TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
2ème section
No RG 22/01229
No Portalis 352J-W-B7G-CXAJJ
No MINUTE :
Assignation du :
20 Mai 2022
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RÉTRACTATION
rendue le 08 Juillet 2022
DEMANDERESSE
S.A.S. SUZUKI FRANCE
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
S.A.S. MÉCANIQUE CONSEIL VENTE AUTOMOBILE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentées par Maître François POCHART et Maître Lionel MARTIN de la SCP AUGUST et DEBOUZY et associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0438
DÉFENDERESSE
Société THE CHEMOURS COMPAGNY FC, LLC
[Adresse 1]
[Localité 6] (ETATS-UNIS D'AMÉRIQUE)
représentée par Maître Céline BEY de l'AARPI GOWLING WLG (France) AARPI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0127
COMPOSITION
Madame Catherine OSTENGO, Vice-présidente
assistée de Monsieur Quentin CURABET, Greffier,
DÉBATS
A l'audience du 16 Juin 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 08 Juillet 2022
ORDONNANCE
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
La société américaine The Chemours Company FC, LLC (ci-après CHEMOURS) est la filiale en charge du segment des produits fluorés ou "Fluoroproducts" de la The Chemours Company holding indépendante mais ayant précédemment appartenu au groupe DUPONT.
Elle est notamment titulaire des trois brevets suivants :
– du brevet européen EP 3 388 495 désignant le France, déposé le 3 mars 2006 et délivré le 26 août 2020 ayant pour intitulé « Compositions comportant une fluorolé ne »
– du brevet européen EP 3 293 242 déposé le 3 mars 2006 et délivré le 3 juillet 2019 désignant le France et ayant pour intitulé « Compositions comportant du HFC-1234YF » qui a fait l'objet le 27 janvier 2022, d'une révocation à l'issue d'une procédure orale devant l'OEB, un recours formé contre cette décision étant actuellement en cours
– du brevet européen EP 3 461 871 déposé le 3 mars 2006 et délivré le 20 janvier 2021 désignant la France et ayant pour intitulé « Compositions comportant du HFC-123425 et du HFC-1234YF ».
La société The Chemours Company FC, LLC est par ailleurs titulaire de la demande de brevet européen EP2634232 déposée le 7 mai 2009 et publiée le 4 septembre 2013 portant sur une composition comprenant du 1234yf et du 143a.
La société SUZUKI France (ci-après SUZUKI) est la filiale française de la société japonaise Suzuki Motor Corporation et a pour activité la fabrication et la commercialisation de véhicules, notamment des modèles Swift, Vitara, Ignis ou encore S-Cross, Swace et Jimny.
La société Mécanique Conseil Vente Automobile (ci-après « MCVA ??) est un concessionnaire automobile implanté à [Localité 5], proposant à la vente notamment des véhicules de marque Suzuki.
Ayant découvert que le système de climatisation de certains modèles de voiture, plus particulièrement celui dénommé "JIMNY", fabriqué, commercialisé et exporté notamment en France par la société japonaise Suzuki Motor Corporation, était équipé d'un gaz réfrigérant reproduisant selon elle les revendications des brevets européens EP 495, EP 242 et EP 871 et de sa demande de brevet européen EP 232, la société The Chemours Company FC, LLC a sollicité le 3 février 2022 et obtenu le lendemain l'autorisation de faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon sur le fondement desdits brevets et demande, au sein des locaux de la société MCVA et de la société SUZUKI France, qui se sont déroulées le 9 février 2022.
***
Par acte d'huissier en date du 20 mai 2020, les sociétés SUZUKI FRANCE et MECANIQUE CONSEIL VENTE AUTOMOBILE (MCVA) ont fait assigner la société The Chemours Company FC, LLC en référé pour obtenir la rétractation de l'ordonnance rendue le 4 février 2022 présentant aux termes de leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 8 juin 2022 et soutenues oralement à l'audience du 9 juin 2022, les demandes suivantes :
Vu les articles 17, 496, et 497 du code de procédure civile,
Vu l'article L.614-9, L.615-5, L.614-7 et R.614-11 du code de la propriété intellectuelle
Vu l'article 68 de la convention sur le brevet européen
Vu les pièces annexées à la présente assignation,
Sur la rétractation des ordonnances rendues le 4 février 2022
- ORDONNER la rétractation totale des ordonnances rendues le 4 février 2022 par le vice-président du Tribunal judiciaire de Paris agissant sur délégation du Président du Tribunal judiciaire de Paris sur requêtes de la société The Chemours Company FC, LLC ;
- INTERDIRE l'utilisation de tout document et élément issu de la saisie-contrefaçon sur quelque forme que ce soit, et le procès-verbal de saisie-contrefaçon en France ainsi qu'à l'étranger et devant la juridiction unifiée des brevets, dans une autre procédure que celle à venir relative à la contrefaçon alléguée des brevets EP 3 388 495, EP 3 293 242, EP 3 461 871 et EP 2 634 232, et sous astreinte de cinquante mille euros (50 000€) par infraction constatée ;
A titre subsidiaire,
- LIMITER les recherches permises par les ordonnances du 4 février 2022 à la stricte recherche d'éléments postérieurs au 26 août 2020, date de la première délivrance des brevets invoqués et qui produisaient encore des effets au 4 février 2022 et en conséquence modifier les ordonnances du 4 février 2022 en ajoutant aux dispositifs suivants les éléments mis en évidence par majuscules en gras ci-dessous :
Pour l'ordonnance du 4 février 2022 ayant autorisée la saisie contrefaçon chez Suzuki France : « Autorisons l'huissier à procéder à toutes recherches et constatations utiles POSTERIEURES AU 26 AOÛT 2020, notamment d'ordre technique, comptable et financier, afin notamment de déterminer l'étendue de Ia contrefaçon invoquée et notamment l'autoriser à : rechercher, examiner, compulser, se faire remettre et copier au, en cas d'impossibilité, à emmener à son étude pour les photocopier à charge de les restituer, l'ensemble des documents POSTERIEURS AU 26 AOÛT 2020, se rapportant au gaz réfrigérant incrimine présent dans l'équipement de climatisation des modèles de voiture "JIMNY" [?]
[?]
[?]
[?]
Autorisons l'huissier à se faire présenter, à rechercher, à décrire, à copier au à faire reproduire en deux exemplaires par gravure au toute forme de copie électronique, sur tout support d'enregistrement (disque dur externe, clé USB, CD ou DVD), des images, vidéos, informations, fichiers, documents, données ou programmes informatiques POSTERIEURS AU 26 AOÛT 2020
Pour l'ordonnance du 4 février 2022 ayant autorisée la saisie contrefaçon chez MCVA :
« Autorisons l'huissier à procéder à toutes recherches et constatations utiles POSTERIEURES AU 26 AOÛT 2020, notamment d'ordre technique, comptable et financier, afin notamment de déterminer l'étendue de Ia contrefaçon invoquée relative au véhicule JIMNY et notamment l'autoriser à : rechercher, examiner, compulser, se faire remettre et copier ou, en cas d'impossibilité, à emmener à son étude pour les photocopier à charge de les restituer, l'ensemble des documents POSTERIEURS AU 26 AOÛT 2020 se rapportant au gaz réfrigérant incriminé présent dans l'équipement de climatisation des modèles de voiture « JIMNY »[?]
En tout état de cause,
- DÉBOUTER la société The Chemours Company FC, LLC de l'ensemble de ses demandes ;
- CONDAMNER la société The Chemours Company FC, LLC à payer 5 000 euros à chacune des sociétés Suzuki France SAS et Mécanique Conseil Vente Automobile MCVA au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société The Chemours Company FC, LLC aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître François Pochart conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
Dire que le Juge rendant l'ordonnance à intervenir en sera le juge de l'exécution ;
- DIRE que l'ordonnance à intervenir sera exécutoire sur minute.
*
La société The Chemours Company FC, LLC présente, aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 14 juin 2022 et développées oralement à l'audience, les demandes suivantes :
Vu les articles L.611-1 et suivants, L.613-3, L.615-1, L.615-5-2, L.615-5, L.615-7, L.615-7-1, R. 615-2 du
Code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 105 ter, 106 et 112 bis de la Convention sur Brevet Européen,
Vu les articles 496 et suivants et 699 et 700 du code de procédure civile,
- JUGER que les requêtes en date du 4 février 2022 sont parfaitement fondées;
- JUGER que la société The Chemours Company FC, LLC n'a fait preuve d'aucune déloyauté dans la présentation de ses requêtes du 4 février 2022;
- JUGER que les mesures ordonnées aux termes des ordonnances du 4 février 2002 sont proportionnées;
- DEBOUTER les sociétés Suzuki France et Mécanique Conseil Vente Automobile MCVA de leur demande de rétractation totale des ordonnances rendues le 4 février 2022 ainsi que de
l'ensemble de leurs demandes;
- DEBOUTER les sociétés Suzuki France et Mécanique Conseil Vente Automobile MCVA de leur demande de limitation des ordonnances rendues le 4 février 2022 ainsi que de l'ensemble de leurs demandes;
- CONDAMNER in solidum les sociétés Suzuki France et Mécanique Conseil Vente Automobile MCVA à verser la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la société The Chemours Company FC, LLC;
- CONDAMNER in solidum les sociétés Suzuki France et Mécanique Conseil Vente Automobile MCVA aux entiers dépens, lesquels pourront être recouverts directement par Maître Céline Bey, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
***
L'affaire a été plaidée à l'audience du 16 juin 2022 et mise en délibéré au 8 juillet 2022.
Pour un exposé complet de l'argumentation des parties, il est, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la demande principale en rétractation
La société SUZUKI et la société MCVA font valoir que la société Chemours qui n'a présenté que de manière lapidaire les droits sur lesquels elle fondait les mesures sollicitées, a dissimulé volontairement l'absence de fondement de sa demande ce qui constitue une présentation déloyale des faits justifiant la rétractation totale des ordonnances du 4 février. Elles rappellent que les droits attachés à une demande de brevet européen ne peuvent être exercés qu'à compter du jour où la demande de brevet est publiée, et s'il s'agit d'une demande en langue étrangère, à compter du jour où une traduction française des revendications a été publiée par I'INPI et qu'au cas d'espèce, en violation des dispositions de l'article L614-9 alinéa 2, à la date du 4 février 2022, la société Chemours a opposé la demande de brevet EP 232 dont la traduction en français n'a ni été publiée par I'lNPI, ni été notifiée au contrefacteur présumé.
S'agissant du brevet EP 242, la société SUZUKI et la société MCVA relèvent que si la société CHEMOURS a indiqué dans sa requête que les brevets EP 242, EP 495 et EP 871 faisaient l'objet d'une opposition devant l'OEB, elle s'est gardée de préciser que cet organisme, à l'issue de la procédure orale, l'a informée que le brevet EP 242 était révoqué.
Elles font ensuite valoir que la société CHEMOURS a faussement indiqué que le gaz réfrigérant équipant le système de climatisation du modèle « JIMNY » de Suzuki était fabriqué par la société japonaise AGC Inc. et a par ailleurs soutenu avoir procédé à des analyses techniques aux fins de déterminer l'origine du gaz réfrigérant présent dans le système de climatisation des véhicules Suzuki grâce à une comparaison des composés chimiques présents dans les produits similaires disponibles sur le marché, sans en justifier réellement.
Elles sollicitent enfin la rétractation de l'ordonnance pour défaut de limitation des mesures dans le temps et dans leur objet ayant entraîné des opérations trop générales et disproportionnées.
La société CHEMOURS réplique en premier lieu ne pas avoir invoqué son brevet EP 232 au soutien de sa requête et avoir seulement informé le magistrat de son existence. Concernant le brevet EP 242, elle fait valoir qu'au jour de la présentation de la requête, l'OEB ne lui avait pas notifié sa décision de révocation de sorte qu'elle était en droit de l'invoquer et ajoute qu'en tout état de cause, la requête était également fondée sur les brevets EP 871 et EP 495 dont l'efficacité n'est pas contestée. Elle rappelle ensuite que la déloyauté suppose que le demandeur à la rétractation démontre que si le juge des requêtes avait connu le ou les éléments de faits omis par le requérant, il n'aurait pas autorisé la saisie ou ne l'aurait pas autorisée dans les mêmes termes ce qu'en l'espèce, la société SUZUKI ne démontre pas. Elle poursuit en faisant valoir que les arguments opposés par les demanderesses tenant au fait qu'il ne serait pas justifié de la contrefaçon et de l'implication de la société AGC sont vains dès lors qu'elle n'avait de toute façon pas à rapporter la preuve ou un commencement de preuve des faits que la saisie contrefaçon est justement destinée à établir. Elle termine en rappelant que cette mesure ne peut être considérée comme disproportionnée au seul motif que l'ordonnance ne prévoit pas de recherche sur la base de mots clé précis dès lors que la définition de mots clé ne constitue pas une obligation et qu'au cas d'espèce de surcroît, les recherches étaient bien circonscrites au modèle JINMY pour lequel elle soupçonnait une contrefaçon de ses titres.
Sur ce,
Les articles 496 alinéa 3 et 497 du code de procédure civile prévoient respectivement que s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance et que celui-ci a la faculté de la modifier ou de la rétracter, même si le juge du fond est saisi de l'affaire.
L'objet de la demande de rétractation prévue par ces dispositions est de permettre au juge ayant statué sur la requête d'apprécier si au regard des éléments fournis dans le cadre du débat contradictoire - mais sans considération pour ceux qui ont été révélés ultérieurement - il aurait refusé la mesure, rendu la même décision ou aurait limité la mission autorisée.
L'article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle relatif aux conditions de recours à la saisie-contrefaçon ne mentionne pas expressément d'autre exigence que la démonstration de la qualité à agir en contrefaçon et la détermination de l'objet de la saisie. Il est néanmoins, au regard du caractère exceptionnel de cette mesure, imposé au requérant outre de rapporter la preuve qu'il est titulaire du droit invoqué, de motiver suffisamment sa requête en exposant les éléments le conduisant à supposer l'existence d'une atteinte que la mesure sollicitée a vocation à établir. Cette exigence de motivation implique nécessairement que les indices fondant la demande soient explicités et étayés par des pièces permettant au juge d'une part d'apprécier si le recours à une saisie-contrefaçon est justifié et d'autre part, d'en définir le périmètre. L'absence de contradictoire et le caractère intrusif de la mesure exigent en outre que le requérant ne fasse pas une présentation déloyale des faits susceptibles d'influencer le sens de la décision qui sera rendue.
En l'espèce, la société CHEMOURS s'est livrée dans sa requête, à la présentation de ses trois brevets EP 495, EP 242 et EP 871 et a ensuite précisé avoir par ailleurs déposé une demande de brevet le 7 mai 2009 sous le no EP 232. Il est exact que dans l'exposé des faits litigieux elle indique que le modèle de voiture JIMNY est équipé d'un gaz réfrigérant qui « porte atteinte à ses brevets européens EP 495, EP 242, EP 871 et à sa demande de brevet européen EP 232 » ; elle précise ensuite dans l'exposé du litige que les « revendications 1,2,3 et 7 de la demande de brevet EP 263 42 32 » sont contrefaites » et ne peut donc soutenir ne pas avoir opposé cette dernière. Il n'est pas contesté que la demande EP 232 ne pouvait fonder une saisie-contrefaçon. Toutefois, dans la mesure où la requête était fondée sur d'autres titres qui eux avaient été valablement délivrés et étaient opposables aux tiers, il convient de considérer que ce premier motif de rétractation n'est pas opérant dès lors qu'il aurait été fait droit à la requête même en l'absence de présentation de la demande EP 232.
Pour ce même motif, le fait que le brevet EP 242 avait fait l'objet le 27 janvier 2022, d'une révocation à l'issue d'une procédure orale devant l'OEB et que la société CHEMOURS n'en a pas informé le magistrat -alors qu'elle ne pouvait l'ignorer puisqu'à l'examen du procès-verbal de cette séance il apparaît qu'elle y était représentée par M. [F] (pièce DEM no2.23) assistée par deux experts privés-, ne peut justifier la rétractation de l'ordonnance. L'autorisation de procéder à une saisie contrefaçon aurait en effet été délivrée sur la seule base des brevets EP 495 et EP 871 nonobstant donc, la révocation du brevet EP 242 laquelle n'était en tout état de cause pas acquise au jour de la signature de l'ordonnance, la révocation ne prenant effet qu'à compter de la publication de la décision au bulletin européen des brevets et la société CHEMOURS justifiant au cas d'espèce, avoir relevé appel de la décision de révocation le 7 mars 2022.
Ensuite, la société CHEMOURS a exposé dans sa requête qu'elle avait « toutes les raisons de penser que le gaz réfrigérant équipant le système de climatisation du modèle JINMY de la société SUZUKI (provenait) de la société AGC, fabricante de produits chimiques » en précisant qu'elle avait d'ores et déjà initié contre elle, une action en contrefaçon devant les juridictions japonaises, ce dont elle justifiait en produisant un extrait de son site internet en faisant publiquement état. Elle a par ailleurs indiqué avoir procédé à des analyses techniques aux fins de déterminer l'origine du gaz réfrigérant équipant ces véhicules en procédant à une comparaison des composés chimiques présents dans les produits similaires disponibles sur le marché. Si ensuite elle soutient que ces analyses « laissaient croire » que les revendications de ses brevets étaient contrefaites elle expose au magistrat que la saisie contrefaçon a pour but d'établir la matérialité des actes de contrefaçon et leur étendue en lui permettant de faire prélever des échantillons de gaz réfrigérant.
Or, il ressort des dispositions de l'article L 615-5 du code de la propriété intellectuelle que la saisie-contrefaçon a effectivement précisément pour objet de prouver la contrefaçon, de sorte que la société SUZUKI ne peut pertinemment reprocher à la société CHEMOURS de ne pas avoir établi de façon incontestable que le gaz réfrigérant était contrefaisant. Et le seul fait qu'il ne soit pas démontré de façon irréfutable que ce gaz provient de la société AGC, laquelle ne bénéficie pas d'un contrat de distribution, ne peut suffire à justifier la rétractation de l'ordonnance, cette question ayant vocation à être tranchée par le juge du fond.
Enfin, si l'ordonnance ne prévoyait pas que les recherches informatiques devaient se faire sur la base de mots clés prédéfinis, elle précise que celles-ci doivent être limitées à la détermination de la contrefaçon invoquée, relative au seul véhicule JINMY de sorte qu'elles étaient bien circonscrites au litige étant précisé que la définition de mots clés est une simple faculté pour le juge. Il n'y a donc pas à ce stade lieu de considérer que les mesures ordonnées étaient disproportionnées et il sera rappelé qu'il appartient le cas échéant au juge du fond d'annuler les opérations de saisie-contrefaçon en cas de dépassement par l'huissier des pouvoirs conférés par l'ordonnance.
Au regard de l'ensemble de ces considérations, il n'y a pas lieu à rétracter les ordonnances litigieuses.
2- Sur la demande subsidiaire de modification de l'ordonnance
La société SUZUKI et la société MCVA demandent que les ordonnances du 4 février 2022, si elles devaient ne pas être retractées, voient leur effet limité à la période pour laquelle la société Chemours a effectivement des droits, soit postérieurement au 26 août 2020, compte tenu de la date de délivrance du brevet EP 495.
La société CHEMOURS réplique que le référé rétractation ne permet pas au saisi de limiter, a posteriori, à la carte et après la saisie, les effets de la saisie afin d'écarter des pièces qu'il ne souhaite pas voir portées à la connaissance du juge et qu'il appartiendra au juge du fond d'apprécier la recevabilité de la société CHEMOURS à se prévaloir des éléments saisis. Elle rappelle qu'en tout état de cause le brevet EP 242 était valable au jour de la signature de l'ordonnance.
Sur ce,
La demande de modification sollicitée doit s'analyser en une demande de rétractation partielle du fait de la révocation du brevet EP 242 sur lequel la requête était notamment fondée. Or, comme indiqué supra, cette révocation n'était pas acquise au jour de la signature de l'ordonnance et la société CHEMOURS, de surcroît, justifie avoir relevé appel de la décision de l'OEB, le 7 mars 2022.
La demande de modification de l'ordonnance sera en conséquence rejetée.
3- Sur les demandes accessoires
Succombant, les sociétés SUZUKI FRANCE et MECANIQUE CONSEIL VENTE AUTOMOBILE supporteront la charge des dépens et seront condamnées à verser à la société CHEMOURS une somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Statuant par ordonnance de référé mise à disposition au greffe le jour du délibéré, contradictoirement et en premier ressort,
DIT n'y avoir lieu à rétracter ou modifier l'ordonnance rendue le 4 février 2022 sur délégation du président du tribunal de judiciaire de Paris à la requête de la société THE CHEMOURS COMPANY LLC ;
CONDAMNE in solidum les sociétés SUZUKI FRANCE et MECANIQUE CONSEIL VENTE AUTOMOBILE à payer à la société THE CHEMOURS COMPANY FC, LLC, la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE les sociétés SUZUKI FRANCE et MECANIQUE CONSEIL VENTE AUTOMOBILE aux dépens qui seront recouvrés directement par Maître Céline Bey, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que la présente ordonnance est exécutoire de droit à titre provisoire.
Fait et jugé à Paris le 08 Juillet 2022
Le Greffier Le Président