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17/11/2022 | FRANCE | N°20/09782

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 17 novembre 2022, 20/09782


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 20/09782
No Portalis 352J-W-B7E-CS55M

No MINUTE :

Assignation du :
28 août 2020

JUGEMENT
rendu le 17 novembre 2022
DEMANDEURS

Monsieur [D] [X]
[Adresse 4]
[Localité 5]

S.A.R.L. LCP FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentées par Me Noémie SAIDI COTTIER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1850 et Me Olivier YAU, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

S.A.S. SC INVEST "AUTOTR

UCK 42"
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Me Antoine MORAVIE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D0363 et Me Jean-Louis...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
1ère section

No RG 20/09782
No Portalis 352J-W-B7E-CS55M

No MINUTE :

Assignation du :
28 août 2020

JUGEMENT
rendu le 17 novembre 2022
DEMANDEURS

Monsieur [D] [X]
[Adresse 4]
[Localité 5]

S.A.R.L. LCP FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentées par Me Noémie SAIDI COTTIER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1850 et Me Olivier YAU, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

S.A.S. SC INVEST "AUTOTRUCK 42"
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Me Antoine MORAVIE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D0363 et Me Jean-Louis ROBERT de la SELARL ROBERT, avocat au barreau de ROANNE, avocat plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

L'audience s'est tenue sans débats, les avocats ayant procédé par dépôt des dossiers.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Magistrat signataire (article 456 du code de procédure civile) : Elodie GUENNEC, Vice-présidente, la présidente Nathalie SABOTIER étant empêchée.

EXPOSE DU LITIGE

Au début des années 2000, Monsieur [D] [X] a mis sur le marché des signaux acoustiques permettant de réduire les nuisances sonores générées notamment par les signaux de recul des engins de chantiers, qui permettent d'éviter collisions et accidents, grâce à un procédé de modulation automatique de la puissance sonore de l'avertisseur de recul, adaptée à environ cinq décibels au-dessus du bruit ambiant. L'objet est de garantir la sécurité tout en améliorant le confort du personnel et en réduisant la pollution sonore.

À ce titre, il est titulaire des marques suivantes :

- La marque semi-figurative « LE CRI DU LYNX® » no 3153067 déposée le 12 mars 2002 dans la classe 9 pour les « appareils de signalisation » :

- La marque verbale « LE CRI DU LYNX® » no 4474984 déposée le 7 août 2018 dans les classes 9 et 12 notamment pour les « alarmes et systèmes d'alarme, capteurs de détection d‘objets, avertisseurs sonores pour véhicules? ».

Ces marques sont utilisées pour commercialiser des produits de signaux de recul à faible acoustique, la SARL LCP France, dont M. [X] est le gérant, disposant d'une licence exclusive sur ces marques.

La SAS SC Invest exerçant sous le nom commercial Autotruck 42 (ci-après la société SC Invest) intervient quant à elle dans le commerce de détail d'équipement automobile et exploite un site d'e-commerce en proposant à la vente divers produits et plus particulièrement des pièces détachées automobiles, poids lourds, tracteurs et bateaux.

M. [X] indique avoir constaté que la société SC Invest, utilise la dénomination « cri du lynx » pour vendre ses produits et les référencer sur son site internet.

Le 23 juillet 2019, M. [X] et la société LCP France ont demandé à la société SC Invest de cesser d'utiliser les marques « LE CRI DU LYNX ». Ils ont vainement réitéré leur demande le 5 septembre 2019, avant lui délivrer une mise en demeure par courrier du 4 novembre 2019. La société SC Invest n'a pas répondu à ces courriers.

M. [X] et la société LCP France ont fait dresser un procès-verbal de constat le 20 novembre 2019, relevant notamment que le site internet de la société exerçant sous le nom Autotruck 42 référence un lien internet proposant la vente d'un avertisseur « représentant le cri d'un lynx ».

Après une ultime tentative de résolution amiable du litige, M. [X] et la société LCP France ont fait assigner, par acte d'huissier du 28 août 2020, la société SC Invest devant le tribunal judiciaire de Paris.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 octobre 2021, Monsieur [D] [X] et la SARL LCP France demandent au tribunal, vu les dispositions des articles L. 713-2, L. 716-4, L. 716-4-6, L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle et 1240 du code civil, de:

- Débouter la société Autotruck 42 de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions;

- Déclarer bien fondées leurs demandes;

En conséquence :

- Rejeter la demande de nullité de la marque « LE CRI DU LYNX » ;

- Dire et juger que les agissements d'Autotruck 42 liés à l'utilisation des marques « LE CRI DU LYNX » sont de nature à porter atteinte aux marques dont ils sont titulaires ;

- Interdire à Autotruck 42 de poursuivre de quelque manière que ce soit l'utilisation des marques « LE CRI DU LYNX » et ce, sous astreinte définitive et non comminatoire de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- Dire et juger que le président du tribunal restera compétent pour connaître de la liquidation éventuelle des astreintes qu'il aura ordonnées ;

- Condamner Autotruck 42 à réparer les préjudices qu'ils subissent et à leur verser une somme de 55.283,88 euros de dommages-intérêts ;

- Condamner Autotruck 42 au paiement de la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 mai 2021, la SAS SC Invest exerçant sous le nom commercial Autotruck 42 demande au tribunal, au visa de l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, de :

- Prononcer la nullité de la marque française « LE CRI DU LYNX » ;

- Dire que le jugement à intervenir sera transmis à l'Institut National de la Propriété Intellectuelle pour transcription ;

- Déclarer les demandes en contrefaçon de marque irrecevables ;

- Débouter la société LCP France et M. [X] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

- Condamner solidairement la société LCP France et M. [X] à lui verser la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens ;

- Dire n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2022, et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 19 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions notifiées aux dates mentionnées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande reconventionnelle en nullité de la marque semi-figurative « LE CRI DU LYNX® » no 3153067 et de la marque verbale « LE CRI DU LYNX® » no 4474984

Moyens des parties :

La SAS SC Invest oppose en premier lieu, à titre reconventionnel, la nullité de la marque « LE CRI DU LYNX » dont est titulaire M. [X]. Elle soutient que la marque litigieuse ne serait pas distinctive mais purement descriptive, dans la mesure où elle ne ferait que décrire le bruit émis par les appareils de recul qui s'apparente au cri du félin.

M. [X] et la société LCP France défendent au contraire le caractère fortement distinctif de la marque. Ils soulignent qu'elle ne décrit nullement le bruit des produits et que l'expression « CRI DU LYNX » a été au contraire choisie de manière totalement arbitraire pour distinguer les produits sur le marché.

Appréciation du tribunal :

L'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
« Ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls :
1o Un signe qui ne peut constituer une marque au sens de l'article L. 711-1 ;
2o Une marque dépourvue de caractère distinctif;
3o Une marque composée exclusivement d'éléments ou d'indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation du service ; [?] ».

Aux termes de l'article L.714-3 du code de la propriété intellectuelle, "Est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4."

En application de ces dispositions, une marque, pour être valable, doit être perçue comme un signe distinctif. L'exigence de distinctivité du signe se justifie, en droit, par la fonction essentielle de la marque qui est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit ou du service qu'elle désigne, en lui permettant de le distinguer sans confusion possible de ceux ayant une autre provenance.

A ce titre, il est constant qu'un signe décrivant une caractéristique du produit ou du service qu'il désigne, telle que sa qualité, sa composition, sa destination, ou encore sa provenance, n'est pas arbitraire.

Le caractère distinctif de la marque s'apprécie par rapport aux produits et/ou services qu'elle désigne et la perception qu'en a le public pertinent.

En l'espèce, la marque semi-figurative « LE CRI DU LYNX® » no 3153067 a été déposée le 12 mars 2002 dans la classe 9 pour les « appareils de signalisation » et la marque verbale « LE CRI DU LYNX® » no 4474984 a été déposée le 7 août 2018 dans les classes 9 et 12, cette dernière classe visant « les systèmes d'alarme pour véhicules terrestres, les avertisseurs sonores pour véhicules, les avertisseurs sonores de marche arrière pour véhicules, les dispositifs sonores pour véhicules ».

Des produits de signaux acoustiques de recul sont commercialisés sous cette marque par M. [X], par l'intermédiaire de la société LCP France, licenciée exclusive, ce qui n'est pas discuté. Le public pertinent est composé principalement de professionnels faisant usage de ce type d'appareil de signalisation.

Il ressort du dossier de présentation de la marque « LE CRI DU LYNX », versé en pièce no 22 par les demandeurs, et en particulier des données techniques relatives au signal sonore émis par les produits de la marque, qu'il « est formé d'un ensemble de fréquences allant de 500 à 11 000HZ, contrairement à un signal classique (« bip bip ») qui n'émet que sur une seule fréquence ».

Or, le dossier technique comprend une comparaison entre le bruit d'un lynx et le son produit par l'avertisseur de la marque, illustrée par des graphiques qui traduisent l'absence totale de similitude entre ces deux sons.

Il est ainsi précisé que « le signal sonore discontinu délivré par l'avertisseur n'est pas aléatoire mais constant, il est parfaitement régulier puisque généré électroniquement. La seule variable est sa puissance sonore. On ne peut pas en dire autant d'un cri d'animal, qui est sujet à de nombreuses variations et vocalises. Son bruit/son cri sera différent s'il chasse, cherche à se reproduire, à intimider? ».

Cette analyse est par ailleurs confortée par l'écoute de la pièce no23 versée aux débats par les demandeurs, constituée d'un extrait audio du son émis par un produit de la marque « LE CRI DU LYNX » et du cri d'un lynx, au demeurant peu connu, dont il ne résulte pas la moindre similarité. Le choix de ce vocable rend donc la marque arbitraire par rapport au produit vendu.

N'étant ni descriptive ni dépourvue de caractère distinctif au regard des produits et services qu'elle désigne, la marque « LE CRI DU LYNX », qui remplit sa fonction de marque à l'endroit du public pertinent, sera par conséquent déclarée valable.

La demande de nullité de la marque formée par la SAS SC Invest sera rejetée.

Sur la contrefaçon des marques semi-figurative et verbale « LE CRI DU LYNX® »

Moyens des parties :

Invoquant la titularité des marques « LE CRI DU LYNX », M. [X] et la société LCP France, qui invoque une licence exclusive d'exploitation sur ces marques, soutiennent que la société SC Invest en utilisant les marques « LE CRI DU LYNX » sur son site internet, dans le descriptif de ses produits et dans l'adresse du lien renvoyant vers ses produits a commis des actes de contrefaçon.

Ils ajoutent que l'utilisation sur son site internet des mots « bruit du lynx » ou « cri du lynx » lui permet d'être mieux référencée sur les moteurs de recherche internet ce qui contribue à créer une confusion dans l'esprit des clients et des clients potentiels de la société LCP France et concluent à un comportement parasitaire de captation de la clientèle. Elles sollicitent le prononcé d'une mesure d'interdiction ainsi que la réparation de leur préjudice subi par l'octroi de dommages-intérêts.

La société SC Invest soutient que la demande en contrefaçon de marque de M. [X] et la société LCP France est irrecevable. Elle critique le montant des dommages-intérêts sollicité et conclut que ne peut être interdite la commercialisation de produits imitant le bruit du lynx, alors qu'elle ne les fabrique pas et qu'ils sont acquis auprès de sociétés qui les commercialisent au niveau mondial.

Appréciation du tribunal :

1. Sur la caractérisation de la contrefaçon

Conformément aux dispositions de l'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, « est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
1o D'un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque. »

L'article L. 713-3-1 du code de la propriété intellectuelle précise que « sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants :
1o L'apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;
2o L'offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l'offre ou la fourniture des services sous le signe ;
3o L'importation ou l'exportation des produits sous le signe ;
4o L'usage du signe comme nom commercial ou dénomination sociale ou comme partie d'un nom commercial ou d'une dénomination sociale ;
5o L'usage du signe dans les papiers d'affaires et la publicité ;
6o L'usage du signe dans des publicités comparatives en violation des dispositions des articles L. 122-1 à L. 122-7 du code de la consommation ;
7o La suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée.
Ces actes et usages sont interdits même s'ils sont accompagnés de mots tels que : " formule, façon, système, imitation, genre, méthode ».

Aux termes des dispositions de l'article L. 716-4 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.

Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 à L. 713-3-3 et au deuxième alinéa de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle.

Interprétant les dispositions de l'article 5 § 1 de la première Directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (89/104/CEE), dont les dispositions précitées réalisent la transposition en droit interne, la Cour de Justice des Communautés européennes a dit pour doit que, constitue un risque de confusion au sens de ce texte, le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d'entreprises liées économiquement (voir arrêt Canon, C-39/97, point 29 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97 ).

Selon cette même jurisprudence, l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce (voir, arrêt SABEL, C-251/95, point 22), cette appréciation globale impliquant une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte (voir arrêt Canon, point 17). L'appréciation globale du risque de confusion doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par celles-ci, en tenant compte en particulier de leurs éléments distinctifs et dominants. Aux fins de cette appréciation globale, le consommateur moyen de la catégorie de produits concernée est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, arrêt Gut Springenheide et Tusky, C-210/96, point 31 ; arrêt Lloyd Schuhfabrik, C-342/97, point 26).

En l'espèce, il ressort du procès-verbal de constat dressé le 20 novembre 2019 par Maître [G] [C], clerc habilitée aux constats au sein de la SAS Huissiers Réunis à [Localité 7], que la société SC Invest, exerçant sous l'enseigne Autotruck 42, utilise les terminologies « cri du Lynx », « cri d'un lynx », « bruit d'un lynx » pour désigner des avertisseurs ou alarmes de recul qu'elle commercialise sur son site internet.

En effet, les demandeurs établissent au moyen de ce procès-verbal de constat, que la société SC Invest offre à la vente, sur son site internet, à destination de la clientèle : un « avertisseur représentant le cri d'un lynx (12/14v)97DB » décrit comme étant un « avertisseur de recul représentant un bruit ou le cri d'un lynx (animal) » pour 119,90 euros TTC ou encore une « alarme de recul, ultrason (bruit d'un lynx) 87DB 12/24V ».

Il ressort également du procès-verbal de constat que la société SC Invest utilise cette référence dans le chemin d'accès conduisant le consommateur sur une page du site internet, accessible en France, où sont commercialisés les produits, tel que par exemple : https://autotruck42.com/alarme-et-bip-de-recul/86-avertisseur-cri-du-lynx.html, la désignation litigieuse étant reprise également sur le site de manière quasiment générique, comme dans un article publié le 4 février 2020 sur la page de son site internet, sous le titre « alarme et bip de recul : tou[t] savoir, ultrason, cri du lynx etc? ».

L'emploi du mot « Lynx » associé à une référence expresse au son émis par le félin en utilisant les termes « bruit » ou « cri », permet d'établir le caractère sinon identique, du moins parfaitement similaire, aux plans tant visuel, qu'auditif et surtout conceptuel, des dénominations utilisées par la société SC Invest pour désigner les produits en vente, à la marque dont est titulaire M. [X].

Les demandeurs font également la démonstration de son utilisation par la défenderesse pour désigner, sur le marché, un produit parfaitement identique à celui proposé par la société LCP France à sa clientèle, puisqu'il s'agit de radars, alarmes de recul ou avertisseurs sonores. L'absence d'autorisation pour ce faire n'est pas discutée, et la société SC Invest ne conteste pas avoir vendu un certain nombre de ces produits, l'usage dans la vie des affaires étant ainsi pleinement démontré.

Dès lors, le risque d'association des produits ainsi désignés avec ceux de la marque protégée, par le public pertinent, en l'espèce un professionnel dont le degré d'attention est plutôt élevé, pour les classes 9 et 12, est réel. En effet, il pourrait attribuer à tort à ces produits une origine commune, permettant de caractériser un risque de confusion, alors que la marque est fortement distinctive.

De surcroît, l'utilisation du signe dans le chemin d'accès conduisant sur une page du site commerçant, lui permet d'être référencée dans les résultats des moteurs de recherche lorsque le consommateur recherche le produit de la demanderesse. Le mots clés « lynx » associé au produit « alarme et bip de recul », déclenche l'affichage du lien commercial de la défenderesse et oriente le consommateur vers son site internet. La société SC Invest fait ainsi connaître ses propres produits à l'internaute qui rechercherait des informations ou des offres sur les produits du titulaire de la marque.

Cela porte atteinte à la fonction essentielle de la marque dans le domaine du commerce électronique.

Un tel comportement entre sous le coup de la contrefaçon de marque, qui est ainsi caractérisée.

2. Sur les mesures réparatrices

L'article 1240 du code civil dispose que ?tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer".

En application des dispositions de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, « pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

En l'espèce, il convient tout d'abord, afin de faire cesser les actes contrefaisant, de faire droit, en tant que de besoin, à la demande d'interdiction, selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision.

En application des dispositions précitées, le montant des dommages- intérêts alloué doit s'apprécier non seulement par référence au préjudice subi par la partie lésée mais aussi en tenant compte des bénéfices retirés de la contrefaçon, ce qui implique de prendre en compte d'une part, les gains manqués et pertes subies et d'autre part, le profit du contrefacteur.

En l'espèce, s'agissant des conséquences économiques négatives de la contrefaçon, il ressort des pièces versées aux débats, en particulier de la grille tarifaire de ses produits pour l'année 2020, que la société LCP France commercialise, à cette date, une alarme 87 DB 12-24 volts pour un montant de 49,50 euros HT, soit 59,40 euros TTC. Elle justifie, dans la même période de temps, que la société SC Invest commercialise une alarme de recul 12/24 volt /87 DB qui « remplace le cri du lynx » au prix de 69,90 euros TTC, soit un prix supérieur de 10,50 euros.

La société LCP France affirme vendre environ 500 exemplaires par an de ce produit et énonce qu'elle aurait pu, depuis 2018, en vendre 300 exemplaires de plus. Ces affirmations ne sont toutefois nullement étayées ce qui ne permet pas d'établir précisément le manque à gagner de la société LCP France, qui n'établit pas non plus que ses ventes ont chuté depuis les faits constatés.

S'agissant du bénéfice du contrefacteur, la société SC Invest démontre, quant à elle, au moyen d'un extrait de son journal de vente du 1er janvier 2019 (date de son immatriculation) au 06 mai 2021, qu'elle a vendu, entre le 31 mars 2019 et le 13 mars 2020, 21 alarmes de recul 87 DB et 97 DB. Son chiffre d'affaire pour ce produit, pour la période citée, en retenant un tarif moyen TTC de 69,90 euros, est donc de 1.463 euros. Les parties ne donnent pas d'élément permettant d'établir avec précision la marge applicable et de calculer le bénéfice réel de la société. En revanche, il y a lieu de considérer que la part des ventes due à l'emploi de la dénomination litigieuse est significative compte-tenu de son utilisation sur un site internet.

Enfin, les demandeurs produisent un tableau des frais investis pour l'enregistrement et l'exploitation de la marque afin de justifier des économies d'investissement réalisées par le défendeur. Ce tableau énumère des dépenses diverses (publicité, dépôt et protection de la marque, participation à des salons), exposés depuis 2018 pour un montant total de 32.133,88 euros, sans produire les justificatifs afférents. Seules sont justifiées à ce titre les participations à des forum et congrès destinés à promouvoir les produits, néanmoins tous antérieurs à l'enregistrement de la première marque.

Dès lors, au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient d'octroyer à M. [X] et la société LCP, en réparation du préjudice matériel subi du fait de la contrefaçon, une somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts.

En raison de l'inertie de la société SC Invest, en dépit des demandes de suppression de toutes références au « CRI DU LYNX » sur son site internet, les faits de contrefaçon ont perduré et occasionné en cela un préjudice moral à M. [X] et la société LCP France causé par la banalisation de la marque. Ce préjudice sera intégralement réparé par l'octroi d'une somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les demandes annexes

Succombant, la société SC Invest sera condamnée aux dépens de l'instance.

Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à M. [D] [X] et à la société LCP France la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'exécution provisoire de la présente décision est de droit en application des dispositions de l'article 514-1 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

LE TRIBUNAL,

DÉBOUTE la SAS SC Invest exerçant sous le nom commercial Autotruck 42 de sa demande de nullité des marques semi-figurative et verbale « LE CRI DU LYNX® » enregistrées respectivement sous les no 4474984 et no 3153067 ;

FAIT INTERDICTION à la SAS SC Invest d'user sur son site internet, à l'adresse pour commercialiser ses produits, des éléments verbaux et figuratifs constituant la marque semi-figurative « LE CRI DU LYNX® » no 3153067 et la marque verbale « LE CRI DU LYNX® » no 4474984 dont M. [D] [X] est titulaire, et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée courant à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ;

DIT n'y avoir lieu à se réserver le contentieux de la liquidation de l'astreinte ;

CONDAMNE la SAS SC Invest à payer à M. [X] et à la SARL LCP France la somme totale de 5.000 euros (cinq mille euros) à titre de dommages-intérêts;

CONDAMNE la SAS SC Invest aux dépens de l'instance ;

CONDAMNE la SAS SC Invest à payer à M. [X] et à la SARL LCP France la somme de 4.000 euros (quatre mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire par provision.

Fait et jugé à Paris le 17 novembre 2022

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 20/09782
Date de la décision : 17/11/2022

Analyses

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Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-11-17;20.09782 ?
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