TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE
JURIDICTION DE L'EXPROPRIATION DES HAUTS DE SEINE
JUGEMENT FIXANT PRIX
N° F.I. : N° RG 23/00059 - N° Portalis DB3R-W-B7H-ZCBG
Minute N° :
Date : 08 Août 2024
OPERATION : Exercice du droit de préemption sur la commune de [Localité 12]
ENTRE :
ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D’ILE-DE-FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 9]
représenté par Maître Miguel BARATA de l’AARPI BARATA CHARBONNEL, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : D 1185
et
S.C.I. SALERS
[Adresse 3]
[Localité 11]
représentée par Maître Gilles CAILLET, de la SELARL HELIANS, avocats au barreau de PARIS
En présence de Monsieur Olivier TEXIER et Madame Anne FEUILLERAT, commissaires du Gouvernement
DEBATS
A l’audience du 10 Juin 2024, tenue publiquement.
JUGEMENT
Par décision publique, prononcé en premier ressort, contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
COMPOSITION
La Présidente : Maëlle POUTCHNINE
Le Greffier : Etienne PODGORSKI
FAITS ET PROCEDURE :
La société Salers est propriétaire de trente-cinq box situés au [Adresse 6] à [Localité 12], sur la parcelle cadastrée section G n°[Cadastre 10].
Par déclaration du 13 juin 2023, la société Salers a fait part de son intention d’aliéner les lots précités dont elle est propriétaire moyennant le prix de 800 000 euros.
Par décision du 26 septembre 2023, l’Établissement public foncier d’Île-de-France (ci-après : l’EPFIF) a exercé son droit de préemption sur le bien immobilier au prix de 620 000 euros.
Par courrier adressé en LRAR par l’intermédiaire de son avocat, daté du 30 octobre 2023, la société Salers a décliné l’offre de l’EPFIF. Ce courrier a été réceptionné par l’EPFIF le 2 novembre 2023.
Par mémoire réceptionné et enregistré au greffe le 20 novembre 2023, l’EPFIF a saisi le juge de l’expropriation du tribunal judiciaire de Nanterre afin de faire fixer le prix du bien préempté.
Les conclusions de la commissaire du gouvernement ont été réceptionnées par le greffe le 15 février 2024.
Le transport sur les lieux est intervenu le 7 mai 2024.
L'affaire a été évoquée à l’audience du 10 juin 2024 lors de laquelle les parties et la commissaire du gouvernement ont été entendues. Le juge de l’expropriation a autorisé l’EPFIF à communiquer en cours de délibéré la copie des accusés de réception du mémoire introductif d’instance ainsi que le cheminement du courrier par la Poste, ce qui a été effectué.
Aux termes de son mémoire dit en réponse et récapitulatif enregistré au greffe le 31 mai 2024 auquel l’EPFIF se rapporte, celui-ci demande au juge de l’expropriation de :
- déclarer recevable son mémoire de saisine,
- constater qu’il n’a pas renoncé au droit de préemption sur le bien de la société Salers sis [Adresse 6] à [Localité 12],
- rejeter les demandes de la société Salers,
- fixer le prix d’aliénation portant sur l’immeuble situé sis [Adresse 6] à [Localité 12], édifié sur la parcelle cadastrée section G n°[Cadastre 10], propriété de la société Salers, à hauteur d’une somme de 558 495 euros comme suit :
- nombre de box : 35
- valeur retenue par box : 19 700 euros
- abattement pour vente en bloc : 10%
- abattement pour occupation : 10%
35 x 19 700 euros x 0,9 x 0,9 = 558 495 euros (valeur arrondie),
- écarter l’exécution provisoire.
Aux termes de son mémoire dit récapitulatif réceptionné au greffe le 10 juin 2024 auquel la société Salers se rapporte, celle-ci demande au juge de l’expropriation de :
- la déclarer recevable et bien-fondée en ses demandes,
A titre principal,
- constater que l’EPFIF a renoncé à l’exercice de son droit de préemption sur l’immeuble sis [Adresse 6] à [Localité 12], parcelle cadastrée section G n°[Cadastre 10],
- déclarer irrecevable la requête de saisine de l’EPFIF,
A titre subsidiaire,
- fixer à la somme de 840 000 euros la valeur vénale de l’immeuble situé [Adresse 6] à [Localité 12], sur la parcelle cadastrée section G n°[Cadastre 10],
En tout état de cause,
- condamner l’EPFIF à lui verser une indemnité de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- condamner l’EPFIF aux entiers dépens,
- rejeter toutes conclusions contraires aux présentes et notamment celles de l’EPFIF.
Aux termes de ses conclusions réceptionnées par le greffe le 15 février 2024, la commissaire du gouvernement retient un prix de 718 000 euros arrondis.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il est renvoyé aux mémoires et aux conclusions précités.
L'affaire a été mise en délibéré au 8 août 2024, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
I – SUR LA RECEVABILITE DE LA SAISINE ET LE RENONCEMENT AU DROIT DE PREEMPTION
L’article R. 213-11 du code de l’urbanisme dispose que « si le titulaire du droit de préemption estime que le prix mentionné à l'article R. 213-10 (b) est exagéré, il peut, dans le délai de quinze jours à compter de la réception de la réponse du propriétaire, saisir la juridiction compétente en matière d'expropriation par lettre recommandée adressée au secrétariat de cette juridiction. Une copie, en double exemplaire, du mémoire du titulaire du droit de préemption est jointe à la lettre adressée au secrétariat de la juridiction. Le propriétaire doit en être informé simultanément.
Il est ensuite procédé comme il est dit aux articles R. 13-22 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
A défaut de saisine de la juridiction dans le délai fixé par le présent article, le titulaire du droit de préemption est réputé avoir renoncé à l'exercice de son droit.
En cas d'application de l'article L. 213-4-1, copie du récépissé de la consignation doit être adressée au propriétaire et à la juridiction. »
En l’espèce, il ressort des pièces versées aux débats que l’EPFIF a reçu la réponse du propriétaire refusant le prix proposé le 2 novembre 2023. Le délai pour saisir la juridiction et pour en informer simultanément le propriétaire expirait théoriquement le 18 novembre 2023 (et non le 17 novembre 2023 puisque le jour de la réception ne fait pas courir le délai en application de l’article 641 du code de procédure civile).
L’EPFIF justifie avoir expédié son mémoire le 15 novembre 2023 par quatre LRAR adressées au greffe du juge de l’expropriation, à la société Salers, à son avocat et au commissaire du gouvernement.
L’avocat de la société Salers a réceptionné le recommandé le 17 novembre 2023.
Le commissaire du gouvernement a réceptionné le recommandé le 17 novembre 2023.
Le greffe de la présente juridiction a réceptionné le mémoire adressé par LRAR par l’EPFIF le 20 novembre 2023, en raison d’une « erreur » de la Poste, comme cela ressort du détail du cheminement du courrier versé aux débats, étant relevé qu’en tout état de cause, le délai expirant un samedi, celui-ci était prorogé jusqu’au lundi suivant, soit le 20 novembre 2023, en application de l’article 642 du code de procédure civile.
Enfin, concernant le propriétaire, l’EPFIF a adressé son mémoire par LRAR remis à la Poste le 15 novembre 2023 à l’adresse suivante de la société Salers : [Adresse 3], à [Localité 11]. Ce courrier est revenu à l’EPFIF, expéditeur, au-delà du délai de 15 jours, avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse ». Il s’agit de l’adresse que la société Salers avait mentionnée dans sa DIA et de l’adresse à laquelle elle a son siège social tel que cela figure au demeurant dans ses mémoires.
Il ressort de ces éléments que l’EPFIF a immédiatement informé la société Salers du mémoire de saisine de la présente juridiction en expédiant un courrier en LRAR le 15 novembre 2023 à la bonne adresse de la société Salers. L’EPFIF ne peut pas être tenu responsable d’un problème de distribution du courrier.
En outre, aucun délai n’était imparti pour procéder par voie de signification en l’absence de réception dudit courrier, signification du mémoire effectuée le 12 février 2024 à ladite adresse (étant souligné que le courrier de refus du prix avait été adressé par le mandataire de la société Salers, son avocat, lequel avait été immédiatement avisé également de la présente saisine).
Par conséquent, le mémoire de saisine présenté par l’EPFIF est recevable et celui-ci n’est pas réputé avoir renoncé à son droit de préemption.
II- LE BIEN PRÉEMPTÉ
A- Sur les dates à fixer et la situation d’urbanisme
1) Sur la situation d’urbanisme et la date de référence
En application de l’article L.213-4 du code de l'urbanisme, la date de référence est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.
En l’espèce, s’agissant de la zone dans laquelle le bien est situé, la dernière modification opposable aux tiers du PLU de [Localité 12] est intervenue le 7 décembre 2021.
La date de référence retenue est donc le 7 décembre 2021. A cette date, le bien était situé en zone UE du PLU de la commune.
2) Sur la date d’appréciation de la consistance du bien
Aux termes de l’article L.322-1 du code de l'expropriation, le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété. A défaut d’ordonnance, l’indemnité est fixée d’après la consistance du bien au jour de la décision.
En l’espèce, la consistance du bien doit donc être appréciée au jour de la décision en l’absence d’expropriation.
3) Sur la date d’estimation du bien
L’article L.322-2 du code de l’expropriation dispose que les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, principe dont il sera fait application.
B- L’occupation du bien
Il n’est pas contesté que le bien préempté sera évalué comme étant occupé puisque les box sont loués.
C- Les constats lors de la visite des lieux
Le transport sur les lieux a permis de faire les constatations suivantes (extrait du procès-verbal de transport) :
I/ Environnement
Le bien se situe dans un quartier mixte, avec des bâtiments à usage professionnel et des habitations. Le technicentre de la SNCF se trouve à proximité immédiate.
La station du méro 13 « Châtillon » est accessible à 17 min à pied tandis que la station ”Lucie Aubrac” sur la ligne 4 est à 24 min à pied. Les lieux sont surtout desservis par des lignes de bus - le tramway T6, station “Vauban” est à14 min à pied.
En face du bien se trouve un restaurant qui est fermé, à droite un carossier et à gauche un établissement ayant une activité commerciale.
II/ Extérieur
L’entrée du terrain est délimitée par un muret en parpaing surmonté d’une grille. Il y a un portail métallique qui peut être fermé à clé.
Le bien consiste en deux linéaires de box présentant une structure en parpaing et une toiture en fibrociment. Chaque box est fermé par une double porte en bois sommaire, identique pour tous et dans un état d’usage. Les linéaires de box sont séparés par une grande allée centrale dont le sol est recouvert de béton et comportant des fissures. L’allée est suffisamment large afin de permettre de manoeuvrer un véhicule. En entrant, immédiatement à gauche, se trouve un local électrique.
Mention : le représentant de la SCI nous indique qu’il existe une arrivée d’eau mais que celle-ci a été condamnée. D’autre part, il indique que tous les box sont loués pour divers usages et qu’il en a maintenu un ouvert dans le cadre de ce transport.
Nous visitons ce box. Il présente une surface au sol d’environ 15 m² et permet d’y faire entrer un véhicule. Dans ce box, l’électricité ne fonctionne pas. La porte est équipée de deux verrous basiques à clé.
On dénombre 18 box alignés à gauche et 17 box alignés à droite.
Mention : le représentant de la SCI indique que le secteur comporte déjà d’autres espaces avec des box et des carossiers. Il précise que les box sont utilisés comme atelier et non uniquement comme stationnement de véhicules, ce qui est source de plus-value, avec possibilité d’utiliser la cour séparant les deux linéaires, par exemple pour faire du bricolage, créant un espace de communauté le week-end. Il souligne l’utilité de la grande voie par rapport à des box de véhicules.
Le conseil de l’EPFIF fait remarquer que le box immédiatement à droite après l’entrée semble êre moins pratique pour mettre un véhicule, l’accès étant gêné par le portail.
III- LA DETERMINATION DU PRIX
En application de l’article L.213-4 du code de l'urbanisme, à défaut d'accord amiable, le prix d'acquisition est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation ; ce prix est exclusif de toute indemnité accessoire, et notamment de l'indemnité de réemploi. Le prix est fixé, payé ou, le cas échéant, consigné selon les règles applicables en matière d'expropriation.
A- Sur la méthode
Les parties s’accordent sur le recours à la méthode dite par comparaison. Cette méthode qui s’avère pertinente dans le présent litige sera appliquée.
B – Sur la détermination du prix d’acquisition
L’EPFIF et la commissaire du gouvernement se prévalent des quatre termes de comparaison suivants situés à [Localité 12], à environ à 300 m des box à évaluer :
1 – cession du 27 juin 2023 (2023P10949) portant sur un box de stationnement au 2e sous-sol d’une copropriété située [Adresse 2]
Surface: 15m2
Libre d’occupation
Prix de vente : 21 000 euros
Prix unitaire : 21 000 euros
2 – cession du 24 avril 2023 (2023P07397) portant sur un box double de stationnement au 1er sous-sol d’une copropriété située [Adresse 8]
Libre d’occupation
Prix de vente : 29 000 euros
Prix unitaire : 29 000 euros
3– cession du 2 juin 2023 (2023P11528) portant sur un box de stationnement au 1er sous-sol d’une copropriété située [Adresse 4]
Surface : 14m2
Libre d’occupation
Prix de vente : 25 000 euros
Prix unitaire : 25 000 euros
4- cession du 8 juin 2022 (2021P11830) portant sur un box de stationnement au 1er sous-sol d’une copropriété située [Adresse 1] à [Localité 12]
Surface : 15m2
Libre d’occupation
Prix de vente : 23 000 euros
Prix unitaire : 23 000 euros
L’EPFIF cite également la référence suivante :
5 – cession du 4 mai 2022 (2022P08839) portant sur un box de stationnement au sol-sol dans un immeuble situé au [Adresse 7]
Surface : 12m2
Situation locative : libre
Prix de vente : 22 000 euros
Prix unitaire : 22 000 euros.
La société Salers retient les mêmes références que celles de l’EPFIF et de la commissaire du gouvernement.
*
L’ensemble des termes de comparaison portent sur des box de surface comparable à ceux à évaluer et situés à proximité, à [Localité 12]. Ces références seront donc retenues.
La moyenne qui en ressort est de :
(21 000 euros + 29 000 euros + 25 000 euros + 23 000 euros + 22 000 euros) / 5 = 24 000 euros.
Les box à évaluer ne sont pas situés en sous-sol dans une copropriété. Ils sont en effet moins sécurisés. En revanche, leur emplacement extérieur permet d’autres usages que celui de parking et l’absence de soumission au régime de la copropriété est une plus-value. Par conséquent, il y a lieu ni de minorer ni d’augmenter le ratio moyen qui se dégage des termes de comparaison au motif que la consistance des box diffère.
Par ailleurs, la vente en bloc de 35 box occupés est en effet assimilable à la vente d’un immeuble de rapport. Ainsi, aucun abattement pour occupation ne sera appliqué, l’EPFIF ne justifiant pas que l’occupation de tels box achetés en bloc représente une moins-value sur le marché immobilier.
En revanche, l’achat en bloc de 35 box identiques se jouxtant et non d’un seul box comme dans les références sélectionnées minore le prix de chaque box et justifie d’appliquer un abattement pour vente en bloc de 10%.
Le prix des box est ainsi fixé à :
24 000 euros/emplacement x 35 emplacements x 0,9 = 756 000 euros.
IV- SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
Les dépens sont à la charge de l’EPFIF par application de l’article L.312-1 du code de l’expropriation.
La société Salers se verra allouer une indemnité qu’il convient de fixer en équité à la somme de 3 000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, c’est à juste titre que l’Etablissement public foncier Ile-de-France fait valoir que l’exécution provisoire de droit est incompatible avec la nature de l’affaire. En effet, l’exécution de la décision est régie par le code de l’urbanisme, avec la possibilité de renoncer à la mutation et des délais courant à compter d’une décision juridictionnelle devenue définitive. Celle-ci sera donc écartée en application de l’article 514-1 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Le juge de l’expropriation, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,
DECLARE recevable le mémoire de saisine de l’EPFIF,
REJETTE la demande de la société Salers tendant à constater que l’EPFIF a renoncé à son droit de préemption sur le bien situé au [Adresse 6] à [Localité 12],
FIXE à la somme de 756 000 euros en valeur occupée le prix d’acquisition par l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France du bien immobilier consistant en 35 box situés au [Adresse 6] à [Localité 12], sur la parcelle cadastrée section G n°[Cadastre 10], appartenant à la société Salers,
REJETTE les demandes plus amples ou contraire des parties,
CONDAMNE l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France à payer à la société Salers la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT que les dépens sont à la charge de l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France,
ECARTE l’exécution provisoire de droit de la présente décision en totalité.
Fait à Nanterre, le 8 août 2024.
LE GREFFIER LA JUGE DE L'EXPROPRIATION