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13/09/2022 | FRANCE | N°19/08173

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Chambre civile 3, 13 septembre 2022, 19/08173


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 19/08173 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQIJE

No MINUTE :

Assignation du :
02 et 03 juillet 2019

JUGEMENT
rendu le 13 Septembre 2022
DEMANDERESSE

S.A.S. E-SWIN
[Adresse 6]
[Localité 5]

représentée par Maître Virginie BERNARD de LA BRUYERE CDC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0436

DÉFENDEURS

Monsieur [W] [X]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Maître Martial JEAN de la SELARL NABONNE-BEMMER-JEAN, avocat au ba

rreau d'ESSONNE

Monsieur [F] [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représenté par Maître Clémence HILLEL-MANOACH, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 19/08173 -
No Portalis 352J-W-B7D-CQIJE

No MINUTE :

Assignation du :
02 et 03 juillet 2019

JUGEMENT
rendu le 13 Septembre 2022
DEMANDERESSE

S.A.S. E-SWIN
[Adresse 6]
[Localité 5]

représentée par Maître Virginie BERNARD de LA BRUYERE CDC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0436

DÉFENDEURS

Monsieur [W] [X]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Maître Martial JEAN de la SELARL NABONNE-BEMMER-JEAN, avocat au barreau d'ESSONNE

Monsieur [F] [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représenté par Maître Clémence HILLEL-MANOACH, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1444 et par Maître Eve-Marine BOLLECKER de la SELARL CAA, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l'audience du 14 Avril 2022 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 05 juillet 2022 et prorogé au 13 Septembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

1. La SAS E-SWIN a pour activité l'industrialisation, la fabrication et la création de tous produits et systèmes destinés aux secteurs esthétique, médical et paramédical.

2. Elle dit avoir développé en 2012 un dispositif d'optique, solution de traitement technologique utilisant le procédé de lampe flash pour traiter le syndrome de la sécheresse oculaire, dont les premiers équipements dénommés « E-EYE » ont été commercialisés à compter du 11 janvier 2013, puis essentiellement en 2015 auprès des professionnels distributeurs spécialisés dans les domaines de l'optique médicale et paramédicale (opticiens et optométristes) et plus accessoirement auprès des médecins ophtalmologues.

3. Monsieur [W] [X] et le docteur [F] [V], ophtalmologue, se présentent comme ayant mis au point le projet d'un dispositif matériel et d'un protocole permettant de traiter spécifiquement le syndrome de l'« ?il sec par dysfonctionnement des glandes de Meibomius » par une méthode douce d'utilisation de la lumière pulsée.

4. Le 4 avril 2012, Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] ont déposé une demande de brevet français no FR 2 988 998 intitulé « dispositif pour traiter le dysfonctionnement dit ‘‘de l'?il sec'' ».

5. Respectivement les 27 et 28 juin 2012, le docteur [F] [V] et Monsieur [W] [X] ont chacun conclu un protocole avec la SAS E-SWIN ayant, selon leur article 2, pour objet de « définir les conditions auxquelles les parties conviennent de coopérer, dans le domaine technique, à l'étude et au développement de l'appareil ou d'un nouvel appareil en vue, pour E-SWIN, de les fabriquer et de les commercialiser aux seuls médecins spécialistes des pathologies de l'?il ».

6. Le brevet français no FR 2 988 998, intitulé « dispositif pour traiter le dysfonctionnement dit ‘‘de l'?il sec'' », a été délivré le 26 décembre 2014.

7. Par courriers recommandés du 1er octobre 2018, la SAS E-SWIN a informé Monsieur [W] [X] et le docteur [F] [V] de ce qu'à la suite de la réorganisation du groupe E-SWIN, elle a procédé à une vérification de l'ensemble des commissions qui leur ont été versées au regard des conventions signées et n'avoir pas tenu compte par erreur que les protocoles ne concernaient que la commercialisation de l'appareil « E-EYE » aux seuls médecins spécialistes des pathologies de l'?il. Elle a précisé ne pas solliciter le remboursement des sommes versées à tort, mais imputer leur montant sur les prochaines échéances de paiement.

8. Par courrier recommandé du 5 novembre 2018, Monsieur [W] [X] a dit contester cette limitation contractuelle de la SAS E-SWIN, s'opposer à l'imputation de la somme de 57.000 euros sur sa rémunération à venir, et a sollicité un relevé certifié par expert-comptable ou commissaire aux comptes du nombre d'appareils vendus, loués et placés par zones géographiques et par canal de distribution depuis 2014.

9. Par courrier recommandé de son conseil du 26 novembre 2018, le docteur [F] [V] a contesté l'interprétation contractuelle de la SAS E-SWIN et l'a invitée à y renoncer et à le commissionner de l'intégralité des appareils ou nouvel appareil vendus, loués et placés en France et en Europe.

10. Par courriers recommandés du 15 février 2019, la SAS E-SWIN a indiqué à Monsieur [W] [X] et au docteur [F] [V] « mettre fin » aux protocoles des 27 et 28 juin 2012.

11. Par acte d'huissier du 25 février 2019, Monsieur [W] [X] a fait sommation à la SAS E-SWIN de lui communiquer les relevés trimestriels, certifiés par son expert-comptable ou son commissaire aux comptes, du nombre d'appareils vendus, loués et placés, depuis 2014, ventilés par zones géographiques et, le cas échéant, par canal de distribution en vertu de l'article 6-2 du protocole du 28 juin 2012.

12. Par courrier recommandé de son conseil du 4 mars 2019, le docteur [F] [V] a contesté la résiliation du protocole du 27 juin 2012 et sollicité à nouveau la communication d'un relevé certifié par son expert-comptable ou son commissaire aux comptes, du nombre d'appareils vendus, loués et placés à compter du 27 juin 2012, ventilé par zones géographiques et, le cas échéant, par canal de distribution en vertu de l'article 5-2 du protocole.

13. C'est dans ces circonstances que par actes d'huissier des 2 et 3 juillet 2019, la SAS E-SWIN a fait assigner Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de PARIS, en répétition de l'indu.

14. Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 novembre 2021, la SAS E-SWIN demande au tribunal, au visa des articles 1302, 1302-1, 1303 du code civil, de l'ancien article 1131 du code civil, des anciens articles 1108, 1109, 1116, 1304 et 1382 du code civil, des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 613-8 du code de la propriétéŽ intellectuelle, des anciens articles L. 442-6, I, 1o et L. 442-6, III du code de commerce, de :

« A titre principal, sur la répétition de l'indu :

- CONDAMNER Monsieur [W] [X] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 272.000 euros en répétition de l'indu des redevances versées entre 2015 et septembre 2018, déduction faite de la somme de 20.000 euros HT contre remise d'une facture correspondante, soit la somme de 252.000 euros ;

- CONDAMNER Monsieur [F] [V] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 133.250 euros en répétition de l'indu des redevances versées entre 2015 et septembre 2018 ;

A titre subsidiaire, sur la nullité et la restitution :

- ANNULER les clauses des protocoles signés le 27 juin 2012 entre E-SWIN d'une part et Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] d'autre part relatives aux rémunérations variables (redevances) ;

- CONDAMNER Monsieur [W] [X] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 272.000 euros en restitution des redevances versées entre 2015 et septembre 2018, déduction faite de la somme de 20.000 euros HT contre remise d'une facture correspondante, soit la somme de 252.000 euros ;

- CONDAMNER Monsieur [F] [V] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 133.250 euros en restitution des redevances versées entre 2015 et septembre 2018 ;

En tout état de cause :

- DEBOUTER Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- ORDONNER la mainlevée de l'opposition de Monsieur [F] [V] au paiement du prix de cession du fonds de commerce de la sociétéŽ E-SWIN a` la société ESW BEAUTE ;

- CONDAMNER in solidum Monsieur [F] [V] et Monsieur [W] [X] a` 50.000 euros au titre du préjudice moral subi par E-SWIN ;

- CONDAMNER Monsieur [W] [X] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER Monsieur [F] [V] a` payer a` la société E-SWIN la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER in solidum Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL LA BRUYERE CDC, avocat au barreau de Paris, conformément a` l'article 699 du code de procédure civile ».

15. Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 novembre 2021, Monsieur [W] [X] demande au tribunal, au visa des articles 1303 et suivants et 1134 du code civil, de :

« - DECLARER la société E-SWIN irrecevable en l'intégralité de ses demandes ;

- Subsidiairement, l'en DEBOUTER purement et simplement ;

- DECLARER, en revanche, M. [W] [X] recevable et fondeŽ en ses demandes reconventionnelles.

Y faisant droit,

A titre principal :

- CONDAMNER la société E-SWIN a` payer au concluant une somme de 235.000 euros correspondant aux rémunérations éludées arrêtée au 15 mai 2019 ;

- CONDAMNER la société E-SWIN a` payer au concluant une somme de 3.000.000 euros au titre de la perte du gain prévisible de percevoir sa rémunération contractuelle sur l'Appareil et le Nouvel Appareil et tout autre Nouvel Appareil jusqu'au terme du protocole.

A titre subsidiaire, si le tribunal retenait la nullitéŽ de la convention ou l'existence d'un indu :

- CONDAMNER la société E-SWIN a` payer au concluant une somme de 12.000.000 euros au titre de son enrichissement sans cause au préjudice du concluant.

En tout état de cause :

- DEBOUTER la société E-SWIN de l'intégralitéŽ de ses demandes, singulièrement financières, a` l'égard du concluant ;

- CONDAMNER la société E-SWIN a` payer au concluant une somme de 50.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La CONDAMNER en tous les dépens ;

- ORDONNER l'exécution provisoire ».

16. Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 novembre 2021, Monsieur [F] [V] demande au tribunal, au visa des articles 1109 et 1116 anciens du code civil, de l'article 1117 ancien du code civil, de l'article 1134 ancien du code civil, de l'article 1147 ancien du code civil, des articles 1231-1 et suivants du code civil, de l'article 1137 du code civil, de l'ancien article 1304 du code civil, de l'article 32 du code de procédure civile, de :

« - DECLARER l'action fondée sur le dol irrecevable comme étant prescrite ;

- DECLARER infondées en droit et/ou fait l'intégralité des demandes de la société E-SWIN.

A titre reconventionnel,

- CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 82.750 euros au Docteur [V] au titre des commissions qui auraient du^ e^tre percžues au titre de la peŽriode allant du 27 juin 2012 au 31 août 2015 ;

- CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 69.375 euros au Docteur [V] au titre des commissions qui auraient du^ e^tre percžues au titre de la peŽriode allant du 1er juillet 2018 au 15 mai 2019 ;

- CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 1.225.000 euros a` parfaire au Docteur [V] a` titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la résiliation fautive du protocole conclu le 27 juin 2012 ;

- CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 15.000 euros au Docteur [V] a` titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du caractère abusif de la présente procédure.

En tout état de cause,

- CONDAMNER la socieŽteŽ E-SWIN au paiement de 8.000 euros au Docteur [V] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- ORDONNER l'exécution provisoire du jugement a` venir ».

17. L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 novembre 2021.

18. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes principales en répétition de l'indu

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

19. Monsieur [W] [X] soulève la prescription de l'action en répétition de l'indu en ce que la SAS E-SWIN avait déjà connaissance lors de la signature du protocole le 28 juin 2012 de ce qu'elle ne disposait pas d'une licence de brevet, lequel a par ailleurs été délivré le 26 décembre 2014 soit plusieurs années après la signature du contrat, et qu'elle avait connaissance au plus tard à la date du début de la commercialisation de l'appareil E-EYE, le 11 janvier 2013, de ce qu'elle n'exploitait pas le brevet.

20. La SAS E-SWIN répond que la prescription de 5 ans ne fait pas obstacle à sa demande de remboursement des redevances versées depuis 2015 dès lors que l'action a été intentée le 3 juillet 2019 et que le point de départ du délai de prescription de l'action en répétition de l'indu ne peut être antérieur au paiement.

SUR CE,

21. Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

22. L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

23. L'action en répétition de l'indu, quelle que soit la source du paiement indu, se prescrit selon le délai de droit commun applicable, à défaut de disposition spéciale, aux quasi-contrats (Cass. 2e civ., 4 juillet 2013, no12-17.427), et ne peut être utilement engagée qu'à compter de la date où le paiement est devenu indu (Cass. 3e civ., 31 mai 2007, no06-13.224).

24. En l'espèce, la demande en répétition de l'indu formée par la SAS E-SWIN porte sur les paiements effectués à Monsieur [W] [X] sur la période de juillet 2015 à septembre 2018.

25. L'assignation ayant été délivrée au défendeur le 2 juillet 2019, soit avant l'expiration du délai de prescription quinquennal dont le point de départ est la date de chacun des paiements prétendument indus dont la répétition est sollicitée, la demande n'est pas prescrite. La SAS E-SWIN est donc recevable en sa demande.

Sur la répétition de l'indu

26. La SAS E-SWIN expose avoir versé aux défendeurs pendant plusieurs années et sans aucune contrepartie des redevances de licence de brevet tandis que les protocoles ne prévoient pas de licence de la demande de brevet, que ces derniers ne lui ont pas consenti de licence du brevet français no FR 2 988 998 et qu'elle n'a pas exploité le brevet selon une consultation du cabinet de conseil en propriété industrielle PLASSERAUD du 8 novembre 2019. Elle ajoute que l'invention visée dans ce brevet n'a été protégée qu'en France et ne pouvait donc pas donner lieu au paiement de redevances pour la commercialisation de produits en dehors de la France, que seules les ventes aux médecins spécialistes des pathologies de l'?il donnaient lieu à rémunération et que bien qu'elle ne nie pas leur implication dans le développement de l'appareil E-EYE en 2012, les défendeurs ne démontrent pas leur implication dans sa commercialisation qui aurait pu justifier le versement de la rémunération variable.

27. Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] répondent que la SAS E-SWIN tente de requalifier les contrats, que les protocoles ne constituent pas une licence de brevet mais un contrat de coopération tel qu'énoncé à l'article 2 « OBJET DU CONTRAT », que la SAS E-SWIN ne s'est pas engagée à payer des commissions sans contrepartie, que la rémunération variable est la contrepartie de l'apport de leurs connaissances et de leur savoir-faire pour le développement de l'appareil E-EYE en amont de sa fabrication et de sa commercialisation par la SAS E-SWIN, que l'exploitation de leur savoir-faire a permis à la SAS E-SWIN de pénétrer le marché des traitements de pathologies ophtalmiques, que la consultation du cabinet de conseil en propriété industrielle PLASSERAUD du 8 novembre 2019 ne démontre pas l'absence d'exploitation de leur savoir-faire mais indique seulement que l'appareil E-EYE ne reproduirait pas les revendications 6, 9 et 11 du brevet français no FR 2 988 998.

SUR CE,

28. L'article 1302 du code civil dispose que tout paiement suppose une dette ; ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution. La restitution n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.

29. Aux termes de l'article 1302-1 du code civil, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit la restitution à celui de qui il l'a indûment reçu.

30. Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

31. C'est au demandeur en restitution des sommes qu'il prétend avoir indûment payées qu'il incombe de prouver le caractère indu du paiement (Cass. 1re civ., 16 novembre 2004, no01-17.182).

32. En l'espèce, l'article 2 « OBJET DU CONTRAT » de chacun des protocoles des 27 et 28 juin 2012 (pièces E-SWIN no3 et 6) stipule : « Le présent contrat a pour objet de définir les conditions auxquelles les parties conviennent de coopérer, dans le Domaine technique, à l'étude et au développement de l'Appareil ou d'un Nouvel appareil en vue, pour E-SWIN, de les fabriquer et de les commercialiser aux seuls médecins spécialistes des pathologies de l'?il ».

33. Les protocoles précisent à l'article 1 « DEFINITIONS » que : « 1.2 – Domaine technique recouvre l'ensemble des opérations d'ordre technologique (acquisition de connaissances techniques, analyses théoriques, études et expérimentations, y compris la production expérimentale et les tests techniques ou cliniques de produits ou de procédés ou matériels) nécessaires à la conception et au développement de l'Appareil ou d'un Nouvel Appareil, ainsi que la mise au point de ses méthodes de fabrication et/ ou de contrôle ».

34. L'article 3 « PROPRIETE INTELLECTUELLE » desdits protocoles stipule que : « 3.1 – Chaque partie conservera la propriété exclusive et personnelle des Connaissances antérieures lui appartenant en propre. En particulier, la Demande de Brevet co-déposée par le Médecin et [W] [X] et les droits qui pourraient en découler ne sauraient être altérés par le présent protocole ».

35. L'article 6 « PRESTATIONS DU MEDECIN » du protocole du 27 juin 2012 conclu avec le Docteur [F] [V] stipule :
« 5-1 Réalisation d'une Etude
Le Médecin fournira à la société E-SWIN, sous la forme d'un rapport, une étude (ci-après l'« Etude » relative à l'utilisation thérapeutique de l'Appareil pour le traitement du dysfonctionnement dit de « l'?il sec » dans sa forme d'atteinte cornéenne par déficit de la couche lipidique lacrymale, faisant plus particulièrement apparaître :
Les moyens actuellement les plus couramment utilisés pour le traitement de l'?il sec ;
Les avantages et inconvénients de ces traitements ;
Les apports du traitement de l'?il sec par lampe flash ;
Les avantages et les inconvénients de ce type de procédé ;
Les contre-indications de ce type de traitement ;
Les résultats constatés par l'usage de ce type de traitement ;
Les forces et les faiblesses de l'Appareil dans le traitement ;
Les préconisations pour que l'Appareil soit en mesure de traiter l'?il sec dans les meilleures conditions d'efficacité et de sécurité des patients.
Les études et notes établies par le Médecin seront la propriété exclusive de la société E-SWIN. En conséquence, le Médecin s'interdit d'utiliser, à titre personnel, ou professionnel, quel qu'en soit l'usage ou la destination, les éléments et informations qui ont été portés à sa connaissance par la société E-SWIN pour la réalisation de l'Etude, comme l'étude elle-même, notamment dans la perspective d'une publication professionnelle ou scientifique, sauf accord écrit et préalable de la société E-SWIN.
Le Médecin ne pourra en aucun cas sous-traiter tout ou partie de la réalisation de l'Etude.
Le Médecin devra avoir remis l'Etude à la société E-SWIN, au plus tard le 30/06/212.
La société E-SWIN se réserve la faculté de compléter l'Etude ou réaliser une Etude concurrente par toute personne de son choix, sous réserve, dans cette hypothèse, d'identifier, dans toute publication ultérieure les conclusions relevant de chacune des Etudes concurrentes en faisant apparaître le nom de son auteur.

5-2 Rémunération du Médecin
5.2.1 En contrepartie de l'Etude que le Médecin aura réalisé et dont il communiquera un rapport circonstancié à la société E-SWIN, le Médecin percevra une rémunération de 10.000 euros à titre d'honoraire.
5.2.2 En outre, et en contrepartie de l'usage par E-SWIN de la demande de brevet déposée comme dit en EXPOSE, le Médecin percevra une rémunération complémentaire égale à 250 € pour chaque Appareil ou Nouvel Appareil vendu, loué ou placé en France et en Europe par E-SWIN ou toute entité à qui E-SWIN pourrait en concéder la commercialisation ou concéder une licence de fabrication et de vente des Appareils.
Le versement de cette redevance ne cessera pas si la Demande de Brevet ne pouvait aboutir pour une raison indépendante de la volonté du Médecin et de la Partie intervenante.
Dans ce cas la redevance sera alors considérée comme portant sur le savoir-faire transmis.
Monsieur [W] [X] intervient aux présentes pour consentir à ces dispositions et fera son affaire de conclure, en ce qui le concerne, un accord séparé avec E-SWIN à ce sujet.
Cette rémunération sera calculée par trimestre civil et sera versée au plus tard le 15 du mois suivant le trimestre civil considéré. A cet effet, la société E-SWIN communiquera au Médecin, en même temps que le règlement, un relevé faisant apparaître le nombre d'Appareils vendus, loués et placés au cours du trimestre considéré, ventilé par zones géographiques et, le cas échéant, par canal de distribution.
Sur demande expresse du Médecin, E-SWIN devra communiquer un relevé certifié par l'Expert-Comptable ou le commissaire aux Comptes de la société E-SWIN ».

36. L'article 6 « PRESTATIONS DE L'APPORTEUR » du protocole du 28 juin 2012 conclu avec Monsieur [W] [X] stipule :
« 6-1 Nature des prestations de l'Apporteur :
- L'Apporteur s'est mis en rapport avec E-SWIN en vue d'explorer une possible collaboration dans le domaine du traitement de l'?il sec par lampe flash. Un accord de confidentialité bilatéral signé entre les parties en juin 2011 a formalisé cette phase.
- En collaboration avec le Médecin, il a défini les caractéristiques souhaitables de la pulsation lumineuse émise par l'Appareil.
- Il s'est assuré du bon déroulement de l'essai clinique avec le Médecin en vue de la rédaction d'une étude montrant l'efficacité de la méthode sur un nombre significatif de patients.
- Il collabore à la mise en forme des résultats des essais cliniques initiaux.
- Il informe E-SWIN des remarques et suggestions d'améliorations de l'Appareil.
- Il définit avec le Médecin le protocole opératoire ainsi que la forme et la nature du couplant optique interface entre l'Appareil et la peau du Patient.
- Il peut être amené à participer, à la demande et aux frais de E-SWIN et dans la mesure de ses disponibilités, aux évènements et congrès médicaux destinés à promouvoir les ventes de l'Appareil.

6-2 Rémunération de l'Apporteur
En contrepartie de son intervention et de l'usage par E-SWIN de la Demande de Brevet, l'Apporteur percevra un montant de 500 euros Hors Taxes pour chaque Appareil ou Nouvel Appareil vendu, loué ou placé par E-SWIN ou toute entité à qui E-SWIN pourrait concéder la commercialisation ou concéder une licence de fabrication et de vente des Appareils.
Le versement de cette redevance ne cessera pas si la Demande de Brevet ne pouvait aboutir pour une raison indépendante de la volonté de l'Apporteur.
Dans ce cas la redevance sera alors considérée comme portant sur le savoir-faire transmis.
Cette rémunération sera calculée par trimestre civil et sera versée au plus tard le 15 du mois suivant le trimestre civil considéré. A cet effet, la société E-SWIN communiquera à l'Apporteur, en même temps que le règlement, un relevé faisant apparaître le nombre d'Appareils vendus, loués et placés au cours du trimestre considéré, ventilé par zones géographiques et, le cas échéant, par canal de distribution.
Sur demande expresse de l'Apporteur, E-SWIN devra communiquer un relevé certifié par l'Expert-Comptable ou le commissaire aux Comptes de la société E-SWIN ».

37. Dès lors, contrairement à ce qu'affirme la SAS E-SWIN, il ressort des stipulations contractuelles, notamment de l'article 2 « OBJET DU CONTRAT », que les protocoles constituent des contrats de coopération avec Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V], lesquels apportent leurs connaissances et leur savoir-faire dont ceux de la demande de brevet français no FR 2 988 998 intitulé « dispositif pour traiter le dysfonctionnement dit ‘‘de l'?il sec'' » sans toutefois en concéder une licence, en vue du développement d'un appareil, en l'occurrence l'appareil E-EYE, moyennant le versement d'une rémunération variable appelée « redevance » pour chaque appareil vendu, loué et placé par elle. La SAS E-SWIN ne peut donc prétendre avoir indûment payé des redevances d'une licence de brevet qui ne lui a pas été concédée, ce d'autant que l'article 3.1 « PROPRIETE INTELLECTUELLE » des protocoles stipule expressément que « la Demande de Brevet co-déposée par le Médecin et [W] [X] et les droits qui pourraient en découler ne sauraient être altérés par le présent protocole ».

38. Son moyen tiré de ce qu'elle n'a pas exploité le brevet français no FR 2 988 998 délivré le 26 décembre 2014 est également inopérant dès lors qu'aucune licence de brevet ne lui a été concédée et que, comme l'indiquent les défendeurs, la consultation du 8 novembre 2019 qu'elle verse aux débats (sa pièce no11), réalisée à sa demande par le cabinet de conseil en propriété industrielle PLASSERAUD, n'exclut pas l'usage de leur savoir-faire pour le développement de l'appareil E-EYE mais se borne à indiquer que l'appareil E-EYE « ne semble pas reproduire au moins les revendications 1 et 6 à 11 du brevet », étant observé que cette consultation est silencieuse s'agissant d'une éventuelle reproduction des revendications 2, 3, 4 et 5 du brevet.

39. Quant au caractère prétendument indu des redevances versées pour les ventes de l'appareil E-EYE à d'autres acheteurs que « les médecins spécialistes des pathologies de l'?il » visés à l'article 2 « OBJET DU CONTRAT » et les ventes réalisées hors France, force est de constater que la SAS E-SWIN, à laquelle incombe la charge de la preuve, n'identifie pas les redevances litigieuses, aucun décompte des ventes ventilé par catégories d'acheteurs n'étant produit, et n'établit pas davantage avoir versé des redevances pour des ventes autres qu'aux médecins spécialistes des pathologies de l'?il.

40. Par ailleurs, les stipulations contractuelles ne cantonnent pas les redevances aux ventes d'appareils réalisées uniquement sur le territoire français. Au contraire, l'article 5-2 « Rémunération du médecin » du protocole du 27 juin 2012 conclu avec Monsieur [F] [V] stipule que « le Médecin percevra une rémunération complémentaire égale à 250 € pour chaque Appareil ou Nouvel Appareil vendu, loué ou placé en France et en Europe par E-SWIN » ; et l'article 6-2 « Rémunération de l'apporteur » du protocole du 28 juin 2012 conclu avec Monsieur [W] [X] stipule que « l'Apporteur percevra un montant de 500 € Hors Taxes pour chaque Appareil ou Nouvel Appareil vendu, loué ou placé par E-SWIN », et vise donc les ventes sans distinction territoriale, ce qui est corroboré par l'alinéa suivant du même article qui stipule qu'« à cet effet, la société E-SWIN communiquera à l'Apporteur, en même temps que le règlement, un relevé faisant apparaître le nombre d'Appareils vendus, loués et placés au cours du trimestre considéré, ventilé par zones géographiques ».

41. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la SAS E-SWIN sera en conséquence déboutée de ses demandes principales en répétition de l'indu.

Sur les demandes subsidiaires en nullité pour dol

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

42. Monsieur [W] [X] soulève la prescription de la demande subsidiaire en nullité pour dol de la clause du protocole du 28 juin 2012 relative à sa rémunération en ce que la SAS E-SWIN avait déjà connaissance lors de la signature du protocole qu'il ne lui conférait pas une licence de brevet, lequel a été délivré postérieurement le 26 décembre 2014, qu'elle a eu connaissance des travaux du docteur [C] dès l'étude du 25 avril 2012 transmise par Monsieur [F] [V] et avait d'ailleurs mis en avant les différences entre l'appareil QUADRA Q4 de DERMAMED SOLUTIONS utilisé par le docteur [C] et son appareil E-EYE lors de sa présentation aux distributeurs.

43. Monsieur [F] [V], qui soulève également la prescription de cette demande, ajoute que le contrat a reçu exécution.

44. La SAS E-SWIN répond sa demande en nullité pour dol n'est pas prescrite dès lors que « le point de départ de la prescription n'a commencé à courir qu'à compter du 26 décembre 2014, date à partir de laquelle Monsieur [X] et Monsieur [V] auraient pu consentir à E-SWIN une licence de brevet ou une licence de savoir-faire, ce qui ne s'est pas produit ».

SUR CE,

45. Aux termes de l'article 1144 du code civil, le délai de l'action en nullité ne court, en cas d'erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé.

46. L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

47. La prescription quinquennale de l'action en nullité pour dol a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l'erreur qu'il allègue (Cass. 1re civ., 11 septembre 2013, no12-20.816).

48. En l'espèce, la SAS E-SWIN allègue un vice du consentement pour dol en ce que les défendeurs ne lui ont pas concédé de licence de brevet, ce dont elle avait déjà connaissance au jour de la signature des protocoles les 27 et 28 juin 2012 dont elle sollicite la nullité de la clause de rémunération, et ne l'a pas découvert à la date de délivrance du brevet FR 2988998 le 26 décembre 2014.

49. De même qu'il ressort des pièces versées aux débats que la SAS E-SWIN avait à tout le moins connaissance des travaux du docteur [P] [C], prétendument destructeurs de nouveauté de l'utilisation de la technologie IPL pour le traitement de la maladie de l'?il sec, dès l'étude du 25 avril 2012 que lui a remis le docteur [F] [V] (sa pièce no6.1), soit antérieurement à la signature des protocoles.

50. Ses demandes subsidiaires en nullité pour dol ayant été formées pour la première fois dans ses conclusions no2 notifiées par voie électronique le 14 septembre 2021, celles-ci prescrites, y compris dans l'hypothèse d'un point de départ du délai de prescription quinquennal à la date de délivrance du brevet le 26 décembre 2014 tel qu'allégué par la SAS E-SWIN.

51. En conséquence, la SAS E-SWIN sera déclarée irrecevable en ses demandes subsidiaires en nullité pour dol des clauses de rémunération stipulées aux protocoles conclus les 27 et 28 juin 2012 avec Monsieur [F] [V] et Monsieur [W] [X].

Sur la demande de mainlevée de l'opposition

52. Dans le dispositif de ses conclusions, la SAS E-SWIN demande au tribunal d'« ordonner la mainlevée de l'opposition de Monsieur [F] [V] au paiement du prix de cession du fonds de commerce de la société E-SWIN à la société ESW BEAUTE ».

53. Monsieur [F] [V] ne répond pas sur ce point.

SUR CE,

54. Conformément à l'article 768 du code de procédure civile, les écritures des parties doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

55. En l'espèce, dans la partie discussion de ses conclusions, la SAS E-SWIN n'invoque aucun fondement textuel et n'expose aucun moyen en droit au soutien de sa demande de mainlevée de l'opposition formée par Monsieur [F] [V] au paiement du prix de cession du fonds de commerce de la SAS E-SWIN à la SAS ESW BEAUTY, laquelle sera en conséquence rejetée.

Sur la demande indemnitaire pour préjudice moral

56. La SAS E-SWIN soutient avoir subi un « préjudice moral du fait de l'atteinte à la réputation qu'elle subit et des soucis et inquiétudes pour la pérennité de l'exploitation de l'équipement E-EYE, causés par les menaces et mensonges des défendeurs ».

57. Les défendeurs contestent l'existence d'un quelconque préjudice moral subi par la SAS E-SWIN.

SUR CE,

58. L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

59. Aux termes de l'article 1241 du code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

60. En l'espèce, tandis que la charge de la preuve lui incombe, la SAS E-SWIN, qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures, n'établit ni la faute des défendeurs ni le préjudice moral qu'elle allègue, et sera en conséquence déboutée de sa demande indemnitaire.

Sur les demandes reconventionnelles

61. Monsieur [W] [X] soutient que des rémunérations lui restent dues en exécution du protocole depuis le troisième trimestre de l'année 2018, que sa rémunération est fixée par le protocole sans considération de la personne à laquelle l'appareil est vendu, de sorte qu'il a droit à une rémunération pour tout appareil vendu dans le monde entier à tous les professionnels, qu'en dépit d'une sommation de communiquer signifiée par huissier la SAS E-SWIN n'a pas produit les décomptes trimestriels conformément au protocole, que la résiliation unilatérale du protocole par la SAS E-SWIN est fautive car de pure convenance et ne formule aucun reproche à son égard, et que cette dernière doit donc indemniser son préjudice relevant d'une perte de chance de percevoir cette rémunération qu'il évalue à la somme de 3.000.000 euros sur une base de 300 appareils par an sur les 14 prochaines années.

62. Monsieur [F] [V] fait valoir que des commissions lui sont encore dues en application du protocole sur la période du 1er juillet 2018 au 15 mai 2019 et sur la période du 27 juin 2012 au 31 août 2015, que la résiliation unilatérale du protocole par la SAS E-SWIN est fautive, qu'il subit un préjudice à hauteur de la somme de 1.225.000 euros à parfaire sur une base de 350 appareils par an au titre des 14 années restant à courir. Il invoque également le caractère abusif de la procédure engagée par la SAS E-SWIN.

63. La SAS E-SWIN répond que les rémunérations de Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V], manifestement disproportionnées par rapport à la valeur des services rendus, justifient la résiliation anticipée des protocoles « même si cela n'est pas mentionné dans les lettres de résiliation », et conteste tant leur chiffrage des redevances restant dues que leur évaluation du préjudice de perte de chance.

SUR CE,

Sur la résiliation unilatérale fautive des protocoles

64. Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

65. L'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

66. Selon l'article 1212 alinéa 1er du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme (déjà en ce sens, Cass. com. 12 novembre 1996, no94-14.329).

67. En l'espèce, l'article 9 « DUREE » de chacun des protocoles des 27 et 28 juin 2012 stipule :
« 9.1 – Le présent contrat entrera en vigueur dès sa signature par la dernière des parties à le signer.
9.2 – Sauf résiliation anticipée, il durera jusqu'au vingtième anniversaire de la mise sur le marché de l'Appareil, puis se renouvellera ensuite par tacite reconduction, par périodes successives d'un an, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec avis de réception, trois mois au moins avant le terme de la période de reconduction en cours.
9-3 – Si l'une des parties vient à défaillir dans l'exécution de l'une quelconque de ses obligations au titre du présent contrat, et si cette défaillance n'est imputable ni à un cas de force majeure indépendant de sa volonté, ni à une faute de l'autre partie, elle sera tenue de dédommager cette autre partie du préjudice résultant pour elle de cette défaillance, et le présent contrat pourra être résilié de plein droit par la partie lésée, trois mois après mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception restée sans effet, chacune des parties retrouvant alors son entière liberté ».

68. Chacune des lettres de résiliation en date du 15 février 2019 adressées par la SAS E-SWIN à Monsieur [F] [V] et Monsieur [W] [X] est rédigée comme suit :
« Monsieur,
Conformément aux dispositions de l'article 9 du contrat qui nous lie, en date du 27 juin 2012 [28 juin 2012 s'agissant de M. [X]], nous vous notifions par la présente notre décision de mettre fin à la convention qui nous lie.
Cette convention prendra définitivement fin à l'issue du délai de prévenance de trois mois qui commencera à courir à la date de la première présentation de la présente.
Jusqu'à la date d'expiration de la convention, nous vous adresserons le décompte de la rémunération convenue dans le respect des conditions contractuelles et tout particulièrement l'article 2 de la convention. Le règlement vous sera fait dès réception de votre accord.
Nous vous prions de croire, Monsieur à l'assurance de ma considération distinguée ».

69. Dès lors, aucune des lettres de résiliation du 15 février 2019 ne vise une quelconque inexécution contractuelle des défendeurs et aucune d'elles n'est précédée d'une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception demeurée infructueuse pendant trois mois conformément à l'article 9-3 des protocoles. Les lettres n'indiquent d'ailleurs aucun motif de résiliation. Cette résiliation unilatérale en violation des stipulations contractuelles est constitutive d'une faute de la SAS E-SWIN engageant sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable au présent litige.

70. Cette faute cause un préjudice à Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] résultant d'une perte de chance de percevoir, postérieurement au 15 mai 2019 eu égard au délai de préavis de trois mois, les redevances futures contractuellement convenues jusqu'au 20ème anniversaire de la mise sur le marché de l'appareil, soit jusqu'au 11 janvier 2033, étant précisé que le préjudice subi ne peut être mesuré qu'à la chance perdue sans pouvoir être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

71. Il ressort des chiffres de ventes par zones géographiques dont dispose le tribunal jusqu'au 30 juin 2021 (pièces E-SWIN no13 et 13-1), la clôture ayant été prononcée le 25 novembre 2021, que 88 appareils ont été vendus en Europe (dont France) et 372 ont été vendus dans le monde (hors Europe) sur la période du 16 mai 2019 au 30 juin 2021, correspondant alors à des redevances à hauteur de la somme de 22.000 euros pour Monsieur [F] [V] et la somme de 230.000 euros pour Monsieur [W] [X].

72. Pour la période postérieure, à compter du 1er juillet 2021, il convient d'effectuer une moyenne des années pré-covid 2018-2019, de lui appliquer une décote de 30% annuelle pour tenir compte de la progressive obsolescence de l'appareil eu égard aux évolutions technologiques, cette baisse des ventes s'observant déjà dans les années passées. Cela permet d'estimer la perte de chance d'obtenir des redevances sur les ventes de l'appareil jusqu'à la fin prévisible de sa commercialisation, que cette évolution permet de retenir à l'année 2026 inclus pour l'Europe et l'année 2027 inclus pour le monde (hors Europe).

73. Cette perte de chance correspond alors aux redevances sur la vente de 185 appareils en Europe et la vente de 306 appareils dans le monde (hors Europe), soit la somme de 46.250 euros pour Monsieur [F] [V], et la somme de 245.500 euros pour Monsieur [W] [X]. De sorte que, en additionnant avec les redevances pour la période antérieure au 1er juillet 2021, le préjudice total de Monsieur [F] [V] s'élève à la somme de 68.250 euros et celui de Monsieur [W] [X] à la somme de 475.500 euros. La SAS E-SWIN sera en conséquence condamnée au paiement de ces sommes à titre de dommages et intérêts.

Sur le paiement des redevances restant dues

74. Selon l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

75. Tandis que sa lettre de résiliation unilatérale est en date du 15 février 2019 avec un délai de préavis de trois mois, la SAS E-SWIN n'établit pas avoir versé des redevances à Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] postérieurement au 29 août 2018, ce qu'elle ne conteste pas au demeurant et ressort tant de son décompte des redevances versées que des notes de frais et quittances établies par les défendeurs (ses pièces no5, 8 et 9).

76. Par ailleurs, le tribunal constate qu'en dépit des courriers recommandés et sommation par acte d'huissier qui lui ont été adressés par les défendeurs antérieurement à la présente instance, la SAS E-SWIN n'a jamais communiqué, y compris en cours de procédure, les relevés trimestriels du nombre d'appareils vendus, loués et placés, ventilés par zones géographiques, et le cas échéant, par canal de distribution conformément aux articles 5.2 et 6.2 des protocoles.

77. Dès lors, la SAS E-SWIN a elle-même manqué à ses deux obligations contractuelles.

78. En outre, il ressort des attestations de Monsieur [I] [E], expert-comptable de la SAS E-SWIN (ses pièces no13 et 13-1) que le nombre d'appareils E-EYE vendus par zones géographiques entre le 1er janvier 2018 et le 15 mai 2019 est le suivant :
- année 2018 : 100 ventes en Europe (dont 2 en France) et 219 ventes dans le monde (hors Europe), étant précisé que seront déduites les 72 ventes d'appareils ayant déjà fait l'objet d'un paiement de redevances au 29 août 2018 selon les notes d'honoraires et quittances établies par les défendeurs (pièces E-SWIN no8 et 9) ;
- du 1er janvier au 15 mai 2019 : 32 ventes en Europe (dont 0 en France) et 86 ventes dans le monde (hors Europe).

79. Au regard des stipulations contractuelles de l'article 5.2 « Rémunération du médecin » du protocole du 27 juin 2012 conclu avec Monsieur [F] [V] et de l'article 6.2 « Rémunération de l'apporteur » du protocole du 28 juin 2012 conclu avec Monsieur [W] [X], les redevances leur restants dues sur la période du 30 août 2018 au 15 mai 2019 s'élèvent à :
- la somme totale de 15.000 euros pour Monsieur [F] [V] pour les ventes de l'appareil E-EYE en Europe (dont France) ;
- la somme totale de 182.500 euros hors taxes pour Monsieur [W] [X] pour les ventes de l'appareil E-EYE dans le monde (dont Europe) dès lors que les stipulations du protocole ne cantonnent pas sa rémunération à une zone géographique à la différence de Monsieur [F] [V].

80. En revanche Monsieur [F] [V], qui procède par voie d'affirmation dans ses écritures tandis que la charge de la preuve lui incombe conformément à l'article 1353 alinéa 1 du code civil, n'est pas fondé à solliciter également le paiement de la différence entre le nombre d'appareils effectivement vendus de 2013 à 2015 et les quantités minimales mentionnées à l'article 5 « clause de quota » du protocole du 27 juin 2012 dès lors que l'obligation de paiement qu'il allègue ne résulte d'aucune stipulation contractuelle du protocole, pas même de l'article 6-2 « Rémunération du médecin ». Cet article 5 « clause de quota » ne prévoit qu'une faculté de résiliation du protocole si les quantités minimales de ventes, locations ou placements de l'appareil n'étaient pas atteintes par la SAS E-SWIN. Sa demande reconventionnelle en paiement sera donc rejetée.

Sur la procédure abusive

81. L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

82. Aux termes de l'article 1241 du code civil, chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

83. Le droit d'agir en justice dégénère en abus constitutif d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil lorsqu'il est exercé en connaissance de l'absence totale de mérite de l'action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant le défendeur à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d'obtenir ce que l'on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté.

84. La résiliation unilatérale fautive du protocole du 27 juin 2012 sans aucun motif, suivie d'une action en justice manifestement vouée à l'échec, caractérise un abus constitutif d'une faute causant un préjudice moral à Monsieur [F] [V], distinct du préjudice matériel résultant de la nécessité d'exposer des frais pour se défendre, qu'il convient de réparer à hauteur de la somme de 2.000 euros.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

85. Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.

86. La SAS E-SWIN, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

87. L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation.

88. En l'espèce, l'équité commande de condamner la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] la somme de 5.000 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'exécution provisoire

89. Aux termes de l'article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au présent litige, hors les cas où elle est de droit, l'exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d'office, chaque fois que le juge l'estime nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, à condition qu'elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation.

90. En l'espèce, l'exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

DECLARE la SAS E-SWIN recevable en sa demande principale en répétition de l'indu formée à l'encontre de Monsieur [W] [X] ;

DEBOUTE la SAS E-SWIN de ses demandes principales en répétition de l'indu formées à l'encontre de Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] ;

DECLARE la SAS E-SWIN irrecevable en ses demandes subsidiaires en nullité pour dol des clauses de rémunération stipulées aux protocoles des 27 et 28 juin 2012 ;

DEBOUTE la SAS E-SWIN de sa demande de « mainlevée de l'opposition de Monsieur [F] [V] au paiement du prix de cession du fonds de commerce de la société E-SWIN à la société ESW BEAUTE » ;

DEBOUTE la SAS E-SWIN de sa demande indemnitaire pour préjudice moral ;

CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [F] [V] la somme de 15.000 euros au titre des redevances restant dues au 15 mai 2019 ;

CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [W] [X] la somme de 182.500 euros hors taxes au titre des redevances restant dues au 15 mai 2019 ;

CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [F] [V] la somme de 68.250 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la résiliation unilatérale fautive du protocole du 27 juin 2012 ;

CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [W] [X] la somme de 475.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la résiliation unilatérale fautive du protocole du 28 juin 2012 ;

CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [F] [V] la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

DEBOUTE Monsieur [F] [V] de sa demande reconventionnelle en paiement de redevances sur la période du 27 juin 2012 au 31 août 2015 ;

CONDAMNE la SAS E-SWIN à payer à Monsieur [W] [X] et Monsieur [F] [V] la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS E-SWIN aux dépens ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 13 Septembre 2022

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 19/08173
Date de la décision : 13/09/2022
Type d'affaire : Civile

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-09-13;19.08173 ?
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