TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE
RÉFÉRÉS
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RENDUE LE 26 JUILLET 2024
N° RG 24/01052 - N° Portalis DB3R-W-B7I-ZHH5
N° :
Madame [H] [X]
c/
Madame [L] [I],
Madame [H] [M],
SC HYGIATECH
DEMANDERESSE
Madame [H] [X]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
représentée par Maître David NABETH de la SELARL DOM & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : D0025
DEFENDERESSES
Madame [L] [I]
[Adresse 10]
[Adresse 10]
représentée par Maître Igall MARCIANO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1170
Madame [H] [M]
[Adresse 9]
[Adresse 9]
SC HYGIATECH
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Toutes deux représentées par Maître Marc LADREIT DE LACHARRIERE de l’AARPI LLA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0785
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président : Quentin SIEGRIST, Vice-président, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,
Greffière : Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière,
Statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
Nous, Président , après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 26 juillet 2024, avons mis l'affaire en délibéré au 22 juillet 2024, et prorogé à ce jour
EXPOSÉ DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
La société civile Hygiatech a été créée en 1995 par [F] [M] et [U] [P] épouse [M] avec pour objet la prise de participation dans différentes sociétés. Elle détenait à ce titre 1205 parts sur 1211 de la société Hygiatech DPA, le surplus étant détenu par [F] [M].
La société Hygiatech a été gérée par [F] [M] jusqu'à son décès survenu le 6 février 2021. Préalablement à son décès, [F] [M] avait, par mandat à effet posthume, indiqué que la gestion de la société Hygiatech serait confiée à Mme [L] [I] et Mme [Y] [E], au bénéfice de sa fille et légataire universelle Mme [H] [M].
Lors de l'assemblée générale du 2 juillet 2021, [H] [M], a été agréée comme nouvelle associée de la société Hygiatech. Elle est devenue gérante de cette société lors d'une assemblée générale du 10 mai 2022.
Le capital de la société Hygiatech se décompose de la manière suivante : 1 205 parts pour Mme [H] [M], 5 parts pour Mme [L] [I], une part pour Mme [H] [X], dernière épouse de [F] [M].
Par actes des 30 novembre 2022 et 7 février 2023, la société Hygiatech a abandonné des créances qu'elle détenait à l'égard de la société Hygiatech DPA.
Le 10 février 2023, la société Hygiatech a cédé ses parts de la société Hygiatech DPA à la société Groupe Hygiatech Services pour la somme d'un euro.
Par exploit d'huissier en date du 27 février 2024, Mme [X] a fait assigner la société Hygiatech, Mme [M] et Mme [I] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre.
Dans ses dernières écritures déposées et soutenues à l'audience du 10 juin 2024, Mme [X] demande au juge des référés de :
« ORDONNER la désignation d’un administrateur provisoire avec pour mission de :
- Gérer et administrer la Société avec tous les pouvoirs de gérant et de prendre toutes les mesures urgentes qu’imposent l’urgence et la nécessité ;
- Faire cesser l’appauvrissement de la Société au profi t de Madame [M] ;
- Faire cesser toutes les opérations litigieuses avec les sociétés contrôlées par Madame [I] ;
- De façon générale faire cesser les agissements de Madame [M] compromettant l’existence de la Société en la vidant petit-à-petit de sa substance.
ORDONNER la désignation d’un expert avec pour mission de :
- Se faire communiquer tous documents et pièces qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission ;
- Se rendre en tous lieux qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission ;
- Entendre les parties et toutes personnes selon ce qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission ;
- Analyser les conditions dans lesquelles la Société a abandonné les créances qu’elle détenait à l’encontre de Hygiatech DPA ;
- Analyser l’opportunité de l’abandon des créances de la Société à l’encontre de Hygiatech DPA ;
- Déterminer la valeur de Hygiatech DPA au 10 février 2023, date de la cession de toutes ses parts sociales contre 1 euros ;
- Analyser la réalité des missions qui ont été réalisées par Madame [M] en sa qualité de gérante en contrepartie de sa rémunération ;
- Analyse l’opportunité des avances en compte-courant que Madame [M] s’est versé au cours des exercices 2021, 2022 et 2023 ;
- Analyser la réalité des prestations fournies par Monsieur [T] en application du contrat de prestations signé avec la Société ;
- Déterminer les raisons pour lesquelles la Société adresse des factures au crédit et au débit à des sociétés contrôlées par Madame [I] ;
- Comparer les factures établies par Société à Hygiatech DPA aux mouvements résultant des relevés de banque et du grand livre de comptes ;
- Analyser la réalité des prestations correspondant aux factures adressées par la Société aux différentes sociétés contrôlées par Madame [I] ;
- Analyser les relations contractuelles et commerciales entre la Société et toutes les sociétés contrôlées par Madame [I] ;
- Analyser toutes les dépenses de la Société au cours des exercices 2021, 2022 et 2023 ainsi que leur justification au regard de l’intérêt social et du chiffre d’affaires généré par la Société ;
- Expliquer les raisons pour lesquelles Madame [M] a procédé au reclassement comptable de sommes inscrites dans le compte « Débiteurs [F] [M] » vers des comptes débiteurs de la requérante et de sa société, Mon Chalet Design ;
- Analyser l’évolution de la valeur de la Société depuis que Madame [M] a été nommée gérante ;
- Eclairer le tribunal et les parties sur les responsabilités susceptibles d’être encourues au titre de la gestion de la Société.
CONDAMNER in solidum les défendeurs à payer à Madame [X] à la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER les défendeurs aux entiers dépens »
Dans leurs dernières écritures déposées et soutenues à l'audience du 10 juin 2024, Mme [M] et la société Hygiatech demandent au juge des référés de :
« ➢ DEBOUTER Madame [H] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions
➢ DEBOUTER Madame [H] [X] de sa demande de désignation d’un administrateur provisoire pour les raisons ci-avant invoquées ;
➢ DEBOUTER Madame [H] [X] de sa demande de désignation d’un expert avec la mission telle que sollicitée pour les raisons ci-avant invoquées ;
Reconventionnellement
➢ CONDAMNER par provision Madame [H] [X] à verser tant à Madame [H] [M] et la société HYGIATECH la somme de 5.000 € chacune au titre de l’article 32-1 du Code de procédure civile pour procédure abusive à titre de dommages et intérêts ;
➢ CONDAMNER Madame [H] [X] à verser à Madame [H] [M] et la société HYGIATECH chacune la somme de 5.000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
➢ CONDAMNER Madame [H] [X] aux entiers dépens ».
Dans ses dernières écritures déposées et soutenues à l'audience du 10 juin 2024, Mme [I] demande au juge des référés de :
« Débouter Madame [H] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner Madame [H] [X] au paiement d’une somme de 4.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ».
Conformément aux articles 446-1 et 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l'assignation et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rejet des conclusions en défense
Mme [X] sollicite le rejet des écritures des défenderesses en raison de la tardivité de leur communication. Ces dernières s'opposent à cette demande.
Sur ce,
Il résulte des articles 16 et 446-1 du code de procédure civile qu'en procédure orale, les prétentions des parties doivent être formulées au cours de l'audience (2e Civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 14-15.740).
En l'espèce, dès lors que Mme [X] a entendu plaider le dossier lors du premier appel de l'affaire, sans qu'il soit procédé à un renvoi qui aurait pu lui permettre de prendre plus amplement connaissance des écritures et pièces des parties adverses, et ce alors que la jurisprudence précitée lui a été rappelée lors de ladite audience, celles-ci ne peuvent être écartées des débats au motif qu'elle en a été avisée tardivement.
Par conséquent, cette demande sera rejetée.
Sur la demande de désignation d'un administrateur judiciaire provisoire de la société Hygiatech
L'article 835 du code de procédure civile dispose en son premier alinéa que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.
Il résulte de ces dispositions que désignation judiciaire d'un administrateur provisoire de la société est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent (Com., 18 mai 2010, pourvoi n°09-14.838).
Mme [X] fait valoir quatre types d'argument tendant à démontrer l'existence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société, qu'il y a lieu d'examiner successivement.
1) Sur l'atteinte à l'objet social de la société
Mme [X] indique que la société Hygiatech ne peut plus remplir son objet social depuis la cession des parts de sa dernière filiale intervenue le 10 février 2023.
Les statuts de la société Hygiatech indiquent que son activité principale réside dans «« La société a pour objet, en France et à l’étranger :
- La prise de participation dans toutes sociétés ;
- Toutes prestations administratives, commerciales ou comptables tant à l’égard de ses filiales que des tiers ;
- La capacité de se porter caution, d’emprunter et faire tout investissement en matière
immobilière ainsi qu’en Valeur de Placement et autres titres ;
Et généralement toutes opérations pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet ci-dessus pourvu que ces opérations ne modifient pas le caractère civil de la société ».
Or, et d'une part, ces statuts n'impliquent pas que la société Hygiatech ne puisse pas céder les parts qu'elle détient dans des sociétés.
D'autre part, la société Hygiatech n'est nullement empêchée, même si elle ne détient plus aucune parts sociales lors d'un intervalle de temps donné, comme tel est présentement le cas (encore qu'elle dispose toujours de parts dans les deux SCI), d'acquérir de nouvelles parts dans d'autres sociétés, afin de poursuivre sa mission.
Ainsi, cette situation ne caractérise pas l'impossibilité d'un fonctionnement normal de la société.
2) Sur les abandons de créance et la cession des parts de société Hygiatech DPA
Mme [X] fait valoir que les abandons de créance consentis au profit de la société Hygiatech DPA et la cession des parts sociales de cette société pour la somme d'un euro étaient contraires à l'intérêt social.
Or, Mme [X] excipe, pour critiquer le prix de cession des parts sociales fixé au 10 février 2023, d'un rapport réalisé en octobre 2021 par la société Fiduciaire du Louvre ayant procédé à une estimation à la date du 6 février 2021, soit près deux années avant la cession litigieuse, et résultant d'une simple méthode patrimoniale, deux circonstances qui atténuent fortement la portée probatoire du raisonnement de la demanderesse, d'autant ce rapport n'a pu prendre en considération de nombreux éléments relatifs à la société cédée qui se sont produits au cours de ces deux années, notamment les pertes d'exploitation de la société Hygiatech DPA survenues en 2021 et 2022.
Outre ces deux années, Mme [M] et la société Hygiatech affirment, sans être contestées sur ce point, le caractère fortement déficitaire de la Hygiatech DPA, depuis de très nombreuses années (cf. tableau en page 19 de leurs écritures), ce qui a d'ailleurs été relevé par le cabinet d'expert Fiduciaire du Louvre pour prétendre écarter la méthode d'évaluation par le rendement.
Ainsi, la situation largement déficitaire de la société Hygiatech DPA pouvait justifier que les parts de cette société, détenues par la société Hygiatech, soient cédées au prix d'un euro. Par conséquent, Mme [X] ne démontre pas que ce prix était contraire à l'intérêt social.
De même, la situation économique de la société Hygiatech DPA pouvait justifier l'abandon de créances auquel a procédé à la société Hygiatech pour 222 698,90 euros le 30 novembre 2022 et pour 240 599,33 euros le 7 février 2023. En effet et à ce titre, les deux actes rappellent que la société Hygiatech DPA est une filiale de la société Hygiatech qui détient à son encontre des créances relatives à des prestations de service intra-groupe, relèvent la prescription de la majeure partie des créances (150 326,27 sur les 222 698,90 euros et la totalité des 240 599,33) et, pour le surplus et au 30 novembre 2022, font état de la nécessité de contribuer au redressement économique de la filiale.
Enfin, les autres circonstances que Mme [X] fait valoir (gestion de la société cessionnaire par Mme [I] alors qu'elle ne représentait plus la société cédante ; contraste avec l'empressement de la société Hygiatech à recouvrer sa créance sur les SCI) sont inopérantes.
Par conséquent, il sera retenu que Mme [X] ne démontre pas que ces actes caractérisent l'impossibilité d'un fonctionnement normal de la société.
3) Sur les actes de gestion frauduleux et contraire à l'intérêt social
En premier lieu, Mme [X] indique que la société Hygiatech s'est vue facturer des prestations administratives, commerciales et comptables de la part de sociétés contrôlées par Mme [I] alors qu'il s'agit de son activité principale, et qu'elle a émis des factures de même nature en faveur d'autres sociétés du groupe.
Toutefois, la première des factures citées à ce titre, émise par la société APIE a pour objet des prestations spécifiques de nettoyage d'un appartement, réalisées au profit de Mme [X] elle-même puisqu'elle occupait ledit appartement, qui était manifestement loué par la société Hygiatech. Par ailleurs, cette facture du 30 juin 2021 est nettement antérieure à la gestion de la société par Mme [H] [M] que la demande a pour objet de remplacer.
Les deux autres factures ont été émises par la société Hygiatech Services et datent des 31 juillet 2021 et 21 décembre 2022 et ont pour objet « Prestations administratives, commerciales et comptables », sans plus de précisions. Mme [M] se réfère, pour les expliquer, à une annexe qui n'est cependant pas versée aux débats. Elle ajoute toutefois qu'il s'agit de dépenses afférentes aux locaux utilisés par les sociétés du groupe, toutes localisées sur le même site géographique, payées pour l'ensemble par la société Hygiatech Services, puis refacturées à la société Hygiatech selon l'occupation au mètre carré, à charge pour elle de la refacturer à la société Hygiatech DPA. Compte tenu de ces explications et de l'occupation du même espace ([Adresse 7]), il ne s'en évince pas, de surcroît avec la certitude requise en référé et au regard de l'objet de la demande, une contrariété de ces dépenses à l'objet social.
Ce même raisonnement doit s'appliquer aux factures de 2023 émises par la société Hygiatech en faveur de la société Hygiatech Services (facture du 14 mars 2023) et de la société APIE (facture du 16 février 2023).
En deuxième lieu, Mme [X] souligne que la société Hygiatech a émis également des factures adressées à la société Hygiatech DPA, en la faveur de cette dernière, et portant sur le type de prestations qu'elle est censée lui fournir.
Il est produit à ce titre de nombreuses factures adressées par la société Hygiatech à la société Hygiatech DPA pour les années 2021 à 2023 pour des « prestations administratives, commerciales, et comptables ». Comme l'indique Mme [X], nombre de ces factures comportent non pas la mention « net à payer » mais « net en votre faveur », corroborant l'existence de dettes de la société Hygiatech pour les prestations mentionnées dans la facture.
Toutefois, l'ensemble de ces factures, même celles intitulées « net en votre faveur » ont été retranscrites comptablement comme des dettes de la société Hygiatech DPA à l'égard de la société Hygiatech, comme l'établissent les sous-compte Hygiatech DPA des grands-livres des tiers de la société Hygiatech versés aux débats (soit partiellement celui de 2021 en pièce n°21 et celui de 2022 en pièce n°28). Cela n'est par ailleurs pas contesté puisque Mme [X] indique elle-même que ces factures ne sont pas retranscrites en comptabilité.
Ainsi, il sera conclu à l'existence d'une erreur manifeste de mention figurant sur les factures, ce qui doit conduire à écarter, en l'état, l'existence d'une contrariété de ces dépenses à l'objet social de la société Hygiatech.
En troisième lieu, Mme [X] indique que des sommes ont été facturées à des sociétés contrôlées par Mme [L] [I]. Or et d’une part, les sommes facturées par Opale Vision, nom correspondant à l'activité d'entrepreneur individuelle de Mme [L] [I], intitulées « Prestations techniques en conseil et gestion manageriale de transition pour les sociétés Holding et filiale », trouvent, comme l'indiquent les défenderesses, une explication dans sa qualité, sur cette période, de gérante de la société Hygiatech et de mandataire à titre posthume de [F] [M] (le mandat, pièce n°3 de la demanderesse, prévoyant une rémunération de 1 000 euros par mois).
D’autre part, si Mme [X] indique dans ses écritures soutenues à l'audience que les sociétés contrôlées par Mme [I] ont été rémunérées par la société Hygiatech pour un montant total de 256 341,18 euros (page 14 des conclusions) entre 2021 et 2022, cette somme n'est justifiée par aucune pièce, aucune n'étant visée à ce titre dans lesdites écritures.
En quatrième lieu, Mme [X] indique que la société Hygiatech a recruté le 1er août 2022 M. [T], concubin de Mme [M], pour des missions très similaires à celles déjà confiées aux sociétés de Mme [I]. Toutefois, l’intitulé de la mission confiée démontre l'existence d'une mission comptable (« supervision comptable, et vérification des écritures passées ; vérification des comptes et suivi de la trésorerie ; relations bancaires (…), étude portant sur la rationalisation des charges (...) ») dont il n'est pas démontrée qu'elle constitue un doublon avec une mission confiée à un tiers, même s'il ne peut qu'être relevé qu'il n'est pas démontré que celui-ci a fourni des prestations de cette nature.
En cinquième lieu, Mme [X] liste, dans ses écritures, de nombreuses dépenses, dont elle qualifie un certain nombre de suspectes. Il sera relevé à ce titre que :
-certaines sont listées sans qu'elle indique en quoi elles démontrent un caractère frauduleux et contraires à l'intérêt social (rémunérations de Mme [M] et de M. [T], compte courant de Mme [M], montant des frais de bouche, montant des honoraires d'avocat -à l'exception de ceux de Me Cazal qui font l'objet d'une argumentation-), étant néanmoins souligné que Mme [M] fournit peu d'explications sur les raisons de son compte courant débiteur ;
-il est renvoyé pour les dépenses dites suspectes à un tableau joint (pièce n°34), sans qu'il ne soit fourni aucune explication, au mépris des principes applicables en matière de charge de la preuve, étant au demeurant précisé que Mme [M] et la société Hygiatech fournissent dans leurs écritures (en pages 43 à 46) de nombreuses explications relatives à ces dépenses ;
-si Mme [X] indique que la société Hygiatech a payé la somme de 58 571,20 euros à la Société de la Tour Eiffel au titre du bail alors que celui-ci a été fixé à la somme de 27 947 euros HT, Mme [M] et la société Hygiatech fournissent dans leurs écritures le tableau détaillé des sommes versées et soulignent que le loyer payé est plus important compte tenu des indexations successives et du caractère HT de la somme mentionnée par la demanderesse ;
-si Mme [M] et la société Hygiatech fournissent des explications sur le montant des honoraires des avocats, elles n'en apportent toutefois pas sur ceux versés au cabinet Cazals dont la demanderesse affirme qu'il s'agit de dépenses faites dans le cadre de la procédure de succession ; or, de telles dépenses, sauf à fournir des explications particulières, ce dont elles s'abstiennent, ne devraient par principe pas relever de la société Hygiatech ;
-il n'est pas indiqué en quoi la transformation « d'une partie de la dette de la société sur Monsieur [M] en une dette de la société à l'encontre de la requérante et de sa société Mon Chalet Design » est contraire à l'intérêt social, d'autant qu'il a été expressément indiqué à Mme [X] (pièce n°45 de Mme [M] et de la société Hygiatech, courrier du 11 mars 2024), sans qu'elle apporte de contradiction à ce titre, qu'il s'agissait de chèques et virements réalisés au bénéfice de la société Mon Chalet Design dont elle est associée majoritaire et gérante, et qu'il convenait donc de la considérer comme débitrice dans les écritures comptables.
En considération de l'ensemble de ces éléments, il doit être conclu que Mme [X] ne démontre pas, pour la quasi-totalité des éléments mis en avant par ses soins, l'existence d'actes de gestion frauduleux et contraires à l'intérêt social, et les quelques autres éléments litigieux préalablement relevés sont insuffisants à caractériser l'impossibilité d'un fonctionnement normal de la société.
4) Sur la disparition des sommes versées par la SCI Célimène
A l'audience de plaidoiries, Mme [X] a ajouté que la somme recouvrée contre la SCI Célimène a disparu des comptes de la société Hygiatech.
Toutefois, les relevés de comptes de la société Hygiatech pour l'année 2023 (ceux de 2024 ne sont pas versés aux débats) permettent de déterminer que la somme de 501 556,33 euros a été versée le 19 juillet 2023 sur le compte bancaire de la société Hygiatech en remboursement de la créance de la SCI Célimène et qu'à partir de cette date, la société a investi ces sommes dans des placements à court terme afin d'en retirer une rémunération.
En effet, la somme de 500 000 euros est ainsi investie par trois opérations entre le 28 juillet et le 1er août ayant pour intitulé « Opération sur DAT Virement sur potentiels marché (…) A échoir le ... », la date d'échéance étant, selon les opérations, le 28 août 2023, le 28 octobre 2023 et le 1er février 2024. L'étude des relevés suivants permet de constater qu'aux deux premières dates, les sommes ont été portées au crédit de la société Hygiatech, avec des intérêts, puis aussitôt réinvesties de la même manière.
Par conséquent, ce moyen ne peut être retenu.
5) Conclusion
Compte tenu de l'ensemble des éléments précités, il convient de rejeter, en l'absence de démonstration de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société, la demande de désignation d'un administrateur judiciaire provisoire formée par Mme [X], étant de surcroît relevé, s'agissant du péril imminent, qu'il résulte des éléments comptables produits que la diminution du chiffre d'affaires de la société Hygiatech a baissé préalablement au décès de [F] [M], consécutivement à la cessation de ses différentes participations.
Sur la demande d'expertise
L'article 145 du code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Cet article suppose l'existence d'un motif légitime, c'est-à-dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui. Elle doit être pertinente et utile.
Si le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n'est pas manifestement voué à l'échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.
De plus, si la partie demanderesse dispose d'ores et déjà de moyens de preuves suffisants pour conserver ou établir la preuve des faits litigieux, la mesure d'instruction demandée est dépourvue de toute utilité et doit être rejetée.
Enfin, ni l’urgence ni l’absence de contestation sérieuse ne sont des conditions d’application de ce texte.
En l'espèce, il résulte des développements précédents que Mme [X] dispose d'un motif légitime de solliciter une expertise financière et comptable, non sur l'ensemble des éléments qu'elle met en avant, mais sur ceux demeurant litigieux, étant précisé à ce titre que si elle n'a pas réussi à rapporter la preuve de leur contrariété à l'intérêt social, l'exigence probatoire exigée en matière d'expertise in futurum (motif légitime) est plus faible et ne se confond pas avec la preuve du bien-fondé de l'action que la partie demanderesse entend intenter (ici, particulièrement une action au titre de fautes de gestion).
Cela concerne, parmi les éléments relevés au titre de la demande de désignation de l'administrateur judiciaire :
-les abandons de la créance de la société Hygiatech au profit de la société Hygiatech DPA et la fixation de la valeur des parts sociales de cette société au prix d'un euro ;
-les causes des prélèvements en compte courant opérés par Mme [H] [M] entre 2021 et 2023 ;
-les causes et prestations réalisées par la société Hygiatech Services et la société APIE au profit de la société Hygiatech ayant donné lieu à des facturations des 31 juillet 2021, 21 décembre 2022, 14 mars 2023 et 16 février 2023 ;
-les dépenses engagées par la société Hygiatech au profit de Me Cazals ;
-la réalité des prestations fournies par M. [T], dès lors que celles-ci n'ont été, dans le présent litige, corroborées par aucune pièce ;
-la cause des factures adressées par la société Hygiatech à la société Hygiatech DPA portant les mentions « net en votre faveur ».
Les autres demandes formées par Mme [X] seront rejetées, en l'absence de démonstration d'un motif légitime (rémunération de Mme [M], analyse de l'ensemble des relations contractuelles et de l'ensemble des dépenses de la société, évolution de la valeur de la société depuis le début de la gestion de Mme [M]), certaines étant de surcroît trop générales (« Eclairer le tribunal et les parties sur les responsabilités susceptibles d’être encourues au titre de la gestion de la Société ») ou ayant pour objet des des explications déjà fournies (« expliquer les raisons pour lesquelles Madame [M] a procédé au reclassement comptable »).
La provision à valoir sur la rémunération de l'expert devra être consignée par Mme [X], partie ayant le plus intérêt à la réalisation de l'expertise.
Sur la demande de condamnation de Mme [X] à verser des dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure
Il résulte de l'article 1241 du code civil que l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit, indépendamment de son bien-fondé, et qu'elle ne peut constituer une faute susceptible de donner lieu à dommages et intérêts que si elle est abusive, à savoir notamment si elle a été exercée de manière dilatoire, de mauvaise foi, dans l'intention de nuire, ou par une légèreté blâmable.
En l'espèce, dès lors qu'il a été fait droit, fût-ce partiellement, à la demande subsidiaire de Mme [X], il ne peut être considéré que l'action a été abusivement intentée, et la demande formée à ce titre sera rejetée.
Sur les dépens
L'article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. En l'espèce, compte tenu du rejet de la demande principale de désignation d'un administrateur judiciaire provisoire, Mme [X] sera considérée comme partie perdante, et par conséquent condamnée aux dépens.
Sur l'indemnité réclamée au titre de l'article 700 du code de procédure civile
L'article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation. En l'espèce, et compte tenu de la situation économique des parties et de l'équité, il y a lieu de condamner Mme [X] à verser, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2 500 euros à Mme [M], et la somme de 1 000 euros à Mme [I].
La demande formée à ce titre par la société Hygiatech sera rejetée.
Sur l'exécution provisoire
Conformément aux articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, il y a lieu de rappeler que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort,
Rejetons la demande formée par Mme [H] [X] visant à écarter des débats les écritures déposées et soutenues à l'audience par Mme [H] [M], la société Hygiatech, et Mme [L] [I],
Rejetons la demande de désignation d'un administrateur judiciaire provisoire de la société Hygiatech formée par Mme [H] [X],
Ordonnons, par provision, tous moyens des parties étant réservés, une expertise et commettons en qualité d'expert :
Monsieur [A] [R]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Tél : [XXXXXXXX02]
Fax : [XXXXXXXX03]
Mail : [Courriel 11]
expert inscrit sur la liste de la Cour d'appel de Versailles, lequel, les parties régulièrement convoquées, après avoir pris connaissance du dossier, s'être fait remettre tous documents utiles et avoir entendu les parties ainsi que tout sachant, aura pour mission de donner son avis financier et comptable, au regard de l'intérêt social de la société Hygiatech, ainsi que sur le préjudice susceptible d'en résulter pour ladite société, sur les opérations suivantes :
1) les abandons de la créance de la société Hygiatech au profit de la société Hygiatech DPA puis la fixation de la valeur des parts sociales de cette société au prix d'un euro ;
2) les causes des prélèvements en compte courant opérées par Mme [H] [M] entre 2021 et 2023 ;
3) les causes et prestations réalisées par la société Hygiatech Services et la société APIE au profit de la société Hygiatech ayant donné lieu à des facturations des 31 juillet 2021, 21 décembre 2022, 14 mars 2023 et 16 février 2023 ;
4) la réalité des prestations fournies par M. [T] ;
5) les dépenses engagées par la société Hygiatech au profit de Me Cazals ;
6) la cause des factures adressées par la société Hygiatech à la société Hygiatech DPA et portant les mentions « net en votre faveur », et le traitement comptable dont elles ont fait l'objet ;
Disons que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu’il déposera son rapport en un exemplaire original (un exemplaire papier et une copie sous la forme d'un fichier PDF enregistré sur clé USB), au greffe du tribunal judiciaire de Nanterre, service du contrôle des expertises, extension du palais de justice, [Adresse 8] ([XXXXXXXX01]), dans le délai de huit mois à compter de l'avis de consignation, sauf prorogation de ce délai dûment sollicité en temps utile auprès du juge du contrôle et en fonction d’un nouveau calendrier prévisionnel préalablement présenté aux parties,
Disons que l’expert devra, dès réception de l’avis de versement de la provision à valoir sur sa rémunération, convoquer les parties à une première réunion, qui devra se tenir avant l'expiration d'un délai de deux mois, au cours de laquelle il présentera aux parties la méthodologie envisagée, interrogera les parties sur d'éventuelles mises en cause, établira un calendrier de ses opérations et évaluera le coût prévisible de la mission, et qu'à l'issue de cette première réunion il adressera un compte-rendu aux parties et au juge chargé du contrôle,
Invitons, dans le but de limiter les frais d'expertise, les parties, pour leurs échanges contradictoires avec l’expert et la communication des documents nécessaires à la réalisation de la mesure, à utiliser la voie dématérialisée via l’outil OPALEXE,
Disons que, sauf accord contraire des parties, l’expert devra adresser à celles-ci une note de synthèse dans laquelle il rappellera l’ensemble de ses constatations matérielles, présentera ses analyses et proposera une réponse à chacune des questions posées par la juridiction,
Disons que l’expert devra fixer aux parties un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l’article 276 du code de procédure civile et rappelons qu’il ne sera pas tenu de prendre en compte les transmissions tardives,
Désignons le magistrat chargé du contrôle des expertises pour suivre la mesure d'instruction et statuer sur tous les incidents,
Disons que l'expert devra rendre compte à ce magistrat de l'avancement de ses travaux d’expertise et des diligences accomplies et qu’il devra l’informer de la carence éventuelle des parties dans la communication des pièces nécessaires à l’exécution de sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et 275 du code de procédure civile,
Fixons à la somme de 6 000 euros la provision à valoir sur la rémunération de l’expert qui devra être consignée par Mme [H] [X] entre les mains du régisseur d’avances et de recettes de ce tribunal, [Adresse 4], avant le 16 octobre 2024, sans autre avis (il convient de privilégier le paiement par virement, la partie demanderesse devant solliciter les coordonnées de la régie par mail (avec une copie scannée de la décision) : [Courriel 12]),
Disons que, faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l’expert sera caduque et privée de tout effet,
Disons qu’en déposant son rapport, l'expert adressera aux parties et à leurs conseils une copie de sa demande de rémunération,
Rejetons le surplus des demandes formées par Mme [H] [X],
Rejetons la demande de condamnation de Mme [H] [X] à verser des dommages et intérêts en raison du caractère abusif de la procédure,
Condamnons Mme [H] [X] aux dépens,
Condamnons Mme [H] [X] à verser à Mme [H] [M] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamnons Mme [H] [X] à verser à Mme [L] [I] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejetons les demandes formées par la société Hygiatech et par Mme [H] [X] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelons que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.
FAIT À NANTERRE, le 26 juillet 2024.
LA GREFFIÈRE
Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière
LE PRÉSIDENT
Quentin SIEGRIST, Vice-président