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07/11/2022 | FRANCE | N°22/51514

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 07 novembre 2022, 22/51514


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 22/51514 - No Portalis 352J-W-B7G-CVYIP

FMNo : 2

Assignation du :
06 Janvier 2022

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 07 novembre 2022

par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSES

Société SHARK ROBOTICS
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Me Marguerite DE PRÉMOREL-HIGGONS, avocat au barreau de PARIS - #W00

07

Société ELWEDYS
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Me Marguerite DE PRÉMOREL-HIGGONS, avocat au barreau de PARIS - #W000...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 22/51514 - No Portalis 352J-W-B7G-CVYIP

FMNo : 2

Assignation du :
06 Janvier 2022

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 07 novembre 2022

par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSES

Société SHARK ROBOTICS
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Me Marguerite DE PRÉMOREL-HIGGONS, avocat au barreau de PARIS - #W0007

Société ELWEDYS
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Me Marguerite DE PRÉMOREL-HIGGONS, avocat au barreau de PARIS - #W0007

DEFENDERESSE

S.A.S. ANGATEC
[Adresse 1]
[Localité 3]/FRANCE

représentée par Maître Charles-antoine JOLY de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #T007

DÉBATS

A l'audience du 03 octobre 2022, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier,

Après avoir entendu les conseils des parties,

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. La société Shark Robotics se présente comme spécialisée dans la conception et la fabrication de robots terrestres destinés à assister l'homme au cours de différentes missions Elle exploite notamment les brevets dont est propriétaire la société Elwedys et en particulier les demandes de brevets suivants :

- la demande de brevet français no FR 2 101 454 déposée le 16/02/2021 et ayant pour titre "Robot equipé d'un dispositif agencé pour recevoir des capteurs de grandeurs physiques et transmettre des informations relatives aux grandeurs physiques" publiée le 19/08/2022 (BOPI 2022-33),

- la demande de brevet français no FR 2 111 102 déposée le 19/10/2021 et qui se veut une demande complémentaire de la précédente, ayant le même titre ("Robot equipé d'un dispositif agencé pour recevoir des capteurs de grandeurs physiques et transmettre des informations relatives aux grandeurs physiques") et la même date de publication au BOPI : 19/08/2022 (BOPI 2022-33),

- la demande de brevet français no FR 2 108 020 déposée le 23 juillet 2021 intitulée "Dispositif de distribution d'oxygène sur un lieu d'intervention" laquelle n'a pas été publiée à ce jour.

2. La société Angatec se présente quant à elle comme spécialisée dans la conception de robots d'assistance opérationnelle et de lutte contre l'incendie.

3. Soupçonnant que des modules complémentaires du robot TEC 800 de la société Angatec reproduisait les revendications des demandes de brevets précitées, les sociétés Elwedys et Shark Robotics l'ont, par une lettre du 2 novembre 2021, mise en demeure de cesser d'offrir à la vente ces produits, ce à quoi la société Angatec opposait un refus qu'elles qualifient de "véhément".

4. C'est dans ce contexte que les sociétés Elwedys et Shark Robotics ont, par acte d'huissier du 6 janvier 2022, fait assigner la société Angatec devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris aux fins qu'il ordonne, sous astreinte, à cette société, de cesser tout acte de fabrication, de promotion, de distribution ou de commercialisation de ses dispositifs Air Tank Support et Support for sensor devices, ou de tout autre produit ou dispositif contrefaisant les demandes de brevets FR2101454, FR2111102 et FR2108020, dès le prononcé de l'ordonnance à intervenir.

5. Après plusieurs renvois, l'affaire a finalement été appelée à l'audience du 3 octobre 2022, à laquelle les sociétés Elwedys et Shark Robotics demandent au juge des référés, à titre principal, de surseoir à statuer dans l'attente de la délivrance des brevets et, subsidiairement, d'ordonner, sous astreinte, à cette société, de cesser tout acte de fabrication, de promotion, de distribution ou de commercialisation de ses dispositifs Air Tank Support et Support for sensor devices, ou de tout autre produit ou dispositif contrefaisant les demandes de brevets FR2101454, FR2111102 et FR2108020, dès le prononcé de l'ordonnance à intervenir. Elles sollicitent également la condamnation de la société Angatec à leur payer la somme de 50.000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de leur préjudice, la "saisie" de tous les dispositifs contrefaisants et de tout document en lien avec l'exploitation de ces dispositifs. Les sociétés Elwedys et Shark Robotics sollicitent encore la condamnation de la société Angatec au paiement de la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

6. Elles soutiennent avoir régulièrement notifié les demandes de brevets, par notification entre avocats le 20 janvier 2022, puis par acte d'huissier le 29 juillet 2022, de sorte que la contrefaçon est selon elles a minima établie à compter de cette dernière date.

7. A l'audience du 3 octobre 2022, la société Angatec conclut à l'irrecevabilité des demandes, les demandes de brevets qui lui sont opposées ne lui ayant jamais été régulièrement notifiées. Subsidiairement, elle conclut au sursis à statuer ainsi qu'au rejet des demandes rappelant qu'elle n'a pu contrefaire un brevet dont elle n'avait pas connaissance, tandis que la prétendue contrefaçon n'est démontrée par aucun élément sérieux (ici des extraits de comptes Linkedin et Twitter). Elle sollicite également la condamnation des sociétés demanderesses à lui payer la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que 17.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

8. Selon l'article L. 611-1 du code de la propriété intellectuelle, "Toute invention peut faire l'objet d'un titre de propriété industrielle délivré par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle qui confère à son titulaire ou à ses ayants cause un droit exclusif d'exploitation. La délivrance du titre donne lieu à la diffusion légale prévue à l'article L. 612-21." En outre, il résulte de l'article L. 613-1 de ce même code, que "Le droit exclusif d'exploitation mentionné à l'article L. 611-1 prend effet à compter du dépôt de la demande." Aux termes de l'article L. 615-4 "Par exception aux dispositions de l'article L. 613-1, les faits antérieurs à la date à laquelle la demande de brevet a été rendue publique en vertu de l'article L. 612-21 ou à celle de la notification à tout tiers d'une copie certifiée de cette demande ne sont pas considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés au brevet.(...)
Le tribunal saisi d'une action en contrefaçon sur le fondement d'une demande de brevet surseoit à statuer jusqu'à la délivrance du brevet."

9. En outre, l'article L. 615-3 du code de la propriété intellectuelle prévoit que "Toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d'actes argués de contrefaçon. (...) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente.
La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux. (...)
Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l'existence de son préjudice n'est pas sérieusement contestable. (...)"

10. Cette dernière disposition réalise la transposition en droit interne de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, qui prévoit à son article 9 "Mesures provisoires et conservatoires" que :
"1. Les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant:
a) rendre à l'encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle, à interdire, à titre provisoire et sous réserve, le cas échéant, du paiement d'une astreinte lorsque la législation nationale le prévoit, que les atteintes présumées à ce droit se poursuivent, ou à subordonner leur poursuite à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation du titulaire du droit; (...)
3. Les autorités judiciaires sont habilitées, dans le cadre des mesures visées aux paragraphes 1 et 2, à exiger du requérant qu'il fournisse tout élément de preuve raisonnablement accessible afin d'acquérir avec une certitude suffisante la conviction qu'il est le titulaire du droit et qu'il est porté atteinte à son droit ou que cette atteinte est imminente. (...)" Ces dispositions de la directive sont précédées d'un "considérant" no22 selon lequel "Il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l'atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d'espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée. Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d'un droit de propriété intellectuelle.La demande est recevable ici à compter du 29 juillet 2022 date de la notificaton de la copie certifiée des demandes de brevets en litige."

11. Il est en l'occurrence sollicité un sursis à statuer "à titre principal".

12. Il est à cet égard rappelé que l'article L.615-4 du code de la propriété intellectuelle, seul applicable ici, vise « le tribunal ». Ce terme est générique et ne crée en lui-même aucune dérogation aux pouvoirs respectifs des différentes formations du tribunal.

13. Or, ainsi qu'il a été rappelé, les pouvoirs du juge des référés en matière de contrefaçon ne sont conçus que pour faire cesser immédiatement une atteinte vraisemblable, en veillant au caractère proportionné des mesures qu'il ordonne à cette fin.

14. Le sursis à statuer, quant à lui, est une exception de procédure qui relève de la compétence, non pas du "tribunal", mais du juge de la mise en état, ce dont il se déduit que l'application du dernier alinéa de l'article L.615-4 du code de la propriété intellectuelle (qui plus est lorsqu'il est sollicité à titre principal par le demandeur lui-même) ne se conçoit que dans le cadre d'une action au fond.

15. En outre, les mesures sollicitées, désormais à titre subsidiaire, apparaissent disproportionnées, la date alléguée de découverte des faits qui est concomitante des dépôts rendant douteuse la vraisemblance de la contrefaçon, ainsi que le relève à juste titre la société défenderesse. Il est par ailleurs observé, à titre surabondant, que les rapports de recherche établis dans le cadre des deux demandes publiées concluent à l'absence d'activité inventive de l'ensemble des revendications des demandes de brevets FR'454 et FR'102.

16. Il ne peut donc qu'être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes, aussi bien de sursis à statuer qu'aux fins de mesures d'interdiction.

17. La société Angatec, qui ne caractérise pas autre chose qu'une mauvaise appréciation de leurs droits par les sociétés Elwedys et Shark Robotics (personnes distinctes de leur dirigeant ayant frauduleusement selon elle déposé la marque "Angatec"), sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

18. En revanche, parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, les sociétés Elwedys et Shark Robotics supporteront les dépens et seront condamnées à payer à la société Angatec la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le juge des référés,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes des sociétés Elwedys et Shark Robotics ;

Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par la société Angatec ;

Condamne les sociétés Elwedys et Shark Robotics aux dépens ;

Condamne les sociétés Elwedys et Shark Robotics à payer à la société Angatec la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire.

Fait à Paris le 07 novembre 2022.

Le Greffier, Le Président,

Flore MARIGNY Nathalie SABOTIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 22/51514
Date de la décision : 07/11/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-11-07;22.51514 ?
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