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05/07/2024 | FRANCE | N°19/02417

France | France, Tribunal judiciaire de Nice, 4ème chambre civile, 05 juillet 2024, 19/02417


COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE

GREFFE
M I N U T E
(Décision Civile)


JUGEMENT : Société CISEAUX D’ARGENT LA MAISON DE LA CHEMISE c/ Société CAFE DE [Localité 8] ET DU CENTRE


Du 05 Juillet 2024

4ème Chambre civile
N° RG 19/02417 - N° Portalis DBWR-W-B7D-MH6Q




























Grosse délivrée à
Me Michel LOPRESTI
la SCP PETIT-BOULARD-VERGER



le 05 Juillet 2024


men

tions diverses
Par jugement de la 4ème Chambre civile en date du cinq Juillet deux mil vingt quatre

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Madame SANJUAN PUCHOL, magistrat rédacteur
Assesseur : Madame VALAT
Assesseur : Madame ...

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE

GREFFE
M I N U T E
(Décision Civile)

JUGEMENT : Société CISEAUX D’ARGENT LA MAISON DE LA CHEMISE c/ Société CAFE DE [Localité 8] ET DU CENTRE


Du 05 Juillet 2024

4ème Chambre civile
N° RG 19/02417 - N° Portalis DBWR-W-B7D-MH6Q

Grosse délivrée à
Me Michel LOPRESTI
la SCP PETIT-BOULARD-VERGER

le 05 Juillet 2024

mentions diverses
Par jugement de la 4ème Chambre civile en date du cinq Juillet deux mil vingt quatre

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Madame SANJUAN PUCHOL, magistrat rédacteur
Assesseur : Madame VALAT
Assesseur : Madame DEMARBAIX
Greffier : Madame PROVENZANO

DÉBATS

A l'audience publique du 18 Mars 2024 le prononcé du jugement étant fixé au 28 mai 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction, les parties en ayant été préalablement avisées.

PRONONCÉ

Par mise à disposition au Greffe le 05 Juillet 2024, après prorogation du délibéré le 28 mai et 27 juin 2024, signé par Madame SANJUAN PUCHOL Présidente, assistée de Madame BOTELLA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DE LA DÉCISION :
contradictoire, en premier ressort, au fond.

DEMANDERESSE:

La société CISEAUX D’ARGENT LA MAISON DE LA CHEMISE, prise en la personne de son représentant légal en exercice
Centre Commercial [11]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Michel LOPRESTI, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant

DÉFENDERESSE:

La société CAFE DE [Localité 8] ET DU CENTRE, prise en la personne de son représentant légal en exercice,
[Adresse 1]
[Localité 9]
représentée par Maître Hervé BOULARD de la SCP PETIT-BOULARD-VERGER, avocats au barreau de NICE, avocats postulant, Me Catherine FAVAT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

EXPOSÉ DU LITIGE

Le Grand Café de [Localité 8], implanté à [Localité 9] à l'angle de l'[Adresse 6] et de l'[Adresse 4], est exploité par la société Café de [Localité 8] et du Centre créée en 1920.

Par acte sous seing privé du 31 mars 1992, le Centre communal d'action sociale de [Localité 9] a donné à bail à la société Café de [Localité 8] et du Centre les locaux commerciaux situés [Adresse 1] à [Localité 9] à usage exclusif de café, bar, grill, snack-bar ainsi qu'un appartement au 4ème étage de l'immeuble pour une durée de neuf années commençant à courir le 1er janvier 1992 pour s'achever le 31 décembre 2000.

Par acte sous seing privé du 12 janvier 2001, un nouveau bail a été conclu pour une durée de neuf années expirant le 31 décembre 2009.

Enfin, par acte sous seing privé du 12 juillet 2013, les parties ont convenu de renouveler le bail à compter du 1er janvier 2010 pour une durée de neuf années expirant le 31 décembre 2018 et contre paiement d'un loyer de renouvellement de 123.000 euros par an.

Le Centre communal d'action sociale de [Localité 9] a vendu les biens immobiliers, objets du bail commercial, à la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise suivant acte authentique du 1er octobre 2013.

Par acte extra-judiciaire du 16 juillet 2014, la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise a fait délivrer à la société Café de [Localité 8] et du Centre un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction pour la date du 31 décembre 2018.

La société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 10 octobre 2018, a ordonné une expertise confiée à M. [B] [F] avec pour mission principalement de fournir les éléments permettant de chiffrer le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation.

Mme [Y] [S], expert commis en remplacement de M. [B] [F] par ordonnance du 11 janvier 2019, a établi son rapport d'expertise le 4 novembre 2020.

Par acte du 28 mai 2019, la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise a fait assigner la société Café de [Localité 8] et du Centre devant le tribunal de grande instance de Nice afin que soient fixées les indemnités d'éviction et d'occupation.

Dans ses dernières conclusions communiquées le 28 octobre 2022, la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise sollicite :

-la fixation de l'indemnité d'éviction qu'elle devra verser à la société Café de [Localité 8] et du Centre à la somme de 1.500.000 euros,
-la fixation de l'indemnité d'occupation à la somme de 302.233 euros par an, hors taxes et hors charges, payable par trimestre anticipé et avec intérêts au taux légal à compter de l'exigibilité de chaque échéance, indexée sur l'indice des loyers commerciaux en prenant pour référence la valeur de 113,5 correspondant au dernier indice publié avant le terme du bail,
-la compensation entre les créances réciproques des parties,
-la désignation de la Carpa de Nice prise en la personne de monsieur le Bâtonnier en exercice en qualité de séquestre pour recevoir l'indemnité,
-la condamnation de la société Café de [Localité 8] et du Centre à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que si la locataire commercial est fondée à réclamer la fixation de l'indemnité d'éviction, elle estime ses prétentions excessives. Elle rappelle qu'en application de l'article L. 145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail et qu'en ce cas il doit, sauf exceptions, payer au locataire évincé une indemnité dite indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Elle indique que si le refus de renouvellement entraîne la perte du fonds de commerce, le bailleur devra régler une indemnité de remplacement mais que si elle n'entraîne pas la perte du fonds, il doit régler une indemnité de transfert. Elle précise que l'évaluation de cette indemnité relève du pouvoir souverain du juge du fond qui détermine son montant selon la méthode qui lui paraît la mieux appropriée à la date la plus proche possible du départ du locataire en fonction de la consistance du fonds à la date du congé. Elle soutient que l'article L. 145-14 renvoyant expressément à la valeur marchande du fonds de commerce déterminée suivant les usages de la profession, les tribunaux retiennent un chiffre d'affaires moyen réalisé au cours des trois dernières années affecté d'un pourcentage variable selon la branche d'activité et les caractéristiques du fonds considéré. Elle explique que les experts opèrent une double approche de la valorisation d'un fonds de commerce en fonction, non seulement du chiffre d'affaires, mais également de sa rentabilité selon une méthode consistant à affecter à l'excédent brut d'exploitation (EBE) d'un multiple tenant compte des éléments positifs et dépréciatifs du fonds à des fins de recoupement. Elle expose enfin que les indemnités accessoires dont la liste fournie par l'article L. 145-5 n'est pas exhaustive, comprennent les frais de réinstallation.
Elle fait valoir que l'expert a déterminé une recette journalière pour les trois exercices 2017-2018-2019 de 3.923 € HT en lui affectant un coefficient de 600 permettant d'évaluer une indemnité principale de 2.353.800 euros. Elle précise que l'expert a également retenu un EBE de 256.708 € en lui appliquant un coefficient de 8 conduisant à une indemnité principale de 2.053.664 euros. Elle explique que l'expert a donc retenu une valeur de recoupement de 2.200.000 euros et évalué les indemnités accessoires à 330.617 euros.
Elle soutient que la locataire n'a pas fourni à l'expert les éléments comptables pour les années 2020 et 2021 dont il ressort une évolution à la baisse du chiffre d'affaires. Or, elle rappelle que l'indemnité doit être évaluée à la date la plus proche du départ du locataire si bien qu'elle propose de retenir une recette journalière moyenne de 2.651 euros, ce qui donne en appliquant le même coefficient que celui retenu par l'expert judiciaire, une indemnité principale de 1.590.060 euros.
Elle soutient également que l'expert a tenu compte du chiffre réalisé grâce à la terrasse en vertu d'une convention d'occupation du domaine public, ce qu'elle conteste en demandant que la recette journalière moyenne soit retraitée pour être diminuée de l'incidence de l'occupation du domaine public sur le chiffre d'affaires réalisé. Elle ajoute, concernant l'approche par la productivité fondée sur l'application d'un pourcentage au chiffre d'affaires réalisé, que le bailleur n'est pas le banquier ou l'assureur du locataire compensant les évènements défavorables ayant impacté le chiffre d'affaires tels les effets de la pandémie. Elle précise, s'agissant de l'approche par la rentabilité par référence à l'EBE, que l'indemnité d'éviction ne doit pas aboutir à une reconstitution idéale de cet EBE de l'entreprise affranchie des choix de gestion notamment quant à la rémunération et aux avantages en nature servis à son dirigeant.
Elle fait valoir qu'il n'existe pas une jurisprudence établie imposant de prendre en considération la recette journalière TTC et non HT pour fonder le calcul de l'indemnité selon les usages de la profession. Elle ajoute que l'expert a recoupé le pourcentage de 600 fois la recette journalière HT par les prix pratiqués localement pour des activités comparables et a répondu à la locataire que la valeur de l'indemnité principale de 4.859.547 euros proposée ne correspondait pas à la valeur économique pour ce local.
Elle considère, concernant les indemnités accessoires, que la preuve de l'absence de réinstallation peut implicitement se déduire de la liquidation amiable ou judiciaire du preneur ou de la liquidation de ses droits à la retraite. Elle explique que le dirigeant de la société locataire ayant fait valoir ses droits à la retraite, les frais de remploi devront purement et simplement être écartés.
Elle fait observer qu'elle a produit trois rapports d'expertise amiable aux débats pour conforter le caractère excessif des demandes de la locataire.
Elle rappelle qu'en application de l'article L. 145-28 du code de commerce, le locataire qui se maintient dans les lieux est redevable d'une indemnité d'occupation qui, à défaut de convention contraire, doit correspondre à la valeur locative exclusive de tout plafonnement. Elle soutient que le plafonnement qui s'applique au loyer ne s'applique pas à l'indemnité d'occupation fixée par référence aux articles L. 145-33, R. 145-6 et R. 146-7 du code de commerce, et donc aux facteurs locaux de commercialité et prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Elle estime que le choix de l'expert judiciaire de fixer l'indemnité d'occupation en fonction de la valeur locative en application de l'article L. 145-33 du code de commerce et non pas de la valeur locative du marché ne peut pas être retenu. Elle sollicite en conséquence que l'indemnité d'occupation soit fixée à la somme de 302.233 euros par an hors taxes et hors charges, estimant injustifiée l'application d'un taux d'abattement de 20 % pour précarité.
Elle considère enfin qu'un séquestre devra être désigné pour recevoir l'indemnité d'éviction, après compensation avec l'indemnité d'occupation, en application de l'article L. 145-29 du code de commerce.

Dans ses dernières écritures notifiées le 4 avril 2023, la société Café de [Localité 8] et du Centre sollicite :

-la condamnation de la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise à lui verser la somme de 5.852.106 euros à titre d'indemnité d'éviction, outre le remboursement des indemnités de licenciement versés aux salariés,
-la fixation de l'indemnité d'occupation mensuelle à la somme de 135.706 euros hors taxe et hors charges à compter du 1er janvier 2019 et jusqu'à la libération des locaux sans indexation de son montant, à déduire des sommes déjà versées depuis la rupture du bail,
-le rejet de la demande de séquestre et, subsidiairement, que les frais de séquestre soient mis à la charge du bailleur,
-la condamnation de la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise à lui verser la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait observer qu'il n'est pas contesté par le bailleur que l'éviction entraînera la perte du fonds de commerce exploité dans les lieux depuis plus de 130 ans.
Elle estime que l'expert a commis une erreur de méthode dans l'évaluation de l'indemnité d'éviction qui doit être calculée selon les usages de la profession en considération des caractéristiques et de l'implantation du fonds évincé.
Elle explique que, pour déterminer le montant de l'indemnité principale, l'expert judiciaire a effectué la moyenne entre la méthode suivant les usages de la profession (multiple de la recette journalière) et la méthode financière retraitée (méthode de la profitabilité du fonds de commerce dite EBE).
Elle rappelle que l'évaluation doit s'opérer selon les usages de la profession, en l'occurrence en fonction du chiffre d'affaires TTC, en vertu de l'article L. 145-14 du code de commerce tel qu'interprété par la jurisprudence, car cette indemnité s'inscrit dans la réparation d'un préjudice et non dans une transaction imposable. Elle précise, s'agissant d'un fonds de commerce de café-brasserie, que la réparation du préjudice causé par l'éviction doit être recherchée suivant les usages de cette profession consistant en un multiple de la recette journalière permettant de déterminer sa valeur marchande. Elle souligne que la jurisprudence censure les évaluations procédant, pour cette branche d'activité, de la valorisation par l'excédent brut d'exploitation ou même de la moyenne de deux méthodes.
Elle explique que le fonds qu'elle exploite est un fonds de travail se distinguant des fonds de capitaux acquis pour la rentabilité qu'ils génèrent. Elle en déduit que la méthode de l'évaluation par l'EBE n'est pas pertinente pour un fonds de travail et ne correspond pas aux usages constatés en matière de café-bar qui s'effectue majoritairement par la recette journalière, voir par le chiffre d'affaires en retenant un pourcentage compris entre 85 % et 240 %. Elle en conclut que l'évaluation de l'indemnité d'éviction devra être opérée selon les usages de la profession, à savoir un multiple de la recette journalière, et que les préconisations de l'expert ayant déterminé sa valeur par une moyenne avec l'étude de la rentabilité du fonds devront être écartées.
Elle conteste subsidiairement les retraitements opérés par l'expert conduisant à minorer l'excédent brut d'exploitation. Elle estime que la rémunération du dirigeant et les avantages en nature doivent être réintégrés au résultat comptable. Elle considère également que le loyer de renouvellement n'aurait pas été déplafonné puisque les facteurs locaux de commercialité avaient été modifiés avant la conclusion du dernier bail si bien qu'il n'y a pas lieu de déduire de l'EBE la part de loyer de renouvellement.
Elle soutient que la recette journalière à prendre en compte est une recette journalière TTC qui s'établissait, à la date du dépôt du rapport à la somme de 4.417,77 euros sur la base de 365 jours. Elle explique que l'exercice 2020 doit être écarté en raison des mesures administratives de fermeture prises dans le cadre de la pandémie qui ont fait chuter temporairement le chiffre d'affaires mais ne correspond pas à une activité normale exploitée dans le fonds.
Elle fait valoir également que le coefficient de 600 retenu par l'expert n'est en adéquation ni avec les indications fournies par son propre rapport ni avec la situation du fonds. Elle fait observer que l'expert a relevé que le fonds avait une situation excellente sur un axe n° 1 proche de [Localité 9] [7], avait une terrasse de 90 places sur une voie partiellement piétonne, un taux de marge élevé et stable, un potentiel de développement complémentaire après modernisation. Or, elle considère que l'expert a commis une erreur en fixant ce coefficient multiplicateur par référence à des fonds de restauration dont la valeur est estimée en fonction d'un coefficient du chiffre d'affaires, ce qui sous-évalue de manière importante le montant de l'indemnité finale.
Elle indique fournir des publications de référence concernant la valorisation des fonds de commerce selon lesquelles ce coefficient varie entre 800 fois et 1500 fois la recette journalière TTC dans les grandes villes. Elle estime que les éléments de comparaison cités par l'expert judiciaire ne sont pas comparables car ils concernent des établissements de moins bonne situation et qualité. Elle considère qu’au regard de la situation du fonds qualifié d'excellente par l'expert judiciaire, de son implantation en angle, de la présence de deux grandes terrasses, mais également du taux élevé de marge brute, un coefficient de 1.100 fois la recette TTC est justifié portant l'indemnité principale à 5.153.500 euros.
Sur les indemnités accessoires, elle relève qu'elle ne conteste pas l'évaluation de son trouble commercial du fait de l'éviction à trois fois l'EBE dont le montant devra cependant être rectifié. Elle indique avoir produit deux devis de déménagement partiellement retenu par l'expert alors qu'elle devra restituer le local totalement vide. Elle précise sur l'indemnité de remploi que le preneur n'est pas son dirigeant qui a liquidé ses droits à la retraite mais la société qui a vocation à se réinstaller. Elle conclut qu'en conséquence les indemnités accessoires, auxquelles s'ajouteront les indemnités de licenciement du personnel, devront être fixées à la somme de 698.606 euros.
Elle soutient que l'indemnité d'occupation doit être fixe à la somme de 135.706 euros par an par référence à la valeur locative statutaire et non à la valeur locative de marché à défaut de clause du contrat de bail en ce sens.
Elle s'oppose à la consignation de l'indemnité d'éviction et à l'exécution provisoire du jugement. Elle rappelle que la désignation d'un séquestre n'est pas de droit et ne se justifie qu'en cas de désaccord des parties et non lorsque les indemnités ont judiciairement été fixées. Elle demande que l'exécution provisoire soit écartée car elle est incompatible tant avec le droit de repentir qu'avec le droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction.

La clôture de la procédure est intervenue le 28 décembre 2023. L'affaire, fixée à plaider à une audience à juge unique, a été renvoyée et plaidée à l'audience collégiale du 18 mars 2024. La décision a été mise en délibéré au 28 mai 2024 prorogé au 27 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fixation de l'indemnité d'éviction.

Aux termes de l'article L. 145-14 du code du commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Ce texte ajoute que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée selon les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

1. Sur l'indemnité principale.

L'indemnité d'éviction a pour objet de compenser le préjudice qui résulte pour le locataire de la perte de son droit au bail.

Si le fonds de commerce est transférable, l'indemnité principale correspond au minimum à la valeur du droit au bail, laquelle correspond à la différence entre le loyer qui aurait été payé par le locataire si le bail avait été renouvelé et la valeur locative de marché de ces mêmes locaux, affecté d'un coefficient de situation suivant l'intérêt de l'emplacement.

Si le fonds n'est pas transférable, l'indemnité principale correspond à la valeur du fonds dite " de remplacement " et comprend la valeur marchande du fonds, déterminée selon les usages de la profession. Si la valeur du droit au bail est supérieure à la valeur marchande du fonds, le locataire doit alors se voir allouer une indemnité égale à la valeur du droit au bail.

En l'espèce, le local commercial à usage de café, bar, grill, snack-bar se situe [Adresse 6] en angle avec l'[Adresse 5], en partie médiane de l'axe principal de [Localité 9] reliant en ligne droite la gare TER et TGV au Nord et la [Adresse 10] au sud, axe aménagé en voie piétonne, emprunté par le tramway et traversé par des voies de circulation.

L'expert relève que le flux piétonnier est abondant et jalonné de commerces diversifiés, à deux pas du centre commercial de [Localité 9] [7] qui concentre 90 cellules et comprend un parking souterrain de 2.200 places.

Mme [Y] [S] estime que la situation est excellente, sur un axe avec un flux de piétons régulier et abondant, à mi-chemin entre la gare SNCF et la [Adresse 10], face au magasin Monoprix et proche du centre commercial [Localité 9] [7].

Elle indique que le local commercial forme un angle ouvrant principalement [Adresse 6], que ses façades sont largement vitrées avec 16,60 mètres linéaires [Adresse 6] et 13,80 mètres linéaires [Adresse 5], qu'il dispose de deux terrasses : une vaste terrasse sous marquise ouverte sur l'[Adresse 6] avec une capacité d'environ 90 places et une terrasse sous véranda [Adresse 5] avec une capacité d'environ 20 places.

Elle ajoute que le local commercial et la terrasse en devanture sont parfaitement visibles sans les deux sens de circulation, qu'il comprend en rez-de-chaussée une salle de bar avec comptoir, un office, un bureau et un local sanitaire, au sous-sol des vestiaires et des caves pour stock de marchandise et, au premier étage les sanitaires, une salle avec comptoirs et une ancienne cuisine, le tout pour une surface pondérée de 221 m².

Les parties ne contestent pas que l'éviction entrainera la perte du fonds de commerce au regard de l'absence de locaux équivalents situés à proximité, bénéficiant de la même zone de chalandise et permettant de conserver la clientèle. L'emplacement et la nature de ces locaux sont en effet prépondérants dans l'exploitation du fonds qui n'est donc pas transférable, le bailleur sur lequel pèse la charge de la preuve ne fournissant aucun élément démontrant le contraire.

Il s'ensuit que l'indemnité principale est une indemnité dite de remplacement égale à la valeur du fonds de commerce qui doit être déterminée selon les usages de la profession.

Selon une étude produite par la locataire, un fonds de café - bar s'évalue sur la base d'un coefficient multiplicateur appliqué à la recette journalière hors taxe, qui varie entre 700 et 900 fois pour un établissement bénéficiant d'un bon emplacement, plus de 900 fois pour un établissement bénéficiant d'une excellent emplacement et porté jusqu'à 1200 - 1500 fois dans les cas exceptionnels où sont cumulés un excellent emplacement, une grande terrasse et une situation en angle.

Cet usage pour la détermination de la valeur marchande d'un fonds de commerce de café - bar est confirmé par les décisions produites dont l'une rappelle que, pour l'activité café-bar les valeurs se situent autour de 300 à 1200 fois la recette journalière HT, mais également par l'expert judiciaire qui a notamment appliqué cette méthode.

S'agissant de la TVA, elle doit être incluse dans le montant de la recette journalière qui sert de base au calcul de l'indemnité d'éviction si tel est l'usage de la profession mais, au regard de l'étude que produit la locataire elle-même, ce n'est pas le cas pour les fonds de commerce de café - bar en se fondant sur plusieurs sources.

En revanche, l'excédent brut d'exploitation n'est pas une méthode de détermination de la valeur d'un fonds de commerce de café-bar qui est en usage dans les cessions de fonds équivalent de ce secteur d'activité.

Il s'ensuit que l'indemnité d'éviction ne peut être le résultat de la moyenne de deux méthodes :

- la valeur marchande du fonds de commerce déterminée selon les usages de la profession conforme à l'article L. 145-14 du code de commerce,
- valeur marchande déterminée par référence à l'excédent brut d'exploitation retraité pour tenir compte d'éléments dépréciatifs qui ne reflète pas la valeur économique réelle de ce fonds de travail.

Dès lors, seule la méthode d'évaluation par référence à la recette journalière hors taxe correspondant aux usages de la profession peut donc fonder la détermination de l'indemnité d'éviction.

a. Sur la recette journalière.

Il est de principe que l'indemnité d'éviction doit être calculée à la date la plus proche de la réalisation du préjudice, à savoir à la date à laquelle les juges statuent lorsque l'éviction n'est pas encore réalisée tenant compte des variations économiques depuis l'expertise.

L'expert judiciaire a retenu une recette journalière de 3. 923 € HT en se fondant sur les éléments comptables des exercices 2017, 2018 et 2019 qui est contesté tant par la bailleresse que par la locataire.

La bailleresse considère que doivent être pris en compte les chiffres d'affaires des exercices 2019, 2020 et 2021 portant la recette journalière à 2.651 € HT alors que le locataire fait valoir que les années 2020 et 2021 ont été des périodes d'activité anormales en raison de la fermeture de l'établissement par suite de la crise sanitaire.

Il ne peut être contesté que les mesures administratives prises dans le cadre de la gestion de la pandémie de la Covid-19 et notamment la fermeture de tous les commerces dits " non essentiels " à plusieurs reprises au cours des années 2020 et 2021 avec des mesures dites de " distanciation sociale " ont perturbé temporairement l'activité de la locataire et se sont reflétées sur son chiffre d'affaires.

Or, la valeur du fonds ne peut être appréciée qu'en fonction des éléments propres à ce fonds dans le cadre de la poursuite d'une activité normale. Il ne peut être tiré avantage par le bailleur de la survenance d'un évènement exceptionnel qui n'a pas vocation à se reproduire.

Il sera souligné que, selon les éléments comptables produit par la locataire, son chiffre d'affaire a retrouvé et dépassé son niveau antérieur à la pandémie pour s'établir à 1.584.888€ HT pour l'exercice comptable 2022.

La valeur de ce fonds de commerce, si elle devait être appréciée par référence aux usages de la profession, ne serait donc pas basée sur les chiffres d'affaires réalisées durant la pandémie qui, n'étant pas pertinents, seront écartés comme ne permettant pas d'apprécier la valeur économique réelle du fonds.

A l'exclusion des années 2020 et 2021, la moyenne du chiffre d'affaires hors taxes à retenir s'établit donc à 1.492.917 euros, soit une recette journalière de 4 090 € HT pour 365 jours par an, le commerce étant exploité tous les jours de l'année.

Il convient donc de retenir une recette journalière annuelle de 4.090 € HT, actualisée au plus proche de l'éviction du locataire.

b. Sur le coefficient multiplicateur.

L'expert judiciaire indique avoir procédé à des recherches dans différentes publications et dans la jurisprudence qui fixe un coefficient multiplicateur de 500 à 700 fois la recette journalière HT pour des brasseries et de de 800 à 900 fois la recette journalière TTC dans les grandes villes pour des commerces de café-débit de boisson.

Elle précise que les valeurs les plus élevées sont observées dans les villes de plus de 100.000 habitants, sur les artères principales ou meilleurs emplacements mais qu'isolément, ces éléments sont insuffisants pour déterminer la valeur du fonds de commerce.

Elle retient un coefficient de 600 fois la recette journalière en expliquant, dans sa réponse à un dire du conseil de la locataire que " ce coefficient de 600 fois la recette journalière Hors Taxes est fondée sur les prix couramment pratiqués pour des activités comparables ".

Pour autant, elle rappelle que [Localité 9] est une ville de 346.055 habitants et que la situation du local est excellente car situé sur un axe principal de la ville reliant la gare à la [Adresse 10], aménagé en voie piétonne, jalonné de commerces diversifiés, à proximité du centre commercial [Localité 9] [7], avec un flux de piéton régulier et abondant.

Elle ajoute que le local forme un angle ouvrant principalement sur l'[Adresse 6], avec deux façades disposant de deux terrasses en devanture, de plus de 20 mètres de linéaire cumulé, parfaitement visibles dans les deux sens de circulation.

Elle indique fonder son avis sur la recette journalière sur une " situation excellente sur un axe n° 1, proche de [Localité 9] [7], une position avec terrasse de 90 places sur une voie partiellement piétonne, un taux de marge élevé et stable ainsi qu'un potentiel de développement complémentaire après modernisation. "

Or, le coefficient multiplicateur de 600 qu'elle retient, qui est l'un des plus bas des références qu'elle rapporte, n'est pas en adéquation avec ses constatations sur l'emplacement et la configuration du local mais également avec les éléments doctrinaux et jurisprudentiels qu'elle fournit.

Ce coefficient multiplicateur paraît avoir été fixé par recoupement avec des transactions réalisées à proximité de l'établissement mais également dans le Vieux [Localité 9], dont les chiffres d'affaires sont soit inconnus soit bien inférieurs (le Félix Faure notamment), qui ont des activités et une consistance différentes (China Fast Food).

Si l'établissement exploité par la locataire bénéficie d'un excellent emplacement, dans une zone centrale, piétonne, desservie par le tramway, à proximité de commerces générant avec un fort passage de clientèle, qu'il est visible avec une grande terrasse et une situation en angle, il est situé relativement haut dans l'[Adresse 6] et nécessite des travaux de modernisation selon les constatations de l'expert.

En considération de l'ensemble de ces éléments, le juste coefficient multiplicateur sera fixé à 800 fois la recette journalière hors taxe.

Par conséquent, l'indemnité principale destinée à compenser le préjudice causé par l'éviction et la perte du fonds de commerce sera fixée à la somme de 3.272.000 euros.

2. Sur les indemnités accessoires.

Le fait que l'indemnité d'éviction a le caractère d'une indemnité de remplacement ne fait pas obstacle à l'appréciation des indemnités dites accessoires que subit le preneur évincé du fait de l'éviction.

a. Frais de remploi

Ces frais sont destinés à permettre au locataire évincé de faire face aux frais qu'il devra débourser à l'occasion de l'achat d'un fonds d'une valeur équivalente à celui dont il est évincé et comprennent notamment les droits de mutation à payer, et les frais d'agence et de rédaction d'acte.

La société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise estime que cette indemnité n'est pas due car le dirigeant et associé unique de la société Café de [Localité 8] et du Centre a fait valoir ses droits à la retraite au cours de l'année 2019, ce qui prouve l'absence de réinstallation à venir.

Il sera observé que le preneur à bail n'est pas M. [U] [J] mais la société Café de [Localité 8] et du Centre qui a poursuivi son activité, ayant réalisé un chiffre d'affaires hors taxes de 1.492.917 euros en 2022.

Cet argument sera donc écarté et la proposition de l'expert de voir chiffrer à hauteur de 10% du montant de l'indemnité principale le montant de ces frais de remploi qui est conforme aux usages sera adoptée.

Il en résulte une indemnité de frais de remploi de 327.200 euros.

b. Trouble commercial

L'indemnité fondée sur le trouble commercial est destinée à compenser la perte de temps générée par l'éviction et le moindre investissement dans le commerce. Bien que non citée par l'article L. 145-14 du code de commerce, elle est communément admise.

L'expert judiciaire propose une indemnisation égale à trois mois d'EBE retraité, mode de calcul que la locataire accepte en sollicitant toutefois qu'elle soit calculée sur la base de trois mois d'EBE non retraité.

La société bailleresse ne s'explique pas sur cette indemnité en considérant qu'il n'existe pas de droit au paiement d'indemnités accessoires.

Toutefois, il n'est pas justifié de procéder à une modification de l'EBE calculé par l'expert pour augmenter le montant de cette indemnité qui sera fixée, conformément aux conclusions du technicien à la somme de 64.177 euros.

c. Frais de déménagement

Ces indemnités accessoires ont pour objet d'indemniser le preneur des frais exposés pour libérer entièrement les locaux dont il est évincé lorsqu'il se réinstalle. En cas de remplacement du fonds de commerce, seuls les frais liés au déménagement des effets personnels, des archives et du stock sont en principe indemnisés.

C'est donc conformément à ces principes que l'expert a retenu qu'il n'y avait pas lieu de retenir les frais de déménagement à la suite de la perte du fonds de commerce pour évaluer le montant de cette indemnité à la somme de 4.250 euros.

d. Frais administratifs et divers

Les frais administratifs divers au titre des frais de modification au registre du commerce, de la résiliation des contrats d'abonnements et des formalités diverses justifient d'allouer la somme de 5.000 euros retenue par l'expert et acceptée par la locataire.

e. Matériel et agencement non amortis

L'expert évalue les immobilisations non amorties correspondant aux agencements, travaux, matériel de bureau et informatique à la somme de 37.108 euros qui n'est pas discutée.

f. Les frais de licenciement

Il ressort du rapport d'expertise que la société Café de [Localité 8] et du Centre a justifié employer 10 salariés au 31 décembre 2018 et que la disparition du fonds de commerce pourra entrainer la rupture des contrats de travail.

En conséquence, les frais de licenciement seront remboursables sur justificatifs par la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise.

En conséquence, il y a lieu de fixer l'indemnité d'éviction aux montants suivants :

- Indemnité principale : 3.272.000 euros
- Frais de remploi : 327.200 euros
- Trouble commercial : 64.177 euros
- Frais de déménagement : 4.250 euros
- Frais administratif : 5.000 euros
- Matériels et agencements non amortis : 37.108 euros
-Indemnité de licenciement : sur justificatifs

Soit un total de 3.709.735 euros, hors frais de licenciement.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'indemnité d'éviction à laquelle a droit la société Café de [Localité 8] et du Centre sera fixée à la somme globale de 3.709.735 euros.

Sur la fixation de l'indemnité d'occupation.

Aux termes de l'article L. 145-28 du code de commerce, le preneur ayant droit au paiement d'une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.

Ce texte précise que cette indemnité d'occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte-tenu de tous éléments d'appréciation.

Il est acquis qu'en application de ce texte, l'indemnité d'occupation doit être déterminée, à défaut de convention contraire, en fonction de la valeur locative fixée selon les critères de l'article L. 145-33 du Code de commerce.

Cette valeur locative d'après laquelle est déterminée l'indemnité d'occupation est la même que celle servant de base à la détermination du loyer de renouvellement, c'est-à-dire une valeur locative judiciaire, par opposition à la valeur locative de marché.

La règle de la fixation de l'indemnité d'occupation en fonction de la valeur locative ne souffre pas d'exception, l'article L. 145-34 du code de commerce relatif au plafonnement étant inapplicable à l'indemnité d'occupation.

Dès lors, l'indemnité d'occupation correspond à la valeur locative, non pas de marché mais de renouvellement, dans des conditions exclusives de tout plafonnement.

En revanche, l'article L. 145-28 du code de commerce précisant que l'indemnité d'occupation est déterminée compte tenu de tous éléments d'appréciation, lui est généralement appliqué un abattement dit de " précarité ", le preneur simplement maintenu dans les lieux ne jouissant pas des mêmes prérogatives que le locataire bénéficiant d'un bail renouvelé.

En effet, la situation du preneur maintenu dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction présente des inconvénients manifestes car il ne peut réaliser des travaux de modernisation ou d'amélioration de ses locaux, il ne peut céder, en pratique, ses droits qui sont précaires et le fait de ne pas savoir avec exactitude la date à laquelle il sera amené à devoir quitter les locaux constitue une gêne incontestable pour son exploitation.

L'abattement pratiqué est usuellement de 10 %, voire exceptionnellement de 15 %, sans que le preneur ait à justifier d'un préjudice particulier, l'abattement n'étant exclu que dans les rares hypothèses ou au contraire le propriétaire démontre qu'il n'existe aucun préjudice.

En l'espèce, l'expert a justement évalué le loyer théorique de renouvellement en indiquant avoir vérifié si, au cours du bail renouvelé le 1er janvier 2010 ayant expiré le 31 décembre 2019, il y avait eu une modification des obligations des parties, des caractéristiques du bail ou des facteurs locaux de commercialité.

Elle indique n'avoir pas relevé de modification des obligations des parties ou des caractéristiques du bail mais avoir procédé à l'analyse de l'évolution des facteurs locaux de commercialité pour l'activité de café - bar avec une clientèle diversifiée composée d'habitués et de clients de passage.

Elle explique qu'en 2012, l'[Adresse 6] est devenue entièrement piétonne avec une esplanade plus large de chaque côté de la ligne de tramway centrale.

Elle précise que cette mise en voie piétonne et les embellissements réalisés sont favorable à l'activité de bar - café exercée, bénéficiant d'une terrasse de 90 places ouvrant largement sur l'avenue (17 mètres de linéaire), ce qui a eu un impact concret notamment avec une hausse sensible du chiffre d'affaires à partir de 2012.

Elle procède, par comparaison avec des baux de locaux commerciaux situés à proximité de l'établissement, à la détermination d'une valeur de renouvellement d'un montant de 700 € / m²/an pour la partie commerciale et de 9 €/m²/an pour l'appartement, soit 169.633 € par an hors taxes et hors charges.

La société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise conteste le loyer de renouvellement en estimant que l'indemnité d'occupation aurait dû être fixée au montant du loyer de marché correspondant à celui qu'il aurait pu percevoir s'il avait mis en location les locaux.

Toutefois, cette appréciation est erronée car, en se référant aux critères de l'article L. 145-33 du code de commerce pour fixer l'indemnité d'occupation statutaire, l'article L. 145-28 du code de commerce exclut, sauf clause contraire du bail inexistante en l'espèce, qu'elle soit fixée au prix de la valeur locative de marché.

En revanche, l'antériorité avec laquelle le congé a été délivré ne permet pas de considérer qu'il en ressort un préjudice devant exceptionnellement être réparé par un abattement de précarité de 20 % comme le suggère l'expert.

Cette option reviendrait à fixer le montant de l'indemnité d'occupation au montant du loyer en cours, sans tenir compte de l'évolution favorable des facteurs locaux de commercialité, ce qui ne correspond pas à un loyer de renouvellement.

Il sera dès lors retenu un abattement de " précarité " de 10 % conduisant à fixer le montant de l'indemnité d'occupation à 152.669,70 euros par an hors taxes et hors charges.

La loi ne prévoit aucune obligation d'indexation de cette indemnité qui doit être fixée selon tous éléments d'appréciation si bien qu'au regard de son déplafonnement, il n'est pas justifié en l'espèce de procéder à l'indexation que sollicite la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise.

Par ailleurs, en vertu de l'article 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de sommes d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure.

Les intérêts moratoires étant destinés à sanctionner un retard dans le paiement, il n'est également pas justifié de reporter le point de départ sur les compléments dus par la société Café de [Localité 8] et du Centre au titre d'une indemnité d'occupation dont elle n'a pas connu le montant antérieurement au prononcé de la décision qui le fixe.

Sur la compensation.

En vertu de l'article 1347 du code civil, la compensation est l'extinction simultanée d'obligations simultanées entre deux personnes qui s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence à la date où ses conditions se trouvent réunies.

En l'espèce, les parties sollicitant toutes deux la compensation de leurs créances réciproques à due concurrence, il convient de l'ordonner dans la mesure où les conditions en sont réunies.

Sur la demande de séquestre.

Au terme de l'article L. 145-29 du code de commerce, en cas d'éviction, les lieux doivent être remis au bailleur à l'expiration d'un délai de trois mois suivant la date du versement de l'indemnité d'éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l'indemnité à un séquestre.

Ce texte précise qu'à défaut d'accord entre les parties, le séquestre est nommé par le jugement prononçant la condamnation au paiement de l'indemnité ou, à défaut, par simple ordonnance sur requête et qu'il verse l'indemnité au locataire sur sa seule quittance, s'il n'y a pas d'opposition des créanciers inscrits et contre remise des clés du local vide, sur justification du paiement des impôts, des loyers et sous réserve des réparations locatives.

L'article L. 145-30 du même code prévoit qu'en cas de non-remise des clés à la date fixée et après mise en demeure, le séquestre retient 1 % par jour de retard sur le montant de l'indemnité et restitue cette retenue au bailleur sur sa seule quittance.

La désignation d'un séquestre pour percevoir l'indemnité d'éviction n'est pas de droit et elle doit être justifiée par le bailleur qui la sollicite par des circonstances particulières.

Or, en l'espèce, il n'est fait état d'aucune circonstance par la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise qui justifierait la désignation d'un séquestre pour percevoir l'indemnité d'éviction jusqu'à ce que le locataire restitue les lieux vides de toute occupation.

La demande de désignation d'un séquestre sera par conséquent rejetée.

Sur les demandes accessoires.

L'existence du droit de repentir dont bénéficie la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise en vertu de l'article L. 145-58 du code de commerce jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée justifie que l'exécution provisoire de droit soit écartée.

L'instance et l'expertise trouvant leur origine dans la délivrance par le bailleur d'un congé sans offre de renouvellement, la société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise sera condamnée aux dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ordonnée en référé, avec distraction au profit de Maître Hervé Boulard, avocat au Barreau de Nice, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Ciseaux d'Argent la Maison de la Chemise sera en outre condamnée à payer à la société Café de [Localité 8] et du Centre la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire rendu en premier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe,

FIXE l'indemnité d'éviction des locaux commerciaux situés [Adresse 1] à [Localité 9] due par la société Ciseaux d'Argent La Maison de la Chemise à la société Café de [Localité 8] et du Centre à 3.709.735 euros, hors frais de licenciement ;

CONDAMNE la société Ciseaux d'Argent La Maison de la Chemise à verser, à défaut d'exercice de son droit de repentir, à la société Café de [Localité 8] et du Centre la somme de 3.709.735 euros, outre les frais de licenciement dus sur production de justificatifs ;

FIXE l'indemnité d'occupation due par la société Café de [Localité 8] et du Centre à la société Ciseaux d'Argent La Maison de la Chemise depuis le 1er janvier 2019 et jusqu'à la restitution des lieux à la somme de 152.669,70 euros par an hors taxes et hors charges ;

CONDAMNE la société Café de [Localité 8] et du Centre à verser à la société Ciseaux d'Argent La Maison de la Chemise le solde différentiel entre le montant de l'indemnité d'occupation due depuis le 1er janvier 2019 et le montant des sommes versées ;

ORDONNE la compensation à due concurrence entre les créances réciproques des parties ;

DEBOUTE la société Ciseaux d'Argent La Maison de la Chemise de ses demandes d'indexation de l'indemnité d'occupation, de paiement des intérêts au taux légal à compter de l'exigibilité de chaque échéance trimestrielle et de désignation d'un séquestre ;

CONDAMNE la société Ciseaux d'Argent La Maison de la Chemise à payer à la société Café de [Localité 8] et du Centre la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Ciseaux d'Argent La Maison de la Chemise aux dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ordonnée en référé, avec distraction au profit de Maître Hervé Boulard, avocat au Barreau de Nice, en application de l'article 699 du code de procédure civile

ECARTE l'exécution provisoire de la présente décision ;

Et le Président a signé avec le Greffier.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nice
Formation : 4ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/02417
Date de la décision : 05/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-05;19.02417 ?
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