La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2018 | FRANCE | N°18/00407

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ct0087, 12 janvier 2018, 18/00407


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS 1
?
3ème chambre
3ème section

No RG 18/00407 -
No Portalis
352J-W-B7C-CMDG7
No MINUTE :
Assignation du :
12 janvier 2018

JUGEMENT
rendu le 08 novembre 2022

DEMANDERESSE
Société INTELLECTUAL VENTURES I LLC
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3] (ETATS-UNIS D'AMERIQUE)

représentée par Maître Julien FRENEAUX de la SAS BARDEHLE
PAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0390

DÉFENDERESSES
S.A. SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU RADIOTÉLÉPHONE
[Adresse 1]
[Localité

5]

représentée par Maître Michel ABELLO de la SELARL LOYER et
ABELLO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0049

Société HUAWEI TECHNOLOGIES FRAN...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS 1
?
3ème chambre
3ème section

No RG 18/00407 -
No Portalis
352J-W-B7C-CMDG7
No MINUTE :
Assignation du :
12 janvier 2018

JUGEMENT
rendu le 08 novembre 2022

DEMANDERESSE
Société INTELLECTUAL VENTURES I LLC
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3] (ETATS-UNIS D'AMERIQUE)

représentée par Maître Julien FRENEAUX de la SAS BARDEHLE
PAGENBERG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0390

DÉFENDERESSES
S.A. SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU RADIOTÉLÉPHONE
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maître Michel ABELLO de la SELARL LOYER et
ABELLO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0049

Société HUAWEI TECHNOLOGIES FRANCE,
intervenante volontaire
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentée par Maître Grégoire DESROUSSEAUX de la SCP
AUGUST et DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS,
vestiaire #P0438Décision du 08 novembre 2022

3ème chambre 3ème section
No RG 18/00407 - No Portalis 352J-W-B7C-CMDG7
Page 2

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe
Arthur COURILLON-HAVY, juge
Linda BOUDOUR, juge
assistés de Lorine MILLE, greffière

DEBATS
A l'audience du 01 juin 2022 tenue en audience publique, avis a été donné aux
parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11
octobre 2022 et prorogé au 08 novembre 2022.

JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :
1. La société de droit américain Intellectual Ventures I LLC appartient au
groupe Intellectual Ventures, spécialisé depuis sa création en 2000, dans
l'acquisition et l'exploitation d'inventions. Le groupe se présente comme
particulièrement actif dans le domaine des réseaux de télécommunications.
2. La société Intellectual Ventures I est ainsi la titulaire inscrite du brevet
européen désignant la France EP 1 327 374 (ci-après "EP'374") ayant pour
titre "Priorités des services dans un réseau multi-cellulaire". Ce brevet,
déposé le 9 octobre 2001 par la société Nokia Corporation, est issu d'une
demande internationale PCT WO 02/32160 revendiquant la priorité de quatre
demandes anglaises. En cours de procédure, la propriété de la demande a été
cédée à la société Spyder Navigations L.L.C. aux droits de laquelle se trouve
aujourd'hui la société Intellectual Ventures I. La publication de la délivrance
de ce brevet est intervenue le 22 juillet 2009 . Ce brevet a expiré le 9 octobre
2021.
3. Convaincue que la Société Française du Radiotéléphone (SFR), l'un des
principaux opérateurs de télécommunications en France, exploitait l'invention
protégée par ce brevet dans le cadre de son réseau, au moyen de la
transmission par ses stations de base équipées des technologies 2G; 3G et 4G,
aux équipements d'utilisateurs d'un message rrcConnexionRelease contenant
une table de priorité attribuant à ces appareils une fréquence porteuse associée
à une technologie (GSM, 3GPP ou LTE) en fonction de leur marque de classe
(ce qui correspond selon elle à la table de priorité 2 du brevet "mode inactif),
la société Intellectual Ventures I l'a, par acte d'huissier délivré le 12 janvier
2018, assignée devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des
revendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP 374.
4. La Société Huawei Technologies France, fournisseur des équipements de
réseau de la société SFR est intervenue volontairement à l'instance par des
conclusions du 22 mai 2018, tandis que la société SFR a, par actes d'huissier
du 28 mai 2018, fait assigner les sociétés Alcatel Lucent International et Nokia
Solutions and Networks, également fournisseurs d'équipements de réseau, en
intervention forcée, afin d'obtenir leur garantie pour le cas où des
condamnations viendraient à être prononcées à son encontre.
5. Ces deux sociétés ayant conclu un accord de licence avec la société Intellectual
Ventures I, la société SFR a alors signifié des conclusions de désistement
partiel d'instance à l'égard des sociétés Nokia Solutions And Networks et
Alcatel Lucent International. Les désistements ont été constatés par une
ordonnance du juge de la mise en état du 6 novembre 2020.
6. Dans ses dernières conclusions no8 notifiées électroniquement le 11 mai
2022, la société INTELLECTUAL VENTURES I, demande au tribunal,
Vu l'article 64 de la Convention de Munich sur le brevet européen et les
articles L.613-3, L.613-4, L.614-7 et s, et L.615-1 du code de la propriété
intellectuelle, de :
- Déclarer irrecevables ou à tout le moins infondées, les demandes de
la Société Française du Radiotéléphone – SFR et de la société Huawei
Technologies France en nullité des revendications 1 et 15 de la
partie française du brevet européen EP 1 327 374 ; les en
débouter ;
- Dire qu'en exploitant en France, entre le 12 janvier 2013 et le 9
octobre 2021, un réseau de télécommunication mobile supportant
notamment la technologie 4G, la Société Française du Radiotéléphone
– SFR a commis des actes de contrefaçon par utilisation du procédé
objet de la revendication 1 de la partie française du brevet européen EP
1 327 374 appartenant à la société Intellectual Ventures I ;
- Dire qu'en fabricant, utilisant et détenant à cette fin en France, entre
le 12 janvier 2013 et le 9 octobre 2021, un réseau de télécommunication
mobile supportant notamment la technologie 4G, la Société Française
du Radiotéléphone – SFR a commis des actes de contrefaçon de la
revendication 15 de la partie française du brevet européen EP 1 327 374
appartenant à la société Intellectual Ventures I ;
- Donner acte à la société Intellectual Ventures I de ce que ses
demandes à l'encontre de la Société Française du Radiotéléphone –
SFR pour contrefaçon de la partie française du brevet EP 1 327 374
ne s'étendent pas à des équipements de communication (à
l'exclusion des Terminaux Cellulaires), logiciels ou services de la
Société Nokia Corporation et de ses filiales, y compris Alcatel Lucent
International et Nokia Solutions and Networks France (ci-après
collectivement désignées "Nokia"), considérés seuls ou dans toute
éventuelle combinaison arguée de contrefaçon dans laquelle ils
reproduisent l'un quelconque des éléments de l'une quelconque des
revendications invoquées (y compris dans le cas où ils réalisent une
étape d'une revendication de procédé), dans la mesure où lesdits
équipements de communication, logiciels ou services ont été
fabriqués, utilisés, vendus, offerts à la vente, loués, importés ou
distribués par Nokia, ou dans la mesure où Nokia les a fait fabriquer ;
- Donner acte à la société Intellectual Ventures I de ce que la
limitation de l'étendue de ses demandes à l'encontre de la Société
Française du Radiotéléphone – SFR, telle que formulée ci-dessus, ne
bénéficie en aucun cas aux produits d'autres fournisseurs, y compris
la société Huawei Technologies France, et/ou à l'utilisation de tels
produits ;
- Condamner la Société Française du Radiotéléphone – SFR à payer
à la société Intellectual Ventures I des dommages et intérêts au titre
des actes de contrefaçon des revendications 1 et 15 de la partie française
du brevet EP 1 327 374 qu'elle a commis au cours de la période du 12
janvier 2013 au 9 octobre 2021 ;
Avant dire droit sur le montant des dommages et intérêts :
§ Ordonner à la Société Française du Radiotéléphone – SFR de
communiquer à la société Intellectual Ventures I, sous astreinte de
50.000 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à
intervenir, la part que représente, dans le nombre total de stations de
base en service dans son réseau mobile au cours de la période du 12
janvier 2013 au 9 octobre 2021, le nombre de celles qui lui ont été
fournies par des sociétés autres que Nokia Corporation et ses filiales ;
§ Commettre tel expert qu'il plaira au tribunal de désigner, aux frais
avancés de la Société Française du Radiotéléphone – SFR, avec pour
mission de vérifier l'exactitude et l'exhaustivité des informations
communiquées par cette dernière en exécution du jugement à
intervenir ;
Dans l'attente de l'issue des mesures de droit d'information et d'expertise,
- Condamner d'ores et déjà la Société Française du Radiotéléphone –
SFR à payer à la société Intellectual Ventures I la somme de
30.000.000 € à titre de provision à valoir sur le montant des dommages
et intérêts ;
- Ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir
dans cinq journaux ou magazines au choix de la société Intellectual
Ventures I, et aux frais la Société Française du Radiotéléphone – SFR,
dans la limite de 15.000,00 € HT par insertion ;
- Ordonner à la Société Française du Radiotéléphone – SFR d'afficher
en page d'accueil du site internet www.sfr.fr un encart occupant au
moins 10% de la surface de la page d'accueil au-dessus de la ligne de
flottaison et contenant le lien hypertexte suivant : "Publication Judiciaire
: condamnation de la société SFR pour contrefaçon du brevet EP 1 327
374 appartenant à la société Intellectual Ventures I ", lequel lien
devra renvoyer vers une copie intégrale de la minute du jugement à
intervenir, et ce pendant une durée de deux mois sous astreinte de 50.000
€ par jour de retard à compter de la signification du jugement à
intervenir;
- Déclarer irrecevables, et en tout cas infondés, l'ensemble des moyens,
fins, conclusions et demandes des sociétés SFR et Huawei Technologies
France ; les en débouter ;
- Condamner in solidum la Société Française du Radiotéléphone – SFR
et la société Huawei Technologies France à payer la somme de 600.000
€ à la société Intellectual Ventures I, sur le fondement de l'article 700
du code de procédure civile ;
- Ordonner l'exécution provisoire des condamnations qui seront
prononcées contre les sociétés SFR et Huawei Technologies France ;
- Condamner in solidum la Société Française du Radiotéléphone – SFR
et la société Huawei Technologies France aux entiers dépens, qui
pourront être directement recouvrés par la Sas Spe Bardehle Pagenberg,
Avocats, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
7. Dans ses dernières conclusions no8 notifiées par la voie électronique le 24
mai 2019, la société Huawei Technologies France demande quant à elle au
tribunal, au visa des articles L. 613-2, L. 613-3, L. 614-12 du code de la
propriété intellectuelle, 138(1)a), 54 (1) (2), 138(1)b) et 56 de la Convention
de Munich, 2224 du code civil et 699 et suivants du code de procédure
civile, de :
- Annuler les revendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP
1 327 374 ;
- Dire que l'invention objet du brevet EP 1 327 374 est insuffisamment
décrite ou à tout moins que les revendications 1 et 15 de la partie
française du brevet EP 1 327 374 sont dénuées de nouveauté ou
d'activité inventive, ;
- Dire que la Société Française du Radiotéléphone n'a commis aucun
acte de contrefaçon des revendications 1 et 15 du brevet EP 1 327 374
;
Par conséquent,
- Débouter la société Intellectual Ventures I de l'ensemble de ses
moyens, fins et prétentions;
En tout état de cause,
- Condamner la société Intellectual Ventures I à payer à la société
Huawei Technologies France la somme de 600 000 euros au titre de
l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Intellectual Ventures I aux entiers dépens dont
distraction au profit de Maître Desrousseaux en application de l'article
699 du code de procédure civile;
- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, en ce qui
concerne la condamnation de la société Intellectual Ventures I à payer à
la société Huawei Technologies France les frais et les dépens,
nonobstant appel et sans constitution de garantie.
8. Dans ses dernières conclusions no6 notifiées électroniquement le 27 avril
2022, la société SFR demande au tribunal, au visa des articles L.613-2,
L.613-3, L.614-12 du code de la propriété intellectuelle, 138 (1) a) et b),
54 (1) (2) et 56 de la Convention de Munich, 2224 du code civil, de :
A titre principal
- Dire que les revendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP
1 327 374 sont nulles pour insuffisance de description, défaut de
nouveauté et d'activité inventive,
- Ordonner l'inscription de la décision à intervenir sur le Registre
National des Brevets dès qu'elle sera devenue définitive, sur réquisition
du Greffe ou à la requête de la partie la plus diligente et aux frais de la
société Intellectual Ventures I,
- Dire que l'action en contrefaçon fondée sur le brevet EP 1 327 374 est
irrecevable pour les faits antérieurs à l'inscription de la transmission du
brevet au registre national des brevets, soit le 8 février 2016,
- Dire que l'action en contrefaçon fondée sur le brevet EP 1 327 374 est
irrecevable à l'égard de tout produit ayant été fourni à la Société
Française du Radiotéléphone -SFR par la société Alcatel Lucent
International, la société Nokia Solutions and Networks France, ou toute
autre société appartenant au groupe Nokia, en raison de l'épuisement des
droits,
- Dire que la société Intellectual Ventures I ne démontre pas la
contrefaçon des revendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP
1 327 374,
En conséquence,
- Débouter la société Intellectual Ventures I de l'ensemble de ses
demandes, comme étant irrecevables et à tout le moins mal fondées,
Pour le surplus
- Condamner la Société Intellectual Ventures I à payer à la Société
Française du Radiotéléphone - SFR la somme de 260.000 euros au titre
de l'article 700 du code de procédure civile, quitte à parfaire ;
- Condamner la société Intellectual Ventures I aux entiers dépens qui
seront directement recouvrés par Maître Abello en application de
l'article 699 du code de procédure civile;
- Ordonner l'exécution provisoire de la seule condamnation au titre
de l'article 700 du code de procédure civile, nonobstant appel et sans
constitution de garantie.
9. L'instruction de l'affaire a été clôturée le 30 mai 2022 et l'affaire plaidée à
l'audience du 1 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION
1o) Présentation du brevet EP 1 327 374
10. Selon le paragraphe [0001] de la partie descriptive du brevet, l'invention
concerne les réseaux de communication sans fil exploitant plusieurs normes
de communication et en particulier, mais pas exclusivement, les fonctionnalités
de 2 et 3 génération. ème ème
11. Le paragraphe [0002] du fascicule enseigne que dans un proche avenir, les
réseaux mobiles de deuxième génération (2G) seront complétés et
partiellement remplacés par des réseaux mobiles de troisième génération
(3G), ce qui entraînera la passage d'une situation où la norme 2G est la seule
technologie de réseaux mobiles, à une situation où coexistent deux technologies
de réseaux mobiles dominantes, la 2G et la 3G. En Europe par exemple, on
passera d'une situation où le GSM est la norme dominante à une situation où
le GSM et le 3GPP (3rd Generation Partnership Project) seront les normes
dominantes.
12. Ainsi, un opérateur de réseau devra, à l'avenir, proposer un réseau mobile
basé sur les technologies GSM et 3GPP, où la technologie 3GPP pourra
être déployée en utilisant plusieurs porteuses 3GPP à 5 MHz. De même,
la taille des cellules dans les deux normes (GSM et 3GPP) peut différer, allant
des pico-cellules et des micro-cellules en intérieur ou au niveau de la rue,
jusqu'aux grandes macro-cellules. Il conviendra alors que l'opérateur décide
comment desservir le trafic demandé avec les différentes technologies de
réseau et les types de cellules disponibles (paragraphe [0003]) avec comme
objectif de maximiser le nombre d'utilisateurs desservis et d'assurer une certaine
probabilité de couverture prédéfinie dans la zone de couverture (paragraphe
[0004]).
13. Selon le paragraphe [0006], dans les systèmes proposés actuellement,
l'opérateur doit s'appuyer sur des algorithmes de sélection de cellule ou
de transfert intercellulaire fournis par le fabricant, ce qui peut ne pas aboutir
à une répartition satisfaisante des différents types de connexions dans les
technologies et les types de cellules disponibles du point de vue de l'opérateur.
(Voir également paragraphe [0035])
14. Aussi, selon le paragraphe [0011], un objet de la présente invention est de
proposer une technique améliorée de sélection d'une cellule cible dans un
système de communication sans fil prenant en charge plus d'une norme de
communication.
15. A cette fin, le paragraphe [0012] poursuit en indiquant que l'invention propose
un procédé pour déterminer une attribution de cellule pour un utilisateur
dans un réseau sans fil, le réseau comportant une pluralité de types de
cellules et les utilisateurs ayant au moins l'un d'une pluralité de types de
services, comprenant l'établissement d'une table de priorités comprenant,
pour chaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule.
16. Selon le paragraphe [0026], le premier type de table de priorités peut être
utilisé pour déterminer une attribution de cellule pour un équipement
d'utilisateur connecté au réseau, tandis que le second type de table de
priorités peut être utilisé pour déterminer une attribution de cellule pour un
équipement d'utilisateur qui est inactif (paragraphe [0029]).
17. Selon le paragraphe [0032] L'invention propose par conséquent une table de
priorités qui permet à un opérateur de réseau d'associer facilement
différents types de connexions demandées à une technologie et un type de
cellule priorisés. La table de priorités est de préférence utilisée en mode
inactif ou en mode connecté quand l'équipement d'utilisateur effectue une
sélection de cellule ou un transfert intercellulaire.
18. Au paragraphe [0033], la description précise que, pour maximiser le nombre
d'utilisateurs desservis, les différents types de connexions doivent être
desservis dans un type de cellule et avec une technologie qui le permettent.
A cette fin, l'invention propose une table de priorités qui permet à
l'opérateur d'associer facilement différents types de connexions demandées
à une technologie et un type de cellule priorisés. La table de priorités sera
alors utilisée en mode inactif ou en mode connecté quand un équipement
d'utilisateur effectue une sélection de cellule (mode inactif) ou un transfert
intercellulaire (mode connecté).
19. A partir du paragraphe [0037], la description enseigne deux exemples qu'elle
présente comme non limitatifs. L'exemple choisi est celui d'un réseau ayant
à la fois des services 2G (GSM) et 3G (3GPP) et prenant également en charge
des services 2G améliorés (de type EDGE). En outre, pour chacun des services,
l'exemple suppose que le réseau fournit à la fois des micro-cellules et des
macro-cellules. Selon le paragraphe [0038] la figure 1 illustre une couverture
comportant trois cellules GSM ainsi qu'une couverture cellulaire 3GPP à
l'intérieur de chaque cellule GSM. Dans l'exemple, on suppose que la
couverture 3GPP est plus restreinte que la couverture GSM. Chacune des
cellules 3GPP est prise en charge par une station de base. Les stations de
base GSM peuvent également prendre en charge des opérations GSM
améliorées, de type EDGE par exemple. En outre, la structure cellulaire
proprement dite, pour chaque type de norme, peut varier. Par exemple,
certaines cellules peuvent combiner des micro-cellules et des macro-cellules.
20. Selon le paragraphe [0040], l'équipement de l'utilisateur (en principe un
téléphone mobile) se trouve à l'intérieur de la zone de couverture cellulaire
GSM et 3GPP et peut donc potentiellement être connecté au réseau en
utilisant l'une ou l'autre norme. Un objet de la présente invention est donc de
veiller à ce que l'équipement de l'utilisateur se connecte au réseau en
utilisant celle des normes de réseau qui est la plus appropriée pour
optimiser l'efficacité générale du réseau. Les paragraphes suivants [0041] à
[0046] décrivent les éléments de réseau aptes à mettre en oeuvre le procédé.
21. Les paragraphes [0048] et [0049] décrivent ensuite le procédé en ces termes :
chaque table de priorités, spécifique à une cellule, recense tous les types
de services disponibles dans le réseau (voix, navigation sur internet,
synchronisation des applications,...) en fonction de tous les types de cellules
disponibles dans le réseau, et attribue une priorité à chacune de ces cellules
données pour chacun de ces types de services donnés. La table de priorités
est définie pour être spécifique à une cellule. Si un équipement d'utilisateur
nécessitant un certain type de service est actuellement connecté à une cellule
donnée et peut être connecté, par transfert intercellulaire, à plus d'un type de
cellule, la cellule est choisie conformément à la table de priorités définie
pour la cellule dans laquelle l'équipement d'utilisateur est actuellement
connecté.
22. En mode inactif, l'équipement d'utilisateur est allumé mais le canal qui
transmet des informations d'utilisateur (par exemple le canal de
conversation) n'est pas établi. Le réseau de base, et plus spécifiquement
le centre de commutation mobile, connaît la zone de localisation de
l'équipement d'utilisateur inactif, laquelle zone se compose d'un groupe de
cellules. En mode inactif, l'équipement d'utilisateur (UE) est domicilié dans une
cellule donnée et si l'équipement d'utilisateur inactif se déplace dans le réseau,
le contrôleur de réseau radio (RNC) ou le contrôleur de station de base (BSC)
sélectionne la nouvelle cellule dans laquelle l'UE sera domicilié. Ce
processus est appelé sélection de cellule. En mode inactif, l'UE doit écouter les
messages de recherche émanant du réseau et envoyer au réseau de base une
actualisation de sa zone de localisation. (Paragraphe [0051])
23. En mode « connecté », un canal pour transmettre des informations
d'utilisateur est établi. Le réseau de base connaît spécifiquement l'emplacement
de la cellule de l'UE et un transfert intercellulaire intervient quand un UE
change de cellule. (paragraphe [0053]) Dans le mode connecté, comme dans
le mode inactif, l'UE effectue des mesures (de transfert intercellulaire et de
sélection de cellule) et les envoie au contrôleur de réseau radio (RNC) ou au
contrôleur de station de base (BSC), lequel décide ensuite à quelle cellule l'UE
doit être associé. (paragraphe [0054] De ce fait, en mode connecté comme
en mode inactif, il convient d'effectuer une attribution de cellule, soit pour
la sélection de cellule dans le mode inactif, soit pour le transfert
intercellulaire dans le mode connecté. (Paragraphe [0052])
24. Le paragraphe [0056] présente ensuite une table de priorité (tableau 1 ci-
dessous), pour un équipement d'utilisateur connecté, laquelle présente, en
ordonnée, les différents types de cellules et, en abscisse, les différents types de
services disponibles :
25. Le paragraphe [0056] décrit encore un exemple d'attribution de cellule au moyen
de la table de priorités présentée dans le tableau 1 ci-dessus : Conformément
aux techniques connues de transfert intercellulaire, l'UE renvoie des mesures
de cellules au contrôleur de station de base 18 lequel détermine que trois
cellules renvoient des valeurs de mesure qui sont suffisamment bonnes pour
effectuer un transfert : une micro-cellule GSM, une micro-cellule EDGE et une
micro-cellule 3GPP. (paragraphe [0057]) Comme l'UE est actuellement connecté
dans une micro-cellule GSM spécifique, le contrôleur de station de base
compare le type des cellules disponibles à la table de priorités de cette
cellule. En référence à cette table (le tableau 1 ci-dessus), le BSC examine la
colonne 5, qui correspond à l'usage de l'équipement en cours (ici interactif 32
kbit/s). Cette colonne 5 indique que les trois cellules disponibles pour le
transfert intercellulaire correspondent à des cellules ayant des priorités de
1 (micro-cellule EDGE), 3 (micro-cellule 3GPP) et 5 (micro-cellule GSM).
Sur cette base, la cellule ayant la priorité la plus élevée pour le transfert
intercellulaire est donc la micro-cellule EDGE et par conséquent, c'est cette
cellule qui est sélectionnée pour le transfert qui s'effectue par l'intermédiaire du
contrôleur de station de base.
26. Le tableau 2 correspond à une table de priorité établie pour un équipement
d'utilisateur en mode inactif ; il comporte, en ordonnée, les différents types de
cellules et, en abscisse, les normes que l'équipement peut prendre en charge :
27. Les paragraphes [0062] et suivants récapitulent ensuite l'invention à savoir que
l'équipement d'utilisateur effectue des mesures de sélection de cellule (mode
inactif) ou de transfert intercellulaire (mode connecté), qu'il envoie au contrôleur
de station de base ou au contrôleur de réseau radio, lequel sélectionne alors la
cellule cible en utilisant les tables de priorités décrites ci-dessus (mode inactif
ou mode connecté), en commençant par le type de cellule ayant la priorité la plus
élevée dans la colonne correspondant au service recherché (ou à la norme prise
en charge en mode inactif) et l'équipement utilisateur est alors connecté à cette
cellule (si cette cellule figurait dans le rapport de mesures de l'équipement
d'utilisateur). Dans le cas contraire, la priorité suivante est alors sélectionnée et,
si aucune des cellules de la liste de priorités ne figure dans le rapport de mesures
de l'équipement d'utilisateur, il n'est pas tenu compte de l'étape d'attribution
basée sur le service et les autres critères de sélection de la meilleure cellule sont
appliqués (paragraphes [0021] et [0066] in fine).
28. Aux fins de l'invention, le brevet comporte 24 revendications dont seules sont
opposées les revendications 1 et 15 suivantes :
1. Procédé pour déterminer une attribution de cellule pour un utilisateur
dans un réseau sans fil, le réseau comportant une pluralité de types de
cellules et les utilisateurs ayant au moins l'un d'une pluralité de types de
services, comprenant l'établissement d'une table de priorités comprenant,
pour chaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule.
15. Réseau de communication sans fil comportant une pluralité de types
de cellules pour prendre en charge des utilisateurs ayant au moins l'un
d'une pluralité de types de services, dans lequel on établit une table de
priorités dans laquelle, pour chaque type de service, une priorité est
définie pour chaque type de cellule.

2o) Sur la validité du brevet contestée en défense
Moyens des parties
29. La société Huawei Technologies France conclut à la nullité manifeste du brevet
EP'374. Elle rappelle d'abord que la description et les revendications enseignent
une méthode pour l'attribution d'une cellule cible au moyen de l'élaboration
d'une table de priorités. Or, elle soutient que l'homme du métier se trouve, à la
lecture du fascicule de brevet, qui n'enseigne aucune étape supplémentaire
suivant l'établissement de la table de priorités, dans l'incapacité de réaliser
l'invention en présence de plusieurs cellules de type et de technologie
identiques. Elle soutient en effet que la description et les exemples ne divulguent
que des hypothèses dans lesquelles les cellules sont toutes de types et de
technologies différents, tandis que la société Intellectual Ventures I se dispense
de fournir au tribunal la documentation technique appartenant selon elle aux
connaissances générales de l'homme du métier et qui lui permettrait de
sélectionner une cellule cible parmi plusieurs cellules cibles du même type (taille
et technologie). Elle ajoute que l'argument tiré de mesures complémentaires
réalisées par l'équipement d'utilisateur après l'élaboration et l'envoi de la table,
à la supposer techniquement envisageable (ce qui n'est selon elle pas le cas)
n'est de toutes façons pas décrite par le brevet EP'374.
30. La société Huawei Technologies France fait également valoir que le brevet est
en tout état de cause dépourvu de nouveauté, au regard notamment du document
US'581, qui ne se distingue selon elle du brevet EP'374 que par de simples
représentations graphiques. Elle soutient en effet que le document US'581
enseigne un "organigramme" d'attribution de cellule en fonction des capacités
du téléphone et de la taille de la cellule, dont elle propose une présentation sous
la forme d'un tableau à double entrée, en tous points identiques selon elle à la
table de priorité enseignée par le brevet EP'374 lorsque l'équipement
d'utilisateur est en mode inactif. Elle précise que la partie allemande du brevet
EP'374 a été annulée sur la base de ce document dont les juges allemands ont
considéré qu'il était destructeur de la nouveauté du brevet.
31. Cette société ajoute que, pour le cas où le tribunal ne serait pas convaincu du fait
que l'homme du métier serait parvenu à l'élaboration d'une table de priorités en
mode connecté au moyen du seul document US 581, il lui suffirait alors de
considérer que celui-ci aurait nécessairement combiné le document US'581
avec la demande PCT noWO 95/07010 publiée le 9 mars 1995 (document Leih),
ayant pour titre "Système de communication mobile sélectionnant des domaines
disponibles", et qui divulgue l'établissement d'une liste de "préférences"
d'attribution de "domaine" selon le type de services supportés. La société
Huawei Technologies France en déduit que, combinant ce document, qui
enseigne l'établissement d'une table de priorités d'attribution de cellule en
fonction du type de services, l'homme du métier serait parvenu à l'invention
revendiquée, laquelle se trouve ainsi selon elle dépourvue de toute activité
inventive.
32. La société SFR déclare faire sienne l'argumentation de la société Huawei
technologies Franceaux fins d'obtenir l'annulation des revendications opposées
du brevet EP'374.
33. La société Intellectual Ventures I demande quant à elle au tribunal d'écarter
l'ensemble des moyens de nullité du brevet EP'374. Elle soutient en premier lieu
que le fascicule de brevet ne prétend à aucun moment que l'établissement de la
table de priorité soit en lui-même suffisant pour la détermination d'une seule et
unique cellule cible. Elle ajoute que dans une hypothèse telle que celle visée par
les défendeurs (présence de plusieurs cellules de type et de technologie
identiques), l'opérateur doit réaliser des opérations supplémentaires que
l'homme du métier trouverait selon elle aisément dans les techniques connues,
lesquelles sont indique-t'elle au demeurant décrites dans le brevet, sous la forme
d'une mesure, par l'équipement d'utilisateur, de l'intensité des signaux reçus
des cellules transmise par la station de base.
34. La société Intellectual Ventures I conclut également à la nouveauté du brevet
EP'374 au regard du document US'581. Elle rappelle que ce document est cité
dans la description au titre de l'état de la technique et que l'OEB a considéré
qu'il ne détruisait pas la nouveauté du présent brevet. La société Intellectual
Ventures I soutient à cet égard que le document US'581 ne divulgue une
attribution de cellule qu'en fonction de la taille de cette cellule et non de sa
technologie, non plus que de la fréquence porteuse qu'elle utilise. Elle ajoute que
la sélection de cellule enseignée par le brevet US'581 ne s'effectue pas sur la
base d'une table de priorités mais selon un parcours, mis en oeuvre au moyen
d'un algorithme HCS, au sein d'un arbre décisionnel comprenant des tests à
réaliser suivant l'ordre des couches défini en fonction des capacités du terminal
mobile. Elle en déduit que l'arbre décisionnel enseigné par ce brevet américain
n'est pas une table de priorités au sens du brevet EP'374, lequel ne souffre
d'aucune absence de nouveauté.
35. Elle soutient que les autres documents invoqués ne sont pas davantage
destructeurs de nouveauté. Ainsi, le document EP'798 concerne l'établissement
d'une table de priorité concernant une unique technologie (GSM ou 2G) ayant
deux fréquences porteuses possibles (GSM 900 et GSM 1800 dite aussi DCS),
ce qui ne correspond pas à la pluralité de types de cellules enseignée par le
brevet. La société Intellectual Ventures I ajoute que la sélection opérée par le
brevet EP'798 n'est pas fonction d'une pluralité de types de services au sens du
brevet mais de la vitesse de déplacement de l'équipement d'utilisateur (slow ou
fast).
36. La société Intellectual Ventures I conclut de la même manière à l'absence de
pertinence du document Leih qui ne concerne que la technologie 2G et ne
divulgue aucun réseau comportant une pluralité de types de cellule, mais un
réseau mettant en oeuvre deux cellules identiques. Il ne peut dès lors enseigner
une table de priorité au sens du brevet EP'374. Le document EP'006 enfin, n'a
pas le même objet que le présent brevet puisqu'il décrit une procédure de
transfert, à l'intérieur d'un réseau dans lequel est progressivement déployé une
nouvelle technologie telle que la 3G, d'une unité mobile d'une cellule mettant
en oeuvre la technologie 2G vers la cellule plus appropriée. Ce document ne
distingue pas les cellules selon leur taille et leur fréquence porteuse, ni
n'enseigne l'établissement d'une liste de priorités au sens du brevet.
37. Selon la société demanderesse, aucun de ces documents, même en les
combinant, n'aurait permis à l'homme du métier de parvenir à l'invention
revendiquée, laquelle n'avait donc, pour ce dernier, rien d'évident.

Appréciation du tribunal
á - Sur l'insuffisance de description
38. Aux termes de l'article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, "La
nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par
décision de justice pour l'un quelconque des motifs visés à l'article 138,
paragraphe 1, de la Convention de Munich." Selon l'article 138 "Nullité des
brevets européens" de cette Convention "(1) Sous réserve de l'article 139, le
brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant,
que si :
a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52
à 57 ;
b) le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisamment
claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ;"
39. Il est en outre rappelé que l'article 83 "Exposé de l'invention" de la Convention
prévoit que "L'invention doit être exposée dans la demande de brevet européen
de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse
l'exécuter."
40. Ces dispositions sont constamment interprétées en ce sens qu'une invention est
suffisamment décrite lorsque l'homme du métier est en mesure, à la lecture de
la description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, théoriques
et pratiques, d'exécuter l'invention ( Cass. Com 23 mars 2005, pourvoi no 03-
16.532 ; Cass. Com., 20 mars 2007, pourvoi no 05-12.626, Bull. 2007, IV, no
89 ; Cass. Com., 13 novembre 2013, pourvoi no 12-14.803, 12-15.449).
41. Le fait que certains éléments indispensables au fonctionnement de l'invention ne
figurent ni explicitement dans le texte des revendications ou de la description,
ni dans les dessins représentant l'invention revendiquée, n'implique pas
nécessairement que l'invention n'est pas exposée dans la demande de façon
suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter,
dès lors que ces éléments indispensables appartiennent à ses connaissances
générales (Cass. Com., 23 janvier 2019, pourvois no 17-14.673 et 16-28.322 :
dans cette affaire le diagramme fer-carbone, qui fournit avec précision la
température de fusion des fontes et des aciers en fonction de leur teneur en
carbone, a été retenu comme appartenant aux connaissances générales de
l'homme du métier pouvant compléter les enseignements du brevet).
42. L'homme du métier est celui du domaine technique où se pose le problème que
l'invention, objet du brevet, se propose de résoudre (Cass. Com., 20 novembre
2012, pourvoi no11-18.440). L'objet du brevet EP'374 étant de proposer une
technique "améliorée" de sélection d'une cellule cible dans un système de
communication sans fil prenant en charge plus d'une norme de communication
(cf paragraphe [0011]), il s'agit ici d'un ingénieur spécialiste des technologies
de communication mises en oeuvre dans les réseaux de téléphonie mobile.
43. Il est au cas particulier rappelé que "l'invention propose un procédé pour
déterminer une attribution de cellule pour un utilisateur dans un réseau
sans fil, le réseau comportant une pluralité de types de cellules et les
utilisateurs ayant au moins l'un d'une pluralité de types de services,
comprenant l'établissement d'une table de priorités comprenant, pour
chaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule." (Cf
paragraphe [0012] de la description et revdnication 1) Dit autrement, le brevet
propose, en fonction du type de services utilisé par un équipement mobile se
trouvant à un moment donné au sein d'une même zone couverte par des cellules
de différents "types", l'attribution d'une cellule, après établissement d'une liste
de cellules classées par ordre de "priorité".
44. Certes, ainsi que le relèvent les sociétés défenderesses, le brevet ne décrit pas
l'attribution d'une cellule dans le cas où au moins deux cellules sont de même
"type", c'est à dire de même taille et supportant une technologie identique, et qui
seraient dès lors classées avec le même ordre de priorité par la table. Dans tous
les exemples fournis, les cellules sont en effet toutes de "types" différents.
45. Force est toutefois de constater que le fascicule de brevet (paragraphe [0008])
rappelle l'art antérieur le plus proche et en particulier le document US'386 qui
enseigne l'établissement d'une structure hiérarchique de cellule, sur la base de
la force du signal de leurs canaux respectifs, et qu' "une décision sur la cellule
offrant la meilleure desserte pour la station mobile (l'équipement d'utilisateur)
est prise sur la base à la fois de la valeur préférentielle des cellules associées
et de l'intensité de signal de leurs canaux radio respectifs".
46. Le paragraphe [0021] du brevet EP'374 mentionne en outre l'étape de réalisation
des mesures d'intensité de signal des cellules et de détermination des valeurs de
seuil, tandis que la paragraphe [0066] rappelle que dans la situation inverse à
celle évoquée par les sociétés défenderesses (aucune cellule attribuée par la
"table" ne figure dans le rapport de mesures de l'équipement d'utilisateur) il
n'est pas tenu compte de l'étape d'attribution basée sur le service (enseignée ici
par le brevet EP'374 aux fins d'optimisation du réseau) et "on applique les
autres critères de sélection de la meilleure cellule", c'est à dire en fonction,
notamment, de la force du signal radio ( US'386).
47. Il en résulte que, dans un tel cas, l'homme du métier doit effectivement réaliser
une étape supplémentaire de sélection pour parvenir à l'attribution d'une cellule
décrite et revendiquée par le fascicule du brevet EP'374, laquelle n'est pas
spécialement décrite, mais se trouve, ainsi que le fait valoir à juste titre la société
Intellectual Ventures I, connue de lui, et au demeurant mentionnée ici au titre de
l'art antérieur le plus proche (document US'386).
48. Il doit en être déduit que le brevet expose l'invention de façon suffisamment
claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. Ce grief de
nullité est donc écarté.
â - Sur l'absence de nouveauté
49. Il résulte de l'article 54 "Nouveauté" de la Convention sur le brevet européen qu'
"Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans
l'état de la technique."
50. En application de ces dispositions, l'élément de l'art antérieur n'est destructeur
de nouveauté que s'il renferme tous les moyens techniques essentiels de
l'invention dans la même forme, le même agencement et le même
fonctionnement en vue du même résultat technique. L'antériorité, qui est un fait
juridique dont l'existence, la date et le contenu doivent être prouvés par tous
moyens par celui qui l'invoque, doit être unique et être révélée dans un document
unique dont la portée est appréciée globalement.
51. Les sociétés défenderesses invoquent à cet égard le document US'581 du 10 juin
1997 ayant pour titre "Structures cellulaires hiérarchiques sur mesure dans un
système de communication", qui propose un procédé de sélection d'une cellule,
parmi une pluralité de cellules ayant des zones de service différentes les unes par
rapport aux autres, destinée à être utilisée par une unité mobile (revendication
1 du brevet US'581), aux fins d'optimisation globale du réseau, une cellule étant
attribuée en fonction des caractéristiques du mobile et les fonctionnalités des
cellules (dernier paragraphe de la partie "arrière-plan de la description).
52. Ce document enseigne en particulier que les cellules sont définies par leur taille
(micro, macro,...) et le standard supporté (GSM, GPRS,...) et affectées à une
"couche" (layer). Les unités mobiles sont quand à elles affectées à une "couche"
en fonction de leur "classe" (c'est à dire en fonction notamment de la norme
avec laquelle ils sont compatibles : GPRS, GSM).
53. En outre, ainsi que le font valoir à juste titre les sociétés défenderesses, la figure
2a de ce brevet US'581 peut être également représentée sous la forme d'une
"table de priorités" telle qu'enseignée par le brevet EP'374 (cf les conclusions
de la société Huawei Technologies France no171 page 50 et ci-dessous la figure
2a du brevet US'581 et la conversion de cette figure en tableau proposée par la
société Huawei Technologies France) :
54. Le tribunal ne peut donc que constater que le document US'581 enseigne une
attribution de cellule pour un équipement d'utilisateur, dans un réseau
comprenant une pluralité de types de cellules (la revendication, ni d'ailleurs la
description, ne contenant aucune autre précision qui pourrait amener à la
conclusion que la notion de "type" de cellule serait différente dans les deux
documents) et les équipements d'utilisateurs ayant l'un au moins d'une pluralité
de types de service (sans davantage de précision tandis que les deux documents
envisagent exactement le même exemple en fonction de la norme supportée par
le mobile), et comprenant l'établissement d'une liste de priorités comprenant
pour chaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule.
55. En définitive, les documents ne se distinguent que par une étape de "découpage"
supplémentaire du procédé (l'établissement d'une "table"), étape qui en elle-
même n'apporte rien à l'invention qui dans les deux cas consiste à attribuer,
pour chaque type de service, une priorité pour chaque type de cellule.
56. Il en résulte que le brevet US'581 renferme tous les moyens techniques
essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même
fonctionnement, en vue du même résultat technique. Le moyen de nullité tiré du
défaut de nouveauté des revendications 1 de procédé et 15 de dispositif (en tous points identique à l'exclusion de la "table") du brevet EP'374 doit donc être
accueilli.
57. L'annulation des revendications opposées 1 et 15 du brevet EP'374 prive de
fondement les demandes au titre de la contrefaçon (communication d'éléments
sous astreinte, paiement d'une provision de 30 millions d'euros, publication du
jugement), qui ne peuvent dès lors qu'être rejetées, sans qu'il y ait lieu
d'examiner les autres moyens de nullité du brevet.
58. Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société
Intellectual Ventures I sera condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société
Bouygues Télécom la somme de100.000 euros sur le fondement de l'article 700
du code de procédure civile, et celle de 200.000 euros à la société Huawei
Technologies France au même titre.
59. Nécessaire et compatible avec la nature de l'affaire, l'exécution provisoire sera
ordonnée, sauf en ce qui concerne la transcription au Registre National des
Brevets.

PAR CES MOTIFS,
Le tribunal,
DIT que les revendications 1 et 15 de la partie française du brevet EP1 327 374
sont nulles pour insuffisance de description ;
ORDONNE, à l'initiative de la partie la plus diligente, la transmission de la
présente décision, une fois passée en force jugée, à l'INPI aux fins d'inscription
au Registre National des Brevets ;
REJETTE par conséquent toutes les demandes fondées sur la contrefaçon de
ce brevet ;
CONDAMNE la Société Intellectual Ventures I aux dépens et autorise Maîtres
Abello et Desrousseaux à recouvrer directement ceux dont ils auraient fait
l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Intellectual Ventures I à payer à la société SFR la
somme de 100.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du
code de procédure civile et celle de 200.000 euros à la société Huawei
Technologies France sur le même fondement ;
ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision, sauf en ce qui
concerne sa transcription au Registre National des Brevets.

Fait et jugé à Paris le 08 novembre 2022.
La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ct0087
Numéro d'arrêt : 18/00407
Date de la décision : 12/01/2018

Analyses

x


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire.paris;arret;2018-01-12;18.00407 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award