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13/09/2022 | FRANCE | N°20/48

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 13 septembre 2022, 20/48


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/00048
No Portalis 352J-W-B7E-CRMJW

No MINUTE :

Assignation du :
23 Décembre 2019

JUGEMENT
rendu le 13 Septembre 2022
DEMANDERESSE

Société STOLLER EUROPE S. L.
[Adresse 4]
[Localité 1] (ESPAGNE)

représentée par Maître Julien HORN de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0035

DÉFENDERESSE

S.A.S. AXIOMA
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentée par Maître Sabine LIPOVETSKY

de la SELARL HARLAY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0449

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthu...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/00048
No Portalis 352J-W-B7E-CRMJW

No MINUTE :

Assignation du :
23 Décembre 2019

JUGEMENT
rendu le 13 Septembre 2022
DEMANDERESSE

Société STOLLER EUROPE S. L.
[Adresse 4]
[Localité 1] (ESPAGNE)

représentée par Maître Julien HORN de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0035

DÉFENDERESSE

S.A.S. AXIOMA
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentée par Maître Sabine LIPOVETSKY de la SELARL HARLAY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0449

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière lors des débats et de Quentin CURABET, greffier lors de la mise à disposition.

DÉBATS

A l'audience du 20 avril 2022 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 05 juillet 2022 et prorogé en dernier lieu au 13 Septembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Exposé du litige

Synthèse de l'objet du litige

1. La société de droit espagnol Stoller Europe est titulaire d'une marque verbale de l'Union européenne « Rezist » déposée le 20 aout 2015, enregistrée le 21 décembre suivant, sous le numéro 014496897 (ci-après la marque Rezist UE) pour désigner divers produits dont elle invoque ici :
- en classe 1, les produits chimiques destinés à l'industrie, les engrais, et,
- en classe 5, les fongicides.

2. Elle reproche à la société Axioma d'avoir déposé en 2018 et d'utiliser depuis une marque verbale française « Rezist » (numéro 4497215, ci-après la marque Rezist FR) pour désigner des biostimulants, produits qu'elle estime identiques ou à tout le moins fortement similaires aux engrais, produits chimiques destinés à l'industrie, et fongicides. À titre reconventionnel, la société Axioma conteste la validité de la marque première Rezist UE à l'égard des engrais (et engrais azotés) pour caractère trompeur, invoque sa déchéance à l'égard des autres produits pour défaut d'usage, et allègue une pratique commerciale trompeuse. Le débat se fonde principalement sur les notions d'engrais et de biostimulants et leur rapport à celle de résistance.

Procédure et prétentions des parties

3. Après plusieurs courriers de mise en demeure exigeant sans succès la renonciation à la marque et l'arrêt de l'usage, outre 1 500 puis 3 000 euros pour couvrir les frais juridiques, la société Stoller Europe a assigné la société Axioma le 23 décembre 2019 en contrefaçon et nullité de sa marque française.

4. Les parties s'opposent par ailleurs devant l'Office européen de la propriété intellectuelle après le dépôt en octobre 2020 par la société Axioma de nouvelles marques de l'Union européenne « Rezist » pour des biostimulants, contre lesquelles la société Stoller Europe a formé opposition.

5. L'instruction de la présente instance a été close le 25 novembre 2021 et l'affaire plaidée le 20 avril 2022.

6. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 13 septembre 2021, la société de droit espagnol Stoller Europe,
? résiste à l'ensemble des demandes reconventionnelles, et en particulier :
? soulève l'irrecevabilité de la demande en déchéance de sa marque Rezist, pour « tardiveté » et y résiste au fond s'agissant des « produits chimiques destinés à l'industrie » en classe 1
? soulève l'irrecevabilité de la demande en concurrence déloyale, et y résiste au fond
? résiste à la demande en nullité de sa marque Rezist ;
? et demande elle-même de
? déclarer nulle la marque Rezist FR de la société Axioma, numéro 4497215,
? interdire à celle-ci l'usage de ce signe, sous astreinte,
? la condamner à lui payer
? 100 000 euros en réparation du « préjudice subi du fait des actes de contrefaçon » de sa marque,
? 30 000 euros pour l'atteinte à la valeur distinctive de cette marque
? ordonner la publication du jugement sur le site internet de la défenderesse
? outre 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens (avec recouvrement par son avocat), et l'exécution provisoire.

7. Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 10 novembre 2021, la société Axioma demande,
? contre la marque Rezist UE, de
? la déclarer partiellement nulle, pour les « engrais, engrais azotés » en classe 1
? en prononcer la déchéance partielle, pour les « produits chimiques destinés à l'industrie » en classe 1 et les « fongicides » en classe 5, pour défaut d'usage sérieux
? de rejeter la demande en nullité de sa marque française Rezist et les demandes fondées sur la contrefaçon de la marque européenne Rezist ;
? et reconventionnellement encore, de condamner la société Stoller europe à lui payer 30 000 euros de dommages et intérêts au titre d'une concurrence déloyale caractérisée par des pratiques commerciales trompeuses ;
? outre 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens.

MOTIFS

1) Demandes reconventionnelles en nullité et déchéance de la marque Rezist UE

a. Nullité de la marque à l'égard des engrais, pour caractère trompeur

Moyens des parties

8. Pour la société Axioma, la marque Rezist est trompeuse au sens de l'article 7, paragraphe 1, sous g) du règlement 2017/1001 pour désigner des engrais, car elle laisse entendre que les engrais, qui n'ont pour fonction principale que d'apporter des substances nutritives aux plantes, auraient aussi une action de « résistance » sur la plante ; qu'or seuls les produits biostimulants, biocontrôles ou phytosanitaires, qui nécessitent une autorisation de mise sur le marché, pourraient prétendre avoir un tel effet ; qu'alléguer une résistance du fait d'une nutrition améliorée reviendrait à alléguer une meilleure résistance contre le cancer ou un virus du fait d'une alimentation saine et équilibrée ou grâce à un complément alimentaire, ce qui serait faux et dangereux, « d'autant plus dans la période actuelle » ; que ce type d'allégation serait une pratique connue et combattue, comme l'affirme le président d'un syndicat de fabricants d'intrants agricoles ; qu'il serait au demeurant expressément interdit par le décret 80-478 du 16 juin 1980 portant application de l'article L. 412-1 du code de la consommation.

9. La société Stoller Europe soutient que les engrais, qui sont des fertilisants visant à améliorer l'état nutritionnel et physiologique des plantes, leur permettent indirectement de les fortifier et d'améliorer leurs défenses naturelles et donc de résister aux agressions extérieures, comme la vitamine D chez les humains, et d'augmenter leur capacité de « résilience », c'est-à-dire à conserver leur forme initiale malgré les chocs ; que le terme « rezist » est ainsi seulement évocateur d'une qualité du produit ; que pour retenir le caractère trompeur, il faut au contraire une tromperie réelle ou un risque de tromperie manifeste ; qu'ici le risque existe d'autant moins que le public est constitué d'exploitants professionnels qui connaissent bien ces produits et leurs propriétés et ne croiront pas que les engrais ont « une action de résistance directe contre les agressions extérieures » ; que l'avis du syndicat produit par la société Axioma n'identifie pas le produit ou l'allégation visée, et n'engage que lui ; outre que la société Axioma contredirait ses propres actes car elle avait déposé elle-même initialement la marque Rezist FR pour des engrais, et la conserve encore pour des biostimulants, qui y sont fortement similaires selon elle.

Réponse du tribunal

Cadre juridique

10. En vertu de l'article 7, paragraphe 1, sous g) du règlement 207/2009, lu en combinaison avec l'article 52, paragraphe 1, sous a) du même règlement (applicable à raison de la date d'enregistrement de la marque en cause, mais dont les dispositions à ce sujet sont en substance identiques à celles du nouveau règlement 2017/1001 comme du premier règlement 40/94), est déclarée nulle, sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, la marque de l'Union européenne qui est de nature à tromper le public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.

11. Il résulte de l'article 7, paragraphe 2, du règlement que la nullité est encourue même si les motifs de nullité n'existent que dans une partie de l'Union.

12. Ce motif de nullité suppose que l'on puisse retenir l'existence d'une tromperie effective ou d'un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur (CJCE, 30 mars 2006, Emmanuel, C-259/04, point 47).

13. Par ailleurs, de manière générale, l'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Problème posé

14. La marque « Rezist » exprime de façon transparente l'idée de résistance. Aucune partie n'allègue que, utilisée pour désigner des engrais, cette idée serait fantaisiste au point d'empêcher le consommateur de prêter au produit une qualité associée à cette idée (pour un tel cas, voir par exemple Cass. Com., 21 janvier 2014, no 12-24.959). Il est donc admis que la marque Rezist laisse au moins entendre au consommateur que le produit ainsi désigné a un effet, d'une façon ou d'une autre, sur la résistance de la plante, sans plus de précision. Comme le soulève la société Stoller, la marque n'indique pas en elle-même que le produit protège directement la plante contre une menace particulière ; la notion de résistance est très générale, et il n'est pas allégué que pour les consommateurs d'engrais, c'est-à-dire principalement les agriculteurs professionnels, la notion de résistance ait un sens plus précis. Cette notion associée à des engrais indique donc à tout le moins que le produit améliore la capacité de la plante à se développer ou survivre dans des conditions défavorables, mais sans que l'on puisse en déduire aucune allégation plus précise sur la nature ou les caractéristiques du produit.

15. La nullité d'une marque, à la différence de sa déchéance, s'apprécie à l'égard de son enregistrement et non à l'égard de la façon dont elle est exploitée. La marque en cause est enregistrée pour des engrais (en général), et pour des engrais azotés. Elle n'encourt donc la nullité, respectivement pour chacune de ces deux catégories, que si en aucun cas, respectivement, un engrais en général ou un engrais azoté (sans plus de précision) ne peut améliorer la capacité de la plante à se développer ou survivre dans des conditions défavorables.

16. La société Axioma s'appuie en substance sur deux moyens, qui seront examinés successivement : en premier lieu, seuls d'autres produits que les engrais auraient le droit d'alléguer un effet sur la résistance (les biostimulants, les biocontrôles, les produits phytosanitaires) ; en second lieu, en toute hypothèse les engrais n'auraient pas d'effet sur la résistance.

Tromperie sur la nature du produit, par l'allégation d'une caractéristique associée exclusivement à d'autres produits ou interdite au produit désigné

17. La violation de la règlementation relève en principe d'un autre motif de nullité que celui qui a été invoqué, mais l'on peut analyser ce premier moyen comme sous-entendant que le consommateur, professionnel, est au fait de la règlementation et s'attend à ce qu'elle soit respectée, de sorte qu'il s'attend à ce qu'une allégation réservée à certains produits corresponde à ce produit, et qu'il risque donc sérieusement d'être trompé sur la nature du produit par une marque portant cette allégation exclusive mais désignant un autre produit. Dans ce cadre, analyser le régime juridique des produits en cause est pertinent pour apprécier le caractère trompeur de la marque. Les parties ne proposent que des définitions des engrais, et non des autres produits invoqués, pas plus qu'elles n'exposent précisément le régime applicable à chacun, sur lequel la société Axioma se fonde pourtant. Il faut alors rechercher à leur place ce qui ressort de cette règlementation pour le consommateur de ces produits.

18. Les engrais et les biostimulants sont définis par le droit national et par le droit de l'Union européenne : en droit national, l'article L. 255-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction en vigueur à la date d'enregistrement de la marque (21 décembre 2015), définissait de manière générale les « matières fertilisantes » comme « des produits destinés à assurer ou améliorer la nutrition des végétaux ou les propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols », et distinguait entre autres, au sein de cette catégorie :
- « les engrais destinés à apporter aux plantes des éléments directement utiles à leur nutrition »,
- « les matières dont la fonction, une fois appliquées au sol ou sur la plante, est de stimuler des processus naturels des plantes ou du sol, afin de faciliter ou de réguler l'absorption par celles-ci des éléments nutritifs ou d'améliorer leur résistance aux stress abiotiques ».

19. Cet article précise depuis que les matières dont la fonction est de stimuler les processus naturels des plantes ou du sol comprennent « notamment les biostimulants tels que définis par le règlement (UE) 2019/1009 », c'est-à-dire, aux termes de l'article 47 de ce règlement : « un produit qui stimule les processus de nutrition des végétaux indépendamment des éléments nutritifs qu'il contient, dans le seul but d'améliorer une ou plusieurs des caractéristiques suivantes des végétaux ou de leur rhizosphère: a) l'efficacité d'utilisation des éléments nutritifs; b) la tolérance au stress abiotique; c) les caractéristiques qualitatives; d) la disponibilité des éléments nutritifs confinés dans le sol ou la rhizosphère. »

20. En droit de l'Union, jusqu'au 14 juillet 2019, les biostimulants étaient régis par le règlement 1107/2009 concernant les produits phytopharmaceutiques, car ce règlement, en vertu de son article 2, paragraphe 1, sous b) s'appliquait notamment aux produits « composés de substances actives, phytoprotecteurs ou synergistes, ou en contenant, et destinés à (...) exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, telles les substances, autres que les substances nutritives, exerçant une action sur leur croissance ». Depuis le 15 juillet 2019, en application des articles 47 et 53, point a), du règlement 2019/1009 relatif aux fertilisants UE, les biostimulants sont explicitement exclus du règlement 1107/2009 sur les produits phytopharmaceutiques, au même titre que les substances nutritives, dont ils suivent ainsi le régime.

21. Jusqu'au 15 juillet 2022, le règlement 2003/2003 relatif aux engrais définissait l'engrais comme « une matière ayant pour fonction principale d'apporter des substances nutritives aux plantes », et, sans définir la notion de fertilisant, distinguait entre « élément fertilisant majeur » (azote, phosphore, potassium) et « élément fertilisant secondaire » (calcium, magnésium, sodium et soufre) ; tandis que le nouveau règlement 2019/1009, sans définir la notion d'engrais, définit celle de fertilisant comme une matière destinée à être appliquée « sur des végétaux (...) ou sur des champignons (...) dans le but d'apporter aux végétaux ou aux champignons des éléments nutritifs ou d'améliorer leur efficacité nutritionnelle ».

22. Enfin, le considérant 22 de ce nouveau règlement 2019/1009 relatif aux fertilisants UE expose que « Certaines substances, certains mélanges et certains micro-organismes, dénommés biostimulants des végétaux, ne sont pas, en tant que tels, des apports en éléments nutritifs, mais stimulent néanmoins les processus naturels de nutrition des végétaux. Lorsque ces produits visent uniquement à améliorer l'efficacité d'utilisation des éléments nutritifs des végétaux, la tolérance au stress abiotique, les caractéristiques qualitatives ou à augmenter la disponibilité des éléments nutritifs confinés dans le sol ou la rhizosphère, ils sont par nature plus proches de fertilisants que de la plupart des catégories de produits phytopharmaceutiques. Leur action s'ajoute à celle des engrais afin d'optimiser l'efficacité de ces engrais et de réduire la dose d'apport en éléments nutritifs. »

23. Ainsi, tant en droit de l'Union qu'en droit national, et tant en 2015 qu'aujourd'hui, les biostimulants sont conçus, à l'instar des engrais, comme des substances « exerçant une action sur [la] croissance [des végétaux] » (règlement 1107/2009), des produits « destinés à assurer ou améliorer la nutrition des végétaux » (code rural et de la pêche maritime) ; et la définition spécifique du biostimulant en fait un produit « qui stimule les processus de nutrition des végétaux ». Ces deux catégories de produits (engrais et biostimulant) ont donc trait à la nutrition des végétaux.

24. Ce qui fait la spécificité du biostimulant par rapport à l'engrais est qu'il agit « indépendamment des éléments nutritifs qu'il contient, dans le seul but d'améliorer » certaines caractéristiques du végétal (règlement 2019/1009), servant de manière générale à « stimuler des processus naturels des plantes ou du sol » (code rural et de la pêche maritime). Si la « résistance », ou « tolérance » au stress abiotique fait partie des effets possibles d'un biostimulant, il ne s'agit pas de la seule caractéristique qu'il peut viser à améliorer, et il n'est pas indiqué qu'il s'agirait d'un effet exclusif aux biostimulants.

25. Il ne ressort pas davantage de la règlementation des produits phytopharmaceutiques (et non « phytosanitaires » comme le dit la société Axioma, terme qui est employé, dans le règlement 1107/2009, pour désigner non pas des produits mais ce qui concerne la santé des plantes en général) que ceux-ci bénéficieraient d'un monopole règlementaire sur tout effet de résistance, c'est-à-dire, conformément à la définition dégagée ci-dessus au paragraphe 14, permettant à la plante de se développer ou survivre dans des conditions défavorables.

26. Quant au biocontrôle, défini par l'article L. 253-6 du code rural et de la pêche maritime, il concerne des « agents et produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures ». Là encore, il n'existe pas, à la connaissance du tribunal, d'exclusivité quant à ce qui touche à la résistance des plantes en général.

27. En définitive, ce qui fait la spécificité de chacun de ces produits, au regard de la règlementation qui lui est applicable, est sa composition et son mode d'action, et non directement son effet. La « résistance » n'évoque donc pas, pour le consommateur, une nature de produit pré-déterminée.

28. Enfin, s'agissant de l'interdiction supposée faite aux engrais de revendiquer un effet sur la résistance, la société Axioma s'appuie sur le décret 80-478, qui règlemente les modes de commercialisation des matières fertilisantes (et supports de culture), lequel interdirait aux engrais de revendiquer tout effet sur la résistance des plantes. En réalité, l'article 9 dont elle se prévaut ne fait qu'interdire « l'emploi, sous quelque forme que ce soit, de toute indication, de tout signe, de toute dénomination de fantaisie, de tout mode de présentation ou d'étiquetage, de tout procédé de publicité, d'exposition, d'étalage ou de vente susceptible de créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur, notamment sur la nature, la composition, les qualités substantielles, les propriétés spécifiques, le mode de fabrication, les conditions d'emploi, l'origine, la masse ou le volume des produits mentionnés au présent décret ainsi que sur l'usage auquel ces produits sont destinés. » Autrement dit, cet article interdit les marques trompeuses, ce qui n'apporte rien de plus dans le présent débat que les règles énoncées en préambule à ce sujet. Cet article, pas plus que le reste du décret, ne mentionne quels effets il serait interdit d'indiquer en commercialisant un engrais.

29. Sur ce même grief d'interdiction, elle s'appuie encore sur l'avis du président d'un syndicat de fabricants de fertilisants (sa pièce no18), avis qui cite le même article 9 du décret 80-478 et souligne que la « résistance au stress abiotique » est une des caractéristiques pouvant être améliorée par les biostimulants. Cet avis est erroné dans sa lecture du décret (cf paragraphe précédent), et porte pour le reste sur une acception restreinte de la notion de résistance, que la marque n'induit pas, outre qu'il suppose que les biostimulants seraient les seuls produits à pouvoir revendiquer un effet sur la tolérance au stress abiotique, ce qui ne ressort pas de la règlementation applicable (cf paragraphes 18 à 24).

30. Ainsi, la règlementation applicable à la date d'enregistrement de la marque (ou, au demeurant, la règlementation actuelle) ne prévoit pas que l'allégation d'un effet sur la capacité d'une plante à se développer ou survivre dans des circonstances défavorables soit réservée à d'autres produits que les engrais, ou soit interdite à ceux-ci.

Tromperie sur les caractéristiques du produit, par l'allégation d'une caractéristique impossible

31. Pour fonder son second moyen, tenant à l'impossibilité, en pratique, que des engrais aient un effet sur la résistance d'une plante, la société Axioma recourt seulement à l'analogie avec la santé humaine, à savoir qu'une alimentation saine et équilibrée, ou un complément alimentaire, n'aurait aucun effet sur la capacité de l'organisme à résister « au cancer ou à un virus ».

32. Une telle analogie, que rien n'étaye, ne saurait évidemment constituer la preuve qu'un engrais ne peut pas aider une plante à se développer ou survivre dans des conditions défavorables, c'est-à-dire résister ; au demeurant, elle relève là encore d'une appréciation erronée de la notion de résistance telle qu'induite par la marque (il ne s'agit pas de résister à un problème particulier, tel qu'un virus ou un cancer, mais de résister en général : sur cette définition de la notion de résistance telle qu'évoquée par la marque au cas présent, cf paragraphe 14).

33. À titre surabondant, on peut encore observer que si les biostimulants peuvent avoir pour but d'améliorer la tolérance au stress abiotique, leur mode d'action selon leur définition est de « stimule[r] les processus de nutrition » (article 47 du règlement 2019/1009 précité). Il est alors paradoxal de soutenir qu'un engrais n'a pas d'effet sur la résistance d'une plante car il n'agit que sur sa nutrition, tout en soutenant qu'un biostimulant, dont le mode d'action concerne lui aussi la nutrition de la plante, a un tel effet.

34. L'absence de tout effet des engrais sur la résistance des plantes qui les reçoivent n'est donc pas démontrée.

Conclusion

35. Ainsi, il n'est pas démontré que l'évocation d'un effet sur la capacité d'une plante à se développer ou survivre dans des conditions défavorables évoque nécessairement un autre produit qu'un engrais, ni qu'un tel effet soit impossible à atteindre par un engrais. La marque Rezist, qui à l'égard du consommateur d'engrais suscite seulement la croyance en cet effet, et aucun autre, n'est donc pas trompeuse. La demande en nullité est, par conséquent, rejetée.

b. Déchéance à l'égard des produits chimiques destinés à l'industrie et des fongicides, pour défaut d'usage

Moyens des parties

36. La société Axioma estime en substance que parmi les produits que désigne la marque, seuls les engrais peuvent, à la rigueur, être tenus pour exploités ; qu'or les engrais ne sont pas similaires aux produits chimiques destinés à l'industrie, que l'INPI l'aurait déjà jugé à plusieurs reprises ; et qu'il en va évidemment de même pour les fongicides.

37. La société Stoller Europe estime que la société Axioma a attendu que s'écoule le délai de 5 ans depuis l'enregistrement de la marque pour former sa demande reconventionnelle en déchéance, qui serait donc artificiellement tardive, et devrait être déclarée irrecevable. Sur le fond, elle soutient que les engrais font partie des produits chimiques destinés à l'industrie, car ils sont destinés à « l'agro-industrie » et à « l'agro-alimentaire », qui seraient des branches de l'industrie ; de sorte que sa marque ferait l'objet d'un usage sérieux pour les produits chimiques destinés à l'industrie ; que l'EUIPO a retenu la similarité entre engrais et produits chimiques destinés à l'industrie (11 juillet 2019, no B 3 053 258) ; que cet usage serait démontré par des factures dont certaines mentionnent « fertilisant liquide », une attestation de son directeur financier, sa communication sur les produits revêtus de la marque et leur utilisation comme engrais, sa présence à un salon d'exposition, ou d'une autre publication sur Facebook montrant en outre que son engrais serait utilisé sur des terrains de foot, donc pour « l'industrie du sport ».

Réponse du tribunal

38. Aux termes de l'article 58, paragraphe 1, sous a) du règlement 2017/1001 sur la marque de l'Union européenne, le titulaire de la marque de l'Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l'Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet d'un usage sérieux dans l'Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu'il n'existe pas de justes motifs pour le non-usage.

39. Ni dans le règlement, ni en droit interne, aucune règle ne prévoit de délai impératif, après la demande principale en contrefaçon, dans lequel la demande reconventionnelle en déchéance devrait être formée. La demande reconventionnelle en déchéance est donc recevable nonobstant son caractère tardif allégué.

40. Il est constant que la marque de l'Union européenne Rezist de la société Stoller Europe n'est exploitée que pour des engrais. L'existence d'un usage sérieux s'apprécie produit par produit, et il importe donc peu que les produits pour lesquels la marque est utilisée soient similaires ou non à ceux pour lesquels la déchéance est demandée. Il faut en revanche examiner si, comme le soutient la société Stoller Europe, les engrais pour lesquels la marque est exploitée sont aussi des produits chimiques destinés à l'industrie.

41. Les engrais sont destinés à l'agriculture. L'agriculture, au sens large, est l'une des trois grandes catégories dans lesquelles l'activité économique est classiquement divisée, aussi appelée « secteur primaire » (on y intègre aussi l'extraction, dans les mines et gisements) ; les deux autres catégories sont l'industrie (secteur secondaire) et les services (secteur tertiaire). Les engrais peuvent être composés exclusivement de produits chimiques, encore que ce ne soit pas toujours le cas ; de tels engrais sont alors des produits chimiques destinés à l'agriculture, ce qui est une catégorie de produits expressément prévue dans la classification de Nice. Ils ne peuvent donc pas être confondus avec la catégorie, distincte, des produits chimiques destinés à l'industrie, et la société Stoller Europe procède ici par des confusions artificielles (« l'agro-industrie », « l'industrie du sport ») qui n'ont aucun sens pour distinguer des produits.

42. En toute hypothèse, elle n'indique pas en quoi ses engrais, concrètement, seraient des produits chimiques, catégorie qui implique une obtention par des procédés de transformation et de synthèse d'une ou plusieurs matières, alors que les engrais peuvent aussi bien être composés de produits organiques (et, il ressort même de la présentation de ses produits que ceux-ci sont censés pouvoir être utilisés en agriculture biologique).

43. Aucun usage n'est donc démontré pour les produits chimiques destinés à l'industrie. S'agissant des fongicides, la société Stoller Europe n'allègue aucun usage. Or la marque, qui désigne ces produits, a été enregistrée le 21 décembre 2015. La déchéance doit donc être prononcée à l'égard de ces produits, à compter du 21 décembre 2020.

2) Demande en nullité de la marque Rezist FR

Moyens des parties

44. La société Stoller Europe fait valoir que les marques sont identiques, et désignent des produits identiques, ou à tout le moins très fortement similaires. À ce sujet, elle estime que l'EUIPO a déjà jugé similaires les engrais et fongicides, d'une part, et les engrais et biostimulants d'autre part ; qu'engrais et biostimulants ont la même nature (des fertilisants, produits chimiques agricoles), la même origine (les entreprise du secteur de l'agro-industrie), sont distribués dans les mêmes circuits de vente spécialisés, par les mêmes acteurs, parfois dans la même gamme voire dans le même produit, la société Axioma elle-même ayant présenté des engrais sur son site internet ; ont encore la même destination (les terres agricoles), la même clientèle (les exploitants agricoles), la même fonction (améliorer la qualité, la croissance et le rendement des plantations), et sont complémentaires, comme le montrerait le changement de règlementation européenne par lequel les biostimulants ont été intégrés au nouveau règlement sur les matières fertilisantes. Elle estime à la fois faux et inopérant l'argument selon lequel la marque visée serait exploitée avec une marque ombrelle « Axioma ».

45. La société Axioma, qui admet que les signes déposés sont identiques, conteste en revanche toute similitude entre biostimulants et engrais, en soutenant que les premiers ne contiennent pas de nutriments et ne nourrissent pas la plante mais lui permettent de mieux résister aux stress environnementaux (dits abiotiques), tandis que les engrais ne visent qu'à améliorer la croissance de la plante ; que leurs modes de fabrication requièrent des compétences très différentes et ne peuvent donc être fabriqués par les mêmes sociétés ; qu'ils sont commercialisés selon des modes différents, la règlementation imposant une autorisation de mise sur le marché aux biostimulants ; qu'ils s'adressent à des consommateurs différents.

46. Au sujet des consommateurs, elle expose qu'il s'agit principalement des professionnels de l'agriculture, de l'horticulture et de la sylviculture ; qu'ils sont dans tous les cas d'attention élevée, car le biostimulant est un produit technique, avec un impact fort sur le rendement agricole, présentant des risques de toxicité. Elle ajoute que la marque est évocatrice, qu'elle-même l'exploite avec sa marque ombrelle « Axioma » qui serait très distinctive et connue du public, et qu'ainsi, en tenant compte de tous ces facteurs, et notamment de ce que la faible similitude entre les produits vient compenser la forte similitude entre les signes, il n'y aurait aucun risque de confusion (« autant théorique que pratique ») entre les marques.

Réponse du tribunal

47. Aux termes de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2015/2436, transposé en droit interne à l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle en des termes en substance identiques,

« 1. Une marque est refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle:

a) lorsqu'elle est identique à une marque antérieure et que les produits ou les services pour lesquels la marque a été demandée ou a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée;

b) lorsqu'en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services que les marques désignent, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion; ce risque de confusion comprend le risque d'association avec la marque antérieure. »

48. La marque française Rezist de la société Axioma, dont la nullité est demandée, est enregistrée pour désigner, depuis une renonciation partielle du 14 octobre 2020, exclusivement les « produits chimiques destinés à l'agriculture, à savoir des biostimulants » en classe 1, et les fongicides en classe 5. Elle avait initialement été enregistrée, le 5 avril 2019, pour désigner en outre les engrais, et les « produits chimiques destinés à l'agriculture » en général.

49. La façon dont la marque est exploitée est, comme le soulève la société Stoller, indifférente pour apprécier l'atteinte de la marque à un droit antérieur : la comparaison des marques s'effectue uniquement au regard de leur enregistrement, et il est constant ici qu'elles sont identiques.

Fongicides

50. À la date d'enregistrement de la marque visée par la demande en nullité, la marque antérieure était encore valablement enregistrée pour désigner des fongicides, car la déchéance n'est prononcée qu'à compter du 21 décembre 2020. Identique et désignant des produits identiques, la marque de la société Axioma doit donc être annulée s'agissant des fongicides.

Biostimulants

51. Les biostimulants sont, comme les engrais, définis comme produits fertilisants selon la règlementation française ; et ils le sont aussi selon la règlementation européenne depuis le 15 juillet 2019, au motif qu'ils « ne sont pas, en tant que tels, des apports en éléments nutritifs, mais stimulent néanmoins les processus naturels de nutrition des végétaux », que « lorsque ces produits visent uniquement à améliorer l'efficacité d'utilisation des éléments nutritifs des végétaux, la tolérance au stress abiotique, les caractéristiques qualitatives ou à augmenter la disponibilité des éléments nutritifs confinés dans le sol ou la rhizosphère, ils sont par nature plus proches de fertilisants que de la plupart des catégories de produits phytopharmaceutiques » et que « leur action s'ajoute à celle des engrais afin d'optimiser l'efficacité de ces engrais et de réduire la dose d'apport en éléments nutritifs » (considérant 22 du règlement 2019/1009).

52. Ces produits font donc partie de la même catégorie de produits (les fertilisants), ont une même destination (les plantes), ont le même objectif général (améliorer le développement des végétaux), auquel ils concourent par un fonctionnement potentiellement concurrent (le considérant 2 du règlement 2019/1009 rappelant par exemple que les produits améliorant l'efficacité nutritionnelle peuvent avoir pour effet positif une réduction des volumes d'engrais utilisés) ; ils sont utilisés par le même public spécifique, les exploitants agricoles. Et contrairement à ce qu'affirme la société Axioma, ils peuvent être fabriqués par les mêmes sociétés, puisqu'elle-même affirmait sur son site internet en fabriquer (pièce Stoller no25, capture d'écran du site internet Axioma-france.com au 11 janvier 2019). Ainsi, bien que différents par leur mode d'action, les biostimulants et les engrais ont manifestement entre eux une forte similarité, et c'est également à cette conclusion qu'est arrivé l'Office européen (décision du 14 juin 2010, no B 1 502 163, citée par la société Stoller).

53. Confrontés à des signes identiques, utilisés pour des engrais et pour des biostimulants, qui sont très similaires entre eux, les exploitants agricoles sont ainsi très susceptibles de croire que ces produits ont été fabriqués sous la responsabilité de la même entreprise ; il existe donc un risque de confusion dans l'esprit du public et la marque doit être annulée s'agissant des « produits chimiques destinés à l'agriculture, à savoir des biostimulants ».

54. Par conséquent, la marque Rezist de la société Axioma est entièrement annulée.

3) Demandes en contrefaçon de la marque Rezist UE

a. Atteinte à la marque (principe de responsabilité)

Moyens des parties

55. La société Stoller Europe rappelle que les biostimulants sont similaires aux engrais, et soutient que la société Axioma commercialise trois biostimulants différents sous un signe identique à sa marque, et plus récemment sous un signe semi-figuratif où le ‘z' est remplacé par un éclair, ce qui reste identique à la marque selon elle dès lors qu'il s'agit d'éléments purement décoratifs et que l'élément distinctif « Rezist » est immédiatement perceptible ; que seul le produit vendu sous le signe semi-figuratif est exploité sous la marque ombrelle « Axioma », mais que celle-ci est bien plus petite que le signe « Rezist », et que le consommateur d'attention moyenne pourra percevoir les produits comme l'évolution de la gamme de la société Stoller, ou une combinaison.

56. La société Axioma admet utiliser le signe Rezist dans la vie des affaires pour présenter une gamme de trois biostimulants, mais ajoute que cet usage est très limité, destiné presque exclusivement non pas aux clients finaux mais aux distributeurs, qui ont même aujourd'hui des mandats exclusifs, ont voulu commercialiser des biostimulants homologués et non de simples engrais de sorte qu'ils n'ont pas pu confondre, et procèderaient à cette commercialisation sous d'autres marques. Elle rappelle que les biostimulants, dont la règlementation serait différente jusqu'en juillet 2022, sont selon elle très différents des engrais ; que la marque est évocatrice, que les produits sont exploités en association avec sa marque ombrelle « Axioma », pour un public de professionnels dont l'attention est élevée, de sorte qu'il n'y aurait pas, en pratique, de risque de confusion, et qu'aucune confusion réelle n'a été rapportée par la demanderesse.

Réponse du tribunal

57. Les droits sur les marques de l'Union européenne sont prévus par l'article 9 du règlement 2017/1001 (applicables à raison de la date des faits litigieux), rédigé en ces termes :

« 1. L'enregistrement d'une marque confère à son titulaire un droit exclusif sur celle-ci.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque enregistrée, le titulaire de ladite marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d'un signe lorsque :

a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée » ;

b) le signe est identique ou similaire à la marque et est utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque ; »

58. L'atteinte au droit exclusif conféré par la marque de l'Union européenne est qualifiée en droit interne de contrefaçon, engageant la responsabilité civile de son auteur, par l'article L. 717-1.

59. En application de ces dispositions, le titulaire d'une marque est habilité à interdire l'usage, sans son consentement, d'un signe identique ou similaire à sa marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée et, en raison de l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public, porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services (CJUE, 15 décembre 2011, Frisdranken Industrie Winters, C-119/10, point 25).

60. Il a été démontré ci-dessus (paragraphes 51 et 52) qu'au sens du droit des marques, les biostimulants étaient fortement similaires aux engrais. Le fait que le régime juridique de commercialisation de ces produits fût différent (avant l'application du nouveau règlement 2019/1009) est un facteur secondaire qui est largement compensé par l'identité de leur destination et de leur objectif général, la relative proximité de nature entre eux, qui sont désormais, depuis l'application de l'article 47 du nouveau règlement le 15 juillet 2019, et étaient déjà en France, considérés comme relevant d'une même catégorie (les fertilisants), ainsi que par leur mode d'action certes différent, mais similaire (relatif à la nutrition des plantes). Enfin, si elle allègue une grande différence de technicité dans l'élaboration de ces produits, la société Axioma ne le démontre pas, ni même n'explicite à quoi tiendrait cette différence, et il a été observé qu'elle-même présentait sur son site internet à la fois des biostimulants et des engrais.

61. Il est constant que la société Axioma exploite le signe Rezist, identique à la marque, pour désigner, dans la vie des affaires, 3 produits biostimulants ; ainsi qu'un signe semi-figuratif « Rezist » en lettres blanches sur fond bleu, dans lequel le ‘z' est remplacé par un éclair jaune. Ce signe n'est pas identique à la marque, mais il y est très fortement similaire : l'éclair ne gêne pas la lecture de l'élément verbal « Rezist », et le signe est ainsi auditivement et conceptuellement identique à la marque, tandis qu'il est assez fortement similaire au plan visuel en raison de la prédominance de l'élément verbal dans le signe pris dans son ensemble.

62. Sur les images des produits en cause, communiquées par la société Stoller Europe, et non contestées par la société Axioma, la marque Axioma n'est pas visible, hormis sur le produit revêtu du signe semi-figuratif (dont la photographie d'un bidon est communiquée par la défenderesse elle-même, sa pièce no17), où il est, comme le souligne la demanderesse, d'une taille nettement plus petite que le signe Rezist. Surtout, rien n'indique, dans ces images, que seule la marque ombrelle désignerait l'origine du produit, et la défenderesse ne l'allègue pas ; en réalité, à supposer même que le consommateur accorde plus d'importance à la marque ombrelle qu'au signe Rezist, il reste amené à croire qu'il s'agit d'une combinaison de produits comme le suggère la demanderesse, ou plus simplement d'une collaboration entre la société Axioma et l'entreprise responsable de la marque Rezist, voire même que la société Axioma est la responsable de cette marque.

63. Ainsi, la grande similarité des produits, et l'identité ou la très forte similarité des signes, compensent largement la faible distinctivité de la marque, et laissent entendre au public que ces produits ont une origine commune, suscitant un risque de confusion, même pour un public à l'attention supérieure à la moyenne. Il y a donc une atteinte à la fonction essentielle de la marque, et la contrefaçon est caractérisée.

b. Interdiction et réparation

Moyens des parties

64. La société Stoller demande l'interdiction de tout usage du signe. Puis, estimant à 215 000 euros HT le chiffre d'affaires réalisé par la défenderesse sur les produits Rezist entre 2018 et fin 2021, soit un bénéfice de plus de 100 000 euros avec un taux de marge qu'elle retient à 50%, et demande que ce montant lui soit versé à titre de dommages et intérêts ; elle y ajoute une somme de 30 000 euros pour réparer la perte de valeur distinctive de sa marque, faisant valoir à cet égard que la recherche du terme ‘rezist' sur Google montre d'abord des résultats relatifs à Axioma, que ses ventes en France ont diminué concomitamment à la mise en vente des produits Rezist de la défenderesse. Elle demande enfin la publication du jugement.

65. La société Axioma fait valoir que son chiffre d'affaires pour les produits Rezist n'a été, de 2018 au 31 mars 2021, que de 133 901 euros HT, soit à peine plus de 10 % de son chiffre d'affaires total ; elle affirme ne réaliser aucun bénéfice en raison de ses couts de structure, de recherche et développement, et de conformité règlementaire, donnant pour exemple qu'au 5 novembre (2021) elle avait réalisé un chiffre d'affaires de 500 000 euros pour 1 400 000 euros de charges de structures ; et estime les calculs de la demanderesse fantaisistes. Elle conteste la banalisation de la marque, ainsi que le lien de causalité avec la baisse des ventes alléguées, faisant valoir le contexte sanitaire et économique de l'année 2020 où, affirme-t-elle, de nombreuses cultures ont dû être jetées (en raison notamment de la fermeture des restaurants).

Réponse du tribunal

Interdiction

66. En application des articles 125, paragraphe 1, 126, paragraphe 1, et 130 du règlement 2017/1001, le présent tribunal, situé dans l'État où se trouve le domicile du défendeur, est compétent pour statuer sur les faits de contrefaçon commis sur le territoire de tout État membre ; et, sauf raison particulière, il doit interdire au défendeur de poursuivre les actes de contrefaçon dans l'ensemble de l'Union (CJUE, 12 avril 2011, DHL Express, C-235/09, dispositif, interprétant les dispositions identiques du premier règlement 40/94).

67. Aucune raison ne justifie au cas présent de ne pas enjoindre à la société Axioma de cesser tout usage des signes Rezist, dans leur version verbale ou semi-figurative ; pour en assurer l'effectivité, cette injonction doit être assortie d'une astreinte continue par jour de retard, d'un montant journalier élevé, mais qui doit laisser au débiteur un délai de 30 jours, délai qui est suffisant pour retirer tous les supports commerciaux nécessaires ainsi que pour signaler à tous les distributeurs la nécessité pour eux d'en faire de même.

Réparation

68. En application de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, également applicable en vertu de l'article L. 717-2 aux atteintes portées au droit du titulaire d'une marque de l'Union européenne, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

69. Toutefois (2nd alinéa de l'article L. 716-4-10), la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Elle n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

70. Les trois critères à prendre en considération distinctement concourent à l'estimation du préjudice ; il ne s'agit pas de trois chefs de préjudice différents devant se cumuler. Ainsi, le bénéfice du contrefacteur n'est pas en lui-même égal à un préjudice pour le titulaire du droit contrefait ; il aide, en revanche, à estimer l'ampleur des conséquences économiques négatives, de l'affaiblissement de la marque, et du préjudice moral éventuellement subi.

71. Ici, la société Axioma a communiqué une attestation de son expert-comptable (sa pièce no19), admise par la demanderesse, selon laquelle la vente des produits Rezist a permis un chiffre d'affaires total de 133 901 euros HT entre 2018 et le 31 mars 2021. Elle n'a pas jugé utile d'actualiser ces montants dans ses dernières conclusions, de sorte que, comme le fait la demanderesse, il faut a minima prolonger ces données en retenant l'hypothèse la plus haute, c'est-à-dire en retenant que le chiffre d'affaires des trois premiers mois de 2021 (à savoir 19 819 euros) constitue le minimum de la période suivante. Bien que la société Axioma ait allégué, dans la partie sur le principe de la contrefaçon, que ses produits étaient désormais distribués par des tiers sous d'autres marques, il ressort de ses propres contrats de distribution que lesdits produits sont toujours désignés, entre autres, sous le signe Rezist. L'usage de ce signe s'est donc poursuivi de façon au moins aussi importante qu'auparavant. Ce qui permet d'estimer, d'avril 2021 à aout 2022, soit 17 mois, un chiffre d'affaires supplémentaire de 112 308 euros ; soit un total de 246 209 euros.

72. De son côté, la société Stoller allègue une baisse de chiffre d'affaires, sans plus de précision. Or il est constant que les produits des parties ne sont pas exactement de même nature, relevaient à l'origine de régimes d'autorisation potentiellement différents et relèvent toujours de catégories proches mais distinctes qui doivent être indiquées au consommateur, lequel fait un choix économique déterminé au moins en partie par la nature du produit. Il ne peut donc être déduit de la seule perte de chiffre d'affaires de la demanderesse que sa cause unique serait la vente de produits différents par la défenderesse. Une situation de concurrence partielle existe néanmoins entre les produits des parties, au regard de l'effet favorable sur l'utilisation d'engrais que peuvent avoir les produits optimisant la nutrition des plantes (tel que constaté par le 2e considérant du règlement 2019/1009 rappelé ci-dessus au paragraphe 52). Il peut en être déduit un effet défavorable correspondant à une petite partie du chiffre d'affaires de la défenderesse, d'environ 10%, auquel il faut déduire les couts variables qu'aurait exposés la demanderesse pour réaliser le chiffre d'affaires correspondant, ce qui permet de retenir une perte de bénéfice de 12 000 euros pour la société Stoller Europe du fait de la contrefaçon.

73. Les conséquences économiques négatives subies par la société Stoller Europe incluent également la perte de valeur distinctive de la marque. Cette perte doit elle aussi être appréciée au regard de l'ampleur de la contrefaçon, donc au regard du chiffre d'affaires et du bénéfice réalisés par le contrefacteur ; le bénéfice de celui-ci, au cas présent, est quasi-inexistant, en raison de l'ampleur des couts de recherches qu'il allègue sans être contesté ; mais le chiffre d'affaires réalisé n'en a pas moins causé une dilution de la marque par l'usage indû de celle-ci, de sorte qu'il peut être déduit ici une perte de valeur de la marque s'élevant à 30 000 euros.

74. La société Axioma doit par conséquent être condamnée à payer 42 000 euros à la société Stoller Europe en réparation de son préjudice du fait de la contrefaçon.

75. Le préjudice est ici réparé entièrement par les dommages et intérêts, et cessera avec l'interdiction ; il n'y a donc pas lieu à publication.

4) Demande reconventionnelle en concurrence déloyale pour pratiques commerciales trompeuses

Moyens des parties

76. La société Axioma reproche à la société Stoller Europe d'avoir promu ses produits jusqu'en octobre 2019, sur son site internet, de façon trompeuse au sens de l'article L. 121-2 du code de la consommation, en leur attribuant des propriétés que les engrais ne possèderaient pas et qui seraient celles des produits phytopharmaceutiques, à savoir la résistance ou la lutte contre « la maladie », d'empêcher « les attaques d'organismes pathogènes externes », de favoriser « un meilleur état nutritionnel et sanitaire ». Elle ajoute que le distributeur de ces produits les présentait aussi en 2018 comme renforçant « le système immunitaire induit des plantes » et réduisant leur « sensibilité au stress ». Elle fait valoir qu'après qu'elle l'a signalé à la société Stoller en octobre 2019, celle-ci a modifié son site internet, ce qui mettrait en évidence sa mauvaise foi ; que ces produits sont encore présentés dans une rubrique du site internet intitulée « résistance naturelle » et que continue à être allégué un effet sur la « résistance systémique acquise (SAR) », par l'amélioration de « l'état nutritionnel et physiologique des plantes en relation avec leur défense naturelle » et le fait que le produit est conçu « pour nourrir et donc améliorer le système de défense naturel de la plante, chargé de favoriser la production de molécules de défense naturelles contre le stress biotique. » Enfin, elle souligne que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a estimé, dans un rapport, que les allégations d'effets phytopharmaceutiques relèvent d'allégations trompeuses ou d'un défaut d'autorisation de mise sur le marché.

77. Elle en déduit un préjudice de 30 000 euros tiré d'un trouble commercial tenant à un avantage concurrentiel illicite, le public ayant pu se tourner vers la société Stoller pour acheter des produits qu'il croyait dotés d'une action phytopharmaceutique, à son préjudice ainsi qu'à celui des autres acteurs détenant les autorisations nécessaires, et alors que l'obtention de ces autorisations de mise sur le marché lui a imposé des investissements importants.

78. Contre la fin de non-recevoir qui lui est opposée, elle soutient que son intérêt à agir réside dans le fait que les biostimulants auraient un lien plus étroit avec les produits « phytosanitaires » qu'avec les engrais, et qu'en présentant faussement des produits comme favorisant la résistance des cultures aux agressions extérieures, la société Stoller porterait « atteinte [à son] marché économique » ; que sa demande reconventionnelle aurait un lien suffisant avec la demande initiale car elle concerne les mêmes parties, et la même marque en critiquant un usage de celle-ci comme la demande en contrefaçon. Elle précise que sa demande en concurrence déloyale est limitée aux produits vendus sous cette marque et ne concerne pas les autres produits, cités seulement à titre d'illustration.

79. La société Stoller Europe conteste la recevabilité de cette demande, en ce que la société Axioma n'aurait pas d'intérêt à invoquer le trouble commercial subi par les vendeurs de produits phytopharmaceutiques puisque les biostimulants ne sont eux-mêmes pas de tels produits, outre que les autorisations de mise sur le marché des produtis Rezist de la société Axioma n'ont été délivrées à celle-ci qu'en octobre et novembre 2019 ; et en ce que cette demande n'aurait pas de lien suffisant avec la demande initiale car elle porte sur la présentation générale de certains de ses produits sur l'internet et non sur l'usage de la marque fondant la demande initiale.

80. Sur le fond, elle soutient d'abord que ses engrais, en améliorant l'état nutritionnel et physiologique des plantes, permettent de les fortifier et d'améliorer leurs performances et leur système de défense naturel ; que par l'apport au bon moment et au bon endroit des oligo-éléments, qui sont impliqués dans un grand nombre de fonctions métaboliques, les plantes sont plus actives dans la production naturelle de molécules de défense ; qu'ainsi, les effets revendiqués sont une conséquence naturelle de l'utilisation de ses engrais, de sorte que ces allégations ne sont pas fausses. Elle soutient ensuite qu'en toute hypothèse, la présentation de ses produits n'est pas susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur au sens de l'article L. 120-1 du code de la consommation ; qu'en effet, elle a toujours indiqué sur ses étiquettes et sa fiche technique, accessible sur son site internet, que ses produits étaient des engrais. Elle précise enfin que si elle a modifié sa présentation sur l'internet en ajoutant que ses produits étaient des « engrais sans aucune action phytosanitaire », c'était uniquement pour « éviter à l'avenir toute velléité de contestation abusive. »

Réponse du tribunal

Recevabilité

81. Les articles 31 et 32 du code de procédure civile prévoient qu'est irrecevable toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d'agir, et que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

82. Par ailleurs, l'article 70 du même code n'autorise les demandes reconventionnelles ou additionnelles que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

83. La société Axioma se prévaut de la distorsion de concurrence qu'aurait causée la pratique commerciale trompeuse qu'elle allègue ; elle vend des produits dont les caractéristiques correspondent à celles que la pratique commerciale litigieuse attribue, à tort selon elle, aux produits de la société Stoller ; ces deux sociétés sont donc au moins partiellement en situation de concurrence (comme cela a aussi été établi au regard du mode de fonctionnement de leurs produits respectifs, cf paragraphe 72), et la première a bien un intérêt légitime au succès de sa prétention.

84. La demande reconventionnelle se fonde sur une pratique commerciale trompeuse dans la commercialisation des produits revêtus de la marque objet des prétentions originaires, pour des motifs similaires à ceux qui ont fondé la demande reconventionnelle en nullité pour caractère trompeur de cette marque. Il s'agit donc d'une branche du même litige tenant aux conditions d'exploitation de cette marque fondée en partie sur les mêmes considérations juridiques et scientifiques, qu'il est utile de juger ensemble. Dès lors, cette demande reconventionnelle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant.

85. La fin de non-recevoir est donc écartée.

Bien fondé

86. En application de l'article L. 121-2, 2o, a) et b), et de l'article L. 121-1, alinéas 1 et 4, du code de la consommation, constitue une pratique commerciale trompeuse, et donc une pratique déloyale interdite, la pratique commerciale qui repose sur des allégations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur la nature d'un bien ou d'un service, ou sur ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation. Ces dispositions s'appliquent aussi bien aux professionnels qu'aux non-professionnels (article L. 121-5).

87. Ces dispositions assurent la transposition de la directive 2005/29 s'agissant des pratiques commerciales vis à vis des consommateurs, mais relèvent du seul droit interne s'agissant des pratiques commerciales vis à vis des professionnels, qui ne sont pas inclues dans le champ d'application de la directive.

88. Il ressort de la règlementation applicable aux fertilisants et aux produits phytopharmaceutiques que la distinction entre ces produits se fonde sur leur composition et leur mode d'action, et non directement sur leur effet. Ainsi, le règlement 1107/2009 sur les produits phytopharmaceutiques s'applique aux produits « composés de substances actives, phytoprotecteurs ou synergistes, ou en contenant » et destinés à certains usages, dont celui d'exercer une action sur les processus vitaux des végétaux, mais à l'exception des substances nutritives (article 2, paragraphe 1). Le règlement 2019/1009 définit les fertilisants comme les matières qui apportent aux végétaux ou aux champignons des éléments nutritifs ou améliorent leur efficacité nutritionnelle (pour le rappel plus développé de cette règlementation, voir ci-dessus paragraphes 18 à 26, et la même conclusion, paragraphe 27). Cette règlementation n'impose donc pas en elle-même que certains effets soient réservés à certains produits.

89. Et la société Axioma n'expose pas en quoi les engrais seraient insusceptibles, en apportant à la plante les nutriments nécessaires, d'améliorer sa résistance à « la maladie » et aux « organismes pathogènes externes », son « état nutritionnel et sanitaire », éventuellement « en relation avec [sa] défense naturelle », d'améliorer encore son « système immunitaire induit », ou de réduire sa « sensibilité au stress ». En particulier, elle n'indique pas en quoi les plantes seraient dépourvues de défenses naturelles, ou en quoi le plein développement de ces défenses ne dépendrait pas de la quantité et la qualité appropriée de certains éléments contenus dans les engrais de la société Stoller. Si elle critique la référence à une « résistance systémique acquise (SAR) », elle n'a pas jugé utile d'éclairer le tribunal sur la portée de cette affirmation, sur les conditions d'une telle résistance, et sur les raisons pour lesquelles un engrais serait impropre à la permettre. La demanderesse reconventionnelle n'apporte donc pas la preuve, qui lui incombe, de la fausseté des allégations critiquées, ou au moins de leur absence de vraisemblance.

90. En revanche, en ne présentant son produit que par les effets revendiqués sur la « résistance naturelle à la maladie pour [les] cultures », parce qu'il « prévient et empêche les attaques d'organismes pathogènes externes », « contribue à la lutte contre les maladies », et plus généralement favorise « un meilleur état nutritionnel et sanitaire », sans indiquer dans ce descriptif ni nulle part ailleurs dans la page internet de présentation du produit qu'il s'agit d'un engrais sans action phytosanitaire (pièce Axioma no10), la société Stoller a présenté ces informations d'une façon qui était de nature à induire en erreur l'acheteur potentiel, qui pouvait croire que les effets revendiqués étaient obtenus par un mode d'action relevant d'un produit phytopharmaceutique ou d'un biostimulant, et non d'un simple engrais. Que l'information sur la nature du produit figure seulement dans la fiche technique et non avec les allégations empêche à cette information, qui est essentielle et doit être connue dès la découverte du produit, de jouer son rôle et permet précisément à la société Stoller de créer une ambigüité trompeuse sur la nature du produit. Il s'agit d'une pratique commerciale trompeuse, donc déloyale.

91. Cette pratique a pris fin en octobre 2019, par l'ajout sur le site internet de la société Stoller de la mention, dans la description, de façon visible, de ce qu'il s'agit d'un engrais « sans aucune action phytosanitaire ».

92. Or, comme le soulève la société Stoller sans être contredite, il résulte de la pièce no6 de la société Axioma que celle-ci n'a obtenu les autorisations de mise sur le marché pour ses biostimulants que les 17 octobre, 18 octobre, et 27 novembre 2019. Bien qu'elle ait exploité le signe Rezist antérieurement, puisque la première mise en demeure a été adressée en juin 2019, que la promotion d'un biostimulant Rezist a été faite sur sa page Facebook en mai 2019 (pièce Stoller no7) et qu'un chiffre d'affaires a été réalisé pour des produits vendus sous ce signe dès 2018 (voir la partie sur la contrefaçon, paragraphe 71), les autorisation de mise sur le marché sur lesquelles la société Axioma fonde sa demande en concurrence déloyale n'ont été délivrées qu'après la fin de la pratique commerciale déloyale. Celle-ci ne lui a donc causé aucun préjudice.

93. Par conséquent, la demande en concurrence déloyale est rejetée.

5) Dispositions finales

94. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'article 700 du même code permet au juge de condamner en outre la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre, pour les frais exposés mais non compris dans les dépens, une somme qu'il détermine, en tenant compte de l'équité et de la situation économique de cette partie.

95. La société Axioma, qui perd le procès, doit être tenue aux dépens, ainsi qu'à indemniser la demanderesse des frais qu'elle a dû exposer pour le procès, mais en tenant compte de la complexité parfois inutile apportée par certains de ses moyens infondés ; soit, en l'absence d'élément financier produit par les parties, à hauteur de 20 000 euros.

96. Enfin, vu l'article 515 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2020, applicable à raison de la date de l'assignation, l'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire, et nécessaire au regard de l'enjeu immédiat du litige sur l'activité des parties, est ordonnée, sauf en ce qui concerne la transcription de la décision aux registres des marques.

Par ces motifs

Le tribunal,

REJETTE la demande en nullité de la marque de l'Union européenne Rezist (014496897) pour les engrais et engrais azotés (en classe 1) ;

PRONONCE la déchéance partielle de cette marque en ce qu'elle désigne les produits chimiques destinés à l'industrie en classe 1, et les fongicides en classe 5, et ce à compter du 21 décembre 2020 ;

ANNULE la marque française Rezist (4497215) pour l'ensemble des produits qu'elle désigne ;

ORDONNE à la société Axioma de cesser tout usage du signe « Rezist » (verbal et semi-figuratif) dans le territoire de l'Union européenne, ainsi que de mettre en oeuvre les mesures appropriées pour faire cesser cet usage par ses distributeurs, et ce dans un délai de 30 jours suivant la signification du jugement puis sous astreinte de 500 euros par jour de retard, qui courra pendant au maximum 180 jours ;

Se réserve la liquidation de l'astreinte ;

CONDAMNE la société Axioma à payer à la société Stoller Europe 42 000 euros de dommages et intérêts du fait de la contrefaçon de la marque de l'Union européenne Rezist ;

DIT que la présente décision sera transmise à l'Office européen de la propriété intellectuelle et à l'Institut national de la propriété industrielle, à l'initiative de la partie la plus diligente, lorsqu'elle sera définitive ;

REJETTE la demande reconventionnelle de la société Axioma en dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;

CONDAMNE la société Axioma aux dépens (qui pourront être recouvrés par l'avocat de la société Stoller Europe dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile), ainsi qu'à payer 20 000 euros à la société Stoller Europe au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire (sauf en ce qui concerne la transmission aux offices).

Fait et jugé à Paris le 13 Septembre 2022

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/48
Date de la décision : 13/09/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-09-13;20.48 ?
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