TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
3ème chambre
1ère section
No RG 20/05962
No Portalis 352J-W-B7E-CSKIV
No MINUTE :
Assignation du :
15 juin 2020
JUGEMENT
rendu le 27 juillet 2022
DEMANDERESSE
S.A.S. HAPPN
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Emmanuelle HOFFMAN de la SELARL HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0610
DÉFENDERESSE
S.A.S. PENGYOU et CO
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Philippe MARTINI-BERTHON de la SELARL MARCHAIS et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0280
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Gilles BUFFET, Vice -président
Alix FLEURIET, Juge
Linda BOUDOUR, Juge
assistés de Caroline REBOUL, Greffière lors des débats et de Lorine MILLE, Greffière lors de la mise à disposition.
DÉBATS
A l'audience du 15 mars 2022 tenue en audience publique devant Alix FLEURIET, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l'audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile.
Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 12 mai 2022 et prorogée en dernier lieu au 27 juillet 2022.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
_____________________________
EXPOSE DU LITIGE
La société HAPPN a pour activité principale la programmation informatique sur mobile dans le secteur du service de rencontres.
Elle est notamment titulaire de la marque française semi-figurative "hapnn" déposée le 1er août 2014 et enregistrée sous le no 4109777 pour désigner notamment les produits et services des classes 9 et 45 (et 35 ; 38 ; 41 ; 42).
Classe 9 : Logiciels et programmes d'ordinateurs ; logiciel utilisé comme interface de programmation d'applications (API) ; logiciels informatiques téléchargeables ou préenregistrés sous forme d'applications pour ordinateurs, dispositifs portables de communications électroniques ; logiciels téléchargeables sous formes d'applications mobiles pour dispositifs portables de communications électroniques permettant aux utilisateurs de partager leur position géographique et de localiser d'autres utilisateurs, et permettant aux utilisateurs de se rencontrer, télécharger, visualiser, annoter, partager des données, informations, images et contenus ;
Classe 45 : Services de mise en relation d'individus dans un but social ; services de réseautage social, de rencontres, de rendez-vous à savoir services de rencontre ; services personnels et sociaux d'assistance aux individus, basés sur les réseaux Internet et les réseaux de téléphonie mobile, visant à leur permettre de faire des rencontres, de constituer, créer, gérer, élargir leur réseau social.
La société HAPPN a créé une application éponyme consistant à mettre en relation, par un système de géolocalisation, des utilisateurs qui se sont croisés dans la "vraie vie" qui peuvent se retrouver virtuellement dans l'application.
La société PENGYOU et CO a pour activité la mise en place de plateformes de mise en relation de personnes. A ce titre, elle est éditrice de l'application de rencontre dénommée FEELS.
Reprochant à la société PENGYOU et CO d'avoir mis en ligne un site Internet accessible à l'adresse etlt;www.shithappns.fretgt;, dont l'exploitation et la diffusion portent gravement atteinte à sa marque, son image, son identité et son concept, la société HAPPN a fait dresser, par huissier de justice, un procès-verbal de constat sur ce site Internet le 23 mars 2020 et lui a adressé une lettre de mise en demeure de cesser tout usage du nom de domaine etlt;shithappnsetgt;, ainsi que de porter atteinte à l'image de marque de la société HAPPN, son discours marketing, son produit et sa marque. Cette mise en demeure a été réitérée le 25 mars suivant.
Le site Internet a été immédiatement mis hors ligne accessible à l'adresse etlt;www.shithappns.fretgt;, à réception de ces courriers.
Par acte d'huissier de justice signifié le 15 juin 2020, la société HAPPN a fait assigner la société PENGYOU et CO, devant le tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de sa marque, en concurrence déloyale par dénigrement et parasitisme.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 20 octobre 2021, la société HAPPN demande au tribunal de :
La recevoir en l'intégralité de ses demandes ;
Dire et juger que la société PENGYOU et CO s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon de marque en imitant la marque française HAPPN enregistrée sous le no 4109777 ;
Dire et juger que la société PENGYOU et CO s'est rendue coupable d'actes de concurrence parasitaire à son encontre ;
Dire et juger que la société PENGYOU et CO s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par dénigrement à son encontre ;
En conséquence,
Condamner la société PENGYOU et CO à lui verser une somme de 100 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon de sa marque ;
Condamner la société PENGYOU et CO à lui payer une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence parasitaire ;
Condamner la société PENGYOU et CO à lui payer une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts pour dénigrement à l'égard d'un concurrent ;
Faire interdiction à la société PENGYOU et CO de poursuivre l'utilisation du signe shithappns, dans la vie des affaires, sur quelque support que ce soit, et sous quelque forme que ce soit, notamment à titre de marque, d'identifiant commercial, nom de domaine, d'enseigne numérique, dans le cadre de son activité, à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard ;
Ordonner à la société PENGYOU et CO de cesser tout usage du site internet www.shithappns.fr dans le cadre de son activité ;
Ordonner à la société PENGYOU et CO de publier, à ses frais avancés, le dispositif du jugement à intervenir sur la page d'accueil de son site internet, https://www.feels-app.com/pendant une période de deux (2) mois à compter du huitième jour suivant la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard passé ce délai, le Tribunal restant saisi pour statuer sur la liquidation de ladite astreinte et selon les modalités suivantes : la publication devra être effectuée de façon visible, sans mention ajoutée, et en police de caractère ARIAL, de taille 14, droits, de couleur noire sur fond blanc, dans un encadre de 468 x 210 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre « COMMUNIQUE JUDICIAIRE », en lettres capitales et en police de caractères ARIAL de taille 16 ;
Condamner la société PENGYOU et CO à lui payer la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
Condamner la société PENGYOU et CO aux entiers dépens de la présente instance.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 octobre 2021, la société PENGYOU et CO demande au tribunal de:
Sur la prétendue contrefaçon de la marque
- À titre principal
Prononcer l'absence d'usage dans la vie des affaires de la marque HAPPN par la défenderesse ;
En conséquence,
Débouter la société HAPPN de ses demandes au titre de la prétendue contrefaçon de sa marque HAPPN ;
- À titre subsidiaire
Prononcer l'absence d'imitation de la marque HAPPN ;
Prononcer l'absence d'identité et de similarité des produits ou des services désignés par la
marque HAPPN et de ceux prétendument proposés par le site web etlt;www.shithappns.fretgt; ;
Prononcer l'absence de risque de confusion dans l'esprit du public ;
En conséquence,
Débouter la société HAPPN de ses demandes au titre de la prétendue contrefaçon de sa marque HAPPN ;
- À titre infiniment subsidiaire
Prononcer l'absence de préjudice subi par la demanderesse au titre des prétendus actes de contrefaçon de sa marque HAPPN ;
En conséquence,
Ramener à de plus justes proportions les demandes de la société HAPPN au titre de la prétendue contrefaçon de sa marque HAPPN en évaluant celles-ci à l'euro symbolique ;
Sur la prétendue concurrence déloyale par dénigrement et sur la prétendue concurrence parasitaire :
- À titre principal
Prononcer l'absence d'identification de la demanderesse sur le site etlt;www.shithappns.fretgt;;
Prononcer l'absence d'avantage concurrentiel retiré par la défenderesse de son site etlt;www.shithappns.fretgt; ;
Prononcer l'absence de commission d'acte de concurrence parasitaire en raison de l'absence de démonstration de celui-ci ;
En conséquence,
Débouter la société HAPPN de ses demandes au titre des prétendus actes de concurrence déloyale par dénigrement et actes parasitaires ;
- A titre subsidiaire
Prononcer l'absence de préjudice subi par la Demanderesse au titre des prétendus actes de concurrence déloyale par dénigrement et actes parasitaires ;
En conséquence,
Débouter la société HAPPN de ses demandes au titre des prétendus actes de concurrence déloyale par dénigrement et actes parasitaires ;
- À titre infiniment subsidiaire
Prononcer l'absence de préjudice subi par la demanderesse au titre des prétendus actes de concurrence déloyale par dénigrement et actes parasitaires ;
En conséquence,
Ramener à de plus justes proportions les demandes de la société HAPPN au titre des prétendus actes de concurrence déloyale par dénigrement et actes parasitaires en évaluant celles-ci à l'euro symbolique ;
En tout état de cause
Condamner la société HAPPN à lui payer la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la société HAPPN aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL MARCHAIS et Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure
civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 octobre 2021.
Le jugement sera contradictoire.
MOTIFS
La contrefaçon de la marque "happn" no 4109777
La société HAPPN reproche à la société PENGYOU et CO des actes de contrefaçon de sa marque semi-figurative "happn" no 4109777 par l'utilisation de la dénomination "shithappns" pour désigner une application concurrente "shithappns" et faire la promotion de son application de rencontres "Feels".
Elle soutient en premier lieu que l'usage de ce signe, qui constitue une imitation de sa marque et permet de faire la promotion de services identiques aux services couverts par sa marque, constitue bien un usage dans la vie des affaires visant à procurer à la société PENGYOU et CO un avantage économique et génère un risque de confusion entre les services proposés, par association.
La finalité commerciale poursuivie par la société PENGYOU et CO et le contexte dans lequel elle fait usage du signe "shithappns" excluent selon elle le bénéfice de la liberté d'expression invoqué par celle-ci, l'atteinte portée à sa marque n'étant ici ni légitime ni proportionnée.
La société PENGYOU et CO réplique qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon de la marque "happn" no 4109777.
En premier lieu, elle fait valoir qu'elle n'a pas fait usage du signe "shithappns" dans la vie des affaires, dès lors qu'aucune application "Shithappns" n'existe et que le site Internet accessible à l'adresse etlt;www.shithappns.fretgt;, site fictif, ne renvoie à aucune application et ne fait nullement mention ou référence à son application "Feels". Elle expose par ailleurs que ce site Internet est un site au ton humoristique, qui a une visée pédagogique, informationnelle et polémique, dès lors qu'il a été créé dans le but de diffuser un message de prévention, portant sur la nécessité de respecter les gestes barrières, ainsi que les mesures de confinement. Elle souligne à cet égard le fait qu'il renvoie vers un document du ministère de la santé exposant les gestes barrières à adopter. Aussi, elle soutient qu'elle n'a fait qu'exercer sa liberté d'expression dans un but d'intérêt général. Et elle ajoute qu'en tout état de cause, l'usage du signe "shithappns" n'a pas eu pour effet de lui procurer un quelconque avantage économique, ayant elle-même investi d'importantes sommes depuis le lancement de son application "Feels", pour en promouvoir l'activité.
En second lieu, elle soutient que le site Internet accessible à l'adresse etlt;www.shithappns.fretgt;, ne propose aucun produit ou service similaire à ceux couverts par la marque "happn" et que, s'agissant de son application "Feels", dite de "social discovery" visant la génération Z, elle n'est pas concurrente de l'application "happn", qui est une "dating app", ciblant un segment de consommateurs plus âgés. Elle fait également valoir que le signe "shithappns" ne constitue pas une imitation de la marque "happn", une multitude d'éléments différenciant ces deux signes, notamment d'un point de vue conceptuel, de sorte qu'aucun risque de confusion ne peut être généré dans l'esprit du public, ni atteinte portée à la fonction essentielle d'identification d'origine des services qu'elle propose, et ce d'autant que l'expression "shithappns", qui signifie "vide de merde", présente un caractère descriptif et usuel.
Si elle admet cependant qu'en cliquant sur un bouton "ASSISTANCE", présent sur le site Internet accessible à l'adresse etlt;www.shithappns.fretgt;, un renvoi est opéré sur son site Internet accessible à l'adresse etlt;https://www.feels-app.com/fretgt;, elle soutient que c'est seulement pour respecter l'obligation posée par la Loi pour la confiance en l'économie numérique, d'informer l'internaute sur l'identité de l'éditeur du site.
Sur ce,
L'article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
"Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l'usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
2o D'un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association du signe avec la marque".
La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le risque de confusion dépend de plusieurs critères interdépendants, dont le degré de similitude entre les produits ou services et les signes en cause, la connaissance de la marque sur le marché, mais aussi le degré de distinctivité de cette marque, le risque de confusion étant d'autant plus grand que celle-ci est plus distinctive, et inversement ( CJCE, 29 septembre 1998, Lloyd Schuhfabrik, C-342-97, points 19 et 20).
L'usage du signe dans la vie des affaires
Pour que le titulaire d'une marque soit habilité à interdire l'usage par un tiers d'un signe identique ou similaire à cette marque, il faut que cet usage ait lieu dans la vie des affaires (CJCE, 16 novembre 2004, Anheuser-Busch, C-245/02, Rec. p. I-10989, point 62 ; CJCE, 18 juin 2009, L'Oréal e.a., C-487/07, Rec. p. I-5185, point 57).
Dans un arrêt rendu le 12 novembre 2012, la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que l'usage du signe a bien lieu dans la vie des affaires, dès lors qu'il se situe dans le contexte d'une activité commerciale visant à un avantage économique (CJCE, 12 novembre 2012, aff. C-206/01, Arsenal, point 40).
Au cas présent, il résulte du procès-verbal de constat d'huissier de justice dressé le 23 mars 2020 que, sur le site Internet accessible à l'adresse etlt;www.shithappns.fretgt;, il est fait usage du signe semi-figuratif suivant :
comme logo situé en haut de page, ainsi que du signe verbal "shithappns", à plusieurs reprises, dans les textes présents sur le site Internet.
Le signe est également utilisé dans le nom de domaine.
Aux termes de son procès-verbal, l'huissier de justice constate qu'en bas de la page d'accueil du site Internet litigieux, figure un bouton "ASSISTANCE", lequel, lorsqu'il est activé, renvoie directement sur le site Internet accessible à l'adresse etlt;https://www.feels-app.com/fretgt;, qui constitue une application de rencontres, tout comme l'application "happn".
Par ailleurs, il ressort d'un extrait du compte Twitter de l'application "Feels" (@feels-the-app), qu'elle a "suivi" la publication d'un internaute relayant la page du site Internet "shithappns.fr" de la manière suivante :
de sorte que cette publication s'affiche désormais sur la page d'accueil Twitter de l'application "Feels", le signe "shithappns" y étant clairement apparent, tandis que le commentaire de l'internaute incite à cliquer sur le bouton "ASSISTANCE" pour trouver "une vraie app de dating".
S'il est vrai qu'aucune application dénommée "shithappns" n'existe et que ce signe ne désigne pas lui-même les services proposés par la société PENGYOU et CO, c'est bien néanmoins par le truchement du site Internet "shithappns.fr", qu'il est renvoyé à son application "Feels".
A cet égard, il ne peut être sérieusement soutenu par la société PENGYOU et CO que le renvoi à son application par l'intermédiaire du bouton "ASSISTANCE", présent sur le site Internet "shithappns.fr", a été mis en place pour respecter l'obligation posée par la Loi pour la confiance en l'économie numérique, d'informer l'internaute sur l'identité de l'éditeur du site, dès lors que :
- d'une part, le site Internet "feels.com" sur lequel est opéré le renvoi ne fait aucunement apparaître l'identité de son éditeur, la société PENGYOU et CO ;
- d'autre part, cette information aurait pu, comme il en est l'usage, prendre la forme d'une mention, en bas de page du site, de l'identité et des coordonnées de la société PENGYOU et CO.
C'est donc bien dans le contexte de son activité commerciale que celle-ci, pour promouvoir son application de rencontres concurrente de l'application "happn" et en tirer un avantage économique, a fait usage du signe "shithappns" et consenti des efforts certains dans la création du site Internet litigieux.
Le caractère fictif de ce site et l'absence de commercialisation d'un service directement sous le signe "shithappns" litigieux ne sauraient en effet constituer un écran faisant obstacle à l'engagement de la responsabilité de son éditeur, dès lors qu'il a aménagé un renvoi vers son propre site Internet à but commercial.
Ce signe a donc été utilisé dans la vie des affaires.
La comparaison des services et le public pertinent
Il est rappelé que la marque semi-figurative française "happn" no 4109777 a été enregistrée dans les classes no 9, 35, 38, 41, 42 et 45, pour désigner notamment en classe 45, les "services de mise en relation d'individus dans un but social ; services de réseautage social, de rencontres, de rendez-vous à savoir services de rencontre ; services personnels et sociaux d'assistance aux individus, basés sur les réseaux Internet et les réseaux de téléphonie mobile, visant à leur permettre de faire des rencontres, de constituer, créer, gérer, élargir leur réseau social".
Il est démontré que les services offerts par la société PENGYOU et CO, par le biais de son application "Feels", à laquelle il a été renvoyé par le truchement du site Internet ayant pour nom de domaine "shitthappns.fr", sont des services de mise en relation d'individus dans un but social, de réseautage social et de rencontres, basés sur les réseaux Internet.
Les services en cause sont par conséquent identiques.
Le public pertinent est constitué de personnes souhaitant, par le biais du site Internet, rencontrer d'autres personnes, dans le but d'élargir leur réseau social et/ou de rencontrer un partenaire, temporairement ou à plus long terme.
Il s'agit donc d'un public d'attention particulièrement élevée.
La comparaison des signes
Les signes en cause sont les suivants :
La marque no 4109777 Les signes litigieux
Shithappns
Visuellement, les signes "shithappns", utilisés par la société PENGYOU et CO, englobent en totalité la marque "happn", en y adjoignant, en accroche le terme "shit", composé de 4 lettres, ainsi qu'un "s" final. S'agissant du signe semi-figuratif, il est écrit en lettres minuscules dans une police ressemblant à celle qui caractérise la marque et, de ce point de vue, s'en rapproche. Il est cependant composé d'un fond gris, là où la marque présente un fond bleu. Par ailleurs, devant l'élément verbal composant le signe, apparaît un élément figuratif représentant un cercle sur les contours duquel se dressent 16 courtes branches présentant chacune une boule en leur extrémité, et à l'intérieur duquel se situe un motif de forme arrondie et ajourée, duquel, à gauche et à droite sortent deux branches symétriques de forme arrondie, et qui est surplombé par un second motif, plus petit, aux contours trop flous pour en permettre une description précise. Il existe ainsi des différences visuelles notables entre les signes en litige.
D'un point de vue phonétique, la marque est composée de deux syllabes, alors que le signe "shithappns" en contient trois. Le terme "shit", figurant en position d'attaque, sera bien perçu du public, tandis que le "s", bien que non muet dans la langue anglaise, n'aura pas vocation à être retenu.
Enfin, d'un point de vue conceptuel, les signes en litige sont très différents. Le terme "happn" qui apparaît comme une contraction du terme "happen", évoque, même pour un public francophone, l'idée de "ce qui arrive", "ce qui survient", tandis que le terme "shithappns" pourra être perçu par une partie du public pertinent, non anglophone, comme l'association des mots "shit", signifiant littéralement "merde" et "happns", qui est la contraction du verbe "happen" conjugué à la troisième personne du singulier ("it happens"). Mais, pour une large partie du public pertinent, d'une tranche d'âge plutôt jeune et dès lors relativement anglophone, habituée à visionner des films et des séries en version originale et à entendre régulièrement des expressions courantes de la langue anglaise, le vocable "shithappns" sera compris comme signifiant "vie de merde", son sens courant.
Le risque de confusion
Quand bien même les signes "happn" et "shithappns" présentent des dissemblances d'un point de vue visuel, auditif et conceptuel, il n'en reste pas moins d'une part, qu'ils visent des services identiques de sites de rencontres, et d'autre part, que la marque "happn" est particulièrement distinctive et bien identifiée, sur le marché des sites de rencontres, par le public pertinent, dont l'attention est élevée et qui, pour une large partie, comprendra l'expression "shithappns" dans son sens courant ("vie de merde"), autrement dit comme un jeu de mots détournant la marque "happn", dans un contexte de pandémie et de confinement qui lui donne tout son sens.
Au regard de ces éléments, il existe donc un risque que le public pertinent soit amené à croire que la société HAPPN a lancé une nouvelle application au regard de ce contexte ou mis en place un partenariat avec une société concurrente.
Le public pertinent pourrait dès lors attribuer à la société HAPPN le service offert par la défenderesse. Il s'ensuit une atteinte à la fonction essentielle d'identification d'origine des services désignés en classe 45 par la marque opposée.
Le risque de confusion est dès lors établi.
L'exception tirée de l'atteinte à la liberté d'expression
L'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales énonce que :
" 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (...).
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
La Cour européenne des droits de l'homme considère que : " L'étendue de la marge d'appréciation dont disposent les Etats contractants en la matière varie en fonction de plusieurs éléments, parmi lesquels le type de « discours » ou d'information en cause revêt une importance particulière. Ainsi, si l'article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression en matière politique par exemple, les Etats contractants disposent d'une large marge d'appréciation lorsqu'ils réglementent la liberté d'expression dans le domaine commercial (Mouvement raëlien c. Suisse [GC], no 16354/06, § 61), étant entendu que l'ampleur de celle-ci doit être relativisée lorsqu'est en jeu non l'expression strictement « commerciale » de tel individu mais sa participation à un débat touchant à l'intérêt général (Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 47, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI)." (affaire Ashby Donald et autres c/ France du 10 janvier 2013, requête no36769/08).
Ainsi, l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est interprété de telle sorte que les limitations à la liberté d'expression ne sont admises qu'à la condition qu'elles soient prévues par la loi, justifiées par la poursuite d'un intérêt légitime et proportionnées au but poursuivi, c'est-à-dire rendues nécessaires dans une société démocratique.
Or, en l'espèce, s'il est établi que le site Internet accessible à l'adresse "shithappns.fr" renvoie par l'activation d'un lien à une page du site du ministère de la santé, traitant du coronavirus, et rappelle les règles de distanciation sociale, outre l'importance de respecter le confinement, il est également incontestable que l'usage du signe "shithappns", outre le fait qu'il poursuive un objectif commercial (la promotion du site "Feels.com"), ne véhicule aucun message politique rendant l'atteinte portée à la marque "happn", par le risque de confusion qu'il induit, légitime ou nécessaire dans une société démocratique.
L'exception tirée d'une atteinte à la liberté d'expression de la société PENGYOU et CO sera donc écartée.
* * *
Ainsi, en faisant usage du signe "shithappns", dans la vie des affaires, pour promouvoir son site de rencontre "Feels.com", la société PENGYOU et CO a commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque "happn" no 4109777.
La concurrence déloyale par dénigrement
La société HAPPN soutient que la société PENGYOU et CO a démontré la volonté de ternir l'image de l'application happn, dans le seul but de promouvoir son application concurrente "Feels". Elle fait valoir que, pour ce faire, elle a fait usage de l'expression "shithappns", hautement péjorative, et détourné de manière particulièrement négative tout l'univers de l'application, son concept d'hyper-géolocalisation, ses slogans et sa communication, dans le contexte de la crise sanitaire, marqué par les risques de contamination. Elle insiste notamment sur le champ lexical très négatif et anxiogène utilisé par la société défenderesse.
La société PENGYOU et CO conteste en premier lieu toute identification de la société HAPPN et de ses produits et services par le site "shithappns.fr". Elle expose également que ce site Internet est destiné à traiter un sujet d'actualité en en reprenant les éléments polémiques, et ce dans le but de communiquer des informations d'intérêt général, lesquelles ne présentent aucun lien avec la société HAPPN et son application éponyme. Elle ajoute que ce sujet est traité sur un ton humoristique mais nullement dénigrant et précise à cet égard que s'il était considéré que ce site Internet avait pour objet de critiquer les applications de rencontres, il serait alors nécessaire de retenir qu'elle dénigre également son propre produit et que dès lors, elle n'en tirerait aucun avantage concurrentiel. Elle indique que c'est d'ailleurs précisément le cas et indique au demeurant que si elle avait souhaité tirer profit d'une application concurrente, elle se serait tournée vers des applications plus appréciées par les consommateurs français, telles Tinder, Meetic, Badoo ou AdopteUnMec. Enfin, le fait qu'elle a elle-même consenti d'importants investissements en vue de promouvoir son application Feels" permet d'écarter le moyen invoqué par la société HAPPN tiré du fait qu'elle aurait profité de ses investissements sans bourse délier.
Sur ce,
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure (Cass., com., 9 janvier 2019, no 17-18.350).
Le dénigrement consiste dans la diffusion publique d'informations préjudiciables relatives à une entreprise ou aux produits et services qu'elle propose.
En l'espèce, il résulte du procès-verbal de constat d'huissier de justice dressé le 23 mars 2020 qu'apparaissent, sur le site Internet accessible à l'adresse etlt;www.shithappns.fretgt;, les textes et slogans suivants :
- "Au détour d'une rue, en courant, devant un hôpital, au marché...
On a tous échangé un regard anxieux avec une personne non masquée en train de tousser.
Grâce à Shithappns, retrouvez les inconscients que vous croisez et découvrez qui vous a contaminé" ;
- "Les mauvaises rencontres se font souvent à des moments où on pouvait s'y attendre. Shithappns c'est l'application qui vous permet de retrouver des personnes écervelées qui risquent de vous contaminer, ces idiots qui font malheureusement partie de votre quotidien !" ;
- " A chaque fois qu'une personne infectée non masquée vous a toussé au nez ou s'est approchée trop près, dans la vraie vie, son profil apparaît dans votre Timeline et notre algorithme vous informe s'il vous a contaminé : A vous de saisir votre chance pour bien le remercier ! " ;
- " Et oui ! Nous pensons que c'est la malchance qui réunit deux personnes qui n'ont rien à faire au même endroit, au même moment. Ce serait dommage de pas savoir qui vous a contaminé, non ?
Nous vous offrons une nouvelle façon de repérer les idiots qui, sans raison valable, sont sortis, se sont découverts une passion pour le jogging ou se sont baladés avec le chien qu'ils ont adopté il y a 3 jours : la Shithappns MAP " ;
- "Votre Timeline est unique. Elle vous montre les personnes qui se sont trop approchées de VOUS. Mais les Virus ne tombent pas du ciel.
Adoptez les gestes barrières, gardez 1m de distance, portez un masque et lavez-vous les mains...au moins le temps du confinement ! Et c'est promis, dans quelques semaines vous pourrez de nouveau discuter, postillonner et vous rencontrer en toute liberté ! Et même glander chez vous sans vous y sentir obligés !".
Il est relevé que les textes et slogans précités, bien qu'employant certains termes peu amènes, et associant l'application fictive "Shithappns" (dont tout internaute appartenant au public pertinent de la marque "happn" aura saisi le rapprochement avec l'application du même nom), avec l'idée de pouvoir retrouver les personnes qui les ont contaminés, ne consistent cependant aucunement dans la divulgation d'une information ou d'un fait précis, atteignant la réputation de la société HAPPN ou celle de son application éponyme.
Force est en effet de constater que sont critiquées, sur un ton humoristique, les personnes qui, durant la période de confinement ayant débuté en mars 2020, se sont illustrées par leur légèreté, leur inconscience des risques de propagation du virus de la covid 19 lorsqu'elles ne respectaient pas les gestes barrières et la distanciation dont l'importance était pourtant sans cesse rappelée par les médias, de même que les personnes qui, de plus ou moins bonne foi, ont saisi toutes les opportunités offertes par les textes en vigueur pour pouvoir déjouer les horaires de confinement auxquels tout citoyen, à quelques exceptions près, devait se plier ; que compte tenu du ton employé, il ne peut être sérieusement compris par les internautes, lisant ces textes, que l'application happn ne serait téléchargée et utilisée que par les personnes ainsi décrites, ou qu'elle constituerait un vecteur de propagation du virus.
Et il est relevé au surplus que la présence même d'informations dont tout internaute aura saisi qu'elles sont manifestement fausses, telles que "son profil apparaît dans votre Timeline et notre algorithme vous informe s'il vous a contaminé", ne pouvait inciter à prendre ces propos au sérieux.
Il s'en déduit que ces passages du site Internet accessible à l'adresse etlt;www.shithappns.fretgt; ne sauraient être considérés comme jetant le discrédit sur la société HAPPN et son application éponyme, de sorte qu'aucune faute s'analysant en du dénigrement n'est ici caractérisée.
Les demandes formées par la société HAPPN sur le fondement de la concurrence déloyale par dénigrement sont par conséquent rejetées.
Le parasitisme
La société HAPPN soutient que la société PENGYOU et CO a, de manière fautive, volontairement repris, en les détournant, les éléments caractéristiques de l'identité de l'application happn, en particulier sa charte graphique, son discours marketing étudié et recherché, ses slogans accrocheurs et sa fonction d'hypergéolocalisation en temps réel, fruits d'investissements financiers et humains très conséquents, afin d'en tirer profit, la page de présentation du site Internet "shithappns.fr" permettant un renvoi directement à l'application concurrente Feels.
La société PENGYOU et CO réplique que le site Internet "shithappns.fr" est un site humoristique destiné à attirer l'attention du public sur le respect du confinement et des gestes barrières, qui ne propose aucun service ni produit et ne mentionne ni la société HAPPN, ni des éléments concernant ses activités. Par ailleurs, il n'est pas démontré selon elle en quoi l'application "Feels" profiterait de l'association de son produit à ce site d'information et de prévention. En outre, elle soutient que si la société HAPPN lui reproche d'avoir repris des éléments de son application, force est de constater qu'ils sont extrêmement communs, s'agissant de sa charte graphique, de l'agencement du site, de son discours marketing ou du recours à la géolocalisation. Enfin, la société HAPPN ne fait pas, selon elle, la démonstration de ses efforts commerciaux et de son savoir-faire, ni du préjudice qu'elle aurait subi.
Sur ce,
Fondé sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, constitue un acte de parasitisme le fait pour un professionnel de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de sa notoriété acquise, de son travail de création et des recherches et investissements réalisés.
En l'espèce, la société HAPPN justifie d'importants investissements :
- en termes de développement et de maintenance de son site Internet "happn.com", par la production d'un attestation de son expert-comptable, en date du 23 mars 2021, indiquant qu'elle a engagé pour ce faire la somme de 104 524,88 euros ;
- en termes de communication, par la production d'un attestation de son expert-comptable en date du 8 mars 2021, indiquant qu'elle a dépensé en 2019 et en 2020, les sommes de 6 924 622,58 euros HT et 8 605 999 euros HT, afin de promouvoir et de mettre en avant la marque "happn".
Il est précisé à cet égard que derrière la référence ici faite par l'expert-comptable à "la marque "happn"", doit être entendue plus largement la promotion des produits et services offerts par la société HAPPN, en particulier de son application. Il est en effet relevé qu'il a établi le 23 mars 2021, une attestation distincte indiquant que depuis 2015, la société HAPPN a engagé la somme de 43 574,11 euros HT exclusivement au titre des marques happn, la société demanderesse précisant à ce sujet que cette somme concerne spécifiquement les investissements réalisés en vue de la protection et de la défense de ses marques, dont fait partie la marque française happn no 4109777.
Il convient également de rappeler que le fait que la société PENGYOU et CO ait elle-même consenti des investissements en vue de promouvoir son application n'exclut en rien qu'elle ait pu, en parallèle, réaliser des économies d'investissements promotionnels, en s'inscrivant dans le sillage de la société HAPPN.
A cet égard, pour déterminer si la société PENGYOU et CO a copié ou s'est sensiblement inspirée des éléments caractéristiques de l'identité du site "happn.com", pour créer le site Internet "shithappns.fr", il y a lieu de procéder à la comparaison des deux sites Internet litigieux, tels qu'ils ont été constatés par procès-verbal de constat d'huissier de justice dressé le 23 mars 2020 :
Le site "happn.com"
Le site "shithappns.fr"
Le site "happn.com" Le site "shithappns.fr"
Le site "shithappns.fr" reproduit la charte graphique et l'agencement du site Internet "happn.com", sans que la société PENGYOU et CO ne justifie du fait que ces éléments seraient communs à d'autres sites de rencontre, les ressemblances ici constatées allant bien au-delà de la simple déclinaison des couleurs bleue et blanche, effectivement banale dans le domaine des réseaux sociaux (Twitter, Facebook...), ou du positionnement du texte à gauche de la page et de la photographie du téléphone à droite, l'exemple d'un tel agencement, versé aux débats par la société PENGYOU et CO en pièce no 14, présentant des différences notables (le fond de la page est rose et présente une découpe de biais, l'image apparaissant sur l'écran du téléphone n'en occupe pas tous l'espace etc). Ici, il est en effet question notamment de la reprise de l'effet noir transparent appliqué sur la photographie de la page d'accueil, permettant de faire ressortir le texte, ainsi que du positionnement et de la présentation identique des textes, des icones de renvoi à App Store et Google Play et du bouton "Assistance" précédé d'un point d'interrogation sur les deux sites, situé en bas à droite de la page.
De la même manière, il apparaît que les textes et slogans présents sur le site "shithappns.fr" constituent un détournement des textes et slogans figurant sur le site "happn.com" :
Le site "happn.com"Le site "shithappns.fr"
" Retrouvez qui vous croisez " "Retrouvez qui vous a contaminé"
"Au détour d'une rue, en terrasse, au boulot, en soirée...
On a tous échangé un regard avec une personne qui nous a marqués.
Grâce à happn, retrouvez les personnes qui vous avez croisées et saisissez votre chance !" "Au détour d'une rue, en courant, devant un hôpital, au marché...
On a tous échangé un regard anxieux avec une personne non masquée en train de tousser.
Grâce à Shithappns, retrouvez les inconscients que vous croisez et découvrez qui vous a contaminé"
"Les recontres se font souvent au moment où on s'y attend le moins.
happn, c'est l'application qui vous connecte à toutes ces personnes que vous croisez chaque jour, celles qui font partie de votre quotidien !" "Les mauvaises rencontres se font souvent à des moments où on pouvait s'y attendre. Shithappns c'est l'application qui vous permet de retrouver des personnes écervelées qui risquent de vous contaminer, ces idiots qui font malheureusement partie de votre quotidien !"
"A chaque fois que vous croisez un membre de happn dans la vraie vie, son profit apparaît dans votre Timeline ! À vous de saisir votre chance !" "A chaque fois qu'une personne infectée non masquée vous a toussé au nez ou s'est approchée trop près, dans la vraie vie, son profil apparaît dans votre Timeline et notre algorithme vous informe s'il vous a contaminé : A vous de saisir votre chance pour bien le remercier ! "
" Et oui ! Nous pensons que c'est la chance qui réunit deux personnes au même endroit, au même moment, ce serait dommage de pas en profiter, non ?
Nous vous offrons une nouvelle façon de retrouver plus facilement les personnes qui sortent, vivent et apprécient les mêmes lieux que vous : la happn MAP" " Et oui ! Nous pensons que c'est la malchance qui réunit deux personnes qui n'ont rien à faire au même endroit, au même moment. Ce serait dommage de pas savoir qui vous a contaminé, non ?
Nous vous offrons une nouvelle façon de repérer les idiots qui, sans raison valable, sont sortis, se sont découverts une passion pour le jogging ou se sont baladés avec le chien qu'ils ont adopté il y a 3 jours : la Shithappns MAP "
"Votre Timeline est unique. Elle vous montre les personnes que VOUS avez croisées sur votre chemin. Mais les Cruchs tombent pas du ciel". "Votre Timeline est unique. Elle vous montre les personnes qui se sont trop approchées de VOUS. Mais les Virus ne tombent pas du ciel ".
Or, ces ressemblances ne peuvent résulter du fruit du hasard. Les textes écrits lors de la création du site "shithappns.fr" ont nécessairement trouvé leur source dans ceux rédigés pour le site "happn.com", dont il n'est nullement démontré, là encore, qu'ils seraient banals et similaires à d'autres textes et slogans présents sur d'autres sites de rencontre.
Il s'en déduit que la société PENGYOU et CO a, en reprenant ou s'inspirant de très près des éléments qui constituent l'identité du site "happn.com", spécifiquement sa charte graphique, la présentation de ses photographies, la physionomie générale du site et son discours marketing - la géolocalisation, courante dans le domaine des sites et applications de rencontre, étant exclue des éléments précités - s'est volontairement inscrite dans le sillage de la société HAPPN, afin de développer le site "shithappns.frs", artifice destiné à promouvoir son application de rencontre concurrente "Feels", et ce en réalisant des économies d'investissements publicitaires et promotionnels.
Les actes de parasitisme sont caractérisés.
Les mesures de réparation
La société HAPPN forme des demandes d'interdiction, de publication de la présente décision, outre des demandes indemnitaires.
Précisément, elle fait valoir que les faits de contrefaçon de la marque "happn", commis par la société PENGYOU et CO, ont porté atteinte à sa valeur patrimoniale, ainsi qu'à son image et ont contribué à sa dilution sur le marché.
Elle ajoute que la société PENGYOU et CO, en s'inscrivant dans son sillage pour promouvoir son application "Feels" a également porté atteinte aux investissements qu'elle a consentis non seulement en termes de développement et de maintenance de son site Internet, mais aussi en termes de communication autour de son produit.
La société PENGYOU et CO réplique que la société HAPPN ne démontre en rien les importants investissements qu'elle dit avoir réalisés pour promouvoir sa marque, ni la prétendue perte de valeur patrimoniale de celle-ci. Elle rappelle à cet égard que le site à l'url etlt;www.shithappns.fretgt; n'a été mis en ligne que pendant deux jours et n'a fait l'objet d'aucune visibilité particulière, sa fréquentation ayant été inexistante en dehors de celle des concepteurs du site, de certains membres de la société PENGYOU et CO et de quelques tiers.
Sur ce,
La demande d'interdiction
Les faits de contrefaçon de la marque "happn" no 4109777 et de parasitisme étant caractérisés, il convient de faire droit aux demandes d'interdiction formées par la société HAPPN.
La société PENGYOU et CO ayant cependant démontré avoir cessé tous les actes reprochés, ce qui n'est pas contesté par la société HAPPN, aucune astreinte n'a lieu d'être prononcée.
Les demandes indemnitaires
En vertu de l'article L. 717-4-10 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dues si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
La société HAPPN demande l'allocation de la somme forfaitaire de 100 000 euros, en réparation de ses préjudices résultant de la contrefaçon de sa marque, et de la somme de 150 000 euros, en réparation de son préjudice résultant des faits de parasitisme commis par la société PENGYOU et CO.
Les investissements réalisés par la société HAPPN en vue de protéger et de promouvoir ses marques, ainsi que les services qu'elle propose, ont été mentionnées précédemment.
La société HAPPN démontre par la production d'un important dossier de presse (notamment pièce no 8 bis) que son application occupe une position importante à côté des leaders du marché des sites de rencontre en France, ce qui confère à sa marque une valeur patrimoniale indéniable.
Or, il ne peut être contesté qu'en contrefaisant sa marque et en suscitant un risque de confusion dans l'esprit du public pertinent quant à l'existence d'une affiliation commune entre les services proposés par les sociétés HAPPN et PENGYOU et CO, ou d'un partenariat entre elles, il a été porté atteinte à la capacité de la marque "happn" à identifier de manière précise et certaine les services offerts par la société HAPPN, et partant, à la valeur patrimoniale de celle-ci, sur un marché hautement concurrentiel et lucratif.
S'en suit également une dilution de la marque "happn".
De la même manière, en imitant et en détournant les éléments caractéristiques de l'univers du site "happn.com", elle a porté atteinte aux investissements consentis, en termes de développement dudit site Internet, ainsi qu'en termes promotionnels.
Il est néanmoins retenu que le site "shithappns.fr" n'est resté actif que deux jours et n'a été consulté que 551 fois, ce dont il se déduit que la société PENGYOU et CO n'a pu attraire à elle, par sa déloyauté, qu'un nombre relativement limité d'internautes.
Au regard de ces éléments, il convient d'allouer à la société HAPPN les sommes de :
- 10 000 euros en réparation de ses préjudices, résultant de la contrefaçon de la marque "happn" no 4109777 (5 000 euros au titre du préjudice patrimonial et 5 000 euros au titre du préjudice moral) ;
- 10 000 euros en réparation de son préjudice résultant de la commission d'actes de parasitisme.
La demande de publication
Le préjudice subi par la société HAPPN étant suffisament réparé par les dommages et intérêts et les mesures d'ores et déjà prononcées, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de publication de la présente décision, laquelle apparaît disproportionnée.
Les demandes accessoires
La société PENGYOU et CO, partie succombante, est condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société HAPPN la somme de 7 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'exécution provisoire est de droit.
PAR CES MOTIFS
Statuant par décision contradictoire, rendue en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DIT qu'en faisant usage du signe "shithappns", dans la vie des affaires, pour promouvoir son site de rencontre "Feels.com", la société PENGYOU et CO a commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque "happn" no 4109777 ;
DIT que la société PENGYOU et CO a commis des actes de concurrence déloyale par parasitisme au préjudice de la société HAPPN;
CONDAMNE la société PENGYOU et CO à payer à la société HAPPN la somme de 10 000 euros, en réparation de ses préjudices résultant des actes de contrefaçon de la marque "happn" no 4109777 ;
CONDAMNE la société PENGYOU et CO à payer à la société HAPPN la somme de 10 000 euros, en réparation de ses préjudices résultant de la commission d'actes de parasitisme ;
FAIT INTERDICTION, en tant que de besoin, à la société PENGYOU et CO de poursuivre l'utilisation du signe shithappns, dans la vie des affaires, sur quelque support que ce soit, et sous quelque forme que ce soit, notamment à titre de marque, d'identifiant commercial, nom de domaine, d'enseigne numérique, dans le cadre de son activité ;
ORDONNER à la société PENGYOU et CO, en tant que de besoin, de cesser tout usage du site internet etlt;www.shithappns.fretgt; dans le cadre de son activité ;
DÉBOUTE la société HAPPN de sa demande tendant au prononcé d'une astreinte ;
DÉBOUTE la société PENGYOU et CO de sa demande de publication de la présente décision ;
DÉBOUTE la société HAPPN de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale par dénigrement ;
CONDAMNE la société PENGYOU et CO à payer à la société HAPPN la somme de 7 000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société PENGYOU et CO aux dépens de l'instance;
RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit.
Fait et jugé à Paris le 27 juillet 2022
LA GREFFIERE LE PRESIDENT