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10/05/2022 | FRANCE | N°21/04753

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Chambre civile 3, 10 mai 2022, 21/04753


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 21/04753 -
No Portalis 352J-W-B7F-CUEIN

No MINUTE :

Assignation du :
01 Avril 2021

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 10 mai 2022

DEMANDERESSE AU PRINCIPAL
DEFENDERESSE A L'INCIDENT

S.A.S. FINALCAD
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentée par Maître Etienne DROUARD du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J011

DEFENDERESSE AU PRINCIPAL
DEMANDERESSE A L'INCIDENT

S.A.S. CLOUD

CORPORATION,
ayant pour nom commercial WIZZ CAD
[Adresse 7]
[Localité 8]

représentée par Maître Grégoire DESROUSSEAUX de la SCP AUGUST et DEBO...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 21/04753 -
No Portalis 352J-W-B7F-CUEIN

No MINUTE :

Assignation du :
01 Avril 2021

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 10 mai 2022

DEMANDERESSE AU PRINCIPAL
DEFENDERESSE A L'INCIDENT

S.A.S. FINALCAD
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentée par Maître Etienne DROUARD du PARTNERSHIPS HOGAN LOVELLS (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J011

DEFENDERESSE AU PRINCIPAL
DEMANDERESSE A L'INCIDENT

S.A.S. CLOUD CORPORATION,
ayant pour nom commercial WIZZ CAD
[Adresse 7]
[Localité 8]

représentée par Maître Grégoire DESROUSSEAUX de la SCP AUGUST et DEBOUZY ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0438

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
assistée de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l'audience du 17 mars 2022, avis a été donné aux avocats que l'ordonnance serait rendue le 10 mai 2022.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Finalcad édite un logiciel "SaaS" (pour "software as a service") de suivi de chantier pour le bâtiment, proposant entre autres, la mise en relation des différents acteurs d'un chantier, ainsi que le suivi et le contrôle du bon accomplissement des travaux par le maître d'oeuvre, ce logiciel étant disponible sous la forme d'une application mobile. Elle expose que la représentation en trois dimensions des plans d'architectes, ainsi que leur utilisation interactive par les différents intervenants d'un chantier, constituent l'apport essentiel de son logiciel pour les professionnels du secteur. L'application est dotée d'un moteur de visualisation en 3D reposant sur le standard "BIM" (pour "Building Information Modeling"). Elle ajoute avoir débuté en 2015 ses travaux pour parvenir à l'intégration d'un moteur BIM au sein de son application et développer son code source dénommé "WuuuEngine".

Elle a ainsi lancé en mars 2016 la version 2.0.0 de l' "application Finalcad" et le 21 mars 2017 la version 2.6.0, dotant le moteur BIM 3D de la fonctionnalité de formulaires interactifs permettant aux utilisateurs de modifier les maquettes 3D et d'y apporter des commentaires. C'est cette version de mars 2017, uniquement corrigée des "bugs", qu'elle a déposée auprès de l'Agence pour la Protection des Programmes (APP) le 31 juillet 2018.

La société Cloud Corporation, exerçant sous le nom commercial Wizzcad, est la concurrente de la société Finalcad. Elle édite de la même manière un logiciel SaaS de suivi de chantier pour le bâtiment, sous la forme d'une application mobile nommée "Wizzcad S" intégrant l'outil BIM, dont le lancement a été annoncé en mars 2018.

Se déclarant surprise du développement d'une telle application "en un temps record" par sa concurrente, un an seulement après la présentation de son propre logiciel, et après avoir découvert que deux de ses anciens salariés, qui avaient occupé des fonctions stratégiques au sein de l'entreprise et avaient eu accès au code source "WuuuEngine", avaient quitté l'entreprise pour être engagés par la société Wizzcad en août 2018, la société Finalcad a, par une requête du 8 février 2021, sollicité et obtenu l'autorisation de faire pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon consistant pour l'huissier à télécharger l'application "Wizzcad S" et, avec l'assistance d'un expert, à procéder à sa "description" en langage "Smali" aux fins de comparaison ultérieure avec le code source "WuuuEngine".

Les opérations se sont déroulées le 4 mars 2021 et par acte d'huissier délivré le 1er avril 2021, la société Finalcad a fait assigner la société Wizzcad devant ce tribunal aux fins de mise en oeuvre d'une expertise et des mesures propres à mettre fin aux agissements selon elle contrefaisants de la société Wizzcad.

Par des conclusions d'incident notifiées par la voie électronique le 4 octobre 2021, la société Wizzcad a soulevé une exception de procédure tirée de la nullité de l'assignation et sollicité le renvoi de l'affaire devant le tribunal statuant au fond afin qu'il se prononce sur la validité de la saisie-contrefaçon, qu'elle conteste avec force.

Dans ses dernières conclusions d'incident notifiées électroniquement le 31 janvier 2022 et développées oralement à l'audience du 17 mars 2022, la société Wizzcad demande au juge de la mise en état de :

- Lui Donner acte de ce qu'elle se désiste de sa demande d'annulation de l'assignation de FINALCAD pour indétermination de l'objet,
- Fixer une audience préalable devant le tribunal pour entendre les parties sur la seule question de la demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon formée devant le tribunal,
- Réserver l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

A titre subsidiaire,
- Déclarer irrecevables les demandes de FINALCAD pour défaut de titularité,
- Condamner la société FINALCAD à payer à la société WIZZCAD la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société FINALCAD aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître DESROUSSEAUX en application de l'article 699 du code de procédure civile.

A titre très subsidiaire,
- Débouter FINALCAD de sa demande d'expertise judiciaire,
- Condamner la société FINALCAD à payer à la société WIZZCAD la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société FINALCAD aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître DESROUSSEAUX en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions d'incident notifiées le 15 novembre 2021 développées de la même manière à l'audience du 17 mars 2022, la société Finalcad demande quant à elle au juge de la mise en état de:

- ORDONNER une expertise judiciaire ;

- DESIGNER un expert spécialisé en informatique, tel que par exemple, M. [W] [K], Expert judiciaire près la Cour d'appel de Paris, demeurant [Adresse 4] (Tel. : [XXXXXXXX01], Port. : [XXXXXXXX02]) ;

- DIRE que la mission de l'expert sera la suivante :

1. Se faire communiquer l'une des deux clés USB sur lesquelles ont été copiés le Logiciel Wizzcad S Téléchargé et le Logiciel Wizzcad S Traduit, placées sous séquestre par Maître [S] [X], Huissier de justice demeurant [Adresse 6], lors des opérations de saisie-contrefaçon du 4 mars 2021, et sur laquelle l'Huissier de justice aura préalablement levé le séquestre, en présence des avocats des parties;

2. Procéder au téléchargement de la version 2.6.0 de l'Application Android FinalCAD intégrant le logiciel WuuuEngine, datée du 24 avril 2017, avec les codes "administrateur" qui seront communiqués à titre confidentiel par le Conseil de la société FinalCAD, sur le site GOOGLE PLAY STORE et procéder à la traduction de la version téléchargée en langage SMALI (le "Logiciel WuuuEngine Traduit"),

3. Examiner et décrire, dans le détail et de manière compréhensible pour le Tribunal, d'une part, le Logiciel WuuuEngine Traduit de la société FinalCAD et, d'autre part, le Logiciel Wizzcad S Traduit édité par la société CLOUD CORPORATION ;

? Procéder à l'analyse comparative des versions traduites des Logiciels WuuuEngine Traduit et Wizzcad S Traduit, et identifier les éléments identiques ou similaires ;

? Rechercher et constater le cas échéant au sein du Logiciel Wizzcad S Traduit, la présence, l'ajout, la modification ou la suppression des mentions de paternité du Logiciel WuuuEngine Traduit,

4. Se faire remettre par FinalCAD une copie de la version "2.6.0" du Code Source WuuuEngine de l'Application Android FinalCAD, du 21 mars 2017,

5. Se faire remettre par l'APP une copie du Code Source WuuuEngine de l'Application Android FinalCAD déposée le 31 juillet 2018 par la société FinalCAD,

6. Procéder à l'analyse comparative de la version 2.6.0 du Code Source WuuuEngine de l'Application Android FinalCAD, du 21 mars 2017 et du Code source WuuuEngine de l'Application Android FinalCAD déposée le 31 juillet 2018, et constater que ces deux Codes Sources sont identiques, sauf différences liées à des mises à jour ou corrections de bug marginales,

7. Se faire remettre par la société CLOUD CORPORATION, une copie de la version du Code Source du logiciel Wizzcad S éditée en avril 2020 correspondant à la version au format .APK qui a fait l'objet de la saisie-contrefaçon du 4 mars 2021,

? Examiner et décrire, dans le détail et de manière compréhensible pour le Tribunal, d'une part, le Code source du logiciel WuuuEngine de la société FinalCAD et, d'autre part, le Code source du logiciel Wizzcad S édité par la société CLOUD CORPORATION,

? Procéder à l'analyse comparative des codes sources respectifs du logiciel WuuuEngine et logiciel Wizzcad S, et identifier les similitudes,
? Comparer les lignes du code source du logiciel WuuuEngine avec les lignes du code source du logiciel Wizzcad S, et préciser le taux d'identité entre ces lignes pour chacune des versions successives,

? Rechercher et constater le cas échéant au sein du logiciel Wizzcad S, la présence, l'ajout, la modification ou la suppression des mentions de paternité du logiciel WuuuEngine,

- DIRE que pour procéder à sa mission, l'expert devra :

? Garantir la confidentialité et la non transmission des éléments relatifs au Moteur BIM 3D FinalCAD et au logiciel Wizzcad S, en ce compris les codes sources ;

? Convoquer et entendre les parties, assistées le cas échéant de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue des réunions d'expertise;

? Se faire remettre toutes les pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;

? Se faire remettre et/ou rechercher tous éléments susceptibles de permettre de quantifier l'étendue de la contrefaçon, et notamment :
o les prix de vente des logiciels et/ou des produits intégrant le logiciel argué de contrefaçon et les quantités vendues,
o le nombre de logiciels et/ou de produits intégrant tout ou partie du logiciel argué de contrefaçon,
o la période durant laquelle le logiciel argué de contrefaçon a fait l'objet de modifications ou d'une utilisation, notamment en examinant les historiques de versions, les journaux de compilation et de construction, et les versions exécutables.

? Au terme de ses opérations, remettre un pré-rapport aux parties et leur laisser l'opportunité de le commenter avant toute remise du rapport définitif au Greffe, dans le délai qu'il fixera.

- FIXER la provision destinée à l'expert;

- RESERVER l'article 700 et les dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Moyens des parties

La société Wizzcad se désiste de sa demande aux fins d'annulation de l'assignation, la société Finalcad ayant régularisé dans ses dernières conclusions au fond les irrégularités dont son acte introductif d'instance était affecté. Elle maintient en revanche sa demande aux fins de renvoi de l'affaire au fond afin qu'il soit statué par le tribunal, éventuellement en juge rapporteur, sur la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon. Elle précise qu'il s'agit de l'unique preuve dont dispose la société Finalcad au soutien de sa demande d'expertise.

Elle rappelle à cet égard qu'elle soulève dans ses conclusions au fond trois moyens de nullité de la saisie et, en premier lieu, que l'originalité du logiciel n'était pas décrite dans la requête présentée au juge et que cette irrégularité n'est pas régularisable, à la différence de l'assignation.

Elle ajoute que la société Finalcad s'est livrée à une présentation déloyale des faits en vue d'obtenir la mesure et, en particulier, qu'elle a tu au juge des requêtes sa connaissance de ce que les travaux de conception del'application "Wizzcad S" avaient commencé bien avant 2017, ce qui ressort au demeurant de son assignation. La société Wizzcad soutient encore qu'il n'est pas crédible au vu de leurs profils Linkedin de penser que les salariés, que la société Finalcad soupçonne dans sa requête de lui avoir transmis son code source, aient pu réaliser une telle opération, ce que la société Finalcad sait selon elle parfaitement.

La société Wizzcad fait enfin valoir que la "description en langage Smali" du logiciel sollicitée et obtenue sur requête par la société Finalcad consiste en réalité en une décompilation interdite par les articles L.122-6 et L.122-6-1 du code de la propriété intellectuelle, de sorte que la mesure n'était selon elle pas légalement admissible.

La société Finalcad s'oppose pour sa part au renvoi de l'affaire devant le tribunal statuant au fond et maintient sa demande d'expertise afin de lui permettre de rapporter la preuve de la contrefaçon, s'étonnant du développement de tels moyens de procédure aux fins d'éviter le débat sur la contrefaçon.

La société Finalcad maintient notamment qu'il n'est selon elle pas possible que la société Wizzcad soit parvenue à concevoir une application mettant en oeuvre BIM disponible sous Android aussi rapidement, tandis que les fonctions de ses anciens salariés n'excluent pas qu'ils aient eu accès au code source de l'application Finalcad et l'aient transmis à la société Wizzcad avant même d'entrer à son service.

Appréciation du juge de la mise en état

Aux termes des articles 145, 146 et 147 du code de procédure civile,

"S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver.

En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.

Le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant pour la solution du litige, en s'attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux."

Les moyens de nullité de la saisie contrefaçon, lequels relèvent de la compétence du tribunal ( Cass. Civ. 1ère, 6 mai 2010, pourvoi no 08-15.897, Bull. 2010, I, no 104 ; Cass. Com., 17 mars 2015, pourvoi no 13-15.862), apparaissent en l'occurrence suffisamment sérieux pour renvoyer l'examen de l'affaire au tribunal qui statuera sur ce moyen de fond et la demande d'expertise.

Les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Le juge de la mise en état,

Dit que l'affaire est renvoyée à l'audience de mise en état du :
2 juin 2022 à 14 heures
pour fixation de la date de plaidoirie au fond sur la validité de la saisie contrefaçon et la demande d'expertise (avec ou sans clôture, les parties ayant également la faculté de déposer leurs dossiers) ;

Réserve les dépens.

Faite et rendue à Paris le 10 mai 2022.

La Greffière Le Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 21/04753
Date de la décision : 10/05/2022
Type d'affaire : Civile

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2022-05-10;21.04753 ?
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