La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/11/2022 | FRANCE | N°20/02607

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 10 novembre 2022, 20/02607


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 20/02607
No Portalis 352J-W-B7E-CR3CP

No MINUTE :

Assignation du :
06 Mars 2020

INCIDENT

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 10 Novembre 2022
DEMANDERESSE

Société SCANIA CV AKTIEBOLAG
Södertälje (SE-15187)
SODERTALJE / SUÈDE

représentée par Maître Olivier MANDEL de la SELAS MANDEL-ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0013

DÉFENDERESSES

Monsieur [H] [B]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]r>
représentée par Maître Aurelien GAZEL, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #T0004

et par Maître Jean-Paul ARMAND de la SCP BOLLET et A...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 20/02607
No Portalis 352J-W-B7E-CR3CP

No MINUTE :

Assignation du :
06 Mars 2020

INCIDENT

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 10 Novembre 2022
DEMANDERESSE

Société SCANIA CV AKTIEBOLAG
Södertälje (SE-15187)
SODERTALJE / SUÈDE

représentée par Maître Olivier MANDEL de la SELAS MANDEL-ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0013

DÉFENDERESSES

Monsieur [H] [B]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]

représentée par Maître Aurelien GAZEL, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #T0004

et par Maître Jean-Paul ARMAND de la SCP BOLLET et ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant,

Société INTERNATIONAL DELIVERY PARTS 2008 S.L - intervenante forcée
C/[Adresse 2]
[Localité 6] (ESPAGNE)

représentée par Maître Morgane BLOTIN de la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P0500

et par Maître François-Xavier LANGLAIS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant,

Société URS OTOMOTIV SANAYI VE TICARET LIMITED SIRKETI - intervenante forcée
[N] [K] [E]
[Adresse 3]
[Localité 4] (TURQUIE)

défaillant

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge
assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DÉBATS

A l'audience du 22 Septembre 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 21 Octobre 2022, puis prorogé le 10 Novembre 2022.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

1. La société de droit suédois Scania CV Aktiebolag (la société Scania), ayant été avisée d'une retenue en douane en France de filtres à huile provenant de Turquie et à destination d'Espagne, soupçonnés de contrefaire ses marques, a assigné les personnes suivantes en contrefaçon des deux marques de l'Union européenne no017015835 et no017769597 :
- le 5 mars 2020, M. [H] [B], entrepreneur individuel, établi en France, dont elle allègue qu'il serait le déclarant en douane et le détenteur des marchandises ;
- le 25 juin 2020, la société de droit espagnol ‘International delivery parts 2008 S.L.' (La société Indeparts), destinataire des marchandises,
- le 24 septembre 2020, la société de droit turc ‘Urs otomotiv sanayi ve ticaret limited sirketi' (la société Urs otomotiv), expéditeur des marchandises.

2. M. [B] et la société Indeparts ont soulevé une exception d'incompétence, et M. [B] a soulevé une fin de non-recevoir tirée d'un défaut d'intérêt et de qualité à agir à son encontre ; ces moyens ont été écartés par le juge de la mise en état par une ordonnance du 26 mars 2021, confirmée par la cour d'appel le 14 janvier 2022.

3. La société Scania a ensuite formé, par mémoire confidentiel du 9 mai et conclusions du 12 mai 2022, un nouvel incident tendant à organiser la communication confidentielle d'un document dont elle entend se prévaloir, figurant à son bordereau de pièces dès l'assignation en tant que pièce no14. Les défenderesses ont alors demandé que la société Scania soit contrainte de communiquer cette pièce, sans confidentialité. L'incident a été entendu en ce qu'il portait sur la demande de communication forcée à l'audience du 22 septembre 2022 et la décision a été mise en délibéré sur l'ensemble.

4. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 12 mai 2022, la société Scania, en substance, demande que soit organisée d'une façon qu'elle détaille la communication et l'utilisation confidentielles de sa pièce no14, et réclame 5 000 euros aux défendeurs au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

5. Dans ces conclusions, elle expose que cette pièce, qui est la comparaison technique du filtre litigieux avec son produit « authentique », a une valeur commerciale en ce qu'elle dévoile les différences entre un produit authentique et un produit contrefaisant et permettrait aux contrefacteurs de tromper véritablement le public s'ils y avaient accès ; que ses concurrents n'ont pas accès à ces informations car ils n'ont aucune raison d'avoir deux filtres ; et qu'elle a mis en place des procédures internes pour en préserver la confidentialité. Par ailleurs, dans son mémoire confidentiel du 9 mai, elle expose également en quoi le document relève selon elle du secret des affaires.

6. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 13 juin 2022, M. [B], en substance, demande la communication de la pièce sans aucun régime de confidentialité, et réclame à la société Scania 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

7. Il estime que les conditions de l'article L. 151-1 du code de commerce ne sont pas réunies, et que les parties doivent pouvoir analyser la pièce no14.

8. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 13 juin 2022, la société Indeparts demande la communication de la pièce sans aucun régime de confidentialité, et réclame elle-même à la société Scania 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

9. Elle fait valoir que n'importe qui peut acheter librement les pièces comparées et procéder ainsi à la même comparaison ; et que savoir si les filtres litigieux sont fabriqués par Scania est nécessaire à la solution du litige, au sens de l'article L. 153-6 du code de commerce.

10. La société Urs otomotiv a été assignée conformément à la convention de La Haye du 15 novembre 1965, l'autorité requise turque ayant attesté le 13 octobre 2020 de ce que l'acte avait été remis au destinataire conformément au droit local le 24 septembre ; mais elle n'a pas comparu.

MOTIFS

1) Protection de la pièce no14 par le secret des affaires

11. Aux termes de l'article L. 151-1 du code de commerce, « est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants :

1o Elle n'est pas, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;

2o Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;

3o Elle fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. »

12. Le rapport invoqué par la société Scania consiste simplement en la comparaison visuelle entre un des filtres saisis en douane et un filtre authentique Scania, et relève deux différences visibles à l'oeil nu pour justifier la conclusion selon laquelle les produits saisis sont des copies. Comme le soulèvent les défendeurs, le filtre authentique est une pièce détachée, accessible aux professionnels, qui sont aisément capables de procéder à la même comparaison visuelle. Ainsi, la seule information contenue dans le rapport et qui n'est pas publique est l'opinion émise par le personnel de la société Scania sur les éléments visuellement différents entre les deux produits.

13. Il certes envisageable qu'une telle opinion puisse se fonder sur des éléments très discrets, ou une interprétation révélant l'importance d'un élément certes visible mais ne pouvant être directement compris par un professionnel concurrent, de sorte qu'elle contiendrait des informations difficilement accessibles et ayant une valeur commerciale. Tel n'est toutefois manifestement pas le cas ici, où la comparaison porte sur des éléments très visibles, à l'évidence discernables par n'importe quel professionnel du secteur même sans que son intention soit attirée par l'analyse du fabricant de la pièce « authentique ». Le rapport ne contient donc que des informations aisément accessibles.

14. La 1re condition posée par l'article L. 151-1 n'étant pas caractérisée, les demandes fondées sur le secret des affaires sont rejetées.

2) Communication forcée de la pièce

15. En application des articles 132 et 133 du code de procédure civile, la partie qui fait état d'une pièce doit la communiquer à toute autre partie à l'instance. L'article 142 prévoit par ailleurs que les éléments de preuve détenus par une partie et dont une autre entend se prévaloir peuvent être produits sur ordre du juge.

16. Et l'article L. 153-6 du code de commerce, cité par la société Indeparts, prévoit seulement le principe selon lequel la pièce demandée, et dont la confidentialité est alléguée, doit être communiquée si elle est nécessaire à la solution du litige.

17. La « pièce no14 » est certes visée au bordereau de la société Scania, mais comme document de nature confidentielle, ce qui indique que la demanderesse n'entendait pas s'en prévaloir autrement que de façon confidentielle ; au demeurant elle ne la cite pas dans son assignation à l'appui de ses allégations. Il ne s'agit donc pas d'une pièce dont la demanderesse fait état au sens de l'article 132.

18. Par ailleurs, la société Indeparts estime cette pièce nécessaire pour apprécier l'authenticité des produits litigieux, qu'elle invoque au fond pour caractériser l'épuisement des droits. Toutefois, comme indiqué précédemment, la seule information contenue dans ce document, au-delà de l'apparence des produits que la société Indeparts peut se procurer elle-même, est l'opinion de la société Scania sur les ressemblances entre eux. Cette opinion relève de sa stratégie pour le procès ; autrement dit, elle n'est nécessaire à la solution du litige que dans la mesure où elle est utilisée dans le litige par la société Scania. Ce qu'il appartient seulement à celle-ci de décider, sauf le cas d'une déloyauté procédurale, d'une dissimulation ou d'une contradiction préjudiciable, ce qui n'est pas allégué ici.

19. La demande de communication forcée est par conséquent rejetée.

3) Suite de l'instruction et dispositions finales

20. L'article 782 du code de procédure civile permet au juge de la mise en état d'inviter les avocats à répondre aux moyens sur lesquels ils n'auraient pas conclu, et à fournir les explications de fait et de droit nécessaires à la solution du litige.

21. Dans ses conclusions au fond, la société Indeparts fonde sa défense sur l'épuisement des droits, caractérisé selon elle en ce que la société Scania ne démontrerait pas que les produits litigieux ne sont pas des produits « authentiques ». Elle n'indique toutefois pas en quoi c'est dans l'espace économique européen que ces produits auraient été mis dans le commerce pour la première fois, alors qu'il est constant que ces produits ont été expédiés depuis la Turquie. La société Indeparts est donc invitée à conclure sur ce point, dans la mesure où elle l'estimerait utile.

22. L'article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

23. Les parties perdent toutes en leurs demandes formées pour le présent incident, de sorte qu'aucune ne doit en indemniser une autre pour les frais exposés à ce titre. Les demandes en ce sens sont donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état :

REJETTE les demandes de la société Scania tendant à organiser la communication confidentielle de sa pièce intitulée « Rapport technique établi par la société Scania CV AB le 27 février 2020, à la suite de l'inspection des marchandises et du prélèvement d'échantillons effectués le 14 février 2020 » ;

REJETTE les demandes de M. [B] et de la société Indeparts en communication forcée de cette pièce ;

REJETTE les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

INVITE la société Indeparts à conclure sur le lieu de la première commercialisation des produits en cause, dans un jeu de conclusions attendu pour le 2 décembre 2022 ; ou, à défaut, à indiquer sans délai son intention de ne pas reconclure en l'état, auquel cas la société Scania est invitée à conclure sur le tout pour le 6 janvier 2023 ;

RENVOIE l'examen de la mise en état de l'affaire au 15 décembre 2022 ;

Faite et rendue à Paris le 10 Novembre 2022

Le Greffier Le Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 20/02607
Date de la décision : 10/11/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-11-10;20.02607 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award