes indemnitaires destinées à la mener à la ruine et son instrumentalisation pour ternir sa réputation et son image sur le marché de l'inspection de surface ;
- les griefs de contrefaçon n'ont aucun fondement ni aucune base factuelle autre qu'une unique attestation d'un salarié.

88. La SAS Clecim soutient qu'il n'existe aucun abus de sa part du droit d'agir en justice.

Réponse du tribunal

89. Le droit d'agir en justice participe des libertés fondamentales ; il est néanmoins susceptible de dégénérer en abus et toute faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité des plaideurs.

90. En l'espèce, la société Clecim a entrepris une saisie-contrefaçon sur la seule base de l'attestation de l'un de ses salariés selon laquelle, à l'occasion d'une intervention de maintenance antérieure de 4 ans, la société Deepgray Vision aurait utilisé les codes-source du logiciel XLine ainsi qu'en témoignait la modification de la version et la date du logiciel.
Elle a aussitôt diffusé auprès de leurs clients communs l'existence de cette procédure ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus.

91. Dans l'instance au fond, outre de nombreux jugements de valeur négatifs, et en dépit des maigres résultats de la saisie-contrefaçon, elle a soutenu péremptoirement des arguments dont elle ne pouvait ignorer la faiblesse et qu'elle s'est dispensée de démontrer techniquement (sur l'utilisation des codes source du logiciel XLine par la société Deepgray Vision, sur la similarité logiciels XLine et DGSIS et sur le caractère descriptif du terme SIAS) à l'appui de demandes financières considérables (des millions d'euros de dommages-intérêts et des astreintes élevées, sans la moindre pièce attestant des dommages allégués) et l'interdiction pure et simple pour la société Deepgray Vision d'exercer "toute activité liée à l'inspection de surface".

92. Le tribunal observe au surplus que la société Clecim a rejeté sans contreproposition l'offre transactionnelle de la société Deepgray Vision de mai 2019 et s'est déclarée défavorable à une mesure de médiation proposée par le tribunal.

93. Ces éléments caractérisent de la part de la société Clélim d'une intention de nuire à la société Deepgray Vision et de détourner le but de l'action en justice, faisant dégénérer en abus son droit d'agir.

94. Il y a lieu de la condamner à payer à la société Deepgray Vision la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en résultant.

VI . Sur les autres demandes

95. La société Clecim, qui succombe, est condamnée aux dépens de l'instance et à payer à la société Deepgray Vision la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal,

REJETTE la demande d'annulation du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 14 décembre 2018 ;

DÉBOUTE la société Clecim de l'ensemble de ses demandes au titre de la contrefaçon du logiciel XLine ;

PRONONCE la nullité de la marque française SIAS déposée le 7 novembre 2005 dans les classes 7, 9 et 11 sous le numéro 05 3 391 684 ;

PRONONCE la nullité de s effets de l'enregistrement la marque internationale SIAS sous le numéro 901 808 en ce qu'il désigne l'Union européenne ;

REJETTE l'ensemble des demandes de la société Clecim au titre de la contrefaçon de la marque XLine ;

REJETTE l'ensemble des demandes de la société Clecim au titre de la concurrence déloyale ;

CONDAMNE la société Clecim à payer à la société Deepgray Vision la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;

CONDAMNE la société Clecim à payer à la société Deepgray Vision la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE la société Clecim aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés par Me Desrousseaux en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Clecim à payer à la société Deepgray Vision la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.

Fait et jugé à Paris le 25 Novembre 2022

Le Greffier La Présidente
Quentin CURABET Irène BENAC


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 21/01835
Date de la décision : 25/11/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-11-25;21.01835 ?
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