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29/07/2024 | FRANCE | N°23/00762

France | France, Tribunal judiciaire de Nanterre, Ctx protection sociale, 29 juillet 2024, 23/00762


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTERRE



PÔLE SOCIAL

Affaires de sécurité sociale et aide sociale

JUGEMENT RENDU LE
29 Juillet 2024


N° RG 23/00762 - N° Portalis DB3R-W-B7H-YMGL

N° Minute : 24/01016


AFFAIRE

[L] [J]

C/

CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DES HAUTS DE SEINE, [M] [R] épouse [J]


Copies délivrées le :



DEMANDEUR

Monsieur [L] [J]
[Adresse 1]
[Localité 5]

Représenté par Me Ghizlanne HOMANI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1350


DEFEN

DERESSES

CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représentée par Me Florence CHARLUET-MARAIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1721

Mada...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTERRE

PÔLE SOCIAL

Affaires de sécurité sociale et aide sociale

JUGEMENT RENDU LE
29 Juillet 2024

N° RG 23/00762 - N° Portalis DB3R-W-B7H-YMGL

N° Minute : 24/01016

AFFAIRE

[L] [J]

C/

CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DES HAUTS DE SEINE, [M] [R] épouse [J]

Copies délivrées le :

DEMANDEUR

Monsieur [L] [J]
[Adresse 1]
[Localité 5]

Représenté par Me Ghizlanne HOMANI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1350

DEFENDERESSES

CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représentée par Me Florence CHARLUET-MARAIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1721

Madame [M] [R] épouse [J]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Comparante

***

L’affaire a été débattue le 10 Juin 2024 en audience publique devant le tribunal composé de :

Matthieu DANGLA, Vice-Président
Jean-Marie JOYEUX, Assesseur, représentant les travailleurs salariés
Karine RENAT, Assesseur, représentant les travailleurs non-salariés

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats et du prononcé : Gaëlle PUTHIER, Greffière.

JUGEMENT

Prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSÉ DU LITIGE

De l'union de Monsieur [L] [J] et de Madame [M] [R] sont nés deux enfants :
- [H] [J], né le 10 mars 2006 ;
- [W] [J], née le 25 mars 2014.

Le 16 mai 2022, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Nanterre a prononcé le divorce de Monsieur [L] [J] et de Madame [M] [R].

Aux termes de ce jugement, la résidence des deux enfants du couple a été fixée de façon alternée, une semaine sur deux, au domicile de chacun des parents.

Monsieur [J] a demandé à la caisse d’allocations familiales des Hauts-de-Seine, que lui soit attribuée la qualité d’allocataire en alternance, une année sur deux, afin de bénéficier de l’ensemble des prestations familiales pour ses deux enfants.

Contestant le refus de la caisse d’allocations familiales, Monsieur [J] a saisi, le 25 juillet 2022, la commission de recours amiable de la caisse, laquelle n’a pas rendu de décision.

Finalement, la commission de recours lui a notifié une décision de rejet prise en sa séance du 1er décembre 2022.

Par requête du 1er avril 2023, Monsieur [J] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre de sa contestation.

L’affaire a été appelée à l’audience du 10 juin 2024 devant le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre, à laquelle les parties, comparantes ou représentées, ont pu faire valoir leurs observations.

Monsieur [L] [J] demande au tribunal de :
- dire et juger sa requête recevable et bien fondée,
- dire et juger qu’il bénéficiera alternativement, avec Madame [M] [R], chacun pour une année, de la qualité d’allocataire pour les deux enfants communs,
- que, ce faisant, Madame [R] ayant bénéficié bénéficié de la qualité d'allocataire principal pour les années 2022 et 2023, il se voie reconnaître cette qualité pour les années 2024 et 2025 et que, à partir de l'année 2026, cette qualité soit accordée à chaque parent, chacun pour une année ;
- condamner la CAF aux dépens de l’instance.
Il précise à l'audience renoncer à la demande indemnitaire figurant dans ses écritures.

En réplique, la caisse d’allocations familiales des Hauts-de-Seine requiert du tribunal de :
- dire qu’elle a fait une exacte application de la législation en déboutant Monsieur [J] de sa demande,
- dire que si le tribunal ordonnait une alternance de la qualité d’allocataire, elle ne prendra effet qu’à compter de la décision à intervenir ou, à défaut, condamner Madame [R] au remboursement des prestations d’ores et déjà perçues,
- condamner Monsieur [L] [J] aux entiers dépens.

Madame [M] [R] fait part lors de l'audience de son incapacité à rembourser les allocations reçues.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d’autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré au 29 juillet 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article R513-1 du code de la sécurité sociale dispose qu’en cas de divorce du couple, « si l’un et l’autre ont la charge effective et permanente de l’enfant, l’allocataire est celui des membres du couple au foyer duquel vit l’enfant ».

En vertu du deuxième alinéa de l’article L521-2 du même code: « en cas de résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun des parents telle que prévue à l'article 373-2-9 du code civil, mise en œuvre de manière effective, les parents désignent l'allocataire. Cependant, la charge de l'enfant pour le calcul des allocations familiales est partagée par moitié entre les deux parents soit sur demande conjointe des parents, soit si les parents sont en désaccord sur la désignation de l'allocataire ».

Enfin, l’article R521-2 du code de la sécurité sociale dispose que, « à défaut d'accord sur la désignation d'un allocataire unique, chacun des deux parents peut se voir reconnaître la qualité d'allocataire : […]
2° Lorsque les deux parents n'ont ni désigné un allocataire unique, ni fait une demande conjointe de partage ».

En l’espèce, Monsieur [J] soutient qu’il devrait exercer, comme son ex-épouse, la prise en charge de leurs deux enfants, de manière alternée. Il indique supporter une charge plus lourde que cette dernière pour un salaire équivalent. Il rappelle que la règle d’unicité doit être écartée au profit du versement alterné en cas de résidence alternée des enfants.

La caisse, pour sa part, soutient que le partage des allocations ne remet pas en cause le principe d’allocataire unique et que faute d’accord des ex-époux, elle ne peut que maintenir la qualité d’allocataire de Madame [R].

Monsieur [J] soutient toutefois que la décision de la CAF des Hauts-de-Seine qui lui refuse le bénéfice du partage des prestations familiales, viole l’article 14 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH), l’article 1er du protocole additionnel de cette dernière, ainsi que l’article 3-1°) de la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Il invoque notamment le fait que l’exclusion du partage des prestations, de l’un des parents, créé une discrimination fondée sur le sexe (le bénéfice étant le plus souvent attribué aux mères), la situation de famille et l’intérêt supérieur de l’enfant.

Il sera ainsi rappelé que l'article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme est relatif à l'interdiction de la discrimination, précisant que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

Cette question a déjà donné lieu à des décisions de justice, la cour de cassation ayant retenu dans ce type de circonstances, que la mise en œuvre du bénéfice de l’allocation par alternance aurait pour intérêt de « respecter le principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi et l’exigence de non-discrimination prévue par la Convention européenne des droits de l’homme ». En outre, dans un avis du 26 juin 2006, la cour de cassation a indiqué que le principe d’unicité ne s’oppose pas à ce que soit mis en œuvre la qualité d’allocataire alterné, lorsque les parents partagent de manière égale, la charge effective et permanente des enfants vivant en résidence alternée.

Il apparaît que l’application des règles de l’article R513-1 du code de la sécurité sociale, entraîne une différence de traitement entre les parents vivant en couple et les parents divorcés ayant recours à la résidence alternée de leurs enfants, la désignation d’un unique allocataire dans le cas d’un couple divorcé, privant automatiquement l’autre parent des prestations familiales.

En outre, le principe d’unicité ne s’oppose pas, en cas de résidence alternée, quand les parents partagent de manière égale la charge effective et permanente des enfants, à la mise en place d’une alternance de la qualité d’allocataire.

Le tribunal constate la discrimination opérée à l’encontre de M. [J], lequel, ne bénéficiant pas de l’octroi de l'allocation de rentrée scolaire réservée à la mère, supporte une charge plus lourde pour l’entretien de leurs deux enfants.

Mme [R] a en effet pu bénéficier deux années de suite, en 2022 et 2023, de l’octroi de l’allocation de rentrée scolaire, ce qui a eu pour conséquence d’engendrer une différence de traitement entre les deux ex-époux.

L’ex-épouse de M. [J] indique qu’elle n’est pas en mesure de rembourser les prestations reçues au titre des années 2022 et 2023. Monsieur [J] sollicite donc, aux termes de ses écritures, d’obtenir pour les années 2024 et 2025, la qualité d’allocataire unique.

De l'analyse de ce qui précède, il y aura lieu de faire droit à aux demandes de M. [J] tendant d'une part à la mise en place d'une alternance annuelle des prestations à compter de l’année 2026, et d'autre part à la reconnaissance de la qualité d’allocataire de Monsieur [J] pendant deux années consécutives, en 2024 et 2025, afin de compenser l'avantage perçu par Madame [R] au titre des années 2022 et 2023.

Sa demande de remboursement n’a donc plus lieu d’être.

Sur les demandes accessoires

En application de l'article 696 du code de procédure civile, il conviendra de condamner la CAF des Hauts-de-Seine aux dépens de l'instance dès lors qu'elle succombe.

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, mis à disposition au greffe,

DIT que Monsieur [L] [J] doit se voir reconnaître la qualité d'allocataire principal de l'allocation de rentrée scolaire pour les années 2024 et 2025 ;

FIXE à compter de l'année 2026 l’alternance du bénéfice de la qualité d’allocataire de l'allocation de rentrée scolaire à chaque parent, Madame [M] [R] et Monsieur [L] [J], une année sur deux ;

REJETTE toutes les autres et plus amples demandes,

CONDAMNE la CAF des Hauts-de-Seine aux dépens de l’instance.

Et le présent jugement est signé par Matthieu DANGLA, Vice-Président et par Gaëlle PUTHIER, Greffière, présents lors du prononcé.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nanterre
Formation : Ctx protection sociale
Numéro d'arrêt : 23/00762
Date de la décision : 29/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-29;23.00762 ?
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