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21/06/2022 | FRANCE | N°20/4711

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0196, 21 juin 2022, 20/4711


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/04711 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSEMM

No MINUTE :

Assignation du :
26 Mai 2020

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 21 Juin 2022

DEMANDERESSE

S.A.R.L. KOMPERNAß HANDELSGESELLSCHAFT GMBH
[Adresse 5]
[Localité 6] (ALLEMAGNE)

représentée par Maître Olivier LEGRAND de la SEP LEGRAND LESAGE-CATEL GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1104

DEFENDEURS

S.A.R.L. [U]'KIDS
intervenante volontaire
[Adresse 3]


[Localité 2] (SUISSE)

Monsieur [K] [U]
[Adresse 4]
[Localité 1] (SUISSE)

représentés par Maître Antoine LE BRUN de la SELAS FIDAL DIRECTION P...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 20/04711 -
No Portalis 352J-W-B7E-CSEMM

No MINUTE :

Assignation du :
26 Mai 2020

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 21 Juin 2022

DEMANDERESSE

S.A.R.L. KOMPERNAß HANDELSGESELLSCHAFT GMBH
[Adresse 5]
[Localité 6] (ALLEMAGNE)

représentée par Maître Olivier LEGRAND de la SEP LEGRAND LESAGE-CATEL GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1104

DEFENDEURS

S.A.R.L. [U]'KIDS
intervenante volontaire
[Adresse 3]
[Localité 2] (SUISSE)

Monsieur [K] [U]
[Adresse 4]
[Localité 1] (SUISSE)

représentés par Maître Antoine LE BRUN de la SELAS FIDAL DIRECTION PARIS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #NA702

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
assistée de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l'audience du 11 mai 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 21 juin 2022.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

1. La société de droit allemand Kompernaß Handelsgesellschaft GmbH (ci-après « kompernaß ») se présente comme ayant pour activité la conception et la fabrication de produits non-alimentaires à destination du grand public qu'elle distribue à travers l'enseigne Lidl. Elle expose avoir notamment développé un réveil éducatif référencé « SKS 4 A1 », destiné aux enfants en bas âge, lequel a été commercialisé en France au mois de mai 2019 sous la marque Silvercrest.

2. M. [K] [U] est quant à lui titulaire d'un brevet européen désignant la France no 1 356 351 (ci-après « EP'351 »), ayant pour titre « indicateur de réveil pour enfant », déposé le 20 décembre 2001 sous priorité d'une demande suisse du 23 décembre 2000, et délivré le 2 décembre 2009.

3. Considérant que le réveil éducatif commercialisé par la société Lidl portait atteinte à ses droits de brevet, M. [K] [U] a, par acte d'huissier du 24 mai 2019, fait délivrer à la société Lidl une sommation de cesser d'offrir à la vente le réveil  SKS 4 A1 et de lui communiquer diverses informations de nature commerciale et comptable. Ce courrier a été transmis par la société Lidl à la société Kompernaß qui, au terme des échanges ayant suivi avec M. [U], a, par acte d'huissier du 26 mai 2020, fait assigner ce dernier devant le tribunal judiciaire de Paris, aux fins d'obtenir l'annulation du brevet EP'351.

4. Par des conclusions en réplique du 14 janvier 2021, M. [U] a formé une demande reconventionnelle en contrefaçon de la partie française du brevet EP'351.

5. Par une ordonnance du 6 août 2021, le juge de la mise en état a rejeté la demande de production de pièces formée par M. [U].

6. Le 17 décembre 2021, est intervenue la cession du brevet EP'351 au profit de la société [U]'Kids, laquelle a, par des conclusions du 21 décembre 2021, déclaré intervenir volontairement à l'instance initiée par la société Kompernaß, en même temps qu'expirait le brevet EP'351.

7. C'est dans ce contexte que, par de nouvelles conclusions d'incident du 19 janvier 2022, la société Kompernaß a saisi le juge de la mise en état aux fins d'obtenir, au visa des articles 31, 32 et 789 du code de procédure civile, L. 613-9 du code de la propriété intellectuelle, et 63(1) de la Convention sur le Brevet Européen, de :
A titre principal
- Déclarer la société [U]'kids irrecevable en son intervention volontaire et en toutes ses demandes ;
- Déclarer M. [U] irrecevable en ses demandes d'interdiction ;
A titre subsidiaire
- Déclarer la société [U]'kids irrecevable en ses demandes d'interdiction;
- Déclarer M. [U] irrecevable en ses demandes ;
En tout état de cause
- Condamner in solidum la société [U]'kids et M.[U] au paiement à la société Kompernaß de la somme de 3.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Les condamner également in solidum en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître Olivier Legrand conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

8. Par des conclusions d'incident en réplique notifiées électroniquement le 11 mars 2022, la société [U]'Kids et M. [U] demandent pour leur part au juge de la mise en état de rejeter l'ensemble des demandes et fins de non-recevoir présentées par la société Kompernaß, la condamner aux dépens, ainsi qu'à leur payer la somme de 3.000 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles.

9. L'incident a été plaidé à l'audience du 11 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Moyens des parties

10. La société Kompernaß soutient d'abord que la cession n'est pas publiée au RNB de sorte qu'en application des dispositions de l'article L.613-9 du code de la propriété intellectuelle les demandes de la société [U]'Kids sont, selon elle, irrecevables. La société Kompernaß soutient ensuite que le brevet a en tout état de cause cessé de produire tout effet depuis le 20 décembre 2021 de sorte que les demandes d'interdiction, de rappel et de destruction présentées par les conclusions du 21 décembre 2021 par la société [U]'Kids sont de la même manière irrecevables. La société Kompernaß conclut encore à l'irrecevabilité des demandes de production de pièces concernant des pays autres que la France présentées par la société [U]'Kids, l'acte de cession ne visant que la partie française du brevet EP'351. La société Kompernaß conclut enfin à l'irrecevabilité des demandes de M. [U] qui, aux termes de la cession par laquelle il a cédé tous ses droits sur le brevet avec effet rétroactif au 1er novembre 2017, n'a plus aucune qualité à solliciter l'indemnisation de quelque préjudice que ce soit.

11. Pour s'opposer aux prétentions de la société Kompernaß, la société [U]'Kids relève d'abord que la cession a fait l'objet d'une publication au BOPI le 28 janvier 2022 ce qui selon elle régularise la procédure. Elle ajoute qu'elle est parfaitement recevable à solliciter l'interdiction, le rappel et la destruction des produits faisant l'objet de la présente instance. Elle soutient encore qu'elle est parfaitement recevable, aux fins d'identification des réseaux de contrefaçon à solliciter des informations concernant d'autres pays que la France. M. [U] fait quant à lui valoir que ses demandes sont fondées sur sa qualité d'inventeur, et non de propriétaire de l'invention, qualité qu'il a effectivement perdue par suite de la cession.

Appréciation du juge de la mise en état

12. Il résulte de l'article L. 613-9 que "Tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur un registre, dit Registre national des brevets, tenu par l'Institut national de la propriété industrielle.Toutefois, avant son inscription, un acte est opposable aux tiers qui ont acquis des droits après la date de cet acte, mais qui avaient connaissance de celui-ci lors de l'acquisition de ces droits. Le licencié, partie à un contrat de licence non inscrit sur le Registre national des brevets, est également recevable à intervenir dans l'instance en contrefaçon engagée par le propriétaire du brevet afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre." Cette disposition est constamment interprétée comme excluant le droit d'agir en contrefaçon de tout cessionnaire ou licencié exclusif d'un brevet tant que l'acte d'où il tient ses droits n'a pas été publié (Cass. Com., 7 juillet 2004, pourvoi no 02-19.041; Cass. Com., 3 avril 2012, pourvoi no 11-14.848). Le cessionnaire est en revanche recevable à agir dès la publication de la cession et ce, avec effet rétroactif de sorte que l'action peut concerner les faits antérieurs à la cession, pour peu que l'acte de cession le spécifie (Cass. Com., 11 janvier 2000, pourvoi no 97-10.838, Bull. 2000, IV, no 6).

13. Il est en outre rappelé qu'aux termes de l'article 126 du code de procédure civile, "Dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l'instance." Il en résulte que la société [U]'Kids est recevable à agir en contrefaçon depuis le 28 janvier 2022, date de la publication de la cession, et qu'en l'état des termes de la cession qui le prévoient expressément, elle est également recevable à agir pour les faits qui lui sont antérieurs.

14. Selon l'article L. 611-1 du code de la propriété intellectuelle en outre, "Toute invention peut faire l'objet d'un titre de propriété industrielle délivré par le directeur de l'Institut national de la propriété industrielle qui confère à son titulaire ou à ses ayants cause un droit exclusif d'exploitation." En l'occurrence, la société [U]'Kids a perdu le droit exclusif d'exploiter l'invention objet du brevet EP'351 le 20 décembre 2021 et a ainsi perdu toute qualité à solliciter des mesures d'interdiction, de rappel et de destruction de tous produits soupçonnés de porter atteinte à son brevet expiré. Seules demeurent ainsi recevables les demandes visant à obtenir la réparation du préjudice subi et résultant des faits antérieurs à cette date.

15. La société [U]'Kids et M. [U] demandent en l'occurrence au tribunal aux termes des leurs dernières conclusions d' "ORDONNER à Kompernaß sous astreinte de 500€ par jour de retard de communiquer à la société [U] Kids les livres et pièces comptables correspondant à la vente du « réveil éducatif enfant » litigieux à compter de 2019 à Lidl SNC ainsi qu'à tous les autres clients de Kompernaß dans les pays où le brevet EP 1 356 351 était encore en vigueur le 22 mai 2019 à savoir : Belgique, Suisse, Danemark, Royaume-Uni, Pays-Bas, et Suède ;".

16. En effet, ainsi que le prévoit l'article L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle, "Si la demande lui en est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d'une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits ou procédés argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou mettant en oeuvre des procédés argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits, la mise en oeuvre de ces procédés ou la fourniture de ces services. La production de documents ou d'informations peut être ordonnée s'il n'existe pas d'empêchement légitime."

17. En l'occurrence, M. [U] et la société [U]'Kids interviennent ensemble à l'occasion de la présente instance. Aussi, la société [U]'Kids, pour la partie française du brevet, et M. [U], pour les autres parties nationales du brevet EP'351, apparaissent recevables en leurs demandes de communication de pièces, dont le bien-fondé dépendra du sort de l'action en nullité de la partie française du brevet, la nullité de cette portion française étant susceptible d'apparaître comme source d'un empêchement légitime au sens des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle.

18. M. [U] apparaît recevable enfin à solliciter l'indemnisation que lui cause l'action en nullité du brevet qui protége son invention, sous réserve évidemment de rapporter la preuve d'une faute commise par la société Kompernaß, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

19. En définitive, seules seront déclarées irrecevables les demandes reconventionnelles d'interdiction, de rappel des circuits commerciaux et de destruction des produits argués de contrefaçon, présentées par la société [U]'Kids.

20. Les dépens de l'incident et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civle seront réservés.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le juge de la mise en état,

Déclare irrecevables les demandes de la société [U]'Kids et de M. [U] aux fins de "ORDONNER à la société Kompernaß de CESSER d'offrir à la vente, mettre dans le commerce, utiliser, importer ou détenir en France aux fins précitées tous produits objet du brevet européen numéro EP135635181 et notamment de cesser de présenter à la vente le « réveil éducatif enfant » annoncé sous la référence no313843 et sous la marque SILVERCREST constitué d'un indicateur de réveil pour enfant comportant :
- un cadran avec « seulement deux figures représentatives respectivement d'une position de réveil et d'une position de sommeil » « en position debout et en position couchée », à savoir un mouton debout ou allongé,
- les dites figures de mouton étant « accentuées par deux couleurs différentes » à savoir une peau marron pour le jour et bleu ciel pour la nuit,
- ainsi que par la présence complémentaire de plusieurs « indicateurs de réglage de temps » sur le cadran, à savoir un soleil, une lune, des étoiles et un ciel clair ou foncé,
- les dites figures de mouton étant alternativement allumées ou éteintes par des éléments lumineux activés par des éléments de minuterie ou horlogerie incorporés dans un boitier et actionnés par des boutons de réglage ;" et "ORDONNER à Kompernaß de rappeler et détruire à ses frais les produits contrefaisants proposés à la vente en France sous astreinte de 500€ par jour de retard et par infraction ;"

Ecarte toutes les autres fins de non-recevoir soulevées par la société Kompernaß ;

Rapelle que la présente décision est exécutoire immédiatement ;

Réserve les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que l'affaire est renvoyée à l'audience de mise en état (dématérialisée) du
15 décembre 2022 à 14 heurespour clôture et fixation, au terme du calendrier suivant :
- 7 juillet 2022 (date relais) pour la régularisation de leurs écritures par M. [U] et la société [U]'Kids tenant compte de la présente décision;
- 7 octobre 2022 (date relais) pour les dernières conclusions au fond de la société Kompernaß,
- 7 décembre 2022 (date relais) pour les dernières conclusions au fond de M. [U] et la société [U]'Kids.

Faite et rendue à Paris le 21 Juin 2022.

La Greffière Le Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0196
Numéro d'arrêt : 20/4711
Date de la décision : 21/06/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-06-21;20.4711 ?
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