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18/11/2022 | FRANCE | N°20/00616

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 18 novembre 2022, 20/00616


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 20/00616
No Portalis 352J-W-B7E-CRPNF

No MINUTE :

Assignation du :
14 Janvier 2020

JUGEMENT
rendu le 18 Novembre 2022
DEMANDERESSE

Madame [Y] [X] épouse [K]
[Adresse 2]
[Localité 10]

représentée par Maître Thibault LENTINI de l'AARPI ARENAIRE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G252

DÉFENDEURS

S.A.R.L. GALERIE D'ART CASTIGLIONE
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Maryse CASSAN, avocat au bar

reau de PARIS, vestiaire #D1495

Monsieur [S] [J]
[Adresse 1]
[Localité 5]

représenté par Maître Constance DELACOUX, avocat au barreau de PARIS, vestia...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 20/00616
No Portalis 352J-W-B7E-CRPNF

No MINUTE :

Assignation du :
14 Janvier 2020

JUGEMENT
rendu le 18 Novembre 2022
DEMANDERESSE

Madame [Y] [X] épouse [K]
[Adresse 2]
[Localité 10]

représentée par Maître Thibault LENTINI de l'AARPI ARENAIRE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G252

DÉFENDEURS

S.A.R.L. GALERIE D'ART CASTIGLIONE
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Maître Maryse CASSAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1495

Monsieur [S] [J]
[Adresse 1]
[Localité 5]

représenté par Maître Constance DELACOUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0804

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Irène BENAC, Vice-Présidente
Mme Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DÉBATS

A l'audience du 23 Septembre 2022 tenue en audience publique devant Irène BENAC et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seuls l'audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 18 Novembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [Y] [X], épouse [K], se présente comme une sculptrice, auteure notamment d'une série de sculptures dénommées "Baby Bouddha" en 2008 et d'une sculpture dénommée "Lapin Doudou", en septembre 2012.

La SARL Galerie d'art Castiglione, immatriculée au RCS de Paris depuis le 6 janvier 1977 et dont le gérant est M. [V] [Z], a pour activité l'achat et la vente d'objets d'art, notamment dans ses neuf galeries [V] [Z].
Elle a exposé et vendu certaines sculptures de Mme [K], parmi lesquelles 7 exemplaires en bronze de 2,20 mètres de la sculpture Lapin Doudou et 24 exemplaires de 38 centimètres de deux déclinaisons de Baby Bouddha, réalisés en Thaïlande en 2013 et 2014.

M. [S] [J] se présente comme un peintre-sculpteur, auteur notamment d'une sculpture "Lapin qui court" en 2015. Il indique avoir créé en 2008 une société thaïlandaise nommée [J]bronze Co. Ltd dont il a été, jusqu'à sa retraite, artiste designer salarié.

Soutenant que la SARL Galerie d'art Castiglione avait fait éditer et mis en vente, d'une part, des sculptures Lapin Doudou en laiton (et non en bronze) et Baby Bouddha d'une qualité d'exécution médiocre et, d'autre part, des sculptures contrefaisant son Lapin Doudou, signées de M. [J], Mme [K], après une vaine tentative d'accord amiable, a fait procéder à une saisie-contrefaçon au sein de la galerie [V] [Z] de [Localité 12] le 19 décembre 2019.

Par acte du 14 janvier 2020, Mme [K] a assigné M. [J] et la SARL Galerie d'art Castiglione devant le tribunal judiciaire de Paris en réparation de ses préjudices résultant des atteintes à ses droits d'auteur sur les sculptures Lapin Doudou et Baby Bouddha.

Par ordonnance du 17 décembre 2021, le juge de la mise en état a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par M. [J] tirées du défaut de qualité à agir de Mme [K] et de son propre défaut de qualité à défendre à la demande incidente de la SARL Galerie d'art Castiglione et condamné M. [J] à payer à Mme [K] la somme de 3.000 euros en réparation de son préjudice moral du fait du caractère dilatoire de l'incident.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 décembre 2021, Mme [K] demande au tribunal, au visa des articles L.111-1 et suivants, L.121-1 et suivants, L.122-1 et suivants, L.122-4 et L.331-1-4 du code de la propriété intellectuelle, de :
- rejeter la demande de nullité de la saisie-contrefaçon formée par la SARL Galerie d'art Castiglione ;
- condamner la SARL Galerie d'art Castiglione à lui payer la somme 50.000 euros en réparation de l'atteinte à son droit moral sur son oeuvre Lapin Doudou, du fait de la fabrication, de l'offre à la vente et de la vente de sculptures défectueuses et présentée à tort comme étant en bronze ;
- condamner la SARL Galerie d'art Castiglione à lui payer la somme 50.000 euros en réparation de l'atteinte à son droit moral sur son oeuvre Baby Bouddha, du fait de la fabrication, de l'offre à la vente et de la vente de sculptures de qualité médiocre ;
- condamner solidairement la SARL Galerie d'art Castiglione et M. [J] à lui payer :
- la somme 170.000 euros en réparation de l'atteinte à ses droits patrimoniaux d'auteur,
- la somme 30.000 euros en réparation de son préjudice moral,
- la somme 50.000 euros en réparation de l'atteinte à son droit moral,
du fait des actes de contrefaçon de son oeuvre Lapin Doudou ;
- faire interdiction à la SARL Galerie d'art Castiglione et à M. [J] de fabriquer, d'exposer, d'offrir à la vente et de vendre la sculpture litigieuse contrefaisante sous astreinte définitive de 10.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- ordonner le rappel des circuits commerciaux et la destruction dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard de la totalité des sculptures grand Lapin Doudou défectueuses, la totalité des sculptures Baby Bouddha de qualité médiocre et la totalité des sculptures contrefaisantes de la sculpture Lapin Doudou ;
- dire que le tribunal judiciaire de Paris sera compétent pour connaître de la liquidation des astreintes qu'il aura ordonnées ;
- ordonner la publication dans cinq journaux et sur la page d'accueil du site Internet de M. [J] aux frais des défendeurs de la décision rendue ;
- condamner solidairement la SARL Galerie d'art Castiglione et M. [J] aux dépens (comprenant les frais de saisie-contrefaçon) qui seront recouvrés par Me Thibault Lentini, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile, et à lui payer la somme de 28.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeter la demande formée par M. [J] sur le fondement de la procédure abusive.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 janvier 2022, la SARL Galerie d'art Castiglione demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1 et suivants, L. 121-1 et suivants, L. 122-4, L. 331-3-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1156, 1231, 1240, 1302-1 et 1998 du code civil, de :
A titre principal :
- débouter Mme [K] de l'intégralité de ses demandes à son encontre,
- débouter M. [J] de l'intégralité de ses demandes,
- annuler la saisie-contrefaçon du 19 décembre 2020 et en donner mainlevée,
A titre reconventionnel :
- à titre principal, condamner M. [J] à lui payer la somme de 67.450 euros en remboursement des sommes payées pour la fonte des 7 Lapin Doudou défectueux, ainsi que la somme 100.000 euros réglée à la galerie RJD Gallery au titre des préjudices causés par la vente de deux Lapin Doudou défectueux ;
- à titre subsidiaire, condamner M. [J] au remboursement de la somme de 167.450 euros en vertu de la théorie du mandat apparent, ainsi que de la double confusion de patrimoine et de dénomination avec "[J] Bronze",
- à titre infiniment subsidiaire, condamner M. [J] au remboursement de la somme de 67.450 euros au titre de la répétition de l'indu,
En tout état de cause :
- condamner solidairement Mme [K] et M. [J] à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'intégralité des dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 20 janvier 2022, M. [J] demande au tribunal, au visa des articles 122 du code de procédure civile, L. 112-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1353 du code civil, de :
A titre principal :
- débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes formulées à son encontre en l'absence de protection par le droit d'auteur du Lapin Doudou,
A titre subsidiaire :
- débouter Mme [K] de l'ensemble de ses demandes formulées à son encontre pour absence de caractère contrefaisant du Lapin qui court par rapport au Lapin Doudou,
A titre principal :
- le mettre hors de cause,
- débouter la SARL Galerie d'art Castiglione de ses demandes à son encontre,
A titre subsidiaire :
- débouter la SARL Galerie d'art Castiglione de ses demandes à son encontre, en l'absence de preuve tant d'une défectuosité que de son origine,
En tout état de cause :
- condamner Mme [K] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son action abusive,
- condamner solidairement Mme [K] et la société SARL Galerie d'art Castiglione à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un exposé complet de l'argumentation des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions précitées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 février 2022.

MOTIVATION

Les demandes des parties de "dire et juger" ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais constituent en réalité le rappel des moyens invoqués ; en conséquence, elles ne sont pas rappelées dans le résumé des demandes et le tribunal ne statuera pas sur celles-ci.

I . Sur la sculpture "Lapin Doudou"

1 . Sur la qualité d'oeuvre protégée

Moyens des parties

Mme [K] fait valoir que la notion d'oeuvre au sens de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle ne recoupe pas celle, plus restrictive, d'oeuvre d'art au sens du code général des impôts et que la notion d'oeuvre originale au sens de l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle est distincte de celle d'exemplaire original.
Elle justifie l'originalité de la sculpture Lapin Doudou dans les termes suivants :
"ces sculptures Lapin Doudou évoquant un lapin en peluche mais nettement plus grandes que la taille réelle d'une peluche (la version la plus grande atteignant 2,20 mètres) (...) le paradoxe produit par la représentation en grande taille de cet objet intime, normalement toujours de petite taille car à destination des enfants.
Les yeux figurent un regard à la fois affectueux et étonné. Ils sont matérialisés par deux disques en relief, pour affirmer le regard, et apposés sur un visage ovale totalement lisse. L'extrémité basse du visage figure le museau par une forme ovale. Les oreilles, longues et fines, s'élargissent au fur et à mesure pour former en leur extrémité une masse oblongue. Elles comportent une brisure en leur début, peu après la tête, de sorte que les oreilles retombent vers le dos du lapin.
Le lapin se tient debout, très droit, comme sur la pointe des pieds, ce qui produit une nette sensation de verticalité. Il adopte une posture humaine. Les bras sont tendus, en retrait du buste. Le buste est élancé et adopte la forme schématisée d'un buste humain. Les jambes sont courtes et aboutissent sur des longs pieds de forme oblongue. La sculpture est lisse et monochrome.
L'aspect lisse de la sculpture est une invitation à caresser l'objet pour créer une intimité avec lui, comme pour l'enfant avec sa peluche.
La forme générale des terminaisons (pattes, bras, mains, oreilles) est arrondie, afin de produire un effet de douceur. Cet effet de douceur est renforcé par l'aspect totalement lisse de la sculpture et son caractère monochrome".

La SARL Galerie d'art Castiglione fait valoir que la description de l'oeuvre correspond au genre "bestiaire monochrome", qui n'est pas protégeable au titre du droit d'auteur.

M. [J] soutient que, en application du code général des impôts et de l'article 122-8 du code de la propriété intellectuelle, le nombre des reproductions du Lapin Doudou, dépassant 8, empêche sa qualification d'oeuvre d'art et celle d'oeuvre originale et que le Lapin Doudou, tel que décrit par Mme [K], n'a que des caractéristiques banales et usuelles pour représenter un lapin.

Réponse du tribunal

L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

L'originalité de l'oeuvre, qu'il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu'elle soit issue d'un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur.
La reconnaissance de la protection par le droit d'auteur ne repose donc pas sur un examen de l'oeuvre invoquée par référence aux antériorités produites, même si celles-ci peuvent contribuer à l'appréciation de la recherche créative.
L'originalité de l'oeuvre peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements mais également, de la combinaison originale d'éléments connus.

La protection du droit d'auteur bénéficie à toute oeuvre originale.
Il est indifférent que celle-ci soit une oeuvre d'art au sens du code général des impôts.
Elle n'est pas plus limitée aux exemplaires originaux des oeuvres graphiques ou plastiques dont l'article 122-8 du code de la propriété intellectuelle réglemente le droit de suite.

Les défendeurs font observer à juste titre que la représentation sculpturale du lapin, surdimensionné, fortement stylisé, monochrome et traité en matériaux lisses, est courante dans l'art depuis le XXème siècle.

Cela n'exclut pas l'originalité d'oeuvres appartenant à ce genre, qui s'apprécie au cas par cas.

S'agissant du Lapin Doudou, Mme [K] a choisi de représenter non pas un lapin mais un objet transitionnel destiné aux petits enfants, le doudou, caractérisé par des formes simples, non articulées et dépourvues de détails figuratifs.
Il s'agit d'un objet et non d'un animal, réalisé en très grand format.
Elle lui a aussi donné une posture inattendue, en élongation verticale, qui le distingue à la fois des doudous et des lapins qui l'inspirent.

Les caractéristiques de cette sculpture, à savoir :
- la représentation surdimensionnée d'un objet intime destiné aux enfants,
- prenant la forme d'un lapin à silhouette humanoïde en posture verticale,
- des formes simples, arrondies, douces et lisses, sans détails figuratifs, à l'exception des yeux,
- des membres à peine ébauchés et des oreilles sans aucun détail retombant sur le dos du lapin après une brisure,
- la monochromie (rouge, blanc ou chocolat),
ne sont ni banales, ni usuelles pour représenter tant un doudou qu'un lapin.

La sculpture Lapin Doudou résulte de choix esthétiques et d'un travail créatif propres de Mme [K]. Elle doit donc bénéficier de la protection par le droit d'auteur.

2 . Sur la qualité d'auteur

Moyens des parties

Mme [K] fait valoir que :
- elle est auteur pour avoir imaginé la sculpture et réalisé des maquettes avant de faire exécuter un moule et tirer des exemplaires ;
- la qualité d'auteur n'est pas soumise à la preuve d'être à l'origine du moulage du premier exemplaire de l'oeuvre et, en toute hypothèse, ce premier moulage a été fait sous sa direction ;
- les oeuvres ont été divulguées sous son nom de sorte qu'elle bénéficie de la présomption de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle .

M. [J] fait valoir que Mme [K] ne rapporte pas la preuve de sa qualité d'auteur du premier exemplaire, qui a été réalisé par la SARL Fathec.

Réponse du tribunal

L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que : "L'oeuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l'auteur." et aux termes de l'article L. 113-1 du même code "La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée."

Mme [K] verse aux débats plusieurs factures à partir du 25 septembre 2012 portant sur la réalisation de moules de la sculpture "doudou lapin" ou "lapin" dans divers formats ainsi que du coulage et de la peinture des pièces.
Elle produit aussi des catalogues à son nom faisant figurer le Lapin Doudou et des attestations, démontrant que cette oeuvre est divulguée exclusivement sous son nom.

Mme [K] est donc titulaire du droit d'auteur sur cette sculpture.

3 . Sur l'atteinte au droit moral par les reproductions défectueuses

Moyens des parties

Mme [K] fait grief à la SARL Galerie d'art Castiglione d'avoir fait réaliser et mis en vente des reproductions de mauvaise qualité, en laiton et non en bronze conduisant à ce qu'elles, "se fissurent et se détériorent au contact des intempéries" sans le révéler préalablement aux clients de sorte que "son oeuvre Lapin Doudou est ainsi détériorée aux yeux du public".
Elle fait valoir que les exemplaires en grande taille de son Lapin Doudou ont été réalisés à l'initiative de la SARL Galerie d'art Castiglione, qui en est maître d'ouvrage, par un prestataire qu'il a choisi et rémunéré, et que, de l'aveu même de la SARL Galerie d'art Castiglione, 5 des 7 exemplaires coulés ont dû être remplacés ce qui démontre leur caractère défectueux, également établi par les photographies envoyées par la galerie RDJ Gallery.

La SARL Galerie d'art Castiglione fait valoir que
- les reproductions ont été faites à partir d'une pièce originale que Mme [K] a envoyée en Thaïlande à ses frais et sous sa supervision ;
- elle a appris, en même temps que l'artiste, que les reproductions étaient en laiton, métal qu'il n'est pas aisé de différencier du bronze car ce sont tous deux des alliages de cuivre ;
- Mme [K] a quand même signé deux exemplaires de ces sculptures, les sachant en laiton,
- elle a pris en charge l'indemnisation des clients ayant acheté des sculptures dégradées et un seul des sept exemplaires est encore chez un client ;
- les oeuvres en bronze coulées en Italie présentent aussi des dégradations de surface ;
- l'absence de cote de Mme [K] au marché de l'art justifie de ne pas lui reconnaître une atteinte à son droit moral.

M. [J] souligne que les prétendues défectuosité de ces lapins ne sont pas prouvées et ne reposent que sur les déclarations de M. [H], sans aucune expertise. Il précise que des fissures peuvent avoir de multiples causes, et notamment des chocs, et que toutes les parties connaissaient les particularités du "bronze thaï".

Réponse du tribunal

L'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit : "L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre."
Le respect de l'oeuvre implique qu'elle ne soit ni altérée ni déformée, conditions qui s'apprécient en fonction notamment de la destination de l'oeuvre.
La réalisation de l'oeuvre dans un matériau inadapté ou ne permettant pas d'assurer son intégrité est susceptible d'affecter le droit moral de l'auteur s'il l'altère ou la dénature.

Les pièces du dossier démontrent que la reproduction du Lapin Doudou dans le format 2,20 mètres par une entreprise thaïlandaise a été commandée sans aucun formalisme contractuel.

Ni la SARL Galerie d'art Castiglione, ni Mme [K] n'ont formulé de spécifications particulières quant à la réalisation du modèle à la cire, du moule, de la composition du matériau de coulage et du traitement des finitions.

Sur le plan technique, Mme [K] a envoyé une de ses propres réalisations dans le format 1,60 mètres et a donné des instructions à M. [J] pour l'agrandissement du modèle et la réalisation du moule en visioconférence, mais aucune quant au matériau à utiliser, ni aux exigences de durabilité, notamment en cas de conservation en plein air. A l'issue, elle a validé la réalisation ainsi qu'en témoignent les termes de son courriel du 5 octobre 2013 à M. [J] : "La sculpture est validée. Merci beaucoup pour ton travail." (pièce 46 de M. [J]).

S'agissant du matériau, il est constant que les sept exemplaires de 2,20 mètres du Lapin Doudou ont été réalisé en laiton, alors que leur facturation, les 9 août 2013 et 28 octobre 2014, est intitulée "bronze sculpture" et mentionne des "sculptures originales en bronze".

Les courriels échangés entre Mme [K] et la SARL Galerie d'art Castiglione montrent que toutes deux savaient, au plus tard le 15 avril 2015, que les sculptures étaient en laiton. En effet, dans son courriel de cette date, Mme [K] indique qu'elle préfère faire couler les pièces moyennes et petites en Italie "c'est le même prix qu'[S], voire peut-être moins cher et c'est à 4 heures de [Localité 10], c'est du bronze pas du laiton" et elle n'a fait aucune réserve sur ce point.

Ces éléments démontrent que le choix de couler les statues en laiton et la qualité du résultat final permettant la mise en vente ont été validés par Mme [K] aussi bien que par la SARL Galerie d'art Castiglione.

Dans ces conditions, Mme [K] est mal fondée à le reprocher à la SARL Galerie d'art Castiglione.

Trois ans plus tard, le 25 avril 2018, Mme [K] a écrit à la SARL Galerie d'art Castiglione : "Des clients m'ont contacté pour se plaindre de leurs sculptures, me demandant d'intervenir, de réparer leurs lapins, qu'il m'est impossible d'identifier numérotage etc. Ils m'indiquent que les sculptures se sont abîmées.
Cette fabrication est décidément un mauvais choix, quand tu m'as annoncé que ce n'était pas du bronze mais du laiton et quand on voit tous les problèmes que cela occasionne.
La sculpture est belle, mais d'avoir choisi des matériaux de mauvaise qualité, cela finit par coûter plus cher en fin de course plus que le bronze.
Si cela jette le discrédit sur mon propre travail et me décrédibilise, ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus, c'est l'état des sculptures chez les clients."
et le 16 juillet 2019, son conseil en a demandé le retrait.

L'étendue et la gravité des défauts de ces statues ressort d'un courriel du 1er juin 2018 de M. [H], directeur de la galerie RJD Gallery ayant acheté, le 28 janvier 2017 "two original sculptures by artist Veronique [K] (...) Media : BRONZE painted in white" indiquant que les deux lapins se fissurent et comportent beaucoup de petites fractures comme si ces sculptures avaient été faites en morceaux et non moulée, assorti de quelques photographies en gros plan des fissures.

La SARL Galerie d'art Castiglione indique elle-même dans ses conclusions qu'elles a dû rembourser ces deux sculptures et que la troisième vendue a dû être remplacée, sans préciser les causes de ce remplacement.

Dès lors, s'il apparaît que les sculptures sont altérées, il n'est pas établi que les dégradations résultent de la fabrication en laiton plutôt qu'en bronze, ni en quoi elles seraient imputables à la SARL Galerie d'art Castiglione. Mme [K] ne saurait donc reprocher à cette dernière d'avoir porté atteinte à son droit moral d'auteur.

La facture de vente de deux exemplaires du grand Lapin Doudou de la SARL Galerie d'art Castiglione à la galerie RJD du 28 janvier 2017 indique "two original sculptures by artist Veronique [K] (...) Media : BRONZE painted in white" (pièce 9.3 de Mme [K]), ce qui démontre que la SARL Galerie d'art Castiglione a vendu ces sculptures comme du bronze (bronze) à cette galerie américaine alors qu'elle savait qu'elles étaient en laiton (brass).

Si cette indélicatesse était susceptible d'entacher la réputation de probité de Mme [K], elle n'a pas altéré ou dénaturé la représentation de son oeuvre qu'elle a toujours jugé très belle, et n'a pas porté atteinte à son droit moral.

Il y a lieu de débouter Mme [K] de l'ensemble de ces demandes au titre de son droit moral sur son oeuvre Lapin Doudou.

4 . Sur la contrefaçon par le Lapin qui court de M. [J]

Moyens des parties

Mme [K] soutient que :
- la sculpture "Lapin qui court" signée [J] exposée, offerte à la vente et vendue par la SARL Galerie d'art Castiglione constitue une adaptation non autorisée, et donc la contrefaçon de sa sculpture Lapin Doudou ;
- la contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non les différences ;
- les différences entre la sculpture lapin de M. [J] et sa sculpture lapin Doudou (l'une est en mouvement et l'autre immobile) sont insignifiantes et n'écartent pas l'impression d'ensemble identique dégagée par les ressemblances de "la forme ovale du visage et les deux disques sobres figurant les yeux sur un visage totalement lisse" la forme générale des oreilles, des bras, du buste et des jambes, les extrémités arrondies, la position "debout sur la pointe des pieds", l'aspect général "lisse et monochrome" et le grand format de réalisation ;
- elle déclinait le Lapin Doudou dans d'autres sculptures de sorte que le Lapin qui court semblait s'inscrire dans ce mouvement ;
- M. [J] a réalisé cette pièce, très différente du reste de sa production, immédiatement après avoir travaillé sur son Lapin Doudou et les deux oeuvres, dans le même coloris blanc, ont été présentées ensemble dans la galerie [V] [Z] de [Localité 6] en janvier 2016, puis le Lapin qui court seul à [Localité 12] ;
- en fabricant, en offrant à la vente et en vendant la sculpture Lapin qui court signée [J], la SARL Galerie d'art Castiglione et M. [J] portent atteinte à ses droits patrimoniaux et moraux d'auteur sur son oeuvre Lapin Doudou.

La SARL Galerie d'art Castiglione soutient que :
- le Lapin qui court d'[S] [J] ne contrefait pas le Lapin Doudou en l'absence de reprise des éléments caractéristiques portant l'empreinte de la personnalité de Mme [K] que sont la forme du visage, des yeux, des oreilles et des membres ;
- le bestiaire monochrome aux formes simplifiées relève d'un genre que Mme [K] ne saurait revendiquer ;
- il n'existe aucun risque de confusion.

M. [J] fait valoir que le seul point commun des deux sculptures est qu'elles sont inspirées d'un lapin, mais l'une est une peluche et l'autre un lapin anthropomorphe. De plus, les yeux et les oreilles sont bien différents, de même que les proportions du corps (les cuisses sont charnues et musclées, les fesses galbées) et il y a une queue. Enfin, la posture du Lapin qui court est dynamique tandis que le Lapin Doudou est inerte.

Réponse du tribunal

En application des dispositions des articles L122-1 et L122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
La contrefaçon d'une oeuvre protégée par le droit d'auteur, qui n'implique pas l'existence d'un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques reconnues comme étant constitutives de son originalité.
La contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non d'après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d'un genre et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l'oeuvre première.

La SARL Galerie d'art Castiglione a commandé à M. [J], qui venait de réaliser la reproduction de 2,20 m du Lapin Doudou de Mme [K], une sculpture Lapin qui court (en 4 exemplaires de 2,40 mètres et 6 exemplaires de 1,20 mètres).
Elle a ensuite exposé cette sculpture en décembre 2015 dans sa galerie de [Localité 6], avec un exemplaire du Lapin Doudou dans le même coloris mais non le même format, et en novembre 2019 dans sa galerie de [Localité 12].

La sculpture Lapin qui court de M. [J] présente des ressemblances avec la sculpture Lapin Doudou : le sujet du lapin plus ou moins humanoïde, sa taille, son traitement lisse et monochrome en blanc, rouge ou chocolat et l'absence de détails figuratifs à l'exception des yeux, soit certains des traits retenus supra pour caractériser l'originalité de l'oeuvre mais dont deux sont typiques du genre bestiaire monochrome.

Toutefois, le Lapin Doudou est figuré comme un objet - inerte - dont la position verticale est paradoxale au regard de ses membres inférieurs fléchis et ses pieds superposés, tandis que le Lapin qui court représente une créature en mouvement, animée.

De plus, le Lapin Doudou présente une forme humanoïde à peine ébauchée, sans queue, sans articulation des bras avec des membres inférieurs très courts et des oreilles sans aucun détail alors que les oreilles du Lapin qui court sont creusées, ses coudes, ses poignets et ses membres inférieurs sont bien marqués, notamment les cuisses et les fesses, et il porte une queue.

Le Lapin qui court est donc dépourvu de trois des caractéristiques essentielles (représentation d'un objet inerte, aux formes à peine ébauchées et aux oreilles tombantes) dont la combinaison a été jugée originale.

Enfin, si Mme [K] avait effectivement représenté le Lapin Doudou dans plusieurs autres sculptures auparavant, elle n'invoque pas la contrefaçon de ces autres oeuvres.
En toute hypothèse, le tribunal observe que, dans ces autres représentations, le doudou lapin n'était ni animé, ni plus détaillé, ni surdimensionné, mais apparaissait seulement en tant que jouet entre les mains d'enfants.

Il y a donc lieu de rejeter toutes les demandes de Mme [K] relatives à la contrefaçon de son oeuvre par celle de M. [J], tant à titre de dommages et intérêts que les mesures d'interdiction et de publication du jugement.

La demande de la SARL Galerie d'art Castiglione à la fois d'annuler la saisie-contrefaçon du 19 décembre 2020 et d'en donner mainlevée n'est aucunement motivée.
Or, aucun grief de nullité n'entache la mesure et sa mainlevée est sans objet, s'agissant d'une saisie-contrefaçon descriptive.
Il y a donc lieu de rejeter ces demandes.

II . Sur la série de sculptures Baby Bouddha

1 . Sur l'originalité

Moyens des parties

Mme [K] fait valoir que la notion d'oeuvre originale au sens du code de la propriété intellectuelle est distincte de celle d'exemplaire original.
Elle justifie l'originalité de la série de sculptures "Baby Bouddha" dans les termes suivants : "cette sculpture reprend les formes rondes des bouddhas japonais (en particulier concernant le crâne, les yeux, le nez et le buste) afin de donner une impression de douceur, de bonté et de sagesse et les mélange avec la forme générale d'un bébé (dont on retrouve l'aspect joufflu, ainsi que les petits pieds et les petites mains dépassant de la tunique) (...) : le bouddha (symbole d'expérience, de sagesse et de savoir) se retrouve dans le corps d'un bébé (par définition inexpérimenté, fragile et vierge de toute connaissance) (...) Ces sculptures Baby Bouddha étaient déclinées en différentes attitudes (dormant, souriant, en position du lotus, distrait)"

La SARL Galerie d'art Castiglione soutient que la sculpture Baby Bouddha ne se distingue pas des multiples sculptures de bébés Bouddha vendues sur Internet, de même forme et même posture, ni des jizos japonais qui l'inspirent, et ne porte pas d'empreinte de créativité propre à l'artiste, de sorte qu'elle est dépourvue d'originalité.

Réponse du tribunal

L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu'elle est originale, d'un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

La SARL Galerie d'art Castiglione souligne à juste titre que la représentation sculpturale de bébés Bouddah aussi bien que de Jizô, Bouddha protecteur, est courante.

Cela n'exclut pas l'originalité d'oeuvres appartenant à ces genres, qui s'apprécie au cas par cas.

S'inspirant de statuettes de Jizô observées au Japon, Mme [K] a choisi de représenter fidèlement un bébé assis, enveloppé dans un manteau ne laissant voir que ses pieds et ses mains aux doigts croisés, et dont la physionomie et le léger sourire évoquent la douceur, la bonté et la sagesse. Le corps est traité sans autres détails que les doigts et les orteils tandis que le visage détaille les yeux, le nez, la bouche et les oreilles. L'ensemble est monochrome et réalisé dans des matériaux lisses.

La série de sculptures Baby Bouddha représente un bébé, et non un Bouddha auquel il emprunte seulement l'expression de sérénité et de bonté, dans différentes attitudes (orientation de la tête, yeux ouverts ou fermés et jambes plus ou moins fléchies) mais conservant la même position du corps et des bras, assise et stable, et s'inscrivant dans un volume identique.

Ces caractéristiques traduisent une source d'inspiration ayant guidé des choix arbitraires, lesquels portent l'empreinte personnelle de leur créatrice.

Mme [K] fait justement valoir que les différents exemples de bébés Bouddha et de Jizô présentés en défense sont très différents en ce que les têtes de bébé sont disproportionnées aux corps, leurs positions ne sont pas celles d'un bébé, leurs pieds ne sont pas représentés et leurs dos sont différents. De plus, aucun ne présente l'aspect lisse et coloré de la série Baby Bouddha.

Ces différences avec les différentes représentations de bébés Bouddha et de Jizô versées aux débats démontrent de plus fort l'existence de choix esthétiques propres à Mme [K].

La série de sculptures Baby Bouddha, et particulièrement ses déclinaisons baby distracting et baby king doit donc bénéficier de la protection par le droit d'auteur.

2 . Sur l'atteinte au droit moral

Moyens des parties

Mme [K] fait grief à la SARL Galerie d'art Castiglione d'avoir fait réaliser et mis en vente des reproductions de mauvaise qualité de l'oeuvre Baby Bouddha dans ses déclinaisons baby king et distracting baby et présentant des défauts par rapport au modèle : "les doigts des mains sont effacés, les yeux sont absents et sans pupille, les oreilles sont écrasées, le nez a perdu le volume de ses narines et le dessin en relief de la bouche est effacé", portant atteinte à son droit moral sur cette oeuvre.
Elle soutient que la réalisation des 24 exemplaires de ses sculptures Baby Bouddha a été réalisé à l'initiative de la SARL Galerie d'art Castiglione, qui en est maître d'ouvrage, par un prestataire qu'il a choisi et rémunéré et que ces exemplaires ont été commercialisés malgré ses réserves et offres de reprise.
Elle évalue son préjudice à 50.000 euros.

La SARL Galerie d'art Castiglione conteste le défaut de qualité allégué. Elle ajoute que la comparaison est faite entre un modèle en résine et un moulage en bronze, nécessairement moins précis.
Elle fait valoir que les reproductions ont été faites à partir d'une pièce originale que Mme [K] a envoyée en Thaïlande à ses frais et sous sa supervision, qu'elle pouvait assurer elle-même les finitions comme c'est l'usage et qu'elle ne s'est pas opposée à leur vente.

Réponse du tribunal

L'article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit : "L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre."
Le respect de l'oeuvre implique qu'elle ne soit ni altérée ni déformée.

Il n'est pas contesté que l'auteur de cette oeuvre est Mme [K].
La notoriété de l'artiste est sans incidence sur l'étendue à la protection par le droit d'auteur.

Mme [K] avait été d'emblée très réticente à faire réaliser ces petites sculptures en Thaïlande et l'a exprimé dans les termes suivants à M. [Z] le 24 juillet 2014 : " j'ai réfléchi faire des bb en Thailande , c'est pas une bonne idée faisons d'autres sculptures la-bas.
Après réflexion cela va galvauder mes pièces, elles ont bien marché ici en France et continuent encore . quand tu les vendras, elles seront pas très belles pas bien peintes avec des coulures ou des manques de peinture (...) Tandis qu'ici en France je contrôle la qualité de la fabrication elles sont bien faites bien peintes et aussi belles que je le souhaite, fidèles à l'original.".
M. [Z] s'étant borné à lui répondre "Merde", elle a accepté de faire réaliser les sculptures en Thaïlande et a envoyé les pièces ayant servi de modèle.

12 exemplaires de baby king et 12 de distracting baby de 38 centimètres ont été réalisés sur la base d'une offre de prix du 23 juillet 2014 de la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd. Ils ont été facturés le 28 octobre 2014 à la SARL Galerie d'art Castiglione qui les a mis en vente.

Après avoir vu ces reproductions à [Localité 8], Mme [K] a écrit à M. [Z], le 27 janvier 2015, que les pièces étaient défectueuses (yeux et narines mal dessinés, volumes insuffisants) et a proposé de les reprendre une à une avant vente, ce qu'il a refusé.
Par courriel du 8 octobre 2015, elle a demandé l'arrêt de la production, la destruction des moules de ces deux oeuvres et la restitution des modèles, en vain.

Pour preuve des altérations alléguées, Mme [K] verse seulement deux photographies d'un distracting baby réalisé en résine par elle-même et d'un autre réalisé par la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd permettant de constater des finitions beaucoup moins nettes sur le second que sur le premier. M. [Z] n'a pas contesté ce fait lorsque Mme [K] lui en a fait le reproche par courriel du 27 janvier 2015 et en a poursuivi la commercialisation.
De plus les 24 pièces ont été réalisées à partir de seulement deux moules, de sorte que le tribunal retient comme suffisamment établi que l'ensemble des 24 exemplaires sont affectés des mêmes défauts.

Il a été retenu supra que l'association de formes globalement lisses et indistinctes avec des yeux, un nez, une bouche, des oreilles, des doigts et des orteils bien détaillés est une caractéristique de l'originalité de l'oeuvre.
Dès lors, le caractère indistinct de ces détails dans les 24 exemplaires coulés en Thaïlande caractérisent une mauvaise exécution altérant la forme de l'oeuvre dont la destination est purement esthétique.

En ne déferrant pas à la demande de Mme [K] du 8 octobre 2015 de cesser la vente de ces pièces malgré leurs défauts, la SARL Galerie d'art Castiglione a porté atteinte à son droit moral au respect de l'intégrité de l'oeuvre.

Mme [K] ne donne aucune explication à sa demande de 50.000 euros.

24 exemplaires ont été réalisés. Ils étaient encore en vente à [Localité 9] au printemps 2016 et à [Localité 11] le 18 avril 2019.

Au regard de ces éléments, le tribunal fixe à 12.000 euros la réparation de l'atteinte portée à son droit moral par la SARL Galerie d'art Castiglione, qui sera condamnée à lui payer cette somme.

La gravité de l'atteinte ne justifie cependant pas d'ordonner le rappel et la destruction des 24 exemplaires litigieux des sculptures Baby Bouddha mais seulement de ceux restant à ce jour dans les stocks de la SARL Galerie d'art Castiglione. Au vu des très nombreuses demandes formées en ce sens par Mme [K] et restées sans suite, il est justifié de prononcer une astreinte.
Il y a également lieu de rejeter la demande de publication du jugement.

III . Sur la demande incidente de la SARL Galerie d'art Castiglione contre M. [J]

Moyens des parties

La SARL Galerie d'art Castiglione soutient qu'elle a confié à M. [J], et non à la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd, l'exécution des sept exemplaires du « Lapin Doudou » de 2,20 mètres qu'elle lui a payés selon factures des 9 août 2013 et 28 octobre 2014, de sorte qu'il est responsable de leur mauvaise qualité et des coûts qu'elle a subis de ce fait.
Subsidiairement, elle invoque, d'une part, le mandat apparent de M. [J] et, d'autre part, la confusion de patrimoine entre M. [J] et la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd.
Très subsidiairement, elle invoque la répétition de l'indû.
M. [J] fait valoir que le co-contractant de la SARL Galerie d'art Castiglione est la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd et que lui-même est tiers à ce contrat. Il indique avoir été salarié de cette société, qui a travaillé plusieurs années avec la SARL Galerie d'art Castiglione, dont il était l'interlocuteur dès lors qu'il parlait la langue fraçaise
Il conteste la défectuosité des sculptures réalisées, déniée par le fait que la SARL Galerie d'art Castiglione a continué à travailler avec la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd et ajoute qu'elle savait, tout comme Mme [K], à quoi correspond la qualité « bronze thaï ».
Réponse du tribunal
L'article 1156 du code civil invoqué par la SARL Galerie d'art Castiglione n'était pas entré en vigueur à la date de la réalisation de la prestation litigieuse et ne saurait donc être appliqué au litige.

Les articles 1231, 1240 et 1302-1 du code civil ne l'étaient pas plus mais le tribunal retient que la SARL Galerie d'art Castiglione pouvait invoquer les articles 1147, 1382 et 1376 dans leur rédaction en vigueur lors de l'exécution des prestations et qui prévoient :
- "Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part." ;
- "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." ;
- "Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.".

L'article 1998 du code civil dispose : "Le mandant est tenu d'exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné.
Il n'est tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu'autant qu'il l'a ratifié expressément ou tacitement."

La réalisation des sept exemplaires du Lapin Doudou de 2,20 mètres n'a pas fait l'objet d'un contrat écrit.
La SARL Galerie d'art Castiglione est malvenue de faire grief à M. [S] [J] de ne pas produire la preuve de ce contrat, la charge de la preuve d'une obligation pesant sur le prétendu créancier.

La prestation a été facturée par la société thaïlandaise [J]bronze Co. ltd à la société Galerie d'art Castiglione les 9 août 2013 (modèle de cire, moule et 3 exemplaires) et 28 octobre 2014 (4 exemplaires) pour un total de 103.575 euros.
Les factures sont libellées en français et en anglais, elles sont intitulées "bronze sculpture" et mentionnent des "sculptures originales en bronze", elles sont détaillées et assorties de photographies.

La SARL Galerie d'art Castiglione affirme avoir réglé 67.475 euros à ce titre à M. [S] [J], et non à la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd. Elle n'en justifie cependant pas dès lors que sa pièce no29, présentée comme la preuve de ce paiement, fait état de deux virements respectivement de 52.300 euros le 14 février 2013 et 50.000 euros le 20 juin 2013, soit pour un total différent de celui allégué et réglé bien avant la facturation des sculptures litigieuses.

Les allégations de la SARL Galerie d'art Castiglione selon lesquelles M. [J] aurait personnellement et seul reçu la commande, réalisé les sculptures et encaissé leur prix ne sont donc corroborées par aucune pièce.

En revanche, M. [S] [J] produit de nombreux courriels envoyés en 2014 de [J] [S] etlt; [Courriel 13] etgt; à [V] [Z] etlt; [Courriel 7] etgt; au sujet de la réalisation de ces sept exemplaires du Lapin Doudou et leur paiement, signés par [D] [O], nom suivi de [J]bronzeCo. Ltd ainsi que l'adresse et le numéro de téléphone de cette société.

Il est par ailleurs démontré par une attestation du 21 février 2019 du ministère du commerce de Thaïlande que cette société, enregistrée le 24 juillet 2008, a pour objet, notamment, la "vente de produits manufacturés en fer, en cuivre, en laiton", le "coulage et moulage de métaux" et la "fabrication, achat, importation, exportation d'objets décoratifs".
Une attestation de son general manager du 12 septembre 2018 établit que M. [J] en était salarié.

Il est donc démontré que la société thaïlandaise [J]bronze Co. Ltd, et non M. [S] [J], était titulaire du contrat de reproduction de l'oeuvre Lapin Doudou.

La responsabilité contractuelle de M. [S] [J] au titre de l'exécution de ce contrat ne saurait donc être engagée, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'éventuel manquement contractuel et ses conséquences.

Sur le premier des moyens subsidiaires, M. [J] oppose à juste titre que la théorie du mandat apparent peut être invoquée par un créancier pour obtenir que le mandant exécute une obligation contractée par son mandataire apparent, mais non afin que le mandataire soit tenu des obligations du mandant.
Ce mandat apparent – à le supposer démontré – n'est donc pas de nature à engager la responsabilité de M. [J].

Sur le second moyen subsidiaire, la confusion de patrimoine permet d'étendre une procédure collective d'une entreprise à une autre, en cas de mélange inextricable des patrimoine et non de substituer un débiteur à un autre.
En toute hypothèse, le fait que la SARL Galerie d'art Castiglione ait parfois effectué des paiements à M. [J], artiste à qui elle a commandé des oeuvres, pas plus que la circonstance qu'il soit enregistré en tant qu'entrepreneur individuel en France et ait nommé sa galerie d'[Localité 5] "[J] Bronze" ne caractérise pas la confusion des patrimoines entre M. [J] et la société thaïlandaise [J]bronze Co. ltd.
Aucune demande ne saurait donc prospérer sur ce fondement.

Quant à la répétition de l'indû, la SARL Galerie d'art Castiglione ne peut s'en prévaloir dès lors qu'elle ne démontre pas avoir réglé les factures précitées à M. [S] [J].

Il y a donc lieu de rejeter la demande incidente de la SARL Galerie d'art Castiglione contre M. [J].

IV . Sur la demande reconventionnelle de M. [J] contre Mme [K]

Moyens des parties

M. [J] soutient que Mme [K] a agi en justice de mauvaise foi car elle n'avait aucune doléance quant à la réalisation de la sculpture Lapin Doudou.

Mme [K] conclut au rejet

Réponse du tribunal

L'article 32-1 du code de procédure civile dispose : "Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés."

Mme [K] a été reconnue titulaire d'un droit d'auteur sur les trois oeuvres en litige et de réelles ressemblances ont été observées entre le Lapin Doudou et le Lapin qui court, réalisé par M. [J] peu après l'agrandissement et l'exécution de sept exemplaires du Lapin Doudou.

Elle a donc pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits et aucune intention de nuire, dilatoire ou abusive n'est démontrée.

La demande est rejetée.

VI . Sur les autres demandes

Mme [K] et la SARL Galerie d'art Castiglione, qui succombent chacune partiellement, sont condamnées aux dépens de l'instance.

L'équité justifie de condamner la SARL Galerie d'art Castiglione à payer à Mme [K] la somme de 4.000 euros et à M. [J] celle de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner Mme [K] à payer à M. [J] la somme de 2.000 euros au même titre.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,

DIT que les sculptures "Lapin Doudou" et la série "Baby Bouddha", dont Mme [Y] [X], épouse [K], est l'auteure, sont des oeuvres protégées par le droit d'auteur ;

DIT que la SARL Galerie d'art Castiglione a porté atteinte au droit moral de Mme [Y] [X], épouse [K], sur les déclinaisons king baby et distracting baby de l'oeuvre Baby Bouddha ;

CONDAMNE la SARL Galerie d'art Castiglione à payer à Mme [Y] [X], épouse [K], la somme de 12.000 euros en réparation de cette atteinte ;

CONDAMNE la SARL Galerie d'art Castiglione à détruire, à ses frais, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la décision à intervenir, les sculptures Baby Bouddha réalisées par la société [J]bronze Co. Ltd en 2014 et d'en justifier auprès de Mme [Y] [X], épouse [K], sous le même délai sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard durant 3 mois ;

DIT que le tribunal se réserve la liquidation de l'astreinte ;

CONDAMNE Mme [Y] [X], épouse [K], et la SARL Galerie d'art Castiglione aux dépens de l'instance ;

CONDAMNE la SARL Galerie d'art Castiglione à payer à Mme [Y] [X], épouse [K], la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [Y] [X], épouse [K], à payer à M. [S] [J] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Galerie d'art Castiglione à payer à M. [S] [J] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 18 Novembre 2022

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 20/00616
Date de la décision : 18/11/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-11-18;20.00616 ?
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