TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTERRE
■
PÔLE SOCIAL
Affaires de sécurité sociale et aide sociale
JUGEMENT RENDU LE
02 Septembre 2024
N° RG 20/00992 -
N° Portalis DB3R-W-B7E-V2O5
N° Minute : 24/01224
AFFAIRE
S.A. [6]
C/
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’EURE
Copies délivrées le :
DEMANDERESSE
S.A. [6]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Elodie BOSSUOT-QUIN, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 659,
substituée à l’audience par Me Quentin BOCQUET, avocat au barreau de LYON
DEFENDERESSE
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’EURE
[Adresse 11]
[Localité 2]
représentée par Mme [C] [I], munie d’un pouvoir régulier
***
L’affaire a été débattue le 04 Juin 2024 en audience publique devant le tribunal composé de :
Matthieu DANGLA, Vice-Président
Gérard BEHAR, Assesseur, représentant les travailleurs salariés
Isabelle BASSINI, Assesseur, représentant les travailleurs non-salariés
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats et du prononcé : Arthur LUDOT.
JUGEMENT
Prononcé par décision mixte et contradictoire, mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon la déclaration du 2 janvier 2019, M. [T] [Y], salarié en qualité d'opérateur coloration au sein de la SA [6], a indiqué à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, être atteinte d'une " tendinopathie de la coiffe des rotateurs gauche ", qu'il a souhaité voir reconnaître au titre d'une maladie professionnelle. Il a joint un certificat médical initial du 11 octobre 2018 constatant cette pathologie.
Le 26 décembre 2019, la caisse a pris en charge la pathologie au titre de la législation professionnelle, à la suite de l'avis rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 10] Normandie.
Contestant l'opposabilité de cette décision, la société a saisi la commission de recours amiable de la caisse le 24 février 2020, laquelle a pris une décision de rejet en sa séance du 9 juillet 2020.
Par courrier du 3 juillet 2020, la société a alors saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre.
L'affaire a été appelée à l'audience du 4 juin 2024 à laquelle les parties, représentées, ont comparu et ont pu faire valoir leurs observations.
La SA [6] demande au tribunal de :
à titre principal,
- de lui déclarer inopposable la décision de prise en charge contestée, celle-ci n'étant pas assez informée sur les conditions dans lesquelles la date de première constatation médicale a été fixée,
à titre subsidiaire,
- lui déclarer inopposable la décision de prise en charge contestée, la procédure d'instruction et le principe du contradictoire n'ayant pas été respectés par la caisse,
à titre plus subsidiaire,
- avant dire droit, annuler l'avis rendu par le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles saisi par la caisse et en conséquence, recueillir de nouveau, avant-dire droit l'avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles sur l'existence d'un lien de causalité direct entre la pathologie développée par M. [Y] et son travail habituel,
- enjoindre au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, dans le cadre de sa mission, de prendre connaissance des observations formulées par la société et des pièces versées aux débats,
à titre encore plus subsidiaire,
- recueillir, avant-dire droit l'avis d'un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles que celui saisi par la caisse en cours d'instruction,
- enjoindre au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, dans le cadre de sa mission, de prendre connaissance des observations formulées par la société et des pièces versées aux débats.
En réplique, aux termes de ses conclusions et des débats, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure demande au tribunal de :
- confirmer sa décision,
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré au 2 septembre 2024 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION
* Sur le moyen tiré de l'irrégularité afférente à la date de première constatation médicale
En vertu de l'article D 461-1-1 du code de la sécurité sociale, " pour l'application du dernier alinéa de l'article L461-2, la date de la première constatation médicale est la date à laquelle les premières manifestations de la maladie ont été constatées par un médecin avant même que le diagnostic ne soit établi. Elle est fixée par le médecin conseil ".
En l'espèce, la société soutient que le médecin conseil de la CPAM a fixé la date de première constatation médicale au 29 septembre 2018 et que la caisse n'aurait pas produit l'arrêt de travail intervenu à cette date, de sorte qu'aucun élément n'établirait que celui-ci a été prescrit pour la même pathologie que celle diagnostiquée.
La CPAM soutient pour sa part que la société a été suffisamment informée en recevant une copie de la fiche de liaison médico-administrative.
Il convient de rappeler que la pièce caractérisant la première date de constatation médicale, dont la date est antérieure à celle du certificat médical initial, n'est pas une pièce qui doit être jointe au dossier devant être mis à disposition de l'employeur et celui-ci a été suffisamment informé par les mentions figurant dans le colloque médico-administratif des éléments sur la base desquels la date de première constatation médicale a été fixée.
La société ne faisant valoir aucun élément de nature à établir que cette date de constatation médicale serait erronée, elle sera déboutée de ce premier moyen.
* Sur le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'instruction et du non-respect du principe du contradictoire
Il ressort de l'article R441-14 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, que la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R441-13.
L'article R441-13 ancien du même code mentionne les éléments suivants comme ceux devant figurer au dossier constitué par la caisse, transmis aux parties à leur demande :
" Le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre ;
1°) la déclaration d'accident ;
2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;
3°) les constats faits par la caisse primaire ;
4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties ;
5°) les éléments communiqués par la caisse régionale.
Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur, ou à leurs mandataires.
Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire ".
L'ensemble de ces règles a pour but de garantir le caractère contradictoire de la procédure aux diverses étapes de l'instruction du dossier par la caisse, afin notamment de permettre à l'employeur de faire valoir ses observations préalablement à la décision à intervenir de l'organisme de sécurité sociale.
Ces dispositions présentent un caractère impératif, dès lors qu'elles sont d'ordre public, ainsi que le souligne une jurisprudence constante en la matière, qui sanctionne les manquements de la caisse à ce principe par l'inopposabilité de sa décision à l'employeur.
En l'espèce, la société considère que la caisse n'a pas respecté le principe du contradictoire dès lors qu'elle ne lui a pas permis de faire des copies des pièces lors de la consultation par un représentant de la société.
La caisse soutient pour sa part que le représentant est venu consulter le dossier le 15 octobre 2019 et qu'il a signé une attestation indiquant qu'il avait consulté toutes les pièces consultables.
Il apparaît effectivement que la société [6] a été valablement avisée par courrier du 30 septembre 2019 de la possibilité de consulter le dossier relatif à la maladie de M. [Y], droit qu'elle a pu exercer puisqu'un de ses préposés a signé la fiche de consultation du dossier.
La CPAM a ainsi satisfait à ses obligations légales, de sorte que ce moyen sera écarté.
* Sur la demande de saisine d'un second CRRMP
L'article L461-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, prévoit que peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans ce cas, il est précisé que la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L315-1.
En l'espèce, la société sollicite l'annulation de l'avis du premier CRRMP, lequel a conclu à un lien de causalité entre la maladie et le travail habituel, sans que soit justifié la manière dont il a pu l'établir. La société sollicite également la désignation d'un second CRRMP compte tenu de l'existence d'un doute sur le lien de causalité précité.
L'avis du CRRMP de Rouen-Normandie est ainsi rédigé : " après avoir pris connaissance de l'ensemble des éléments du dossier, le CRRMP constate que l'activité professionnelle d'opérateur de coloration exercée par M. [Y] depuis 2015 l'expose à des travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule gauche sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° suffisamment caractérisés pour expliquer la pathologie présentée.
Pour cette raison, le comité reconnaît le lien direct entre la pathologie déclarée et l'exposition professionnelle ".
Contrairement à ce que soutient la société, cet avis apparaît suffisamment motivé, si bien que la demande d'annulation de cet avis sera rejetée.
Par ailleurs, il résulte de l'article R142-17-2 du code de la sécurité sociale que, " lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l'origine professionnelle d'une maladie dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L461-1, le tribunal recueille préalablement l'avis d'un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse en application du cinquième alinéa de l'article L461-1. Le tribunal désigne alors le comité d'une des régions les plus proches."
Il résulte de ces dispositions que la saisine d'un second CRRMP est de droit lorsque le différend porte sur l'origine professionnelle d'une pathologie.
Or, en cas de différend relatif à une pathologie dont le lien direct et essentiel avec l'activité professionnelle a été établi, le tribunal se doit de recueillir l'avis d'un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
En conséquence, il convient de dire que l'avis du CRRMP de [Localité 10] Normandie ne s'impose pas et de désigner le CRRMP de la région Nouvelle Aquitaine aux fins de se prononcer dans un avis motivé sur l'affection déclarée par M. [Y] du 2 janvier 2019.
Il sera sursis à statuer sur les autres demandes des parties dans l'attente de l'avis du second CRRMP. Les dépens seront également réservés dans cette attente.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal, statuant par jugement contradictoire mixte par mise à disposition au greffe,
Rejette les deux premiers moyens d'inopposabilité soulevés et tenant à la date de première constatation médicale et à la violation du principe du contradictoire, ainsi que le moyen tendant à l'annulation de l'avis du CRRMP de Rouen-Normandie ;
Avant dire droit au fond, tous droits et moyens des parties réservés,
Désigne :
le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de :
la région nouvelle Aquitaine
Direction Régionale Service Médical Nouvelle Aquitaine
Secrétariat du CRRMP de [Localité 7]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 7]
[XXXXXXXX01] ou [XXXXXXXX04]
[Courriel 9]
aux fins de se prononcer dans un avis motivé sur l'affection déclarée le 2 janvier 2019 par M. [T] [Y] et faisant état d'une " tendinopathie de la coiffe des rotateurs gauche " ;
Ordonne un sursis à statuer sur les autres demandes ;
Réserve les dépens ;
Rappelle les dispositions de l'article 544 du Code de procédure civile selon lequel :
" Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal.
Il en est de même lorsque le jugement qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident met fin à l'instance. "
Dit que tout APPEL de la présente décision doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le mois de la réception de la notification.
Dit que le dossier sera rappelé à l'audience dès le dépôt des conclusions d'une des parties après l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles sauf à ce que le demandeur se désiste de l'instance ou que les parties conviennent d'une procédure sans audience.
Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 2 septembre 2024, et signé par le président et le greffier.
Le Greffier, Le Président,