COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE
GREFFE
M I N U T E
(Décision Civile)
JUGEMENT : [P] [E] c/ [X] [D]
N°
Du 29 Juillet 2024
4ème Chambre civile
N° RG 22/02441 - N° Portalis DBWR-W-B7G-OIWW
Grosse délivrée à
la SELARL RICHARD-LOMBARDI, ASSOCIES AVOCATS
, Me Nicolas MATTEI
expédition délivrée à
le 29 Juillet 2024
mentions diverses
Par jugement de la 4ème Chambre civile en date du vingt neuf Juillet deux mil vingt quatre
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame VALAT Présidente, assistée de Madame BOTELLA, Greffier.
Vu les Articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile sans demande de renvoi à la formation collégiale.
DÉBATS
A l'audience publique du 21 Mars 2024 le prononcé du jugement étant fixé au 18 Juin 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction, les parties en ayant été préalablement avisées.
PRONONCÉ
Par mise à disposition au Greffe le 29 Juillet 2024 après prorogation du délibéré, signé par Madame VALAT Présidente, assistée de Madame PROVENZANO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DE LA DÉCISION :
contradictoire, en premier ressort, au fond.
DEMANDEUR:
Monsieur [P] [E]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Massimo LOMBARDI de la SELARL RICHARD-LOMBARDI, ASSOCIES AVOCATS, avocats au barreau de NICE, avocats plaidant
DÉFENDERESSE:
Madame [X] [D]
[Adresse 7]
[Localité 1]
représentée par Me Nicolas MATTEI, avocat au barreau de NICE, avocat plaidant
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [P] [E] et Mme [X] [D] ont entretenu une relation de nature sentimentale.
Le 15 avril 2021, ils ont signé un acte sous seing privé et M. [E] a effectué un virement d’un montant de 50.000 euros sur le compte bancaire de Mme [D].
Le 1er juillet 2021, Mme [D] a acquis un studio à [Localité 1] moyennant la somme de 164.000 euros.
Par ordonnance du 3 mars 2022, le juge de l’exécution, saisi par M. [E], a autorisé une inscription d’hypothèque conservatoire auprès du Service de la publicité foncière de [Localité 8] à hauteur de 50.000 euros sur le bien immobilier acquis par Mme [D].
Par acte d’huissier du 10 juin 2022, M. [P] [E] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Nice Mme [D] afin d’obtenir principalement la restitution sous astreinte de la somme de 50.000 euros.
Par dernières conclusions notifiées le 31 août 2023, M. [P] [E] demande au tribunal de :
prononcer la nullité de l’acte sous seing privé en date du 14 avril 2021,ordonner la restitution de la somme de 50.000 euros sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,condamner Mme [D] à lui payer la somme de 50.000 euros,la condamner à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,dire que l’inscription provisoire d’hypothèque prise le 13 mai 2022 auprès du Service de la publicité foncière de [Localité 8] est bonne est valable,convertir l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire en une inscription d’hypothèque judiciaire définitive à l’encontre de Mme [D] sur les biens et droits lui appartenant, à savoir un appartement de type studio lot n°52 dans un ensemble immobilier sis à [Adresse 7], cadastré AS numéro [Cadastre 4] pour avoir paiement de la créance évaluée en principal à 50.000 euros ;condamner Mme [D] à payer à M. [E] les frais d’inscription et d’enregistrement de l’hypothèque judiciaire définitive ;la condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, y compris les frais que M. [E] a été contraint d’engager pour préserver sa créance comprenant des frais d’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire et des frais de dénonce d’inscription.
M. [E] explique qu’il a accepté de prêter à Mme [D] la somme de 50.000 euros afin qu’elle puisse faire un apport lui permettant d’obtenir un prêt immobilier pour l’acquisition du studio situé à [Localité 1]. Il précise qu’elle s’est engagée à lui rembourser rapidement cette somme en lui affirmant qu’elle était la propriétaire exclusive d’un appartement et d’un local commercial en Italie provenant de la succession de son défunt mari et dont la vente était imminente. Il reproche à Mme [D] de ne pas l’avoir informé qu’elle détenait la propriété de ces biens en indivision avec plusieurs autres héritiers. Il fait valoir au visa des articles 1128, 1130, 1131 et 1137 du code civil que son consentement au prêt a été vicié et que l’acte sous seing privé doit être annulé en raison des déclarations dolosives de Mme [D] quant à la propriété de ses biens en Italie.
A titre subsidiaire, il soutient au visa de l’article 1305 du code civil que le terme contenu dans l’acte sous seing privé signé est potestatif en ce que la vente des biens immobiliers alléguée par Mme [D] est incertaine en raison de la complexité de la succession impliquant plusieurs héritiers. Il souligne que Mme [D] n’apporte la preuve d’aucune démarche effectuée en vue de cette vente.
Il soutient enfin au visa de l’article 1103 du code civil que sa créance à l’encontre de Mme [D] est certaine, liquide et exigible justifiant ainsi la conversion de l’hypothèque judiciaire provisoire autorisée par le juge de l’exécution en hypothèque judiciaire définitive.
Par conclusions notifiées le 2 janvier 2023, Mme [X] [D] conclut principalement au débouté de M. [E] de l’ensemble de ses demandes. A titre subsidiaire, elle sollicite l’octroi de délais de paiement de vingt-quatre mois, soit une première mensualité de 20.000 euros issue du prêt personnel, puis vingt-deux mensualités de 1.300 euros chacune et enfin une vingt-quatrième mensualité de 1.400 euros pour un total de 50.000 euros. En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de M. [E] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance.
Mme [D] fait valoir que la demande de remboursement anticipée de l’aide financière que M. [E] lui a apportée pour l’acquisition du bien immobilier est motivée par une attitude vengeresse et essentiellement punitive en raison de leur séparation. Elle conteste toute réticence dolosive de sa part et explique que sa volonté de vendre est certaine mais qu’il s’avérait complexe de liquider la succession de son défunt époux à bref délai en raison de la présence de quatre autres héritiers.
Elle estime que M. [E] n’apporte la preuve d’aucun vice de consentement lié à la dissimulation des faits relatifs à la succession et fait valoir que l’acte sous seing privé signé ne fait aucunement référence à une vente des biens immobiliers de la succession de son mari défunt dont elle serait la seule héritière. Elle insiste que la vente de ces biens n’a pas encore été réalisée en raison des raisons strictement indépendantes de sa volonté.
Elle affirme que M. [E] a délibérément et par amour avancé la somme et qu’il a lui-même procédé à la rédaction de l’attestation litigieuse. Elle fait valoir au visa des articles 1103 et 1899 du code civil que la condition de vente de ses biens immobiliers prévue dans l’acte litigieux n’est pas potestative. Elle estime que les conditions prévues par l’article L511-1 du code des procédures civiles d’exécution ne sont pas réunies en ce que la créance dont il se prévaut n’est pas exigible et que son recouvrement n’est pas menacé, justifiant ainsi la mainlevée de l’inscription de l’hypothèque judiciaire provisoire prise le 13 mai 2022 sur le studio à [Localité 1] constituant sa résidence principale.
A titre subsidiaire, elle sollicite au visa des articles 1343-5, 1900 et 1901 du code civil des délais de paiement. Elle explique ne pas être en mesure de rembourser immédiatement l’avance d’argent faite par M. [E], sollicite un échéancier et s’engage à solder la somme due à compter de la vente de ses actifs immobiliers en Italie.
Pour un exposé complet des faits et de l’argumentation des parties, il est renvoyé à leurs écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de l’affaire est intervenue le 7 mars 2024 et l’affaire a été retenue à l’audience du 21 mars 2024. Le prononcé de la décision a été fixé au 18 juin 2024 prorogé au 29 juillet 2024 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande principale en remboursement de la somme de 50.000 euros
L’article 1137 du code civil dispose que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
En l’espèce, il est acquis aux débats que M. [E] et Mme [D] ont signé le 15 avril 2021 un acte sous seing privé dénommé « attestation sous seing privé » rédigé comme suit :
« Je soussigné [P] [E] […] confirme avancer la somme de 50.000 euros (cinquante mille euros) à Mme [X] [D] pour l’acquisition de sa résidence principale sis [Adresse 7].
Comme convenu, cette somme sera remboursée dès réception de la vente du restaurant et de l’appartement qu’elle a en Italie, en succession de son défunt mari.
Il ne s’agit en aucun cas d’un prêt mais seulement d’une avance d’argent […] ».
Les termes de cet accord comportent certaines imprécisions. Il peut cependant en être déduit que M. [E] a consenti de prêter à titre gratuit à Mme [D] la somme de 50.000 euros aux fins de l’acquisition d’un bien immobilier situé à [Localité 1].
Mme [D] ne conteste pas le versement effectif de cette somme et M. [E] en justifie par la production d’un ordre de virement établi le 20 avril 2021 sur un formulaire de la Société Générale ainsi que du relevé d’identité bancaire de Mme [E] démontrant que la somme a été transférée sur le compte de celle-ci.
Il ne résulte pas clairement des éléments de la procédure que Mme [D] a obtenu le consentement de M. [E] à lui prêter la somme litigieuse par le biais de manœuvres frauduleuses.
La demande de prononcé de la nullité de l’acte sous seing privé signé le 14 avril 2021 sera par conséquent rejetée.
En revanche, selon les articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Mme [D] ne démontre pas avoir communiqué à M. [E] de façon transparente toutes les informations nécessaires lui permettant de prendre une décision éclairée de lui prêter ou pas la somme litigieuse.
L’acte sous seing privé prévoit le remboursement de la somme prêtée en conditionnant celui-ci à la vente des biens immobiliers en Italie appartenant à Mme [D], sans prévoir un terme précis pour ce remboursement.
Mme [D] indique dans ses dernières écritures notifiées le 2 janvier 2023 que la vente de ses biens en Italie n’est pas intervenue et n’apporte aucun justificatif quant à des démarches effectuées en vue d’une telle vente. Aucune autre précision n’a été fournie à cet égard avant la clôture des débats intervenue le 7 mars 2024, soit plus de trois ans après avoir bénéficié du prêt à titre gratuit.
Or, elle était tenue de négocier et d’exécuter de bonne foi l’accord conclu avec M. [E] et de lui rembourser la somme prêtée dans un délai raisonnable ou tout le moins de justifier des démarches effectives réalisées en vue de la vente rapide des biens permettant d’honorer son obligation de rembourser la somme prêtée.
Aucun justificatif versé à la procédure n’atteste de telles démarches. Les moyens soulevés par Mme [D] et notamment celui selon lequel la vente n’est pas intervenue en raison des circonstances indépendantes de sa volonté est inopérant en l’absence de toute preuve de démarches de sa part et dès lors qu’elle ne démontre pas avoir clairement informé M. [E] que les biens en Italie font l’objet d’une succession complexe liée à l’indivision entre plusieurs héritiers afin de lui permettre d’apprécier les délais éventuels liés à ces circonstances.
Mme [D] sera par conséquent condamnée à rembourser à M. [E] la somme de 50.000 euros ayant fait l’objet d’un prêt.
En revanche, la résistance du défendeur à l’exécution de la décision n’étant à ce stade pas établie et M. [E] bénéficiant d’une hypothèque provisoire prise sur le bien immobilier de Mme [D], la demande d’astreinte sera rejetée.
Sur la demande de délais
Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
En l’espèce, Mme [D] produit des justificatifs des revenus fiscaux de référence qu’elle a perçus en 2021 et 2022 d’un montant annuel respectivement de 22.962 euros et de 23.759 euros, le tableau d’amortissement du prêt souscrit faisant état de mensualités du prêt immobilier d’un montant de 683,19 euros et des frais courant liés à son logement.
M. [E] ne produit pas de justificatifs concernant ses besoins financiers.
Au vu de ces éléments, il convient d’ordonner l’échelonnement de la somme due dans la limite de vingt-quatre mois dans les termes du dispositif.
Il convient également de noter que Mme [D] s’engage dans ses écritures à solder le prêt en cas de liquidation de la succession et de vente des biens immobiliers qu’elle détient en indivision en Italie avant l’expiration du délai accordé pour le remboursement de la somme prêtée.
Sur la demande en paiement de dommages et intérêts
En application de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l’espèce, M. [E] a été contraint d’initier des démarches amiables et de formuler des demandes en justice afin de faire valoir ses droits, y compris devant le juge de l’exécution aux fins d’inscription d’une hypothèque provisoire sur le bien acquis par Mme [D].
Mme [D] sera condamnée à lui payer la somme de 1.000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur la demande de conversion d’hypothèque judiciaire provisoire en définitive et relative aux frais d’hypothèque
Selon l’article 2385 du code civil, l'hypothèque est l'affectation d'un immeuble en garantie d'une obligation sans dépossession de celui qui la constitue.
En application de l’article R 533-4 du code des procédures civiles d’exécution, la publicité définitive est effectuée dans un délai de deux mois courant du jour où le titre constatant les droits du créancier est passé en force de chose jugée.
En l’espèce, il convient de constater que la créance de M. [E] à l’encontre de Mme [D] est certaine, liquide et exigible, que Mme [D] ne fournit pas de justificatifs de revenus récents et suffisants pour le paiement de la créance. La publicité définitive de l’hypothèque inscrite sera donc être effectuée dans un délai de deux mois courant à compter du jour où le présent jugement sera passé en force de chose jugée.
Les frais d’inscription de cette hypothèque seront mis à la charge de Mme [D].
Sur les demandes accessoires
Partie perdante au procès, Mme [D] sera condamnée aux dépens et à payer à M. [E] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aucune circonstance ne commande d’écarter l’exécution provisoire de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
CONDAMNE Mme [X] [D] à payer à M. [P] [E] la somme de 50.000 euros au titre du prêt obtenu auprès de celui-ci selon acte sous seing privé en date du 15 avril 2021 ;
AUTORISE Mme [X] [D] à s’acquitter de cette somme en vingt-quatre (24) mensualités comme suit : une première mensualité d’un montant de 20.000 euros, vingt-deux (22) mensualités d’un montant de 1.300 euros chacune et une dernière mensualité d’un montant de 1.400 euros ;
DIT que chaque mensualité doit intervenir avant le 5 de chaque mois et pour la première fois le 5 du mois suivant la signification du présent jugement ;
DIT qu’en cas de non-paiement d’une seule mensualité, l’intégralité de la somme de 50.000 euros restant due deviendra immédiatement exigible ;
CONDAMNE Mme [X] [D] à payer à M. [P] [E] la somme de 1.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
CONDAMNE Mme [X] [D] à payer à M. [P] [E] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT qu’une hypothèque définitive sera inscrite sur le bien appartenant à Mme [X] [D], née le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 6] au Maroc, situé [Adresse 7] à [Localité 1], cadastré section AS numéro [Cadastre 4], appartement de type studio lot n° 52, dans un délai de deux mois courant à compter du jour où le présent jugement sera passé en force de chose jugée pour garantir la créance d’un montant de 50.000 euros de M. [P] [E] à son encontre;
CONDAMNE Mme [X] [D] à payer à M. [P] [E] les frais d’inscription de l’hypothèque définitive sur présentation de justificatifs ;
CONDAMNE Mme [X] [D] aux dépens ;
REJETTE les autres demandes formulées par les parties ;
RAPPELLE que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire ;
Le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT