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21/10/2022 | FRANCE | N°19/06127

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 21 octobre 2022, 19/06127


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 19/06127
No Portalis 352J-W-B7D-CP532

No MINUTE :

Assignation du :
14 Mai 2019

INCIDENT

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 21 Octobre 2022

DEMANDERESSE

S.A.S. ROSET
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Maître Carole BERNARDINI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0399

et par Maître Jean-Pierre STOULS, de STOULS et ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

DEFENDERESSES
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[Adresse 2]
[Localité 5]

représentée par Maître Hugo BATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2501

Société THIS.SIGN LTD...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
2ème section

No RG 19/06127
No Portalis 352J-W-B7D-CP532

No MINUTE :

Assignation du :
14 Mai 2019

INCIDENT

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 21 Octobre 2022

DEMANDERESSE

S.A.S. ROSET
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Maître Carole BERNARDINI, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0399

et par Maître Jean-Pierre STOULS, de STOULS et ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

DEFENDERESSES

S.A.S. BROCANTE LAB
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentée par Maître Hugo BATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2501

Société THIS.SIGN LTD
[Adresse 4]
[Localité 7] (ANGLETERRE)

représentée par Maître Claire BOUCHENARD de la SELAS OSBORNE CLARKE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0117

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge
assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DÉBATS

A l'audience du 22 Septembre 2022 , avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 07 Octobre 2022 puis prorogé au 21 Octobre 2022.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Synthèse de l'objet du litige

1. Le présent incident porte d'une part sur la rétractation de l'ordonnance ayant, le 28 septembre 2021, autorisé sur requête une mesure d'instruction consistant à rechercher, dans les locaux de la société Roset, les preuves d'un dénigrement allégué par la société Brocante lab. Il porte d'autre part sur la levée du séquestre sous lequel ont été placés l'ensemble des éléments découverts lors de l'exécution de cette mesure.

Faits et procédure

2. La société Roset, titulaire d'une marque verbale française honomyne (no1571757) et de marques verbales française et de l'Union européenne « Ligne Roset » (no98757593 et no000516666), toutes enregistrées dans les années 1990, édite un fauteuil ou canapé intitulé Togo, créé par [D] [Z] en 1973, sur lequel elle revendique des droits d'auteur, et dont elle a déposé la forme à la fois en tant que dessin ou modèle français en 1974 (expirant, dit-elle, en 2024) et en tant que marque tridimensionnelle de l'Union européenne (no016691537, enregistrée le 12 septembre 2017).

3. Elle reproche à la société Brocante lab, qui exploite un site internet spécialisé dans la vente de meubles à l'adresse selency.fr, d'y vendre des fauteuils Togo d'occasion (mal) retapissés et sur lesquels est apposé le signe Ligne Roset, en contrefaçon de ses droits d'auteur, son dessin ou modèle, et ses marques ; et, après une mise en demeure infructueuse, elle a assigné le 15 mai 2019 la société Brocante lab de ces chefs.

4. La société Brocante lab a assigné le 9 décembre 2019 en intervention forcée la société de droit anglais This.sign, qui a rénové et vendu sur le site selency.fr des fauteils Togo litigieux.

5. Au terme d'un premier incident initié par la société Roset 19 mois après l'assignation, le 8 décembre 2020, le juge de la mise en état, constatant en passant que l'instruction était sur le point d'être achevée, a, le 25 juin 2021, ordonné sous astreinte aux sociétés This.sign et Brocante lab de communiquer à la demanderesse un état exhaustif des ventes réalisées par la première à la seconde. La société Roset a alors formé un deuxième incident le 19 juillet 2021 en interdictions et indemnité provisoires ; un nouveau juge de la mise en état a rejeté ces demandes par ordonnance du 11 février 2022, au motif notamment que l'instruction était sur le point d'être achevée.

6. Entre temps, la société Brocante lab, alléguant reconventionnellement un dénigrement de la part de la société Roset et cherchant à s'en ménager la preuve a, sur autorisation du (deuxième) juge de la mise en état obtenue sur requête, fait pratiquer le 20 octobre 2021 une mesure d'instruction dans les locaux de la société Roset, lors de laquelle ont été copiés un grand nombre de courriels, dont celle-ci a obtenu de l'huissier le placement sous séquestre.

7. C'est pour obtenir la levée de ce séquestre que la société Brocante lab a formé un troisième incident par conclusions du 17 novembre 2021 ; et la société Roset a demandé pour sa part la rétractation de l'ordonnance ayant autorisé la mesure. Cet incident a été plaidé, après renvoi à la demande des parties, le 22 septembre 2022 devant un troisième juge de la mise en état succédant au précédent.

Prétentions pour l'incident

8. Dans ses dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 17 mai 2022, la société Brocante lab, en substance :
? résiste à la demande incidente en nullité de la requête en mesure d'instruction et de la mesure elle-même,
? demande de lever le séquestre sur les courriels saisis par l'huissier le 20 octobre 2021, et de les lui communiquer ;
? subsidiairement, que le juge de la mise en état procède au tri des pièces, au besoin en désignant un expert, puis en ordonne la communication sur clé USB, en n'écartant que les correspondances couvertes par le secret professionnel, c'est-à-dire « faisant explicitement référence à la stratégie de défense mise en place par » l'avocat de la société Roset, et en ordonnant à celle-ci de caractériser cette référence pour chaque pièce qu'elle entendrait écarter, et en mettant à la seule charge de celle-ci les éventuels « frais de conseil et d'expertise » ;
? outre 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

9. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 13 septembre 2022, la société Roset demande au juge de la mise en état de :
? se déclarer incompétent pour la demande en mainlevée de séquestre, au profit du juge de l'exécution de Bourg-en-Bresse ;
? rétracter l'ordonnance du 28 septembre 2021 ayant autorisé la mesure d'instruction
? annuler cette mesure et les pièces qui en seraient issues, et lui restituer les documents saisis à cette occasion, sous astreinte ;
? subsidiairement, désigner un expert pour distinguer les documents nécessaires à la preuve du « prétendu dénigrement »,
? outre 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et réserver les dépens.

Moyens des parties pour l'incident

10. Sur la compétence, la société Roset expose que la mise sous séquestre ayant été faite par l'huissier à sa demande, et non ordonnée par le juge, elle relèverait de la mainlevée prévue par l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, qui la confie au juge de l'exécution ; et ne pourrait en tout état de cause relever de la compétence du juge de la rétractation, comme l'aurait jugé la Cour de cassation. La société Brocante lab répond que cette disposition concerne seulement les mesures conservatoires, et que le juge de la mise en état est ici compétent non seulement en tant que juge de la rétractation, mais aussi en tant que juge chargé du suivi de la mesure d'instruction qu'il a ordonnée.

11. Sur la rétractation, la société Roset soutient en premier lieu que la requête en autorisation de la mesure d'instruction a présenté les faits de manière biaisée ; que, par ailleurs, les mesures ordonnées ne sont pas nécessaires « au droit de la preuve » ; qu'en effet, il y est dit qu'elle aurait investi le marché de l'occasion récemment alors qu'elle y est présente depuis 30 ans, qu'elle voudrait éliminer ses concurrents alors que ce n'est pas démontré ; que le dénigrement allégué ne serait qu'un leurre, un « délire paranoïaque de persécution », fondé sur la répétition des mêmes affirmations et exagérations, sans être démontré ; qu'en particulier, la suspicion entretenue dans la requête en comparant les termes utilisées dans ses conclusions et dans des attestations qu'elle produit ne porte en fait que sur des éléments objectifs, connus, qui ne prouveraient donc rien ; enfin que la société Brocante lab se présenterait de façon mensongère comme une plateforme de revente de meubles alors qu'elle exercerait aussi une activité de retapissage et ne serait pas un intermédiaire.

12. Sur ce premier point, la société Brocante lab estime que sa requête était parfaitement motivée ; qu'en particulier, (1) la société Roset mettrait publiquement en garde les internautes sur des contrefaçons commises sur les « marketplaces en ligne », ce qui la vise directement en tant que première de ces « marketplaces » ; (2) a produit dans la présente instance des pièces « surprenantes », à savoir des courriels et courriers adressés par des tiers à la société Brocante lab, qui reprendraient précisément l'argumentaire de la société Roset, sans que celle-ci réponde à la sommation qu'elle lui avait faite d'attester n'avoir pas renseigné les expéditeurs sur le procès ; (3) qu'elle-même (Brocante lab) aurait reçu des courriels d'un inconnu et de deux clients se plaignant de ce que les canapés Togo vendus étaient des contrefaçons, en utilisant là encore une argumentation proche de celle de la société Roset, ce qui indiquerait que celle-ci les aurait renseignés et incités à écrire ces réclamations ; enfin (4) que la société Roset a écrit à une autre cliente potentielle pour l'avertir du procès en cours et de ce qu'il y aurait sur Selency de nombreux faux Togos en vente. La société Brocante lab, qui ajoute par ailleurs que seul le canapé Togo fait l'objet de ces réclamations parmi plus de 200 000 produits en vente, déduit de ces éléments la nécessité pour elle « d'enrichir la preuve » du dénigrement.

13. La société Roset soutient en deuxième lieu que ni la requête ni l'ordonnance ne justifie suffisamment la dérogation à la contradiction, pas plus que l'urgence ; enfin que les mesures ordonnées sont illégales car trop générales.

14. La société Brocante lab réplique en deuxième lieu que l'urgence était caractérisée par la « continuité » et « la multiplication récente » des faits invoqués, le caractère avéré du dénigrement, qui perturberait gravement son activité économique ; et que la nécessité de déroger à la contradiction était caractérisée par le risque de suppression des données informatiques recherchées.

15. En troisième lieu, la société Roset estime que la mesure autorisée est excessive et disproportionnée dans son ampleur matérielle, pour concerner tous les échanges correspondant aux mots-clés « Brocante lab » ou « Selency », et dans son ampleur temporelle, pour concerner une période de plus de 3 ans, soit depuis l'origine du litige, alors que la sommation de communiquer qui lui avait été réclamée par la société Brocante lab ne concernait qu'un nombre très limité d'informations. Elle ajoute que parmi les nombreux courriels appréhendés, beaucoup sont des transferts internes de la correspondance avec son avocat, et n'auraient donc pas dû être saisis, en application de l'article 66-5 de la loi no71-1130.

16. La société Brocante lab répond que la mesure était suffisamment limitée dans son objet, à la recherche des seuls fichiers « en rapport avec les faits litigieux », correspondant à des mots-clés précis, à l'exclusion des échanges avec les avocats et conseils en propriété industrielle, l'huissier ayant en outre examiné avec les personnes présentes les correspondances à exclure ; qu'elle était suffisamment limitée dans le temps.

17. La société Brocante lab en déduit également que le séquestre peut être levé à son profit, les éléments découverts étant indispensables selon elle à sa demande reconventionnelle en dénigrement. Elle propose subsidiairement un tri selon deux groupes de deux catégories : en premier lieu les correspondances échangées d'une part entre des employés ou dirigeants de Roset, et d'autre part entre Roset et des tiers ; en second lieu, d'une part les correspondances ne faisant pas explicitement référence à une stratégie de défense, et d'autre part les correspondances y faisant explicitement référence.

MOTIFS

1) Rétractation de l'ordonnance autorisant la mesure d'instruction

18. L'ordonnance sur requête est définie par l'article 493 du code de procédure civile comme une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. L'article 496 prévoit que s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance, et l'article 497 précise que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance.

19. L'ordonnance ici contestée a autorisé une mesure d'instruction, qui est donc régie par les articles 143 et suivants du code de procédure civile. L'article 143 autorise de façon générale « toute mesure d'instruction légalement admissible. ».

20. Doivent ainsi être examiné, au cas présent, la légalité de la mesure d'instruction qui a été autorisée, et la possibilité de l'autoriser sur requête.

Conditions d'une autorisation sur requête

21. En application de l'article 493 du code de procédure civile, le juge ne peut être saisi sur requête que si « le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ». L'article 845 applique cette faculté devant le tribunal judiciaire. Cette dérogation au principe de la contradiction est remplie, notamment, si l'appel de la partie adverse poserait un risque sérieux d'inefficacité de la mesure, tel que la disparition des preuves dont la recherche est demandée.

22. Tel est le cas de correspondances sur support électronique, aisément effaçables. La recherche de telles correspondances pour prouver des faits de dénigrement, donc de concurrence déloyale, justifie que l'auteur allégué de ces faits, chez qui le requérant veut obtenir ces correspondances, ne soit pas averti de la mesure avant que celle-ci soit réalisée.

23. Dès lors, en visant ce risque d'effacement de preuves électroniques, la requête et l'ordonnance qui en a adopté les motifs ont suffisamment justifié la dérogation au principe de la contradiction et, partant, la saisine du juge sur requête.

Légalité de la mesure

24. La Cour de cassation, rappelant l'existence d'un droit à la preuve, a jugé que constituent des mesures légalement admissibles, les mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi ; et qu'il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass. 2e Civ., 10 juin 2021, no20-11.987, point 11).

25. S'agissant de la longueur de la période visée par la mesure en cause, la société Roset dit elle-même qu'elle correspond à la durée de la procédure devant le présent tribunal. Il s'agit d'une période pertinente pour rechercher des faits de dénigrements qui auraient été causés à l'occasion de cette procédure. Et la longueur anormale de cette procédure vient, au moins en partie, du propre comportement procédural de la société Roset, qui ne peut dès lors s'en prévaloir pour critiquer l'ampleur des recherches liées à cette procédure. La limitation temporelle de la recherche aux correspondances postérieures au 24 mai 2018 était ainsi suffisante.

26. S'agissant de son ampleur matérielle, la mesure d'instruction portait sur toute correspondance mentionnant le nom de la société Brocante lab ou son nom commercial, Selency, ce qui est particulièrement général. Il faut alors apprécier si, et dans quelle mesure, cette recherche est proportionnée, au regard de sa nécessité pour prouver les faits allégués, et de la gravité de l'atteinte qu'elle cause pour la personne visée.

27. En premier lieu, le dénigrement qui serait commis par une mention sur le site internet de la société Roset est en lui-même public ; la mesure demandée est sans utilité pour le démontrer.

28. En deuxième lieu, parmi les pièces « surprenantes » invoquées par la société Brocante lab, toutes sauf une émanent, aux dires mêmes de la requérante, de revendeurs de la société Roset, qui ne sont manifestement pas des clients de la société Brocante lab, laquelle s'adresse à des particuliers. Or comme celle-ci le soulève elle-même, le dénigrement est caractérisé par une communication à l'égard de la clientèle de la victime ; la mesure réclamée est donc manifestement inutile pour rapporter une preuve de dénigrement à l'égard de ces échanges avec ces revendeurs.

29. En revanche, la société Roset n'a pas expliqué pourquoi elle a pu communiquer elle-même (sa pièce no15) un courriel envoyé par une société BCI [Localité 6] à la société Brocante lab, qui critique les pratiques de celle-ci. Et la qualité de cette société n'est pas connue, de sorte qu'il ne peut être exclu qu'elle puisse être cliente de Brocante lab. Il est alors nécessaire de savoir ce que la société Roset a pu indiquer à cette société, ce qui consiste en une recherche très limitée.

30. De la même manière, des particuliers et clients de la société Brocante lab lui ont directement reproché des faits analogues à ceux que lui reproche la société Roset. Si cette seule coïncidence ne suffit évidemment pas à caractériser un dénigrement, elle rend légitime, pour la société Brocante lab, la recherche de l'existence d'une communication éventuelle de la part de la société Roset envers ces personnes, qui aurait pu les influencer. Cet intérêt est certes relativement fragile, mais dans la mesure où la société Roset n'allègue elle-même aucun motif légitime d'avoir adressé la moindre correspondance à ces personnes, la recherche de cette seule correspondance ne porte aucune atteinte à ses intérêts.

31. Plus généralement, à cet égard, la concomitance, d'une part, de critiques très argumentées émanant de particuliers, et d'autre part, de la concertation de la société Roset avec ses revendeurs (puisque a minima ceux-ci lui ont remis les courriels qu'ils ont adressés à la société Brocante lab), rend plausible l'allégation de la requérante selon laquelle la société Roset aurait adressé des propos dénigrants à d'autres clients que les seuls qui ont été identifiés. Il est alors nécessaire pour elle de rechercher l'existence de ces échanges, ce qui passe nécessairement par une recherche générale des courriers et courriels émis par la société Roset à des tiers et contenant le mot-clé « Brocante lab » (en deux mots ou en un seul) ou le mot-clé « Selency ».

32. Dans la mesure où la société Roset n'allègue aucun motif pour lequel elle aurait écrit à des tiers, autres que son CPI ou son avocat, pour parler de Brocante lab et Selency, l'atteinte que cause cette recherche à ses intérêts légitimes est faible. Certes, le domaine assez étendu d'une telle recherche est susceptible d'entrainer la découverte de correspondances relevant du secret des affaires ; mais cela peut se résoudre par la règlementation de l'accès aux documents découverts, de sorte que, à la condition de prévoir la protection du secret des affaires dans l'accès aux documents, la mesure tenant à la recherche des correspondances émise à des tiers et contenant les mots clés précités est proportionnée au regard des intérêts en présence.

33. En revanche, rien ne justifie de rechercher des courriels internes à la société Roset, qui, par nature non destinés à des clients, ne sont pas susceptibles de prouver un dénigrement. La mesure d'instruction était disproportionnée à cet égard.

34. Par conséquent, l'ordonnance est rétractée, mais seulement en tant qu'elle a excédé le domaine de recherche qui suit ; et la mesure sollicitée par la requête est corrélativement autorisée telle que sollicitée par la requête, à ceci près qu'elle est limitée à la seule recherche des éléments suivants :

- les courriers et courriels

a) adressés par la société Roset (ou l'un de ses préposés) à des tiers, c'est-à-dire les courriers ou courriels dont au moins un destinataire, manifestement, ne travaille ni n'a travaillé pour la société Roset, ni pour son avocat, ni pour son conseil en propriété industrielle ;

ET

b) qui contiennent le mot-clé « Brocante lab », ou le mot-clé « Brocantelab », ou le mot-clé « Selency » ;

- la qualité de tiers d'au moins un des destinataires doit s'apprécier tel qu'elle ressort à l'évidence du libellé de la correspondance, ou de l'adresse du destinataire (telle qu'une extension d'adresse électronique n'indiquant aucune affiliation professionnelle liées à Roset, son avocat, son CPI, ou une adresse postale personnelle...)

35. Il en résulte que les documents appréhendés lors de l'exécution de la mesure, et ne correspondant pas au conditions de la recherche fixées au point précédent, doivent être restitués à la société Roset. Le tri des éléments incombe à l'huissier chargé de la mesure, aux frais de la société Brocante lab.

2) Levée du séquestre

a. Compétence du juge de la mise en état pour la demande en mainlevée du séquestre

36. L'article 789 du code de procédure civile donne compétence exclusive au juge de la mise en état, jusqu'à son dessaisissement, pour ordonner toute mesure d'instruction ; et l'article 796 précise qu'il contrôle l'exécution des mesures d'instruction qu'il ordonne. Il est donc compétent pour trancher une difficulté née de l'exécution de cette mesure, telle qu'un différend entre les parties sur la possibilité d'accéder aux documents découverts.

37. Quant à l'article R 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, il concerne la « demande de mainlevée » d'une mesure conservatoire, c'est-à-dire une mesure sur les biens d'un débiteur chargée de favoriser le recouvrement futur d'une créance qui parait fondée en son principe. Il ne concerne donc en rien le présent incident et ne remet évidemment pas en cause la compétence que le juge de la mise en état tire de l'article 796 du code de procédure civile.

38. L'exception d'incompétence, manifestement infondée, est donc écartée.

b. Possibilité et domaine de la levée du séquestre

39. Dans un premier temps, seuls les correspondances adressées par la société Roset aux personnes déjà identifiées par la société Brocante lab et qui fondent ses suspicions peuvent lui être remises. Ces personnes sont la société BCI [Localité 6] ; Mme [L] [X] ; Mme ou M. [E]-[H] ; Mme [N] [T] ; Mme [O] [J] ;

40. Si ces correspondances existent, et qu'elles révèlent que la société Roset a communiqué à ces personnes des informations ou des opinions susceptibles de caractériser un dénigrement de la société Brocante lab, alors il sera nécessaire de lui donner l'accès, sur nouvelle saisine du juge de la mise en état.

3) Suite de la procédure et dispositions finales

41. Cette procédure est anormalement ancienne ; à deux reprises, un juge de la mise en état a estimé que l'instruction pouvait être close. Il convient de permettre aux parties de s'en assurer au plus vite.

42. Si la demande reconventionnelle envisagée en dénigrement ne peut être instruite aussi vite que la demande principale en contrefaçon, les parties seront invitées à se prononcer sur l'opportunité d'une disjonction.

43. Le présent incident n'a pas mis fin à l'instance et il n'y a donc pas lieu de statuer sur les dépens. En revanche, la société Roset, qui le perd pour l'essentiel, doit indemniser en partie la société Brocante lab de ses frais, soit à hauteur de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état :

RÉTRACTE partiellement l'ordonnance du 28 septembre 2021, c'est-à-dire seulement en tant qu'elle a autorisé une mesure excédant le domaine de recherche qui suit ; et AUTORISE corrélativement la mesure sollicitée par la requête telle qu'elle a été autorisée le 28 septembre 2021, à ceci près qu'elle est limitée à la seule recherche des éléments suivants :

- les courriers et courriels

a) adressés par la société Roset (ou l'un de ses préposés) à des tiers, c'est-à-dire les courriers ou courriels dont au moins un destinataire, manifestement, ne travaille ni n'a travaillé pour la société Roset, ni pour son avocat, ni pour son conseil en propriété industrielle ;

ET

b) qui contiennent le mot-clé « Brocante lab », ou le mot-clé « Brocantelab », ou le mot-clé « Selency » ;

- la qualité de tiers d'au moins un des destinataires doit s'apprécier tel qu'elle ressort à l'évidence du libellé de la correspondance, ou de l'adresse du destinataire (telle qu'une extension d'adresse électronique n'indiquant aucune affiliation professionnelle liées à Roset, son avocat, son CPI, ou une adresse postale personnelle...)

ORDONNE la levée partielle du séquestre, c'est-à-dire seulement sur les correspondances adressées aux personnes suivantes :
- la société BCI [Localité 6] ;
- Mme [L] [X] ;
- Mme ou M. [E]-[H] ;
- Mme [N] [T] ;
- Mme [O] [J] ;

DIT que l'identification des documents concernés se fera, sauf meilleur accord des parties, par l'huissier ayant accompli la mesure, aux frais avancés de la société Brocante lab ;

SURSOIT à statuer sur la levée du séquestre pour le surplus, les parties étant invitées à s'accorder sur la levée du séquestre pour les autres documents, ou à défaut à saisir le juge de la mise en état, si les documents déjà révélés contiennent des propos susceptibles d'être qualifiés de dénigrants à l'égard de la société Brocante lab ;

CONDAMNE la société Roset à payer 3 000 euros à la société Brocante lab au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de cet incident ;

RENVOIE l'affaire à la mise en état du 15 décembre 2022 pour ultimes échanges et clôtures avec :
- ultimes conclusions de la société Roset sur la contrefaçon pour le 25 novembre ;
- ultimes conclusions de la société Brocante lab sur la contrefaçon pour le 8 décembre ;

Faite et rendue à Paris le 21 Octobre 2022

Le Greffier Le Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 19/06127
Date de la décision : 21/10/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-10-21;19.06127 ?
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