COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE
GREFFE
M I N U T E
(Décision Civile)
JUGEMENT : S.A. LYONNAISE DE BANQUE c/ [M] [U]
N°
Du 23 Août 2024
4ème Chambre civile
N° RG 22/00392 - N° Portalis DBWR-W-B7G-N7VE
Grosse délivrée à la SELARL CABINET PIAZZESI AVOCATS
expédition délivrée à
Me Eric AGNETTI
le 23 Août 2024
mentions diverses
Par jugement de la 4ème Chambre civile en date du vingt trois Août deux mil vingt quatre
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame SANJUAN PUCHOL Présidente, assistée de Madame PROVENZANO, Greffier.
Vu les Articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile sans demande de renvoi à la formation collégiale ;
DÉBATS
A l'audience publique du 07 Mai 2024 le prononcé du jugement étant fixé au 10 juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction, les parties en ayant été préalablement avisées.
PRONONCÉ
Par mise à disposition au Greffe le 23 Août 2024, après prorogation du délibéré le 10 juillet 2024, signé par Madame SANJUAN PUCHOL Présidente, assistée de Madame BOTELLA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DE LA DÉCISION :
contradictoire, en premier ressort, au fond.
DEMANDERESSE:
S.A. LYONNAISE DE BANQUE, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Maître Frédéric PIAZZESI de la SELARL CABINET PIAZZESI AVOCATS, avocats au barreau de NICE, avocats plaidant
DÉFENDEUR:
Monsieur [M] [U]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Me Eric AGNETTI, avocat au barreau de NICE, avocat plaidant
EXPOSE DU LITIGE
Aux termes d'un contrat de prêt conclu entre la société Lyonnaise de banque et la société [U] & associés le 19 avril 2019, messieurs [E] et [M] [U] se sont portés cautions solidaires d'un prêt de 155.000 euros, M. [M] [U] à concurrence de la somme de 148.800 euros.
Suivant jugement du tribunal judiciaire de Nice le 21 février 2020, la société [U] & associés a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde qui a été convertie en redressement judiciaire par jugement du 23 novembre 2020.
Par ordonnance du 12 décembre 2022, la créance déclarée par la société Lyonnaise de banque a été admise.
Par jugement du 9 mars 2021, le tribunal judiciaire de Nice a ordonné la cession des actifs corporels et incorporels de la société [U] & associés au profit de Maître [D] [X] avec faculté de substitution.
Par acte du 27 janvier 2022, la société Lyonnaise de banque a fait assigner M. [M] [U] devant le tribunal judiciaire de Nice pour obtenir le paiement des sommes dues en vertu du contrat de prêt du 19 avril 2019.
Dans ses dernières conclusions communiquées le 16 novembre 2023, la société Lyonnaise de banque conclut au rejet des demandes reconventionnelles et sollicite la condamnation de M. [M] [U] à lui payer les sommes suivantes :
- 95.940,29 euros avec intérêts au taux conventionnel de 1,50 % l'an à compter du 17 octobre 2023,
- 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens distraits au profit de la société cabinet Piazzesi avocats.
Elle précise à titre liminaire avoir ramené sa demande à la somme de 95.940,29 euros en principal, suivant décompte du 17 octobre 2023, outre les intérêts au taux de 1,50 % l'an à compter de cette date, compte tenu de la régularisation des garanties dont elle bénéficiait.
Elle dénie le caractère disproportionné de l'engagement de caution consenti par le défendeur alors que la fiche patrimoniale caution, établie le 16 août 2018 et confirmée le 30 avril 2019, démontre que ses revenus étaient de 182.780 euros par an, que ses actifs immobiliers représentaient 900.000 euros et ses actifs mobiliers 650.000 euros, et que son seul passif était constitué par un prêt auprès de la BPCA dont la charge annuelle s'élevait à 13.728,48 euros.
Elle ajoute que M. [M] [U] ne peut être considéré comme une caution non avertie alors qu'il exerçait la profession d'huissier de justice et qu'il a contracté neuf crédits, de sorte qu'elle n'était nullement tenue d'un devoir de mise en garde à son égard.
Elle souligne lui avoir adressé chaque année les lettres d'information des cautions qu'elle verse aux débats.
Dans ses conclusions récapitulatives et responsives notifiées le 6 février 2024, M. [M] [U] sollicite du tribunal :
- principalement, dire et juger que la société Lyonnaise de banque ne peut se prévaloir du cautionnement conclu par lui alors que l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, et donc le patrimoine actuel ne lui permet pas de faire face à son obligation,
- subsidiairement, de différer le paiement d'une durée de deux années ou, à tout le moins, un échelonnement de paiement sur une durée de vingt-quatre mois,
- en tout état de cause, la condamnation de la société Lyonnaise de banque à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens distraits au profit de Maître Eric Agnetti.
Il explique avoir perçu pour l'année 2018 un revenu annuel de 24.945 euros et versé 24.000 euros de pensions alimentaires, de sorte que son revenu fiscal de référence s'est élevé à la somme de 945 euros et qu'il a accusé un déficit de 47.782 euros pour l'année 2019.
Il affirme que lors de l'octroi du crédit le 19 avril 2019, il était endetté à la suite de son divorce puisqu'il devait verser à son ex-épouse 2.500 euros par mois ainsi que 1.000 euros pour chacun de ses deux enfants.
Il ajoute avoir par ailleurs contracté, à compter de 2017 et antérieurement à son engagement de caution du 19 avril 2019, neuf emprunts bancaires dont les échéances mensuelles totales s'élevaient à la somme de 13.031,06 euros, de sorte que son engagement de caution était manifestement disproportionné à ses biens et revenus et que son patrimoine actuel ne lui permet pas de faire face à ses obligations.
Il expose qu'il était ainsi lourdement endetté à la date de l'engagement de caution et que la société Lyonnaise de banque ne l'a pas mis en garde contre le risque d'endettement excessif.
Il considère le cas échéant qu'un report, voire un délai de paiement, de vingt-quatre mois devra lui être accordé sur le fondement de l'article 1343-5 du code civil, avec une réduction des intérêts au taux légal.
La clôture de la procédure est intervenue le 23 avril 2024. L'affaire a été retenue à l'audience du 7 mai 2024. La décision a été mise en délibéré au 10 juillet 2024 et prorogée au 23 août 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le caractère proportionné de l'engagement de caution
Aux termes des articles L. 332-1 et L. 343-4 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
C'est à la caution qu'il incombe de rapporter la preuve de la disproportion qu'elle allègue et au créancier qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné, d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.
Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s'apprécie au regard, d'une part, de l'ensemble des engagements souscrits par la caution et, d'autre part, de ses biens et revenus, sans tenir compte des revenus escomptés de l'opération garantie.
Ces dispositions ont été abrogées par l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 et remplacées par l'article 2300 du code civil.
Toutefois, l'article 2300 du code civil n'est applicable qu'aux cautionnements souscrits à compter du 1er janvier 2022 et n'est donc pas applicable au litige.
En l'espèce, le contrat de prêt et le cautionnement ont été souscrits le 19 avril 2019, de sorte que les dispositions susvisées du code de la consommation trouvent à s'appliquer au présent litige.
Il résulte de la " fiche patrimoniale caution " remplie par M. [M] [U] le 16 août 2018, confirmée le 30 avril 2019, qu'il disposait de 182.780 euros de revenus, d'un patrimoine immobilier évalué à 900.000 euros, d'un patrimoine mobilier évalué à 650.000 euros et d'un crédit immobilier en cours dont le capital restant s'élevait à 199.189 euros et représentant 13.728,48 euros de charge annuelle.
Une fois le montant de 13.728,48 euros soustrait des revenus de 182.780 euros de M. [M] [U], subsiste la somme de 169.051,52 euros ainsi qu'un patrimoine évalué à 1.550.000 euros.
Si M. [M] [U] indique avoir contracté antérieurement à son engagement de caution du 19 avril 2019 neuf emprunts bancaires, il ne les a pas mentionnés dans la fiche d'information qui lui a été demandée, dissimulation qui ne peut être reprochée à la société Lyonnaise de banque.
Il en va de même de l'avis d'imposition sur ses revenus de l'année 2019 qu'il produit aux débats, qui fait apparaître une absence de revenus nets imposables en raison de revenus professionnels déclarés à hauteur de 24.945 euros, ce qui démontre uniquement qu'il a volontairement dissimulé sa situation à la société Lyonnaise de banque.
En l'absence d'anomalies apparentes, la société Lyonnaise de banque n'avait pas à vérifier l'exactitude des déclarations de M. [M] [U] qui a volontairement dissimulé sa situation financière et elle était en droit de se fier à ces éléments dont il ne résultait aucune disproportion manifeste.
Au regard de ces éléments, il apparaît qu'à la date du 19 avril 2019, le cautionnement litigieux, souscrit par M. [M] [U] dans la limite de 148.800 euros, n'était pas disproportionné aux biens et revenus qu'il a déclarés à la société Lyonnaise de banque.
Il convient en outre de préciser que ne saurait être imputé à la société Lyonnaise de banque, qui a sollicité un engagement de caution proportionné au regard des éléments qui lui ont été fournis, la dégradation de la situation du débiteur.
Il sera observé, s'agissant du devoir de mise en garde, que si l'établissement prêteur doit se renseigner pour pouvoir utilement alerter la caution sur le risque né d'un tel engagement, en recueillant des éléments sur les capacités financières de la caution, il n'a pas en revanche à vérifier l'exactitude des informations fournies alors que la caution est tenue, comme tout contractant, à une obligation de loyauté et de sincérité dans la fourniture des informations qui lui sont réclamées.
M. [M] [U], qui soutient que la société Lyonnaise de banque a manqué à son devoir de mise en garde, fait valoir qu'il avait souscrit neuf autres emprunts, portant les échéances mensuelles de remboursement à la somme totale de 13.031,06 euros, si bien qu'il était déjà en situation de surendettement lorsqu'il a souscrit cet engagement de caution.
Toutefois, il ne peut qu'être constaté qu'il n'a pas porté ces autres prêts à la connaissance de la société Lyonnaise de banque, ni la réalité de ses revenus, laquelle était en droit de se fier aux informations qu'il avait fournies dans la fiche de renseignement et qu'il avait certifiées être exactes.
La société Lyonnaise de banque n'était pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires en l'absence d'anomalie apparente des renseignements communiqués et M. [M] [U], tenu à une obligation de sincérité et de loyauté, n'est pas fondé à lui reprocher de ne pas avoir découvert des informations qu'il a sciemment dissimulées lors de son engagement.
Au vu des éléments déclarés, la charge supplémentaire née de la souscription de l'engagement de caution n'exposait pas M. [M] [U] à un risque excessif d'endettement, de sorte que la société Lyonnaise de banque n'était pas tenue d'un devoir de mise en garde à son égard.
En conséquence, la société Lyonnaise de banque est fondée à se prévaloir de l'engagement de caution et M. [M] [U] sera condamné à lui verser la somme de 95.940,29 euros avec intérêts au taux conventionnel de 1,50 % l'an à compter du 17 octobre 2023 et jusqu'à parfait paiement.
Sur la demande reconventionnelle d'octroi d'un délai de grâce
En vertu de l'article 1343-5 alinéa 1er du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Ce texte permet d'autoriser le débiteur à différer son paiement jusqu'à une date déterminée ou à se libérer en divisant le paiement en plusieurs termes, à reporter ou rééchelonner le paiement des sommes dues.
Un délai ne peut être octroyé qu'en considération de la situation du débiteur de bonne foi, mesurée à celle du créancier, à condition qu'il soit utile et qu'il existe des perspectives sérieuses de paiement de la dette selon les modalités fixées.
En l'espèce, M. [M] [U] ne fournit aucune pièce pour démontrer qu'il serait en mesure de régler sa dette à l'aide d'un report ou d'un échelonnement dans le délai de vingt-quatre mois.
Il ressort des débats qu'il se trouve, au contraire, dans une situation financière obérée en raison de l'absence de tout revenu pour faire face à des dettes d'un montant très conséquent.
Dans ce contexte, l'octroi de délais de grâce apparaît voué à l'échec en ce qu'ils ne permettront pas à M. [M] [U] de s'acquitter des sommes dues dans le délai maximum de deux ans qui pourrait lui être accordé.
Par conséquent, M. [M] [U] sera débouté de sa demande de report ou de rééchelonnement du paiement de sa dette avec réduction des intérêts au taux légal.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante au procès, M. [M] [U] sera condamné aux dépens, distraits au profit de la société Cabinet Piazzesi avocats, ainsi qu'à verser à la société Lyonnaise de banque la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire rendu en premier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe,
CONDAMNE M. [M] [U] en qualité de caution à payer à la société Lyonnaise de banque la somme de 95.940,29 euros avec les intérêts au taux conventionnel de 1,50 % l'an à compter du 17 octobre 2023 et jusqu'à parfait règlement ;
CONDAMNE M. [M] [U] à payer à la société Lyonnaise de banque la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE M. [M] [U] de ses demandes ;
CONDAMNE M. [M] [U] aux dépens distraits au profit de la société Cabinet Piazzesi avocats ;
Et le Président a signé avec le Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT