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16/06/2022 | FRANCE | N°22/53503

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0760, 16 juin 2022, 22/53503


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 22/53505 - No Portalis 352J-W-B7G-CWHTJ

No : 1/MM

Assignation du :
23 Mars 2022

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 16 juin 2022

par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE

Société PIERRE FABRE DERMO COSMETIQUE
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Louis DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOC

IES, avocats au barreau de PARIS - #K0035

DEFENDERESSE

S.A. L'OREAL
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Jean-christo...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 22/53505 - No Portalis 352J-W-B7G-CWHTJ

No : 1/MM

Assignation du :
23 Mars 2022

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 16 juin 2022

par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE

Société PIERRE FABRE DERMO COSMETIQUE
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Maître Louis DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS - #K0035

DEFENDERESSE

S.A. L'OREAL
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Jean-christophe ANDRE de la SCP DEPREZ, GUIGNOT et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS - #P0221

DÉBATS

A l'audience du 17 Mai 2022, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Rokhaya NIANG, Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties comparantes,

Exposé du litige :

1. La société Pierre Fabre Dermo-cosmétique appartient au groupe Laboratoires Pierre Fabre, actif dans les domaines de la santé et de la beauté. Cette société commercialise ses produits notamment sous la marque "Avène" et expose que les produits solaires comercialisés sous cette marque contiennent un filtre solaire, lui-même couvert par un brevet européen noEP 1 753 747, déposé le 4 mai 2005, ayant pout titre "Dérivés dimériques de 5,6-diphenyl-1,2,4-triazine et leurs utilisations en tant qu'agents protecteurs du soleil", et par une marque semi-figurative de l'Union européenne enregistrée le 5 novembre 2020 sous le no018332916 pour désigner en classe 1 les "Filtres solaires destinés à l'industrie cosmétique, à savoir principe actif entrant dans la composition de produits cosmétiques", et en classe 3 les "produits cosmétiques et les produits solaires à usage cosmétique contenant un filtre solaire" :

tous titres de propriété industrielle dont la société Pierre Fabre Dermo-cosmétique est la titulaire inscrite.

2. La société Pierre Fabre Dermo-cosmétique expose avoir découvert en février 2022 un document publicitaire émanant de la branche "Cosmétique active" de la société L'Oréal pour sa gamme de produit de protection solaire commercialisée sous la marque "La Roche Posay", présentant une comparaison, selon elle mensongère, de leurs produits respectifs sous la forme d'un graphique. Après l'avoir vainement mise en demeure de cesser la diffusion de cette publicité et de lui communiquer les preuves de l'exactitude de la comparaison résultant de ce document, la société Pierre Fabre Dermo-cosmétique a été autorisée à faire assigner en référé la société L'Oréal devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris siègeant à l'audience du 17 mai 2022 à 9h30.

3. Par son assignation du 23 mars 2022, dont elle a développé les termes à l'audience, la société Pierre Fabre Dermo-cosmétique demande au juge des référés de dire que le graphique est une publicité comparative illicite constitutive tout à la fois d'un trouble manifestement illicite et d'une atteinte à ses droits portant sur la marque "Triasorb", de faire défense sous astreinte à la société L'Oréal de poursuivre ces faits et de faire usage de la marque "Triasorb", de lui enjoindre de lui communiquer les preuves de l'exactitude de la comparaison résultant du graphique litigieux, ainsi que tous documents relatifs à l'étendue de sa diffusion. La société Pierre Fabre Dermo-cosmétique sollicite encore la publication de la présente décision, ainsi que la condamnation de la société L'Oréal aux dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 30.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

4. La société L'Oréal, par des conclusions notifiées le 13 mai 2022 et reprises oralement à l'audience du 17 mai 2022, demande quant à elle au juge des référés de dire n'y avoir lieu à référé, les faits ayant cessé et excédant en tout état de cause la compétence de cette juridiction. Elle sollicite la condamnation de la société Pierre Fabre Dermo-cosmétique à lui payer la somme de 30.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Moyen des parties

5. La société Pierre Fabre Dermo-cosmétique soutient que la brochure contenant le graphique objet du présent litige est indéniablement un document publicitaire, dès lors qu'il s'agit d'un document adressé à des journalistes, mais aussi à des pharmaciens et parapharmaciens, lesquels sont pour les uns des relais d'opinions, et pour les autres des clients, qu'il convient de convaincre. Le caractère restreint de l'envoi et de l'accès à ce document, réservé à des professionnels, ne lui fait pas perdre son caractère publicitaire de manière au moins indirecte. La société Pierre Fabre Dermo-cosmétique ajoute qu'il s'agit d'une publicité comparative puisque le document compare plusieurs produits, ici des filtres solaires, étant observé qu'elle est la seule à utiliser le "triasorb" dans sa gamme solaire, ce que le public de professionnels auquel s'adresse le document sait ou est en mesure de savoir par de simples recherches. La société Pierre Fabre Dermo-cosmétique fait encore valoir que le graphique ne fait référence à aucune étude non plus qu'à aucun laboratoire, dont il serait issu, avec la mention de son indépendance, comme le veut la pratique en la matière, tandis que la société L'Oréal s'est révélée dans l'incapacité de produire les preuves de l'exactitude du graphique "à bref délai" contrairement à ce que lui impose la législation. La société Pierre Fabre Dermo-cosmétique indique enfin qu'elle souhaite éviter un dommage imminent qui résulterait de la reprise de ce graphique par ceux auxquels il a été adressé, au moment où vont paraître les articles sur les protections solaires, à la fin du mois de juin.

6. La société L'Oréal soutient quant à elle, pour s'opposer aux demandes, que les faits ont cessé dès le 24 février 2022 par l'envoi au public cible, des journalistes, d'un document identique ne contenant plus le graphique litigieux et mentionnant qu'il annule et remplace le précédent document. La société L'Oréal ajoute que le document en question n'a jamais été téléchargé et n'a été relayé par aucun article de presse depuis son envoi en février 2022. La société L'Oréal soutient encore que l'appréciation de la liciété du graphique nécessite un débat scientifique sur son caractère trompeur et que ce débat excède la compétence du juge des référés, à supposer qu'il s'agisse d'un document publicitaire, ce qu'elle conteste, le document n'étant pas à destination de la clientèle finale. La société L'Oréal fait également valoir que la société Pierre Fabre n'est pas identifiée ni identifiable dans cette pièce, qui à aucun moment ne rattache le "triasorb" à Pierre Fabre. La société L'Oréal ajoute qu'en tout état de cause l'exactitude matérielle du graphique résulte des pièces fournies par la société Pierre Fabre Dermo-cosmétique elle-même, en partculier sa pièce no2.5, qui démontre que les performances du "Triasorb" sont faibles au-delà de 380 nanomètres. La société L'Oréal soutient enfin que les mesures d'interdiction sont sans objet, tandis que les autres demandes sont totalement injustifiées, voire disproportionnées.

Appréciation du juge des référés

7. Selon l'article L. 122-1 du code de la consommation "Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si : 1o Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur; 2o Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif; 3o Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie." Selon l'article L. 122-2 de ce même code, "La publicité comparative ne peut : (...) 2o Entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent ;" L'article L. 122-5 précise que "L'annonceur pour le compte duquel la publicité comparative est diffusée doit être en mesure de prouver dans un bref délai l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité."

8. Ces dispositions réalisent la transposition en droit interne de la Directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative dont l'article 2 précise qu' "Aux fins de la présente directive, on entend par : a) «publicité», toute forme de communication faite dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations; (...) c) «publicité comparative», toute publicité qui, explicitement ou implicitement, identifie un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent;". Il résulte de ces dispositions que le document litigieux, et en particulier le graphique qu'il contient, revêt les caractères d'une publicité comparative au sens de ces dispositions, tandi que la société L'Oréal n'a pas établi "à bref délai" l'exactitude matérielle de la présentation contenue dans cette publicité, et en particulier, l'allégation qu'il contient en faveur d'une protection contre les UVA ultra-longs par le "Mexoryl 400" presque six fois supérieure à celle du "Triasorb", marque déposée par la société demanderesse, et ce, au moyen d'un graphique dont le caractère scientifique apparaît douteux, ainsi que le relève la société L'Oréal elle-même.

9. Ceci étant, interprétant les dispositions de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, dont les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives à la contrefaçon de marque réalisent la transposition en droit interne, et les dispositions de l'article 3 bis, paragraphe 1, de la première directive 84/450/CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que : "2) L'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque enregistrée n'est pas habilité à faire interdire l'usage par un tiers, dans une publicité comparative, d'un signe similaire à cette marque pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque a été enregistrée, lorsque cet usage ne fait pas naître, dans l'esprit du public, un risque de confusion, et ce indépendamment du fait que ladite publicité comparative satisfait ou non à toutes les conditions de licéité énoncées à l'article 3 bis de la directive 84/450, telle que modifiée par la directive 97/55." (CJUE, 12 juin 2008, aff. C-533/06, O2 Holdings Limited, O2 (UK) Limited C/ Hutchison 3G UK Limited).

10. Force est en l'occurrence de constater que l'usage de la marque "Triasorb" dans le document litigieux ne fait naître ici aucun risque de confusion de sorte qu'il ne peut être fait droit aux demandes sur le fondement de la contrefaçon vraisemblable.

11. Il ne peut davantage y être fait droit sur le fondement du trouble manifestement illicite, la publicité comparative ayant été retirée, de sorte que les faits ont cessé à la date à laquelle il est statué (Cass. Com., 23 octobre 1990, pourvoi no88-12.837, Bull. 1990, IV, no252).

12. Il apparaît enfin peu crédible qu'un article soit rédigé en juin 2022 sur la base d'un document diffusé entre le 14 et le 24 février 2022 et dont il n'est pas contesté qu'il n'est plus accessible aujourd'hui sur la plateforme sur laquelle il avait été diffusé. Le risque d'un dommage imminent, qui seul pourrait en définitive justifier de faire droit aux demandes de la société Pierre Fabre Dermo-cosmétique en référé, n'est donc pas établi.

13. Il doit donc être dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes. Il n'apparaît pas inéquitable enfin de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

Le juge des référés, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Pierre Fabre Dermo-cosmétique ;

Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait à Paris le 16 juin 2022.

Le Greffier, Le Président,

Minas MAKRIS Nathalie SABOTIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0760
Numéro d'arrêt : 22/53503
Date de la décision : 16/06/2022

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-06-16;22.53503 ?
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