COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE
GREFFE
M I N U T E
(Décision Civile)
JUGEMENT : [F] [P] [X] c/ Syndic. de copro. SYNDICAT D’ADMINISTRATION DE LA VOIE NOUVELLE [Adresse 5]
N°
Du 23 Août 2024
4ème Chambre civile
N° RG 22/00364 - N° Portalis DBWR-W-B7G-OABJ
Grosse délivrée à la SELARL CHALUS PENOCHET OLIVIA
expédition délivrée à
Me Benjamin OLLIE
le 23 Août 2024
mentions diverses
Par jugement de la 4ème Chambre civile en date du vingt trois Août deux mil vingt quatre
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame SANJUAN PUCHOL Présidente, assistée de Madame PROVENZANO, Greffier.
Vu les Articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile sans demande de renvoi à la formation collégiale ;
DÉBATS
A l'audience publique du 07 Mai 2024 le prononcé du jugement étant fixé au 10 juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction, les parties en ayant été préalablement avisées.
PRONONCÉ
Par mise à disposition au Greffe le 23 Août 2024, après prorogation du délibéré le 10 juillet 2024, signé par Madame SANJUAN PUCHOL Présidente, assistée de Madame BOTELLA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DE LA DÉCISION :
contradictoire, en premier ressort, au fond.
DEMANDERESSE:
Madame [F], [P] [X]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Maître Olivia CHALUS-PENOCHET de la SELARL CHALUS PENOCHET OLIVIA, avocats au barreau de NICE, avocats plaidant
DÉFENDEUR :
SYNDICAT D’ADMINISTRATION DE LA VOIE NOUVELLE [Adresse 5] pris en la personne de son administrateur délégué, Monsieur [Z] [L], pris en sa qualité de syndic bénévole du lotissement de l’[Adresse 5]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Benjamin OLLIE, avocat au barreau de NICE, avocat plaidant
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [F] [X] est propriétaire d'un immeuble situé [Adresse 4].
Par acte du 25 janvier 1933, en vue de la vente par lots d'un terrain, un lotissement a été constitué autour de l'[Adresse 5], voie privée établie pour l'occasion, de six mètres de large dont l'assiette a été prise sur le sol des lots constitués et, pour le surplus, sur le sol de la propriété des vendeurs.
Afin de sécuriser l'accès aux lots bordant l'[Adresse 5], il a été proposé la réalisation de travaux permettant l'installation d'un portail motorisé.
Une assemblée générale s'est réunie le 13 octobre 2021.
Par acte du 28 janvier 2022, Mme [F] [X] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Nice le syndicat d'administration de la Voie nouvelle [Adresse 5], représentant les copropriétaires riverains de cette voie, représenté par son administrateur délégué M. [Z] [L], demeurant [Adresse 3] à [Localité 1], aux fins d'obtenir notamment l'annulation de la résolution n° 7 adoptée au cours de l'assemblée générale du 13 octobre 2021.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 27 février 2024, Mme [F] [X] sollicite :
- l'annulation de la résolution n° 7 adoptée au cours de l'assemblée générale du 13 octobre 2021,
- la condamnation du syndicat d'administration de la Voie nouvelle [Adresse 5], représenté par son administrateur délégué M. [Z] [L], à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance distraits au profit de Maître Chalus-Penochet.
Elle fait valoir que toute délibération de l'assemblée générale sur une question non inscrite à l'ordre du jour ou formulée de manière équivoque ou imprécise entraîne sa nullité.
Elle soutient que la résolution litigieuse prévoit une répartition par lot des dépenses liées à l'installation d'un portail électrique qui contrevient à la clef statutaire de répartition prévue dans le cahier des charges, au mépris des articles L. 442-9 du code de l'urbanisme et 1103 du code civil.
Elle ajoute que si le cahier des charges devait être interprété, il conviendrait d'appliquer les articles 1188 et 1189 du code civil, que la répartition au prorata des mètres de façade sur l'avenue est plus aisée et que la référence aux façades apparaît plusieurs fois dans le cahier des charges.
Elle affirme que l'unanimité est requise pour déterminer une répartition des charges différentes de celle prévue dans le cahier des charges.
Elle indique que la circonstance selon laquelle des assemblées générales antérieures aient appliqué une autre règle de répartition acceptée par la majorité ne modifie pas les règles posées par le cahier des charges.
Elle conteste l'application de la loi du 10 juillet 1965 puisqu'elle exclut de son champ d'application les immeubles ayant établi une convention dérogeant à la loi et qui se sont dotés d'une personnalité morale suffisamment structurée pour assurer leur gestion.
Elle souligne qu'une réponse ministérielle est venue préciser que les lots de lotissement ne sont pas soumis à la loi du 10 juillet 1965.
Elle explique qu'il s'agit d'un lotissement et que les colotis ont adopté un cahier des charges qui régit les modalités de gestion de l'association syndicale libre.
Elle précise que si le cahier des charges ne nomme pas expressément une association syndicale libre, il prévoit la mise en place d'un " syndicat " obligatoire avec un administrateur délégué, que son organisation est bien celle d'une telle association, et que sont en outre prévues les modalités des réunions, de calcul des voix et les majorités de vote.
Elle affirme que, conformément à l'article L. 442-7 du code de l'urbanisme, le cahier des charges peut constituer le document fixant les engagements réciproques des colotis.
Elle considère que l'avenue privée est divise, chaque coloti étant propriétaire d'une fraction de la voie, de sorte que le statut de copropriété ne peut être appliqué en l'absence d'indivision forcée sur le sol, eu égard à l'article premier de la loi du 10 juillet 1965.
Elle relève enfin que si les règles d'urbanisme contenues dans les documents approuvés par le lotissement sont caduques sur le plan réglementaire, elles s'appliquent entre les colotis sur le plan contractuel.
Dans ses dernières écritures notifiées le 25 janvier 2024, le syndicat d'administration de la Voie nouvelle [Adresse 5] conclut au débouté et sollicite reconventionnellement la condamnation de Mme [F] [X] à lui verser la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance.
Il indique que le lotissement " [Adresse 5] " est régi par le document intitulé " cahier des charges " du 25 janvier 1933 et par la loi du 10 juillet 1965.
Il oppose qu'une réponse ministérielle n'a qu'une valeur juridique limitée et que la réponse visée par la demanderesse a été rendue avant l'ordonnance du 30 janvier 2019 qui a modifié le premier article de la loi du 10 juillet 1965.
Il soutient que le lotissement ne s'est pas doté d'une organisation pourvue de la personnalité morale, suffisamment structurée pour assurer cette gestion et mentionnant expressément le souhait de déroger à la loi susvisée.
Il fait valoir que le cahier des charges ne comprend pas de clef de répartition, mais seulement une méthode de répartition des votes et non des charges de copropriété, et en veut pour preuve le fait que les dépenses aient fréquemment fait l'objet d'une répartition par lot, de sorte que la loi du 10 juillet 1965 trouve à s'appliquer.
Il ajoute qu'en l'absence de clef de répartition, il revient au syndicat des copropriétaires de déterminer la répartition des charges.
Il affirme qu'en vertu de l'article 11 de la loi du 10 juillet 1965, lorsque des travaux sont décidés par l'assemblée générale statuant à la majorité exigée par la loi, la modification de la répartition des charges peut être décidée par l'assemblée générale statuant à la même majorité.
Il précise enfin que cette répartition par lot est conforme à l'utilité effective de l'équipement, conformément à l'article 10 de la loi du 10 juillet 1965.
La clôture de l'affaire est intervenue le 23 avril 2024. L'affaire a été retenue à l'audience du 7 mai 2024. La décision a été mise en délibéré au 10 juillet 2024 prorogé au 23 août 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'existence d'un lotissement
L'article premier de la loi du 10 juillet 1965 dispose que la présente loi régit tout immeuble bâti ou groupe d'immeubles bâtis à usage total ou partiel d'habitation dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes. Le lot de copropriété comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables. Ce lot peut être un lot transitoire. Il est alors formé d'une partie privative constituée d'un droit de construire précisément défini quant aux constructions qu'il permet de réaliser et d'une quote-part de parties communes correspondante. La création et la consistance du lot transitoire sont stipulées dans le règlement de copropriété.
A défaut de convention y dérogeant expressément et mettant en place une organisation dotée de la personnalité morale et suffisamment structurée pour assurer la gestion de leurs éléments et services communs, la présente loi est également applicable :
1° A tout immeuble ou groupe d'immeubles bâtis à destination totale autre que d'habitation dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes ;
2° A tout ensemble immobilier qui, outre des terrains, des volumes, des aménagements et des services communs, comporte des parcelles ou des volumes, bâtis ou non, faisant l'objet de droits de propriété privatifs.
La loi du 10 juillet 1965, entrée en vigueur le 12 juillet 1965, est applicable de plein droit dès lors que les conditions posées pour son application sont réunies.
En l'espèce, il résulte du cahier des charges du 25 janvier 1933 qu'un terrain a été vendu par lots.
Cet acte prévoit l'établissement d'une avenue privée de six mètres de large dont l'assiette sera prise sur le sol des lots n° 2 à 10, pour le surplus sur le sol de la propriété des vendeurs et que le sol de l'avenue projetée appartiendra aux acquéreurs des lots n° 2 à 10.
Aucune pièce versée aux débats ne permet de caractériser l'existence d'une copropriété alors que les lots ne comprennent pas une partie privative et une quote-part des parties communes, telles que définies aux articles 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1965.
La voie Janion n'est ni la propriété de tous, ni une partie commune générale, mais une avenue privée dont le sol appartient aux acquéreurs des lots en tant qu'accessoire de leur propriété et qui ne peut à ce titre être vendue séparément ni être grevée d'une charge hypothécaire.
La preuve de l'existence d'une copropriété n'est pas rapportée par le syndic d'administration de la voie nouvelle [Adresse 5], pas davantage que celle de l'existence de parties communes générales et spéciales.
A l'inverse, les éléments produits démontrent qu'il s'agit d'une division en propriété d'une unité foncière qui a ainsi créé plusieurs lots destinés à être bâtis c'est-à-dire un lotissement.
Il convient dès lors de constater l'existence d'un lotissement.
Sur la répartition des charges
En vertu de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Le cahier des charges est un document de nature contractuelle dont le contenu est opposable, par adhésion, à une communauté de propriétaires, notamment aux colotis.
Selon les termes de l'article L. 442-7 du code de l'urbanisme, le cahier des charges fixe les conditions de vente ou de location des lots et est remis à l'acquéreur lors de la signature de la promesse ou de l'acte de vente ainsi qu'au preneur lors de la signature des engagements de location.
Il peut également constituer, si telle a été l'intention des acquéreurs initiaux, le document fixant des engagements réciproques entre colotis, qui peuvent s'analyser comme des servitudes collectives grevant l'ensemble des lots.
La loi du 19 juillet 1924 a subordonné le cahier des charges à une approbation de l'administration, lui conférant en plus de sa nature contractuelle une portée réglementaire.
Le décret du 26 juillet 1977, pris pour l'application de la loi du 31 décembre 1976, est venu séparer formellement et matériellement les relations entre les colotis qui s'expriment dans le cahier des charges, des règles d'urbanisme fixées en complément de celles en vigueur, qui s'expriment dans le règlement.
L'article L. 442-9 du code de l'urbanisme dispose que les règles d'urbanisme contenues dans les documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé, deviennent caduques au terme de dix années à compter de la délivrance de l'autorisation de lotir si, à cette date, le lotissement est couvert par un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu.
De même, lorsqu'une majorité de colotis a demandé le maintien de ces règles, elles cessent de s'appliquer immédiatement si le lotissement est couvert par un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu, dès l'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.
Les dispositions du présent article ne remettent pas en cause les droits et obligations régissant les rapports entre colotis définis dans le cahier des charges du lotissement, ni le mode de gestion des parties communes.
En l'espèce, il résulte de ce qui précède que le cahier des charges n'est pas soumis aux articles 5 et 10 de la loi du 10 juillet 1965 comme le soutient le syndic d'administration de la voie nouvelle [Adresse 5].
Le cahier des charges du lotissement est un document contractuel qui définit, sur un périmètre donné, des charges et obligations entre des propriétaires fonciers.
Les règles de nature réglementaire qu'il pose, bien que devenues caduques pour l'autorité publique, continuent à s'imposer aux colotis en vertu de son caractère contractuel.
L'article 7 du cahier des charges du 25 janvier 1933, qui a trait aux contributions aux frais d'entretien de l'avenue privée dispose que :
" Tous les frais d'entretien, réparations, remises en état totale ou partielle, améliorations, balayages, éclairages de l'avenue ainsi que toutes dépenses et charges généralement quelconques, qui seraient utiles ou nécessaires ou qui seraient imposées par l'Administration ou la commission d'hygiène et de salubrité incomberont aux acquéreurs de lots présentement mis en vente en bordure de l'avenue et en proportion de leur passage dans ladite avenue ".
Le cahier des charges prévoit ainsi une répartition des charges des frais d'amélioration de l'avenue privée en proportion de leur passage dans ladite avenue.
Son article 14 prévoit en outre que, pour délibérer valablement, une réunion devra comprendre la moitié de la totalité des voix. Il précise que :
" Chaque propriétaire en bordure de la voie nouvelle aura autant de fois de voix qu'il aura de fois de mètres de façade sur l'Avenue nouvelle (pan coupé compté en projection), chaque fraction de un mètre dix centimètres comptant pour une fraction entière.
Les délibérations seront prises à la majorité des voix en cas de partage, la voix du membre ayant la plus grande façade sera prépondérante ".
La circonstance selon laquelle d'autres charges ont déjà été votées selon une autre répartition n'a pas créé de droit acquis au profit du syndic d'administration de la voie nouvelle [Adresse 5].
Le compte rendu de l'assemblée du 13 octobre 2021 a adopté une résolution n° 7 au titre de laquelle la répartition des charges afférentes à l'installation du portail électrique se fera par lot.
Or, une telle répartition par lot n'est pas prévue par le cahier des charges, qui prévoit au contraire une répartition " en proportion de leur passage " dans l'avenue.
Surabondamment, il convient de relever que c'est à juste titre que Mme [F] [X] considère qu'une telle délibération aurait dû être inscrite à l'ordre du jour, une telle obligation n'étant pas fondée sur le droit de la copropriété s'agissant d'un lotissement, mais sur l'article 14 du cahier des charges qui prévoit une règle similaire en précisant que " les avis de réunion seront envoyés quinze jours à l'avance, ils indiqueront les questions à l'ordre du jour ".
Il convient en conséquence d'annuler la résolution n°7 de l'assemblée du 13 octobre 2021 qui a adopté le principe d'une répartition des charges liées au portail électrique par lot au mépris de la règle de répartition posée par le cahier des charges.
Sur les demandes accessoires
Aucune circonstance ne justifie d'écarter l'exécution provisoire de la présente décision.
Partie perdante au procès, le syndic d'administration de la voie nouvelle [Adresse 5] sera condamné aux dépens distraits au profit de Maître Chalus-Penochet ainsi qu'à verser à Mme [F] [X] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
PRONONCE la nullité de la résolution n° 7 adoptée par l'assemblée générale du 13 octobre 2021 ;
CONDAMNE le syndic d'administration de la voie nouvelle [Adresse 5] à payer à Mme [F] [X] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE le syndic d'administration de la voie nouvelle [Adresse 5] de ses demandes ;
CONDAMNE le syndic d'administration de la voie nouvelle [Adresse 5] aux dépens ;
Et le Président a signé avec le Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT