TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
3ème section
No RG 21/10839 -
No Portalis 352J-W-B7F-CU7A3
No MINUTE :
Assignation du :
09 Août 2021
Incident
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 13 Septembre 2022
DEMANDERESSE
S.A.S.U. CAMELEON GROUP
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Jérémy CARDENAS de la SCP HERALD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0014
DEFENDERESSES
S.A.R.L. COMMUNISIS FRANCE
[Adresse 3]
[Localité 4]
Société COMMUNISIS LIMITED
[Adresse 5]
[Localité 6] (ROYAUME-UNI)
représentées par Maître Gaëtan CORDIER du PARTNERSHIPS EVERSHEDS Sutherland (France) LLP, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #J0014
MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT
Arthur COURILLON-HAVY, juge,
assisté de Lorine MILLE, greffière.
DEBATS
A l'audience sur incident du 19 mai 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 05 juillet 2022 et prorogée en dernier lieu au 13 septembre 2022.
ORDONNANCE
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Exposé du litige
1. La société Caméléon, qui avait fourni jusqu'en 2020 au groupe Communisis des présentoirs pour magasins, n'ayant pas bénéficié d'une nouvelle commande pour l'année 2021 et affirmant avoir découvert que Communisis faisait désormais fabriquer par un tiers des présentoirs identiques aux siens, pourtant déposés en tant que deux dessins ou modèles communautaires (no 002752394-0001 et -0002), a fait pratiquer deux saisies-contrefaçon et, le 9 aout 2021, a assigné la société Communisis France sarl et la société de droit anglais Communisis limited en contrefaçon de ces modèles communautaires, parasitisme et rupture brutale des relations commerciales.
2. Par conclusions d'incident du 2 février 2022, les sociétés Communisis ont soulevé l'incompétence du présent tribunal. Par ailleurs, dans leurs conclusions au fond signifiées ultérieurement le même jour, elles soulèvent l'irrecevabilité de la demande en contrefaçon et demandent reconventionnellement la nullité des dessins ou modèles, 50 000 euros de dommages et intérêts, et 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens. L'incident a été entendu le 19 mai 2022.
3. Dans leurs dernières conclusions d'incident signifiées par voie électronique le 14 avril 2022, les sociétés Communisis demandent de déclarer le tribunal incompétent en renvoyant les parties à mieux se pourvoir, de prononcer l'irrecevabilité de « la demande » et de condamner la société Caméléon à lui payer 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens « conformément aux dispositions de l'article 699 » du même code.
4. Elles soutiennent que le litige relève de la responsabilité contractuelle, car un lien contractuel unit les parties et car est alléguée la contrefaçon de droits dont la titularité serait prévue par leurs conditions générales d'achat, de sorte qu'il s'agit bien, selon elles, d'un manquement allégué à des « relations contractuelles ». Elles se prévalent alors de leurs conditions générales d'achat, qui donnent selon elles compétence exclusive aux tribunaux anglais, et dont elles revendiquent l'application, d'une part car les conditions générales de vente de la société Caméléon, qui constituent certes légalement le socle unique de la négociation commerciale, ne priment pas sur les conditions d'achat lorsque celles-ci existent, et d'autre part car la société Caméléon a signé le « formulaire de création de vendeur » et exécuté les bons de commande qui, l'un comme les autres, renvoyaient à ces conditions générales d'achat par un lien URL. Elles contestent à cet égard que la dernière version de celles-ci date de 2014, et affirment qu'au contraire le lien renvoie aux conditions régulièrement actualisées, la version actuellement accessible datant de janvier 2022.
5. Subsidiairement, elles font valoir que leurs conditions générales d'achat prévoient la cession de « toute propriété intellectuelle découlant du contrat », de sorte que les modèles invoqués seraient désormais leur propriété, et non plus celle de la société Caméléon, dès lors dépourvue du droit d'agir.
6. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 26 avril 2022, la société Caméléon soulève l'irrecevabilité des demandes des sociétés Communisis, résiste à l'exception d'incompétence et à la fin de non-recevoir, et réclame elle-même 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la part des sociétés Communisis, prises solidairement (outre les dépens).
7. Elle n'explicite pas la fin de non-recevoir qu'elle soulève de façon générale au dispositif de ses conclusions.
8. Sur la compétence, elle se prévaut de l'article 42 du code de procédure civile, l'un des défendeurs ayant son domicile en France, et de la compétence exclusive du tribunal judiciaire de Paris en matière de dessins ou modèles communautaires, qui est selon elle d'ordre public. Elle soutient en outre que le litige, portant sur une contrefaçon, est de nature délictuelle ; qu'à cet égard, il a été jugé que le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle avait le droit de l'invoquer contre celui qui l'utilisait sans son consentement, même s'il lui était lié par un contrat (CJUE, C-666/18) ; que les conditions générales de chaque partie se contredisent, de sorte que les clauses respectives d'attribution de compétence seraient sans effet ; qu'en outre, la clause attributive de compétence des conditions générales de la société Communisis ne serait pas apparente au sens de l'article 48 du code de procédure civile, car les bons de commande dont celle-ci se prévaut renvoient à 3 documents différents, et en Anglais.
9. Sur la titularité des droits sur le dessin ou modèle invoqué, elle rappelle que les conditions générales de vente constituent le socle unique de la négociation commerciale en vertu de l'article L. 441-1 III du code de commerce, et expose que ses conditions générales de vente, qui sont jointes à chaque envoi d'une proposition et d'un devis, ainsi qu'à chaque facture, prévoient qu'elle reste titulaire des droits de propriété intellectuelle, ce qui est contradictoire avec la clause 12.3 des conditions générales d'achat alléguées par la société Communisis, qui ne pourrait dès lors s'appliquer en vertu de l'article 1119 alinéa 2 du code civil ; qu'en outre, aucun des documents nécessaires pour donner effet à la cession (prévus à la clause 12.3 de Communisis) n'ont été établis, de sorte que même à supposer cette clause opposable, le transfert de droit n'aurait pas eu lieu faute de signature d'aucun document tel qu'un contrat de cession. Elle ajoute qu'en vertu de l'article 17 du règlement 6/2002, la personne au nom de qui le dessin ou modèle est enregistré en est présumé titulaire ; et qu'en vertu de son article 28, l'ayant cause ne peut se prévaloir des droits tant que le transfert n'a pas été inscrit au registre.
MOTIFS
1) Sur la compétence du tribunal judiciaire de Paris
a. Preuve de l'existence d'une clause d'élection de for
10. Les sociétés Communisis invoquent une clause attribuant compétence aux tribunaux du Royaume-Uni. Elles s'appuient, pour le prouver, sur des bons de commande établis par la société Communisis France et un « formulaire de création de vendeur » créé par la société Communisis limited dans lequel la société Caméléon a simplement renseigné ses coordonnées. L'unique bon de commande qu'elles communiquent (pièce Communisis no3) indique ainsi que la commande est soumise aux « conditions générales d'achat applicables de Communisis », à choisir selon la situation parmi 3 documents supposément accessibles sur une page internet dont le lien est donné. Le formulaire de création de vendeur (pièce Communisis no1) indique quant à lui que les transactions avec Communisis seront menées selon les conditions générales d'achat de Communisis, accessibles sur une page internet dont le lien est indiqué.
11. Mais les sociétés Communisis n'apportent aucun moyen de vérifier le contenu de la page internet à laquelle renvoient leurs documents. Elles communiquent uniquement (leur pièce no2) deux pages (1 et 31) d'un document à l'origine et à la date invérifiables, qui est donc absolument inapte à démontrer qu'il s'agit bien du document que la société Caméléon est supposée avoir accepté en accomplissant les commandes. Le lien URL lui-même n'est pas le même sur le formulaire de création de vendeur et sur le bon de commande, et rien n'indique qu'il s'agit du même document à chaque fois. Le contenu des conditions générales de vente alléguées par les sociétés Communisis n'est donc pas démontré.
b. Existence d'une clause contradictoire
12. La société Caméléon allègue elle-même une clause attribuant compétence aux juridictions de Nantes ou de Paris (clause 12 de ses conditions générales de vente).
13. L'article L. 1119 du code civil, applicable ici dans la mesure où il régit les conflit entre plusieurs contrats et qu'au moins un des contrats en conflit ici est de droit français, prévoit que les conditions générales invoquées par une partie n'ont effet à l'égard de l'autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées ; et qu'en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l'une et l'autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet.
14. La société Caméléon n'a certes communiqué aucun document suffisant à prouver que la relation contractuelle était exclusivement soumise à ses propres conditions générales de vente. Elle ne communique en effet que des factures et des courriels de la fin d'année 2020 ; or, les factures sont établies après l'exécution de la prestation, ce qui rappelle son intention de soumettre les relations à ces conditions contractuelles, mais ne permet pas de prouver que l'autre partie y a bien consenti ; et les courriels de la fin d'année 2020 concernent des échanges pré-contractuels lors desquels elle a bien indiqué que les relations seraient soumises à ses conditions générales de ventes, mais ces échanges n'ont pas abouti, et n'ont été suivis d'aucune relation contractuelle. La société Caméléron, qui pas jugé utile de communiquer les échanges des années antérieures, dans lesquels le cadre contractuel de la relation prévu à l'article L. 441-3 du code de commerce aurait pu être inscrit, n'apporte ainsi aucune preuve de ce que les société Communisis aient pu jamais accepter ses conditions générales de vente.
15. Pour autant, toutes les factures successives versées aux débats ont, systématiquement, été accompagnées des conditions générales de vente de la société Caméléon, qui a ainsi rappelé tout au long de la relation contractuelle son intention de les appliquer. En l'absence de tout accord plus général que le seul « formulaire de création de vendeur » (qui ne contient que des coordonnées et ne fixe aucun cadre commercial), les bons de commande, et les factures, aucun de ces documents ponctuels ne peut primer à lui seul sur l'autre, de sorte que les clauses incompatibles, comme les deux clauses attributives de juridiction, sont sans effet.
c. Compétence exclusive en matière de contrefaçon
i. Principe de compétence exclusive prévue par le règlement 6/2002 et clause élisant un for non européen
16. En toute hypothèse, la demanderesse au principal invoque l'atteinte au droit conféré par un dessin ou modèle communautaire, c'est-à-dire une contrefaçon. La Cour de justice de l'Union européenne a déjà eu l'occasion de rappeler que la notion de contrefaçon, au sens de l'atteinte à un droit de propriété intellectuelle, dont la protection est encadrée par la directive 2004/48, est indépendante de la qualification en droit interne du régime de responsabilité applicable, contractuel ou délictuel (CJUE, 18 décembre 2019, IT development, C-666/18, point 41, et par analogie, points 46 à 49 et dispositif).
17. L'article 81 du règlement 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires confère une compétence exclusive aux « tribunaux des dessins ou modèles communautaires » pour les actions en contrefaçon d'un dessin ou modèle communautaire. Il prévoit le cas des clauses attributives de juridiction par l'articulation de l'article 79, paragraphe 3, sous b) et de l'article 82, paragraphe 4, qui ensemble et par renvoi à l'article 17 de la convention de Bruxelles de 1968 sur la compétence judiciaire en matière civile et commerciale, devenu, dans les États membres, l'article 25 du règlement 1215/2012 (dit « Bruxelles I bis »), n'autorisent de telles clauses que si elles désignent un tribunal des dessins ou modèles communautaire.
18. Or, il ressort de l'article 80 du règlement 6/2002 que les tribunaux des dessins ou modèles communautaires se trouvent dans les États membres de l'Union européenne ; et le Royaume-Uni n'est plus membre de l'Union européenne. Ni l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (« l'accord de retrait »), conclu le 24 janvier 2020, ni l'accord de commerce et de coopération conclu le 31 décembre 2020, ne prévoit de dérogation à cet égard, ni plus généralement que les dessins ou modèles communautaires continueraient de faire effet en tant que tels au Royaume-Uni, ce qui aurait éventuellement pu l'assimiler à un État membre au sens du règlement 6/2002 ; au contraire, l'article 54, paragraphe 1, sous b), de l'accord de retrait prévoit que le dessin ou modèle communautaire enregistré devient, à la fin de la période de transition le 31 décembre 2020, un droit enregistré au Royaume-Uni, donc un titre national, qui dépend de règles et procédures nationales. Aucun tribunal des dessins ou modèles communautaire ne se trouve donc au Royaume-Uni, ce qui prive d'effet la clause attribuant compétence à un tribunal de cet État pour connaitre d'une action en contrefaçon de dessin ou modèle communautaire.
ii. Compatibilité avec les conventions internationales
19. Il faut alors vérifier si la convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for, dont l'Union européenne et le Royaume-Uni sont parties, engagement international primant sur le droit interne de l'Union, permet également d'écarter la clause en cause.
20. Cette convention concerne, dans les situations internationales, les accords qui désignent des tribunaux « pour connaitre des litiges nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé » (article 3).
21. Les sociétés Communisis allèguent une clause de cession du droit de propriété intellectuelle fondant la demande, de sorte qu'à la supposer établie, le litige portant sur l'usage de ce droit serait bien un litige né à l'occasion d'un rapport de droit déterminé.
22. Toutefois, en vertu de son article 2, paragraphe 2, sous o), la convention n'est pas applicable à la contrefaçon des droits de propriété intellectuelle autres que les droits d'auteur et les droits voisins, «à l'exception des litiges portant sur une contrefaçon fondés sur une violation du contrat entre les parties relatif à de tels droits, ou qui auraient pu être fondés sur une violation de ce contrat ».
23. Il est constant ici que les faits litigieux concernent l'usage d'un dessin ou modèle pendant l'année 2021, et que pour cette année, les sociétés Communisis n'ont pas souhaité acheter de produit à la société Caméléon (cela est également démontré par les courriels en pièce Caméléon no5 et no7). Aucun contrat n'est en outre allégué dont la durée aurait été supérieure à un an et aurait pu se poursuivre en 2021 ; au contraire, les échanges de novembre 2020 relatifs au renouvèlement pour l'année 2021 de la relation contractuelle (pièce Caméléon no4) révèlent que cette relation était annuelle. La relation contractuelle avait donc pris fin, et aucune obligation contractuelle n'est alléguée qui aurait survécu. En particulier les parties n'allèguent aucune clause qui serait encore applicable à cette date et dont les faits litigieux pourraient s'analyser en une violation (par exemple, une autorisation limitée d'usage encore en cours et dont la limite serait enfreinte). Le présent litige portant sur une contrefaçon de droits de propriété intellectuelle n'est donc pas fondé ni n'aurait pu être fondé sur une violation du contrat entre les parties relatif à de tel droits.
24. Il faut alors déterminer si l'existence d'une cession du droit fondant la demande en contrefaçon s'analyse en un contrat dont la violation fonde le litige. L'existence, la validité et la portée d'une telle cession ont bien une incidence sur ce litige, et peuvent rendre la demande irrecevable, de sorte que la défense des sociétés Communisis se fonde sur ce contrat. Dans ce cadre, une partie du litige (la défense) se fonde sur un contrat, tandis que l'autre (la demande) porte sur une contrefaçon insusceptible au cas présent d'être fondée sur la violation d'un contrat. Il pourrait alors être soutenu que lorsque la défense se fonde sur la violation du contrat (ici, ce serait la violation par le demandeur de la clause de cession en continuant de se prétendre propriétaire), le litige se fonderait bien sur la violation du contrat et relèverait alors du champ d'application de la convention de La Haye.
25. Toutefois, la version anglaise de la convention, qui est son autre langue officielle, révèle que le fondement du litige doit s'entendre exclusivement comme celui de la demande, indépendamment des moyens de défense. En effet, l'expression « à l'exception des litiges portant sur une contrefaçon fondés sur une violation du contrat (...) » y est rédigée « except where infringement proceedings are brought for breach of a contract (...) » ; ce qui indique que le fondement du litige au sens de cette disposition est le fondement sur lequel le procès est intenté (« proceedings are brought »), ce qui n'inclut pas le fondement des moyens de défense.
26. Une telle interprétation est aussi cohérente avec les dispositions symétriques de l'article 2, paragraphe 3, selon lesquelles un litige n'est pas exclu du champ d'application de la convention lorsqu'une matière normalement exclue est soulevée seulement à titre préalable et non comme un objet du litige, en particulier lorsqu'elle est soulevée à titre de défense. Il faut donc comprendre ces dispositions comme s'intéressant à l'objet du litige tel que formé par la demande (et, le cas échéant, en ce qui la concerne, la demande incidente), sans égard aux moyens de défense.
27. Dès lors, à supposer qu'une cession du dessin ou modèle communautaire ait été prévue par les parties dans un contrat contenant une clause d'élection de for, la convention de La Haye ne serait pas pour autant applicable au présent litige portant sur une contrefaçon et non susceptible d'être fondé sur la violation d'une obligation contractuelle.
28. Le droit interne à l'Union européenne s'applique donc à la présente situation même si elle concerne un État étranger, et il faut rechercher si, en application de ce droit, le tribunal judiciaire de Paris est compétent.
iii. Détermination du tribunal des dessins ou modèles compétent
29. Parmi les différents tribunaux des dessins ou modèles communautaires, il résulte de l'article 79, paragraphe 3, sous a), et de l'article 82, paragraphe 1 du règlement 6/2002 que l'action en contrefaçon est portée devant les tribunaux de l'État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile, à savoir la France dans le cas de la société Communisis France.
30. Et il résulte des dispositions combinées de l'article 79, paragraphes 1 et 3 du règlement 6/2002, et de l'article 8, point 1), du règlement 1215/2012 dit « Bruxelles I bis », qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut aussi être attraite, s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Ce qui est le cas des demandes dirigées contre les deux sociétés Communisis, dont l'une a son siège en France.
31. Le tribunal des dessins ou modèles communautaires de France, à savoir le tribunal judiciaire de Paris, est donc compétent.
d. Conclusion
32. Ainsi, aucune clause attributive de compétence n'est démontrée ; même à supposer que fût le cas, elle serait contradictoire avec la clause incluse dans les conditions générales de vente, qui font partie ici du champ contractuel au même titre que les conditions générales d'achat, de sorte qu'en application de l'article 1119, alinéa 2 du code civil français, applicable par ce tribunal dès lors qu'un de ces contrats est de droit français, elle devrait être écartée ; en toute hypothèse, la présente action, qui est une action en contrefaçon, ne pouvait pas être formée devant des juridictions non européennes, et la convention régissant les clauses d'élection de for désignant un État étranger tel que le Royaume-Uni n'est pas applicable à la présente action. Et en vertu des règles de compétence exclusive des tribunaux des dessins ou modèles communautaire pour les actions telles que celle-ci, le tribunal judiciaire de Paris est compétent.
33. Enfin, il en va de même de la demande en rupture abusive des relations contractuelles, pour laquelle d'une part les sociétés Communisis ne contestent pas expressément la compétence du présent tribunal, ni, d'autre part, n'allèguent que le contrat dans lequel la clause attributive de juridiction serait insérée prévoirait les modalités de la fin des relations contractuelles. Ladite clause, à la supposer établie, ne concerne donc pas davantage cette demande.
34. Par conséquent, l'exception d'incompétence est écartée.
2) Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir, fondée sur le transfert du dessin ou modèle invoqué
35. L'article 19 du règlement 6/2002 ne donne qu'au titulaire du dessin ou modèle communautaire le droit exclusif de l'utiliser ou de l'interdire ; et l'article L. 521-2 du code de la propriété intellectuelle, également applicable aux dessins ou modèles communautaires, réserve l'action civile en contrefaçon au propriétaire du dessin ou modèle.
36. L'article L. 1119 du code civil, déjà cité, prévoit que les conditions générales invoquées par une partie n'ont effet à l'égard de l'autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées ; et qu'en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l'une et l'autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet.
37. La société Communisis se prévaut d'une clause 12 de ses conditions générales d'achat qui prévoirait une cession automatique de « tous les droits de propriété intellectuelle découlant du contrat ».
38. Au cas présent, il résulte de l'absence de toute preuve du contenu des conditions générales d'achat invoquées, que l'existence d'une clause de cession de droit, au même titre que la clause d'élection de for, n'est pas démontrée.
39. En toute hypothèse, même si la société Caméléon n'a pas pris la peine de démontrer avoir opposé ses conditions générales de vente autrement que dans ses factures, il est toutefois observé que ces conditions ont été répétées systématiquement dans chaque facture successive, commande après commande, ce qui implique que la société Caméléon a maintenu l'intention de les opposer nonobstant les conditions générales d'achat mentionnées dans le « formulaire de création de vendeur », dépourvu de portée générale, et les bons de commandes. Or ces conditions générales de vente contiennent une clause 12 stipulant que les droits de propriété intellectuelle restent la titularité de la société Caméléon. Dès lors, à supposer même que la clause de cession invoquée par les sociétés Communisis soit démontrée, les relations contractuelles des parties se sont déroulées avec la répétition par chacune de documents contractuels dont les stipulations étaient radicalement contradictoires, de sorte que la clause de cession invoquée par les sociétés Communisis doit être écartée et que plus généralement la preuve du consentement de la société Caméléon à la cession de son dessin ou modèle n'est pas rapportée.
40. Par conséquent, la demanderesse au principal est bien propriétaire du dessin ou modèle fondant la demande en contrefaçon, et la fin de non-recevoir à ce titre est écartée.
3) Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Caméléon
41. La société Caméléon n'expose pas en quoi les sociétés Communisis devraient être déclarées irrecevables en leurs demandes reconventionnelles. Celles-ci, qui portent sur la validité des droits invoqués au soutien de la prétention originaire, et sur la réparation du préjudice que leur aurait causé ce procès, n'étaient pas soumise à un délai, et ne relèvent pas, plus généralement, d'une fin de non-recevoir d'ordre public que le tribunal devrait soulever d'office. La fin de non-recevoir visant les demandes reconventionnelles est donc écartée.
4) Dispositions finales
42. Vu l'article 700 du code de procédure civile, les sociétés Communisis, qui perdent l'incident, doivent indemniser la société Caméléon des frais exposés à ce titre, qui peuvent être évalués à 7 000 euros.
43. Les défenderesses au principal ont conclu deux fois, la demanderesse n'a encore jamais répondu. Il faut lui laisser un délai jusqu'à fin octobre pour ce faire ; puis, après une éventuelle ultime réplique des défenderesses, envisagée en novembre, la clôture pourrait avoir lieu en décembre.
PAR CES MOTIFS
Le juge de la mise en état :
ÉCARTE l'exception d'incompétence ;
ÉCARTE la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés Communisis tirée du défaut de qualité à agir ;
ÉCARTE la fin de non-recevoir soulevée par la société Caméléon ;
CONDAMNE in solidum les sociétés Communisis France et Communisis limited à payer 7 000 euros à la société Caméléon au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
RENVOIE l'affaire à la mise en état dématérialisée du 20 octobre 2022 pour ultimes conclusions de la société Caméléon.
Faite et rendue à Paris le 13 septembre 2022
La Greffière Le Juge de la mise en état