TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTERRE
â–
PÔLE SOCIAL
Affaires de sécurité sociale et aide sociale
JUGEMENT RENDU LE
02 Septembre 2024
N° RG 20/01021 -
N° Portalis DB3R-W-B7E-V23Q
N° Minute : 24/01225
AFFAIRE
Société [10]
C/
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU VAL-DE-MARNE
Copies délivrées le :
DEMANDERESSE
Société [10]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Frédérique BELLET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0881,
substituée à l’audience par Me Cruse MASSOSSO BENGA, avocat au barreau de PARIS
DEFENDERESSE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU VAL-DE-MARNE
Pôle des affaires juridiques - Service contentieux
[Localité 6]
représentée par Mme [R] [M], munie d’un pouvoir régulier
***
L’affaire a été débattue le 04 Juin 2024 en audience publique devant le tribunal composé de :
Matthieu DANGLA, Vice-Président
Gérard BEHAR, Assesseur, représentant les travailleurs salariés
Isabelle BASSINI, Assesseur, représentant les travailleurs non-salariés
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats et du prononcé : Arthur LUDOT.
JUGEMENT
Prononcé avant dire droit, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon la déclaration du 16 octobre 2013, Monsieur [K] [H], salarié de la société [10] en qualité d'employé, a subi un accident du travail le 15 octobre 2013 dans les circonstances suivantes : " selon les dires de la victime, en poussant son chariot dans le rayon fruits et légumes, elle aurait trébuché et aurait eu un coup dans le tibia droit et douleurs au dos ".
Un certificat médical initial du 16 octobre 2013 constatant une contracture lombaire et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 25 octobre 2013.
Le 28 octobre 2013, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a pris en charge d'emblée cet accident au titre de la législation professionnelle.
De nouvelles lésions ont été déclarées par Monsieur [H] :
- une irradiation du membre inférieur gauche selon certificat médical du 29 juillet 2014, ayant donné lieu à une décision de prise en charge du 18 août 2014 ;
- des lésions de l'épaule droite, selon certificat médical du 9 décembre 2014, ayant donné lieu à un refus de prise en charge du 7 janvier 2015.
L'état de santé de Monsieur [H] a été déclaré consolidé avec séquelles indemnisables à la date du 15 janvier 2015 et un taux d'incapacité de 5 % lui a été attribué.
Contestant la prise en charge des soins et arrêts de travail consécutifs à cet accident, la société [10] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM du Val-de-Marne le 20 janvier 2020.
En l'absence de réponse dans le délai imparti, la société [10] a, par courrier recommandé avec demande d'avis de réception le 7 juillet 2020, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre.
L'affaire a été appelée à l'audience du 4 juin 2024, à laquelle les parties, représentées, ont été entendues en leurs observations.
La société [10] demande au tribunal de :
à titre principal,
- dire et juger inopposable à la société [10] l'ensemble des lésions, soins et arrêts de travail pris en charge au titre de l'accident du travail du 15 octobre 2013 ;
à titre subsidiaire,
- juger qu'il existe un litige d'ordre médical portant sur la réelle imputabilité de l'ensemble des lésions, prestations, soins et arrêts de travail pris en charge au titre de l'accident du 15 octobre 2013 déclaré par Monsieur [H] ;
- ordonner avant dire droit une expertise médicale judiciaire ;
- mettre à la charge de la CPAM les frais et honoraires d'expertise ;
- donner acte à la société [10] qu'elle n'est pas opposée à avancer les frais d'expertise sous réserve qu'il lui soit donné acte qu'elle se réserve la possibilité de demander à être remboursée par la CPAM de l'avance qu'elle aura faite.
En réplique, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne demande au tribunal de :
à titre principal,
- débouter la société [10] de toutes ses demandes, en ce compris la demande d'expertise médicale ;
à titre subsidiaire,
- déclarer imposable à la société [10] la décision de prise en charge de l'accident déclaré par Monsieur [H] ainsi que l'ensemble de ses conséquences.
Il est fait référence aux écritures déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré au 2 septembre 2024 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
* Sur l'imputabilité des soins et arrêts de travail
Des dispositions des articles L411-1, L433-1 et L443-1 du code de la sécurité sociale et 1315 du code civil, il résulte que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant la guérison complète ou la consolidation de l'état de la victime.
Il incombe ainsi à l'employeur, qui ne remet pas en cause les conditions de prise en charge de l'accident du travail, de faire la preuve que les arrêts de travail et les soins prescrits en conséquence de celui-ci résultent d'une cause totalement étrangère au travail. Cette cause étrangère est caractérisée par la démonstration que les arrêts et soins sont la conséquence d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte et sans lien aucun avec le travail.
Dès lors, la disproportion entre la longueur des soins et arrêts, et la lésion initialement décrite ou l'arrêt initialement prescrit, ne peut suffire à combattre la présomption d'imputabilité.
En l'espèce, la société [10], s'appuyant sur une note de son médecin-conseil, le docteur [N], soutient que l'accident du travail a entraîné des contractures lombaires, attestant d'une souffrance musculaire dans la région du bas du dos, alors que, à compter du 21 décembre 2013, des lésions distinctes ont été mentionnées (et en premier lieu une douleur dorsale). Elle évoque également l'existence d'un état antérieur mentionné dans la décision de notification de rente, mais non-documenté. Elle estime ainsi que les lésions, soins et arrêts postérieurs au 20 décembre 2013 doivent lui être déclarés inopposables, conformément à l'avis de son médecin-conseil, ou à titre subsidiaire qu'une expertise médicale judiciaire soit ordonnée.
La CPAM du Val-de-Marne fait valoir que la société échoue à renverser la présomption d'imputabilité, une supposée longueur anormale des soins et arrêts prescrits ou encore l'existence d'un état pathologique antérieur étant insuffisants à cet égard. Elle fait valoir que son service médical, qui est indépendant, a eu l'occasion de se prononcer sur le dossier de Monsieur [H] à plusieurs reprises, au vu de l'intégralité de son dossier médical et après avoir pu procéder à son examen clinique. De plus, Monsieur [H] s'avère avoir fait l'objet d'un suivi par le même praticien, le docteur [E]. Elle en déduit que l' avis du docteur [N] ne permet pas de contredire les constatations faites par le médecin prescripteur et par son service médical. Elle fait enfin valoir que la société [10] se base sur un référentiel AMELI qui n'a qu'une valeur indicative et ne sauraient être appliqué au cas d'espèce.
Dans le cas présent, la décision du 11 février 2015 attribuant un taux d'incapacité permanente partielle de 5 % à Monsieur [H] à la date du 26 janvier 2015 précise que ce taux est justifié par l'existence de " séquelles indemnisables d'un traumatisme lombaire survenu sur un état pathologique antérieur consistant en des douleurs résiduelles et une rigidité rachidienne ".
Le docteur [N], médecin-conseil de la société [10], a indiqué dans sa note du 3 décembre 2019 :
" L'ensemble des certificats a été réalisé par le médecin généraliste qui a assuré le suivi de bout en bout, sans qu'il y ait, semble-t-il, intervention d'un médecin spécialiste, qu'il soit chirurgien orthopédique ou rhumatologue.
Le moins qu'on puisse dire est que pendant les 445 jours d'arrêts imputés, la symptomatologie a été changeante et les symptômes non continus d'une période à l'autre.
Initialement, il est constaté une contracture lombaire qui atteste d'une souffrance musculaire dans la région du bas du dos.
Après cinq semaines d'évolution, cette symptomatologie douloureuse lombaire disparaît et ne sont plus alors constatés que des douleurs dorsales, se situant donc sur une autre région anatomique, qui sont constatés pendant deux mois environ.
En janvier 2014, ces constatations disparaissent et il est alors constaté une douleur sciatique gauche, symptomatologie nouvelle qui ne semble pas avoir été traitée comme une nouvelle lésion par la caisse.
En février, réapparition des douleurs lombaires, seuls symptômes constatés pendant quatre mois avec en juin apparition en plus d'une douleur de l'épaule droite, dont on ne sait pas si la caisse l'a prise en charge ou pas au titre d'une nouvelle lésion.
Apparaît alors à partir du mois de juillet la constatation d'une méralgie, terme désignant une douleur survenant dans le territoire précis du nerf fémoro-cutané, dessinant grossièrement une raquette de tennis sur la face externe de la cuisse.
En novembre 2014, les constatations concernent des rachialgies, sans précision de localisation, irradiant au membre inférieur gauche, avec une capsulite de l'épaule droite, dont on ne sait pas si la caisse l'a acceptée ou pas au titre d'une nouvelle lésion.
Enfin, le médecin-conseil à la date de la consolidation a fixé un taux d'IPP de 5 % pour les séquelles d'un traumatisme lombaire survenant sur un état antérieur. Aucune précision n'est apportée sur cet état antérieur.
En définitive, alors qu'il y a une fluctuation des constatations médicales avec une discontinuité répétée des symptômes, il n'est mis en évidence aucune lésion traumatique pouvant être la conséquence de l'accident tel qu'il est décrit. (…).
Il y a lieu de considérer que seule la symptomatologie initialement constatée, soit des contractures lombaires, peut être, malgré l'absence de lésion identifiée, mise en relation avec l'accident (…) ".
Ce médecin-conseil a ensuite considéré que la date du 20 novembre 2013 devait être considérée comme la date de guérison, voire de consolidation avec retour à l'état antérieur des seules lésions en rapport avec l'accident du 15 octobre 2013.
S'il est exact que l'existence d'un état antérieur ne suffit pas à à lui seul à rapporter la preuve que les lésions ont une origine totalement étrangère au travail, cet état antérieur, tel qu'analysé par le médecin-conseil de la société [10], constitue un commencement de preuve de nature à mettre en doute l'imputabilité de l'intégralité des soins et arrêts de travail à l'accident. Le doute sur l'imputabilité de certains soins et arrêts de travail est également renforcé par les variations des symptomatologie présentées par Monsieur [H] à la suite de l'accident du travail du 15 octobre 2013.
Par conséquent, le tribunal n'étant pas suffisamment éclairé, il y aura lieu d'ordonner une consultation médicale, ainsi qu'il sera précisé au dispositif de la présente décision. Aucune question relative à la fixation de la date de consolidation de l'état de santé de Monsieur [H] ne sera intégrée dans la mission de l'expert, cette question intéressant les seules relations entre l'assuré et la caisse, et non celles entre la caisse et l'employeur.
Il sera sursis à statuer sur les autres demandes des parties dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert.
Les dépens seront également réservés dans cette attente.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, et mis à disposition au greffe,
Avant dire droit,
Ordonne une consultation et commet pour y procéder le :
Docteur [Z] [B]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Tél : [XXXXXXXX01]
[Courriel 8]
qui pourra se faire assister de tout spécialiste de son choix, avec pour mission, de :
- consulter les pièces du dossier qui lui seront transmises par les parties et leur médecin conseil ;
- procéder à l'examen sur pièces du dossier de Monsieur [K] [H] ;
- déterminer les lésions provoquées par l'accident du travail du 15 octobre 2013 de Monsieur [K] [H] ;
- fixer la durée des arrêts de travail et des soins en relation directe avec ces lésions ;
- dire si l'accident a seulement révélé ou s'il a temporairement aggravé un état pathologique antérieur ou survenu postérieurement et totalement étranger aux lésions initiales et dans ce dernier cas, dire à partir de quelle date cet état est revenu au statu quo ante ou a recommencé à évoluer pour son propre compte ;
- dire, en tout état de cause, à partir de quelle date la prise en charge des lésions, prestations soins et arrêts au titre de la législation professionnelle n'est plus médicalement justifiée au regard de l'évolution du seul état consécutif à l'accident déclaré ;
- préciser à partir de quelle date cet état pathologique évoluant pour son propre compte est devenu la cause exclusive des arrêts et soins.
Ordonne au service médical de la caisse d'adresser exclusivement par courriel dans un délai maximum de 15 jours à compter de la notification de la présente, à l'expert et au médecin conseil de la société [10] ([Courriel 9]) l'ensemble des éléments médicaux concernant Monsieur [K] [H] (certificat médical initial, certificats de prolongation, certificat de nouvelle lésion éventuelle, décision de consolidation et de séquelles, rapport d'évaluation, avis rendus...) ;
Ordonne également au médecin conseil de la société d'adresser par la même voie à l'expert et au service médical de la caisse en précisant " à destination du service médical ") et dans les mêmes délais toute pièce ou avis qui lui semblerait utile ;
Dit que le consultant devra adresser un rapport écrit au greffe du présent tribunal dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle il aura été avisé de sa mission ;
Dit qu'il en adressera directement copie aux parties et au médecin conseil de la société ;
Rappelle que la rémunération du médecin consultant est réglementée par l'arrêté du 29 décembre 2020 et prise en charge par la [7] à hauteur de 80,50 € ;
Ordonne un sursis à statuer ;
Dit que le dossier sera rappelé à l'audience dès le dépôt des conclusions d'une des parties après rapport de l'expert désigné, sauf aux parties à accepter une procédure sans audience ou à la société requérante à se désister de son action.
Réserve les dépens.
Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 2 septembre 2024, et signé par le président et le greffier.
Le Greffier, Le Président,