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25/10/2022 | FRANCE | N°20/03828

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 25 octobre 2022, 20/03828


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/03828 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSASU

No MINUTE :

Assignation du :
07 et 10 avril 2020

JUGEMENT
rendu le 25 octobre 2022
DEMANDERESSES

Société EUROPE WATCH GROUP II BV
[Adresse 6]
[Localité 1] (PAYS BAS)

Société EUROPE WATCH GROUP BV
[Adresse 6]
[Localité 1] (PAYS BAS)

représentées par Maître Sylvie BENOLIE- CLAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0415

DÉFENDERESSES

S.A. TIME AND DIAMONDS (T.A.D)
[Adr

esse 3]
[Localité 5]

Madame [V] [H] épouse [B]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentées par Maître Emmanuelle HOFFMAN ATTIAS de la SELARL HOFFMAN, avocat au...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/03828 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSASU

No MINUTE :

Assignation du :
07 et 10 avril 2020

JUGEMENT
rendu le 25 octobre 2022
DEMANDERESSES

Société EUROPE WATCH GROUP II BV
[Adresse 6]
[Localité 1] (PAYS BAS)

Société EUROPE WATCH GROUP BV
[Adresse 6]
[Localité 1] (PAYS BAS)

représentées par Maître Sylvie BENOLIE- CLAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0415

DÉFENDERESSES

S.A. TIME AND DIAMONDS (T.A.D)
[Adresse 3]
[Localité 5]

Madame [V] [H] épouse [B]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentées par Maître Emmanuelle HOFFMAN ATTIAS de la SELARL HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #C0610

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l'audience du 23 juin 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2022 et prorogé au 25 octobre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

______________________________

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. Les sociétés Europe watch Group B.V et Europe Watch Group II B.V conçoivent et commercialisent des montres et des bijoux fantaisie. La société Europe Watch Group II est titulaire de deux marques de l'Union européenne : une marque verbale no12849361 "CLUSE" enregistrée le 27 août 2014 pour désigner en classes 14 les "instruments de mesure du temps" et 35 les "services de vente au détail concernant les instruments de mesure du temps", ainsi qu'une marque semi-figurative "CLUSE" (le signe est écrit en caractères noirs et en gras sur fond blanc) no15833858 enregistrée le 25 janvier 2017 pour désigner en classe 14 les produits de "joaillerie" et les "instruments chronométriques ; horloges ; horloges électriques ; montres".

2. La société Time And Diamonds (ci après "la société TAD") exploite le site internet accessible à l'adresse etlt;www.cluelesswatches.cometgt;, ainsi que la marque verbale française "CLUELESS" no4351010, déposée le 31 mars 2017, pour désigner en classe 14 notamment les produits d "horlogerie et instruments chronométriques", par Mme [V] [H], épouse [B].

3. Par une lettre de leur conseil en date du 23 septembre 2019, les sociétés Europe Watch Group ont mis en demeure la société TAD de cesser l'utilisation du signe CLUELESS et de retirer de la vente une série de montres qui étaient selon elles des copies de celles commercialisées sous leur marque CLUSE, demande auxquelles n'a pas déféré la société TAD.

4. Les sociétés Europe Watch Group ont fait procéder le 6 décembre 2019 à un constat d'huissier sur le site internet etlt;www.cluelesswatches.cometgt;, exploité par la société TAD et ont ensuite fait assigner Mme [V] [H] et la société TAD, par actes d'huissier des 7 et 10 avril 2020, devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marques et concurrence déloyale et parasitaire.

5. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 30 novembre 2021, les sociétés Europe Watch Group demandent au tribunal de :
- Déclarer la pièce no22 recevable ;
- Juger que Mme [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon des marques de l'Union européenne CLUSE no12849361 et no15833858 dont la société EUROPE WATCH GROUP II B.V est titulaire ;
- Juger que la société TIME AND DIAMONDS s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
En conséquence, sous exécution provisoire de droit selon l'article 514 du code de procédure civile,
- Faire interdiction, sous astreinte de 1 000 € par infraction constate et par jour de retard à compter du prononcé du jugement, à Mme [V] [H], épouse [B] et à la société TIME AND DIAMONDS de faire usage de la dénomination CLUELESS ou de toute autre dénomination similaire, à quelque titre que ce soit et sur tout support, y compris au sein du nom de domaine www.cluelesswatches.com, pour désigner des produits identiques et/ou similaires à ceux visés par les marques antérieures de l'Union européenne CLUSE no12849361 et 15833858 ;
- Ordonner que les produits contrefaisants commercialisés sous la dénomination CLUELESS soient rappelés des circuits commerciaux et écartés définitivement de ces circuits aux fins de destruction devant un huissier de justice aux seuls frais in solidum de Mme [V] [H], épouse [B] et de la société TIME AND DIAMONDS, sous astreinte d'un montant de 1 000 € par infraction constate à compter d'un délai de 15 jours suivant la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonnerla destruction ou la remise à une association caritative, aux frais avancés de Mme [V] [H], épouse [B] et de la société TIME AND DIAMONDS, de tous les produits contrefaisants commercialisés sous la dénomination CLUELESS détenus en stock ainsi que la destruction de l'ensemble des supports et documents commerciaux représentant lesdits produits et ce par huissier, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard compter d'un délai de 15 jours suivant la signification du jugement à intervenir ;
- Faire interdiction, sous astreinte de 1 000 € par infraction constate et par jour de retard à compter du prononcé du jugement, à Mme [V] [H], épouse [B] et à la société TIME AND DIAMONDS, de vendre ou d'offrir à la vente des produits contrefaisants sous la dénomination CLUELESS et ce, sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne ;
- Faire injonction à la société TIME AND DIAMONDS, conformément à l'article L.716-4-9 du code de la propriété intellectuelle de communiquer des documents comptables certifiés permettant de déterminer les quantités exactes de produits contrefaisants commercialisés sous la marque CLUELESS importés, commandés, reçus, livrés et vendus par la société TIME AND DIAMONDS en France et sur le territoire de l'Union Européenne, sous astreinte de 500 € par jour de retard, pass le délai de 8 jours suivant la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonner à la société TIME AND DIAMONDS de procéder à la radiation du nom de domaine www.cluelesswatches.com sous astreinte de 1 000 € par jour de retard compter du prononcé du jugement ;
- Se réserver la liquidation des astreintes précitées ;
- Condamner in solidum Madame [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS à verser aux sociétés EUROPE WATCH GROUP B.V et EUROPE WATCH GROUP II B.V la somme provisionnelle de 500 000 € titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice commercial, à parfaire après justification de l'intégralité de la masse contrefaisante ;
- Condamner in solidum Mme [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS à verser aux sociétés EUROPE WATCH GROUP B.V et EUROPE WATCH GROUP II B.V la somme de 80 000 € en rparation du préjudice moral causé du fait des actes de contrefaçon de marques ;
- Condamner la société TIME AND DIAMONDS à verser à la société EUROPE WATCH GROUP B.V la somme de 300 000 € titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
- Annuler la marque française verbale CLUELESS déposée et enregistrée le 31 mars 2017 sous le no4351010 pour l'ensemble des produits qu'elle désigne ;
- Ordonner l'inscription du jugement à intervenir au Registre National des Marques de l'INPI et DIRE que cette inscription pourra être effectuée sur présentation d'une copie exécutoire, dans les conditions de l'article R.714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle;
- Ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues au choix des sociétés EUROPE WATCH GROUP B.V et EUROPE WATCH GROUP II B.V aux frais exclusifs et avancés des défenderesses dans la limite d'un montant global de 30 000 € HT ;
- Débouter Mme [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- Condamnerin solidum Madame [V] [H], épouse [B] et la société TIME AND DIAMONDS à verser aux sociétés EUROPE WATCH GROUP B.V et EUROPE WATCH GROUP II B.V la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du code de procdure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

6. Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 14 octobre 2021,la société TAD et Mme [H] demandent au tribunal de :
- Les Recevoir en toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- Ecarter des débats la pièce 22 communiquée par les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV comme non traduite en langue française ;
- Débouter les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- Dire qu'aucun acte de contrefaçon de marque ne peut être reproché à la société TIME AND DIAMONDS du fait de l'exploitation de la marque CLUELESS faute de risque de confusion avec les marques CLUSE revendiquées ;
- Dire qu'aucun acte de contrefaçon de marque ne peut être reproché à Mme [V] [H] du fait du dépôt de la marque française CLUELESS numéro 4351010 faute de risque de confusion avec les marques CLUSE revendiquées ;
- Débouter les sociétés EUROPE WATCH GROUP II et EUROPE WATCH GROUP BV de toutes leurs demandes au titre de la contrefaçon de marques y compris leurs demandes indemnitaires;
- Débouter les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV de toutes leurs au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, y compris leurs demandes indemnitaires :
- Débouter les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV de l'ensemble de leurs demandes complémentaires y compris d'exécution provisoire ;
- Condamner solidairement les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV à verser à la société TIME AND DIAMONDS la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner solidairement les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV à verser à Mme [V] [H] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner solidairement les sociétés EUROPE WATCH GROUP BV et EUROPE WATCH GROUP II BV aux entiers dépens.

7. L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 9 décembre 2021 et l'affaire plaidée à l'audience du 23 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la contrefaçon de marques

Moyens des parties

8. Les sociétés Europe Watch Group soutiennent que le risque de confusion, apprécié globalement, est inévitable ici, et d'ailleurs avéré, vu l'identité des produits et la similarité des signes. Elles font ainsi valoir que les produits couverts par l'enregistrement de la marque CLUELESS sont similaires voire identiques à ceux désignés par l'enregistrement des marques CLUSE. Elles font également valoir que les deux signes "CLUSE" et "CLUELESS" sont visuellement et phonétiquement proches, sans qu'une signification conceptuelle puisse les différencier. En particulier, elles soutiennent que les deux termes seront prononcés de la même manière par un consommateur français et relèvent surtout que l'attaque des deux mots étant identique et l'intégralité des lettres du signe des demanderesses étant repris dans celui des défenderesse, le risque de confusion est caractérisé. Elles invoquent à cet égard la confusion faite par deux clientes ayant acquis des montres "Clueless", l'une en proposant la revente comme montre de marque "Cluse" et la seconde s'adressant au service après-vente "Cluse" pour se plaindre de la mauvaise qualité du bracelet.

9. Les défenderesses contestent cette analyse et soutiennent qu'une appréciation globale des signes en comparaison permet de conclure à une absence de risque de confusion. En effet, si les produits en cause sont bien identiques, la société TAD et Mme [H] relèvent que les deux mots sont d'une longueur différente et composés de lettres différentes, tandis qu'une similarité entre eux ne peut pas être déduite de la seule identité de leurs trois premières lettres, ce d'autant moins que le consommateur français ne les prononcera pas de la même manière, tandis qu'aucun des deux signes n'a selon elles de signification incontestable qui permettrait de les rapprocher.

Réponse du tribunal

10. Aux termes de l'article 9 "Droit conféré par la marque de l'Union européenne" du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne (rédigé en termes en substance identiques à l'article 10 de la Directive 2015/2436 rapprochant les législations sur les marques):
"1. L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.
2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque : (...)
b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ; (...)
3. Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2:
a) d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;
b) d'offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe;
c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe; (...)."

11. Afin d'apprécier le degré de similitude existant entre les signes en conflit, il y a lieu de déterminer leur degré de similitude visuelle, phonétique et conceptuelle et, le cas échéant, d'évaluer l'importance qu'il convient d'accorder à ces différents éléments, en tenant compte de la catégorie de produits ou de services en cause ou des conditions dans lesquelles ils sont commercialisés (arrêts du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, point 27, et du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C-334/05 P, point 36 ; et récemment arrêt du 4 mars 2020, Equivalenza Manufactory SL, C-328/18 P, point 68).

12. Il n'est pas contesté que les produits couverts par les marques en litige sont au moins pour partie identiques s'agissant dans les deux cas de produits d'horlogerie et en particulier de montres. Les produits sont donc fortement similaires et le public pertinent d'attention moyenne à élevée.

13. Visuellement, les signes "Cluse" et "Clueless" partagent incontestablement la même attaque "CLU" et, ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés demanderesses, la partie initiale des marques verbales peut être susceptible de retenir l'attention du consommateur davantage que les parties suivantes (voir par exemple les arrêts du tribunal du 17 mars 2004, El Corte Inglés/OHMI – [J] [G] et Iberia Líneas Aéreas de España (MUNDICOR), aff. T-183/02 et T-184/02, Rec. p. II-965, point 81, du 16 mars 2005, L'Oréal/OHMI – Revlon (FLEXI AIR), T-112/03, points 64 et 65, du 13 février 2008, Sanofi-Aventis SA,/ OHMI - GD Searle LLC (URION /ATURION), aff. T146/06, point 49). En outre, si le consommateur français prononcera sans doute cette attaque [kly] s'agissant de la marque "Cluse" et [klu] s'agissant de la marque "Clueless", dès lors qu'il percevra immédiatement qu'il s'agit d'un terme de la langue anglaise, le public pertinent du reste de l'Union prononcera lui l'attaque des deux signes de la même manière à savoir [klu].

14. Ceci étant, les signes se distinguent visuellement par l'ajout de 3 lettres dans la marque "Clueless", ce qui en modifie assez nettement l'apparence, et se distinguent surtout phonétiquement par l'ajout d'une syllabe, ici "less". Il en résulte que la ressemblance, visuelle et auditive des signes, est moyenne voire faible en dépit de l'identité de leurs 3 premières lettres.

15. Il est également rappelé que, si le consommateur moyen perçoit normalement une marque comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails, il n'en demeure pas moins que, en percevant un signe verbal, il décomposera celui-ci en des éléments verbaux qui, pour lui, suggèrent une signification concrète ou qui ressemblent à des mots qu'il connaît (voir arrêt du 13 février 2007, Mundipharma/OHMI - Altana Pharma (RESPICUR), aff. T-256/04, point 57). En l'occurrence, si le signe "Cluse" n'a apparemment pas de signification particulière, le signe "Clueless" est quand à lui un terme de la langue anglaise qui signifie "sans aucune idée", voire "confus", "perdu" et, si le public français n'attribuera pas nécessairement immédiatement à ce signe son sens exact, il comprend qu'il s'agit d'un terme de langue anglaise, renvoyant littéralement, par l'ajout du suffixe "less" au terme "clue", à l'absence d'indice. Les signes "Cluse" et "Clueless" sont donc conceptuellement distincts.

16. Il en résulte que le public pertinent, d'attention moyenne à élevée, en dépit de l'identité des produits, ne sera pas amené à leur attribuer une origine commune en raison de la faible ressemblance des signes dont ils sont revêtus et plus particulièrement en raison de leurs différences auditive et conceptuelle. Le risque de confusion apparaît donc exclu et les deux événements rapportés par les sociétés demanderesses apparaissent susceptibles d'avoir d'autres causes qu'une réelle confusion entre les signes par les consommateurs au moment de l'achat des produits.

17. La contrefaçon de marques n'étant pas caractérisée, toutes les demandes présentées à ce titre (interdiction, rappel des produits, communication forcée de pièces, annulation de la marque "Clueless", radiation de nom de domaine, paiement de dommages-intérêts) ne peuvent qu'être rejetées.

2o) Sur la concurrence déloyale et paratisaire

Moyens des parties

18. Les sociétés demanderesses reprochent à la société TAD d'avoir repris de manière quasi identique 5 montres, parmi les plus caractéristiques et "emblématiques" des collections commercialisées sous leur marque "CLUSE". Les sociétés Europe Watch Group fondent également leurs demandes en concurrence déloyale et parasitaire sur la reprise par la société TAD d'éléments de communication, à savoir 6 visuels publiés sur leur compte Instagram repris à l'identique sur le compte Instagram "Clueless" après modification des produits présentés.

19. La société TAD conclut au rejet des demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire soutenant que, si les produits qu'elle-même commercialise ressemblent à ceux des sociétés Europe Watch Group, c'est parce que leurs produits s'inscrivent dans une même tendance de la mode horlogère, reprise par de nombreux autres opérateurs économiques, celle des montres de poignet "vintage" à boîtier rond ou carré et bracelet en maille milanaise (effet côte de maille), que les sociétés demanderesses ne sauraient s'approprier. La société TAD ajoute avoir exposé ses propres frais de promotion de ses produits et soutient que les sociétés demanderesses ne détiennent aucun droit privatif sur les photographies qu'elles lui reprochent d'avoir reprises.

Réponse du tribunal

20. Selon les articles 1240 et 1241 du code civil « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

21. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion. L'appréciation de cette faute doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété du produit copié.

22. Le parasitisme, qui n'exige pas de risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et sans bourse délier des investissements, d'un savoir-faire ou d'un travail, produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel. Il incombe à celui qui allègue de parasitisme d'établir le savoir-faire ainsi que les efforts humains et financiers consentis par lui, ayant permis la création d'une valeur économique individualisée.

23. Force est en l'occurrence de constater que les sociétés demanderesses n'établissent (ni d'ailleurs n'allèguent), que les 5 montres "copiées" par la société TAD seraient particulièrement originales ou particulièrement anciennes, s'agissant de créations datées de 2015 et 2018. Les deux parties commercialisent en outre une gamme bien plus vaste de produits, les sociétés Europe Watch Group revendiquant la commercialisation de 122 produits, et la société TAD 555 références. En outre, les sociétés Europe Watch Group ne caractérisent pas en quoi ces 5 modèles bénéficieraient d'une notoriété particulière ou encore représenteraient une valeur économique individualisée, leur propre communication sur Instagram concernant ces produits n'apparaissant de ce chef pas particulièrement convaincante, en l'absence d'autres éléments démontrant les investissements spécialement consacrés à ces 5 modèles de montres ou encore leur part dans le chiffre d'affaires de 69 millions d'euros réalisé en 2017 sur la vente de montres, qui est invoqué au titre de leur préjudice. Il en résulte que la "copie", qui n'est au demeurant pas servile, des modèles Boho Chic, Tetragonne et Triomphe, ne saurait en elle-même être constitutive d'un agissement parasitaire ou déloyal.

24. En revanche, la reprise de 6 visuels divulgués et exploités par les sociétés demanderesses, révélateurs de leur univers, pour présenter (manifestement par des retouches réalisées sur ces photographies) des montres similaires aux leurs, caractérise la volonté de la société TAD, tout à la fois de créer un risque de confusion entre ses produits et ceux de la marque "Cluse", et de tirer partie sans bourse délier des investissements promotionnels sur les réseaux sociaux des sociétés Europe Watch Group, ce qui caractérise l'existence d'une faute de concurrence déloyale et parasitaire.

25. Une telle faute cause nécessairement un préjudice aux sociétés demanderesses (Cass. Com., 12 févr. 2020, pourvoi no 17-31.614) dont une part des investissements publicitaires est ainsi captée et qui subissent le risque qu'une partie de leur clientèle se détourne. Ce préjudice sera réparé par le versement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts, cette somme, au paiement de laquelle sera condamnée la société TAD, prenant en compte l'importance de la communication digitale pour les deux parties qui commercialisent leurs produits principalement sur internet auprès d'une clientèle plutôt jeune. Le préjudice apparaissant ainsi suffisamment réparé, la demande de publication de la présente décision sera rejetée.

26. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société TAD sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer aux sociétés Europe Watch Group la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme tenant compte du fait que ces parties perdent sur l'essentiel de leurs demandes, tandis qu'il n'apparaît pas inéquitable ici que Mme [H] conserve la charge de ses frais irrépétibles.

27. Aucune circonstance ne justifie enfin d'écarter l'exécution provisoire de droit dont est assortie la présente décision conformément aux dispositions de l'article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

REJETTE les demandes des sociétés Europe Watch Group et Europe Watch Group II fondées sur la contrefaçon des marques de l'Union Européenne "CLUSE" no12849361 et no15833858 (interdiction, rappel des produits, communication forcée de pièces, annulation de la marque "Clueless", radiation de nom de domaine, paiement de dommages-intérêts);

CONDAMNE la société Time And Diamond à payer à la société Europe Watch Group la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice causé par les faits de concurrence déloayale et parasitaire résultant de la reprise de 6 visuels lui appartenant ;

REJETTE la demande de publication de la présente décision ;

CONDAMNE la société Times And Diamonds aux dépens ;

CONDAMNE la société Time And Diamond à payer à la société Europe Watch Group la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE Mme [V] [H] épouse [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l'exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 25 Octobre 2022.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 20/03828
Date de la décision : 25/10/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-10-25;20.03828 ?
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