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08/11/2022 | FRANCE | N°20/03744

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 08 novembre 2022, 20/03744


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/03744 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSAM5

No MINUTE :

Assignation du :
06 et 29 mai 2020

JUGEMENT
rendu le 08 novembre 2022
DEMANDERESSE

Association FEDERATION FRANCAISE DE TENNIS
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Maître Louis DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0035 et par Maître Serge LEDERMAN de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PAR

IS, vestiaire #K0035

DÉFENDERESSES

Société VIAGOGO AG
[Adresse 1]
[Localité 2] (SUISSE)

Société VIAGOGO ENTERTAINMENT IN...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/03744 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSAM5

No MINUTE :

Assignation du :
06 et 29 mai 2020

JUGEMENT
rendu le 08 novembre 2022
DEMANDERESSE

Association FEDERATION FRANCAISE DE TENNIS
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Maître Louis DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #K0035 et par Maître Serge LEDERMAN de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0035

DÉFENDERESSES

Société VIAGOGO AG
[Adresse 1]
[Localité 2] (SUISSE)

Société VIAGOGO ENTERTAINMENT INC.
[Adresse 3]
[Adresse 7] (ETATS-UNIS)

représentées par Maîtres Diane MULLENEX et Mélina WOLMAN du PARTNERSHIPS PINSENT MASONS FRANCE LLP, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0020

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DEBATS

A l'audience du 29 juin 2022, tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2022 et prorogé en dernier lieu au 08 novembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

1. La Fédération Française de Tennis (ci-après FFT), est une association régie par les dispositions de la loi du 1er juillet 1901. En tant que fédération sportive agréée conformément aux dispositions du code du sport, elle a pour mission d'organiser les compétitions de tennis sur le territoire national, d'assurer et de contrôler le développement de ce sport en France. Dans ce cadre, elle organise annuellement un tournoi de tennis se déroulant à [Localité 8] entre les mois d'octobre et de novembre dénommé "Rolex [Localité 8] Masters" (ou encore "Masters de [Localité 8] [Adresse 6]"). En tant qu'organisatrice de cette manifestation sportive, la FFT revendique la propriété des droits d'exploitation portant sur ce tournoi.

2. La société de droit américain Viagogo Entertainment exploite le site internet accessible à l'adresse etlt;www.viagogo.cometgt; ainsi que ses extensions internationales, tandis que la société de droit suisse Viagogo AG exploite le site internet accessible à l'adresse etlt;www.viagogo.fretgt;. Elles présentent le site "Viagogo" comme hébergeant une plateforme offrant des services de vente directe ou de mise en relation d'acheteurs et de vendeurs de billets d'accès à des manifestations sportives ou culturelles.

3. En octobre 2019, la FFT expose avoir découvert que les sociétés Viagogo commercialisaient sur leur plateforme des billets d'accès à l'édition 2019 des "Rolex [Localité 8] Masters", ce qu'elle a fait constater par un huissier de justice le 11 octobre 2019, l'huissier constatant l'offre à la vente de billets, ces derniers ne pouvant toutefois être acquis par un internaute français (au moyen d'une adresse IP française) un achat n'étant possible qu'au moyen d'unVPN.

4. Aussi, la FFT a-t'elle fait assigner ces sociétés en référé à heure indiquée devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris, lequel a, par une ordonnance du 25 octobre 2019, ordonné aux sociétés Viagogo de cesser la commercialisation des billets litigieux et de fournir certaines informations relatives à l'origine des billets litigieux et à l'ampleur de leur commercialisation. Les sociétés Viagogo ont interjeté appel de cette décision le 23 janvier 2020 mais n'ayant exécuté que leurs obligations pécuniaires à l'exclusion de l'injonction de communiquer certaines pièces, leur appel a été radié le 28 octobre 2020.

5. Puis, par actes d'huissier en dates respectivement des 06 et 29 mai 2020 , la FFT a fait assigner la société Viagago AG et la société Viagogo Entertainment afin d'obtenir leur condamnation au paiement de diverses sommes en réparation de l'atteinte au monopole d'exploitation qu'elle détient sur les "Rolex [Localité 8] Masters", ainsi qu'en réparation de leurs agissements déloyaux et parasitaires.

6. Par une ordonnance du 13 avril 2021, le juge de la mise en état a rejeté la demande de communication d'informations présentée par la FFT au visa des articles 132 et suivants du code de procédure civile les pièces sollicitées n'apparaissant pas nécessaires à la solution du présent litige.

7. Dans ses dernières conclusions notifiées électroniquement le 11 février 2022, la FFT demande au tribunal, au visa des articles 15 de la Convention de La Haye du 15 novembre 1965, 5§3 de la Convention de Lugano, 46, 74, 688 et 789 du code de procédure civile, 4 du Règlement no864/2007, L. 333-1 du code du sport, 1240 du code civil, et L. 121-2 et L. 121-4 du code de la consommation, de :
- La Dire recevable et bien fondée en ses demandes, fin, moyens et prétention et, y faisant droit :
- Se déclarer incompétent pour juger l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Viagogo ;
- Juger qu'il est compétent pour trancher le présent litige et que la loi française applicable à l'ensemble des faits commis sur la plateforme "Viagogo", quiels que soient le lieu de la vente de billets d'accès, la nationalité ou le domicile de l'acheteur, l'accessibilité et la destination du site, de ses extensions et de ses offres ;
A titre subsidiaire,
- Juger irrecevable et à tout le moins non-fondée l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Viagogo ;
En conséquence,
- Débouter les sociétés Viagogo de leur exception d'incompétence ;
En tout état de cause,
- Juger que, en proposant à la vente dans le monde entier des billets pour assister à l'édition 2019 du Rolex [Localité 8] Masters puis celle de 2020 sans autorisation de la FFT, les sociétés Viagogo ont violé le droit exclusif de la FFT de commercialiser la billetterie de cette compétition ;
- Juger que, en proposant à la vente des billets pour assister aux édition 2019 et 2020 du Rolex [Localité 8] Masters sans autorisation de la FFT dans le monde entier, les sociétés Viagogo ont tiré illégitimement profit des investissements de la FFT et se sont ainsi rendues coupables d'actes de parasitisme au préjudice de la FFT ;
- Juger que les sociétés Viagogo se sont également rendues coupables d'actes de concurrence déloyale dans le monde entier à l'occasion des éditions 2019 et 2020 du tournoi Rolex [Localité 8] Masters :
" En désorganisant le réseau de distribution mis en place par la FFT;
" En violant, de manière directe ou indirecte, des conditions particulières de la billetterie Rolex [Localité 8] Masters 2019 et 2020 ;
" En se rendant coupables de pratiques commerciales trompeuses.
En conséquence,
- Condamner in solidum et à titre provisionnel la société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG à payer à la FFT la somme de 150.000 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la FFT du fait de l'atteinte à son droit exclusif d'exploitation imputables aux défenderesses ;
- Condamner in solidum et à titre provisionnel la société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG à payer à la FFT la somme de 250.000€, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la FFT du fait des actes de parasitisme imputables aux défenderesses ;
- Condamner in solidum et à titre provisionnel la société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG à payer à la FFT la somme supplémentaire de 100.000€, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la FFT du fait des actes de concurrence déloyale imputables aux défenderesses;
- Ordonner aux sociétés Viagogo de communiquer à la FFT, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir les informations et documents suivants devant être certifiés par des commissaires aux comptes indépendants :
" La quantité de billets d'accès au Rolex [Localité 8] Masters 2019 et 2020 mis en vente sur l'ensemble des extensions du site Viagogo ;
" La quantité de billets d'accès au Rolex [Localité 8] Masters 2019 et 2020 vendus sur l'ensemble des extensions du site Viagogo ainsi que le chiffre d'affaires brut correspondant réalisé par elles (avant les éventuels remboursements des billets s'agissant de l'édition 2020) ;
" La localisation territoriale (non pas l'intégralité de leur adresse) ou à tout le moins l'adresse de facturation déclarée par chacun des acheteurs lors de son achat en ligne et l'ouverture de son compte ;
" La liste des fournisseurs des billets d'accès au tournoi (entendu comme les utilisateurs utilisant la plateforme pour revendre des billets) auprès desquels les sociétés ont obtenu illicitement ces billets revendus illégalement, le prix de revente des billet ainsi que les numéros de série.
- Autoriser la FFT à faire publier le dispositif du jugement à intervenir dans cinq journaux ou revues, papier ou en ligne, au choix de la FFT, aux frais avancés des sociétés défenderesses, dans la limite de la somme de sept mille euros (7 000 €) par publication à la charge des sociétés Viagogo ;
- Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir en tête des pages d'accueil du site www.viagogo.com et de ses extensions, ou à toutes autres adresses qui leur seraient substituées, accompagné de sa traduction dans toutes les langues dans lesquelles ce site serait disponible, en caractères lisibles et noirs sur un fond blanc et sur une surface égale à au moins 30% de cette page d'accueil, pendant une durée de 3 mois dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 2 000 € par jour de retard ;
- Autoriser la FFT à faire publier, pendant ce même délai, sur son propre site internet accessible à l'adresse www.fft.fr, le dispositif du jugement à intervenir en langue française et anglaise ;
- Condamner in solidum la société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG à payer à la FFT la somme de quatre-vingt-cinq mille euros (85.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à laquelle s'ajoutera le remboursement des frais exposés pour diligenter les constats d'huissiers ;
- Ordonner l'exécution provisoire de droit du jugement à intervenir en toutes ses dispositions, nonobstant appel et sans constitution garantie;
- Condamner in solidum la Société Viagogo Entertainment INC et la société Viagogo AG aux entiers dépens, en ceux compris notamment les frais exposés pour la signification des actes de procédure et leur traduction dont distraction au profit de la SAS De Gaulle Fleurance et Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

8. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 janvier 2022, les sociétés Viagogo demandent au tribunal, au visa des articleq 56 du code de procédure civile, L. 514-1 du même code, de la norme AFNOR NF Z67-147 relative au mode opératoire de procès-verbal de constat sur internet effectué par huissier de justice, de l'article 1240 du code civil, de:
In limine litis,
- Se déclarer incompétent au profit des juridictions du Canton de Genève et du Delaware;
A titre principal
- Rejeter les constats d'huissier du 11 octobre 2019 produits par la FFT ;
- Rejeter les captures d'écran de la FFT ;
- Débouter la FFT de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- Écarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
En tout état de cause,
- Condamner la FFT aux entiers dépens ;
- Condamner la FFT à verser à viagogo AG la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de la procédure civile.

9. L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 17 février 2022 et l'affaire plaidée à l'audience du 29 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la compétence du tribunal et la loi applicable

Moyens des parties

10. La FFT rappelle que le juge de la mise en état, lorsqu'il est saisi, est seul compétent pour connaitre des exceptions d'incompétence. Elle ajoute en tout état de cause que le critère pour déterminer le tribunal compétent est l'existence d'un lien particulièrement étroit entre le lieu du dommage et le lieu de la juridiction saisie. A cet égard, elle fait valoir que l'intégralité du dommage s'est matérialisée sur le territoire français, qu'en conséquence le juge français est compétent et que la loi applicable est la loi française.

11. Les sociétés Viagogo expliquent que la seule accessibilité de la plateforme litigieuse depuis le territoire français ne suffit pas à matérialiser le dommage en France dès lors que le contenu litigieux n'était pas destiné au public français. Elles soulignent en effet que les mesures de géo-blocage appliquées à la version française de son site empêchaient non seulement l'acquisition des billets mais plus généralement la consultation des annonces litigieuses avec une adresse IP française. Elles en déduisent que le tribunal français n'est pas compétent et que la loi française n'est pas applicable au litige.

Appréciation du tribunal

12. Selon l'article 789 du code de procédure civile "Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour:
1o Statuer sur les exceptions de procédure.
Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge".

13. Force est de constater que l'exception de procédure tirée de l'incompétence de ce tribunal n'a pas été soulevée par la voie de conclusions spécialement adressées au juge de la mise en état conformément aux dispositions précitées, combinées aux articles 73 et 74 du même code. L'exception de procédure tirée de l'incompétence du tribunal n'est donc plus recevable.

14. S'agissant de la détermination de la loi applicable au présent litige, il convient de se référer au Règlement (CE) no 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit «Rome II») dont l'objet est de déterminer des règles de conflit de lois identiques au sein de l'Union et dont l'article 4 "Règles générales" prévoit que :

"1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.
3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question."

15. En l'occurrence, la FFT a pour activité l'organisation de tournois et d'événements liés au tennis en France ainsi que le développement de ce sport dans ce pays. Elle organise à ce titre le tournoi professionnel "Rolex [Localité 8] Masters" à [Localité 8]. Ainsi, tant l'activité générale de la FFT que le déroulement de la manifestation sportive en cause, ont lieu sur le territoire français. Le monopole dont bénéficie la FFT vise en outre la protection des licenciés français de ce sport (contre le renchérissement du coût des billets lié à leur revente) et la sécurité de ces événements (par la maîtrise de l'identité des spectateurs de l'événement). Il s'en déduit nécessairement que c'est en France que se réalise le dommage causé par la commercialisation de billets d'accès au tournoi en cause, en violation du monopole de la FFT, même si la commercialisation des billets a lieu hors de France et si l'achat d'un billet sur la plateforme litigieuse n'est en principe pas possible pour un internaute français.

16. Aucun élément ne permet de retenir que le dommage présente avec un autre pays (tel celui du siège des sociétés défenderesses) un lien plus étroit. La loi française apparaît donc applicable au présent litige.

2o) Sur le rejet des constats d'huissier en date du 11 octobre 2019 et des captures d'écran

Moyens des parties

17. Les sociétés Viagogo affirment que les constats d'huissier du 11 octobre 2019 doivent être rejetés dans la mesure où l'huissier instrumentaire n'aurait pas effectué les différentes mesures définies par la norme AFNOR NF Z67-147, pensées pour assurer la force probante des constatations réalisées. Elles soulignent tout particulièrement que l'huissier n'indique pas avoir supprimé l'historique de navigation, les cookies, fichiers temporaires et données de formulaire, avant d'accéder à chacun des sites litigieux. Elles expliquent à cet égard que ces omissions sont de nature à impacter les résultats de recherche de l'huissier et donc à compromettre la fiabilité des constatations effectuées et ce, en particulier, sur le dernier site, sur lequel les billets litigieux ont été découverts. Les défenderesses exposent en outre que, s'agissant du constat réalisé à partir d'un ordinateur distant, la simple connexion à cet appareil a entrainé le téléchargement de métadonnées propres à impacter les résultats de recherche. Les sociétés Viagogo soutiennent enfin que les captures d'écran versées au débat par la FFT manquent de force probante et doivent être écartées des débats. Elles considèrent en effet que de simples captures d'écran produites sans que soit décrit le cheminement de l'internaute ne peuvent constituer une preuve valable.

18. La FFT soutient que le respect des normes AFNOR NF Z67-147 n'est pas une condition de validité des constats d'huissier. Elle rappelle à ce titre que l'appréciation de la force probante d'un constat relève de l'appréciation du tribunal. La demanderesse souligne en tout état de cause que l'huissier a, pour les deux constats, décrit le matériel informatique et le navigateur utilisé, vidé le cache du navigateur, supprimé les données de navigation, vérifié que la connexion à partir d'un serveur Proxy était désactivée, vidé la corbeille et synchronisé l'horloge. Elle en conclut que les normes en cause ont été en tous points respectées. Elle ajoute que les normes AFNOR ne doivent être respectées qu'au début des constatations et que l'huissier n'est pas contraint de réitérer ces manipulations techniques entre chacune des connexions. Elle précise également que le choix d'utiliser un VPN ou un ordinateur distant a effectivement modifié les résultats de recherche mais qu'il s'agissait là du but recherché afin de démontrer l'accessibilité des offres de billets depuis une adresse IP étrangère. S'agissant des copies d'écran, la FFT rappelle que l'appréciation de leur force probante relève des prérogatives du tribunal. A cet égard elle explique que les copies d'écran présentées sont fiables dès lors que chaque billet est accompagné d'une date précise, que les impressions d'écrans font apparaître la date et l'URL de connexion et que la FFT démontre avoir pris le soin de s'assurer qu'elle se connectait avec une adresse IP française.

Appréciation du tribunal

19. En l'occurrence, le tribunal constate que l'huissier a décrit le matériel informatique et le navigateur utilisé, vidé le cache du navigateur, supprimé les données de navigation, vérifié que la connexion à partir d'un serveur Proxy était désactivée, vidé la corbeille et synchronisé l'horloge. Ces éléments permettent de garantir l'intégrité des contenus numériques téléchargés par l'huissier lors de ses opérations, tandis que les sociétés défenderesses n'offrent pas de caractériser quelle vérification manquante pourrait apparaître comme étant de nature à vicier ses opérations. Il n'y a donc pas lieu d'écarter des débats les constats d'huissier, non plus que les captures d'écrans qui toutes sont nettes et laissent clairement apparaître la date à laquelle elles ont été réalisées, ainsi que l'URL du site visité et les dates des billets offerts à la vente sur le site. En outre, la FFT a pris soin d'opérer une vérification de son adresse IP sur un site dédié, vérification dont elle produit une copie d'écran, elle aussi nette et datée. Le tribunal ne voit donc aucun motif d'écarter les pièces produites.

3o) Sur l'imputabilité des faits litigieux aux sociétés Viagogo

Moyens des parties

20. La FFT soutient que les sociétés Viagogo jouent un rôle actif sur leur plateforme, de nature à leur conférer la connaissance ou le contrôle des données qui y sont stockées. Elle indique en particulier que plusieurs éléments démontrent ce rôle actif : le classement en rubriques des offres litigieuse ; la promotion réalisée sur le site ; les illustrations qui accompagnent les offres de billets ; la vente de billets en fonction des prix, des dates, de l'emplacement ; la garantie de bonne réception des billets assurée par les sociétés Viagogo ; le service de remplacement de billets au cas où le vendeur initial renoncerait à la vente ; la possibilité de procéder à un échange de billets ; la possibilité pour la plateforme de contacter spécifiquement les utilisateurs par courriel ; le fait que les sociétés Viagogo se présentent comme les interlocuteurs uniques de l'acquéreur. Surtout, la FFT rappelle que les sociétés Viagogo offraient à la vente des billets d'accès au tournoi avant même l'ouverture de la billetterie officielle, billets qui ne pouvaient donc être mis en vente par des personnes tierces. Enfin, la FFT considère que le fait que les sociétés Viagogo aient mis en place un système de géo-blocage visant les billets pour le tournoi litigieux démontre bien qu'elles avaient connaissance de ces offres. La demanderesse en conclut que les sociétés Viagogo éditent les sites en cause.

21. Les sociétés Viagogo affirment au contraire qu'elles se contentent d'héberger sur leur plateforme des offres mises en ligne par des tiers. Elles précisent que le fonctionnement de la plateforme est entièrement automatisé et ne leur confère aucune connaissance sur les offres effectivement mises en ligne et qu'une telle activité doit s'analyser en un rôle passif. Elles ajoutent que leurs conditions générales d'utilisation indiquent expressément aux internautes qu'elles n'exercent aucun contrôle sur le contenu des offres publiées. Elles déduisent de ce qui précèdent qu'elles bénéficient du statut d'hébergeur et qu'en conséquence elles ne peuvent voir leur responsabilité engagée, qu'à condition d'avoir eu connaissance des offres illicites et de ne les avoir pas promptement retirées. Or, elles estiment ne pas avoir eu connaissance des offres litigieuses et de ne pas en avoir été valablement notifiées (au sens de l'article 6-I 5o de la LCEN) par la FFT.

Appréciation du tribunal

22. L'article 6-I de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), laquelle réalise la transposition en droit interne de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, prévoit que:
"2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible. (...)
7. Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites."

23. Par un arrêt du 12 juillet 2011 (aff. C-324/09, L'Oréal c/ eBay) la Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit que "L'article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (" directives sur le commerce électronique "), doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à l'exploitant d'une place de marché en ligne lorsque celui-ci n'a pas joué un rôle actif qui lui permette d'avoir une connaissance ou un contrôle des données stockées. Ledit exploitant joue un tel rôle quand il prête une assistance laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci. Lorsque l'exploitant de la place de marché en ligne n'a pas joué un rôle actif au sens visé à l'alinéa précédent et que sa prestation de service relève, par conséquent, du champ d'application de l'article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, il ne saurait néanmoins, dans une affaire pouvant résulter dans une condamnation au paiement de dommages et intérêts, se prévaloir de l'exonération de responsabilité prévue à cette disposition s'il a eu connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l'illicéité des offres à la vente en cause et, dans l'hypothèse d'une telle connaissance, n'a pas promptement agi conformément au paragraphe 1, sous b), dudit article 14."

24. En l'espèce, la FFT démontre que les défenderesses, loin d'adopter un rôle neutre purement technique, sont à l'origine de l'architecture du site et notamment du classement des billets en rubriques spécifiques (les rubriques "sport" ou "tennis" en particulier), assurent la promotion du tournoi "Rolex [Localité 8] Masters" en publiant des messages, visant notamment à indiquer l'état des stocks de billets aux internautes, offrent à ces derniers la possibilité de choisir leur place et leur positionnement dans les tribunes à l'aide d'un plan schématique de l'AccorHotels Arena où se déroule l'événement, sont les interlocutrices uniques de l'acquéreur lors de la transaction, ne permettent pas à l'acquéreur de connaître l'identité ou l'identifiant du vendeur, assurent la délivrance du billet via leur site internet et garantissent le remplacement du billet en cas de problème par un billet similaire ou plus avantageux. Ces différents éléments établissent amplement que les sociétés défenderesses ne jouent pas un rôle purement passif, ne leur conférant ni connaissance ni contrôle sur le contenu de leur plateforme marchande. Au contraire, il en résulte que les sociétés Viagogo organisent leur plateforme en toute connaissance des billets qui y sont commercialisés, optimisant la présentation de l'offre en vente et la promotion.

25. En conséquence, le sociétés Viagogo ne peuvent se prévaloir du statut d'hébergeur tel que défini par l'article 6-I 2o de la LCEN et ne peuvent bénéficier du régime de responsabilité atténuée qui lui est associé. Partant, il n'est pas nécessaire de déterminer si les sociétés Viagogo avaient, ou non, été valablement informées par la FFT de l'illicéité de son activité.

4o) Sur l'atteinte au monopole d'exploitation de la FFT

Moyens des parties

26. La FFT soutient que, conformément à l'article L. 333-1 du code du sport, elle bénéficie d'un monopole d'exploitation relatif aux manifestations sportives qu'elle organise. Elle ajoute qu'à ce titre, elle dispose d'un droit exclusif concernant la commercialisation des billets permettant l'accès à ses évènements et notamment aux "Rolex [Localité 8] Masters". S'agissant de l'étendue de son monopole, elle estime que le lieu de la vente, la nationalité de l'acquéreur ou son domicile sont indifférents dès lors notamment qu'il est possible de contourner la mesure de géo-blocage visant la France avec l'aide d'un logiciel VPN. Elle ajoute que le monopole d'exploitation dont elle bénéficie s'étend au marché secondaire et donc à la revente non-autorisée de billets à titre habituel comme inhabituel. Elle précise à cet égard que l'extension de ce monopole est nécessaire à la réalisation des objectifs de démocratisation et de développement de leur sport poursuivis par les fédérations. Elle explique enfin que l'interdiction de revente repose sur un texte légal et non seulement sur ses conditions générales de vente, de telle sorte que le moyen tiré du caractère abusif de certaines clauses de ses conditions générales de vente est inopérant pour définir l'étendue de son monopole. Or, elle constate que les internautes français utilisant un VPN ou tout internaute étranger ont pu accéder aux offres litigieuses et faire l'acquisition de billets pour les éditions 2019 et 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters" depuis la plateforme Viagogo. Elle en conclut que l'activité menée sur cette plateforme porte atteinte à son monopole et lui cause un préjudice en captant injustement une partie du flux économique généré par son événement et en l'empêchant d'atteindre les objectifs d'intérêt général qu'elle poursuit.

27. En réponse, les sociétés Viagogo font valoir que le monopole d'exploitation en cause doit être limité et proportionné. Elles affirment à cet égard que l'article 333-1 du code du sport n'a vocation à s'appliquer que sur le territoire français et qu'il ne porte en tout état de cause que sur l'exploitation des droits audiovisuels ou des paris sportifs. Elles estiment également n'avoir pas porté atteinte à ce monopole dès lors qu'étant une plateforme de revente permettant à des tiers de publier des offres, elle ne capte aucun flux économique devant revenir aux organisateurs et ne font pas une exploitation directe de l'événement. Elles expliquent enfin que les conditions générales de vente de la FFT, en ce qu'elles interdisent la revente de billets, ne lui sont pas opposables et en tout état de cause abusives.

Appréciation du tribunal

28. Selon les articles L. 100-1 et L. 100-2 du code du sport, "Le développement du sport pour tous et le soutien aux sportifs de haut niveau et aux équipes de France dans les compétitions internationales sont d'intérêt général.
L'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les associations, les fédérations sportives, les entreprises et leurs institutions sociales contribuent à la promotion et au développement des activités physiques et sportives.
Ils veillent à assurer un égal accès aux pratiques sportives sur l'ensemble du territoire.
Ils veillent également à prévenir et à lutter contre toutes formes de violence et de discrimination dans le cadre des activités physiques et sportives.
L'Etat et les associations et fédérations sportives assurent le développement du sport de haut niveau, avec le concours des collectivités territoriales, de leurs groupements et des entreprises intéressées." Aux fins de permettre aux fédérations sportives d'assurer cette mission d'intérêt général de développement de la pratique du sport et d'égal accès aux pratiques sportives, l'article L. 333-1 alinéa 1er du même code prévoit que :
"Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l'article L. 331-5, sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent."

29. Ce monopole n'est pas limité au droit d'autoriser la prise de paris, non plus qu'au droit de consentir aux retransmissions audiovisuelles des compétitions, mais inclut évidemment les services de billeterie de même que le marché secondaire. D'ailleurs, le code pénal réprime le fait de vendre de manière habituelle les billets d'accès à une manifestation sportive sans l'accord du propriétaire de cette manifestation, de même que le fait, de manière habituelle, de fournir des moyens en vue de la revente de ces billets. Ainsi l'article 313-6-2 du code pénal prévoit que :

"Le fait de vendre, d'offrir à la vente ou d'exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle, est puni de 15 000 € d'amende. Cette peine est portée à 30 000 € d'amende en cas de récidive.
Pour l'application du premier alinéa, est considéré comme titre d'accès tout billet, document, message ou code, quels qu'en soient la forme et le support, attestant de l'obtention auprès du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation du droit d'assister à la manifestation ou au spectacle."

30. Les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de ce texte renseignent sur l'objectif poursuivi par le législateur au moyen de ce renforcement du monopole des fédérations sportives sur les événements sportifs qu'elles organisent (et qu'elles sont, selon le code du sport, seules à pouvoir organiser) : "Depuis quelques années, les pratiques de revente massive de billets ou de titres d'accès à des manifestations tant sportives que culturelles, dans le but d'en tirer un bénéfice, ont tendance à s'amplifier. Il est fréquent que, dès les premiers jours de mise en vente de billets par un producteur ou un organisateur de spectacle ou de manifestation sportive, la pénurie soit créée : une grande partie, voire la totalité des titres d'accès à la manifestation est achetée par une poignée d'individus, qui les revendent ensuite à un prix qui leur permet d'en tirer un substantiel bénéfice. Lors des événements très courus, cette pratique est devenue? très courante. À voir le nombre de sites de revente de billets sur Internet, on est conduit à penser qu'il s'agit d'une activité des plus lucratives ! Les contentieux fleurissent entre les sociétés qui se sont spécialisées dans cette activité et les organisateurs, producteurs ou institutions proposant des spectacles, concerts, matchs et compétitions sportives, voire des expositions. (...)"

31. Il n'apparaît pas inutile en outre de rappeler que ces dispositions légales ont été validées en ces termes par le Conseil constitutionnel :
"6. D'autre part, le législateur a également souhaité garantir l'accès du plus grand nombre aux manifestations sportives, culturelles, commerciales et aux spectacles vivants. En effet, l'incrimination en cause doit permettre de lutter contre l'organisation d'une augmentation artificielle des prix des titres d'accès à ces manifestations et spectacles.
7. En deuxième lieu, la vente de titres d'accès et la facilitation de la vente ou de la cession de tels titres, ne sont prohibées que si elles s'effectuent sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de la manifestation ou du spectacle.
8. En dernier lieu, il résulte des travaux parlementaires qu'en ne visant que les faits commis «de manière habituelle», le législateur n'a pas inclus dans le champ de la répression les personnes ayant, même à plusieurs reprises, mais de manière occasionnelle, vendu, cédé, exposé ou fourni les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation ou à un spectacle.
9. Il résulte de ce qui précède que l'infraction ainsi définie ne méconnaît ni le principe de nécessité des délits et des peines, ni celui de légalité des délits et des peines.
10. Il est loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789, ainsi qu'à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
11. Compte tenu, d'une part, des objectifs de valeur constitutionnelle et d'intérêt général énoncés aux paragraphes 5 et 6 et, d'autre part, de ce que le législateur a réprimé la seule revente de titres d'accès, sa facilitation et celle de la cession de tels titres, uniquement lorsqu'elles sont réalisées à titre habituel et sans l'accord préalable des organisateurs, producteurs ou propriétaires des droits d'exploitation, le législateur n'a méconnu ni la liberté d'entreprendre ni la liberté contractuelle ni le droit de propriété.
12. L'article 313-6-2 du code pénal, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution."
(Décision no 2018-754 QPC du 14 décembre 2018, Société Viagogo et autres)

32. En l'espèce, il n'est pas contestable que la FFT organise chaque année à [Localité 8] le tournoi international de tennis professionnel masculin appartenant aux "Masters 1000", intitulé "Rolex [Localité 8] Masters". En conséquence, la FFT doit être regardée comme propriétaire du droit d'exploitation portant sur cet événement et en particulier sur ses éditions 2019 et 2020. La FFT dispose donc d'un monopole sur l'exploitation de ces événements et notamment sur leurs billetteries, lequel s'analyse en un droit de propriété permettant notamment d'interdire à toute autre personne la commercialisation, sans son autorisation, de billets permettant d'assister à cette compétition sportive.

33. En outre, les deux procès-verbaux en date du 11 octobre 2019 versés aux débats démontrent ici que des billets d'accès à l'édition 2019 des "Rolex [Localité 8] Masters" étaient offerts à la vente sur la plateforme "Viagogo" sans autorisation de la fédération. Ces billets pouvaient être acquis par tout internaute n'utilisant pas une adresse IP française. De la même manière, les captures d'écran réalisées par la FFT le 20 mars 2020 et le 22 juin 2020 témoignent à nouveau de la présence non consentie sur la plateforme "Viagogo" de billets d'accès à l'édition 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters".

34. Il est en outre indifférent que l'achat de billets n'ait pas été possible pour un internaute français, le dommage, alors même que le fait générateur est commis à l'étranger, étant ici entièrement subi en France, s'agissant de la vente de billets concernant une manifestation sportive ayant lieu en France et organisée par une personne morale ayant son siège en France.

35. Enfin, ainsi que le relève à juste titre la FFT, les sociétés Viagogo ne peuvent prétendre contourner l'effet d'un monopole légal, dont la violation est au surplus incriminée pénalement, et dont elles ont une parfaite connaissance, en contestant la validité et l'opposabilité des clauses figurant dans les conditions générales de vente de la FFT.

36. Il en résulte qu'en proposant à la vente, dans le monde entier, des billets pour assister aux éditions 2019 et 2020 du "Rolex [Localité 8] Masters", sans autorisation de la FFT, les sociétés Viagogo ont porté atteinte au monopole d'exploitation de la FFT et engagé leur responsabilité à ce titre.

37. En revanche, ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés Viagogo, la FFT, auprès de qui les billets ont nécessairement été régulièrement acquis en raison du monopole, n'a pas subi un préjudice équivalent aux gains générés par l'activité de revente de ces billets. Il en résulte que la demande aux fins de communication de pièces aux fins de réparation d'un préjudice économique basé sur les gains générés par l'activité des sociétés Viagogo ne peut qu'être rejetée.

38. La FFT est cependant en droit, en vue d'un litige futur et sur le fondement du droit commun tel qu'il résulte des articles 132 et suivants du code de procédure civile, et en particulier de l'article 145 de ce même code, de connaître "la liste des fournisseurs des billets d'accès au tournoi (entendu comme les utilisateurs utilisant la plateforme pour revendre des billets) auprès desquels les sociétés ont obtenu illicitement ces billets revendus illégalement, le prix de revente des billet ainsi que les numéros de série". Il sera donc fait droit à cette demande de communication de pièces sous astreinte, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte conformément aux dispositions de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution.

39. La FFT a en outre subi un préjudice d'image résultant de l'augmentation artificielle des prix des titres d'accès aux "Rolex [Localité 8] Masters" à laquelle aboutit l'activité des sociétés défenderesses, dont le consommateur est amené à croire, à tort, qu'elle lui bénéficie. Les pièces versées aux débats établissent en effet que les prix des billets sur la plateforme "Viagogo" sont sensiblement plus élevés que ceux proposés par la FFT (de plusieurs centaines d'euros pour des billets d'accès à l'édition 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters" par exemple). L'activité des sociétés défenderesses est en outre à l'origine d'un risque en terme de sécurité de l'événement également source d'un préjudice moral. Ces préjudices seront réparés par le versement de la somme de 100.000 euros "à titre provisionnel" comme demandé par la FFT, cette somme tenant compte de la non exécution de l'ordonnance de référé du 25 octobre 2019 par les sociétés défenderesses.

40. Il sera en outre fait droit à la demande de publication du présent selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision.

5o) Sur les autres demandes (parasitisme et fautes distinctes de concurrence déloyale)

41. Aux termes des articles 1240 et 1241 du code civil, "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer." et "Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence."

42. Au visa de ces deux textes, il est constamment jugé que la liberté du commerce autorise tout acteur économique à attirer vers lui la clientèle de son concurrent. Aussi, l'imitation d'un concurrent n'est, en tant que telle, pas fautive, à moins que ne soient utilisés des procédés illicites ou contraires aux usages loyaux du commerce. Est à cet égard fautif le fait, pour un professionnel, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com. 26 janvier 1999, pourvoi no96-22.457 ; Cass. Com. 10 septembre 2013, pourvoi no12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme.

43. Il est par ailleurs admis que le non-respect par un opérateur économique des règles du droit de la consommation créé une distorsion dans le jeu de la concurrence constitutive, en soi, d'un acte de concurrence déloyale par désorganisation du marché de nature à ouvrir un droit à réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle, ce dont il résulte qu'une partie est fondée à se prévaloir de pratiques commerciales réalisées en méconnaissance de la réglementation prescrite par le code de la consommation, dès lors qu'elles lui ont causé un préjudice.

44. Même en supposant que les défenderesses ont commis des actes distincts de concurrence déloyale, de parasitisme, ou encore des pratiques commerciales trompeuses, il n'est en l'occurrence justifié d'aucun préjudice distinct de celui résultant de l'atteinte au monopole d'exploitation de la compétition sportive objet du présent litige, déjà indémnisé, de sorte que les demandes de ces chefs seront toutes rejetées.

45. Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Viagogo seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer à la FFT, sous la même solidarité imparfaite, la somme de 40.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (cette somme incluant le remboursement des frais de constats par huissier de justice).

46. Aucune circonstance ne justifie ici d'écarter l'exécution provisoire de plein droit dont bénéficie la présente décision en application de l'article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal,

DÉCLARE irrecevable l'exception de procédure tirée de l'incompétence de ce tribunal pour connaître de la présente affaire ;

CONDAMNE in solidum les société Viagogo AG et Viagogo Entertainment à payer à la Fédération française de tennis, à titre provisionnel, la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice causé par l'atteinte portée à son monopole d'exploitation sur les éditions 2019 et 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters" par la revente sur la plateforme "Viagogo" aux internautes domiciliés hors de France de billets donnant accès à cette compétition ;

ORDONNE aux sociétés Viagogo AG et Viagogo Entertainment de communiquer à la Fédération française de tennis, la liste des fournisseurs auprès desquels elles ont obtenu les billets d'accès aux éditions 2019 et 2020 des "Rolex [Localité 8] Masters" offerts à la vente sur leur site, ainsi que les numéros de série de ces billets, et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à exécuter la présente décision, courant à l'expiration d'une délai de 30 jours suivant la signification du présent jugement, et pendant 180 jours ;

AUTORISE la Fédération française de tennis à faire publier le dispositif du présent jugement dans trois journaux ou revues, papier ou en ligne, au choix de la FFT, aux frais avancés des sociétés défenderesses, dans la limite de la somme de 7 000 € par publication à la charge des sociétés Viagogo ;

ORDONNE la publication du communiqué suivant, en tête des pages d'accueil du site accessible à l'adresse etlt;www.viagogo.cometgt; ,et ses extensions, pendant une durée de 60 jours, à commencer au plus tard 15 jours suivant la signification du jugement, et sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard qui courra pendant 180 jours, en grand format, d'une façon immédiatement visible pour tout internaute se rendant sur cette page d'accueil:
« By judgement of [Localité 8] Central Court of first instance, Viagogo's activity regarding the second-hand sale of tickets for French sport competitions without the consent of their organisers has been found illegal, and Viagogo has been ordered to pay the French Tennis Federation 100.000 euros in damages. » ;

SE RESERVE la liquidation des astreintes ;

REJETTE toutes les autres demandes de la Fédération française de tennis ;

CONDAMNE in solidum les société Viagogo AG et Viagogo Entertainment aux dépens et autorise la SAS De Gaulle Fleurance et Associés à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile;

CONDAMNE in solidum les société Viagogo AG et Viagogo Entertainment à payer à la Fédération française de tennis la somme de 40.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (cette somme incluant le remboursement des frais de constats par huissier de justice);

RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 08 novembre 2022.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 20/03744
Date de la décision : 08/11/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-11-08;20.03744 ?
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