TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE
RÉFÉRÉS
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RENDUE LE 16 JUILLET 2024
N° RG 24/00355 - N° Portalis DB3R-W-B7I-ZGOD
N° :
Madame [J] [I]
c/
Compagnie d’assurance ABEILLE ASSURANCES IARD & SANTE
DEMANDERESSE
Madame [J] [I]
12 rue Jean-Baptiste Dumas
75017 PARIS
représentée par Maître Pamela ROBERTIERE de la SELEURL PAMELA ROBERTIERE AVOCAT, avocate au barreau de PARIS, vestiaire : C0531
DEFENDERESSE
Compagnie d’assurance ABEILLE ASSURANCES IARD & SANTE
13 rue du Moulin Bailly
92270 BOIS COLOMBES
représentée par Maître Jean PIETROIS de la SELARL CABINET PIETROIS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 714
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président : François PRADIER, 1er Vice-président, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,
Greffière : Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière,
Statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.
Nous, Président , après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 04 juin 2024, avons mis l'affaire en délibéré à ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 19 mai 2018, Madame [J] [I] a été victime d’un accident de la circulation, à l’occasion d’un cours de conduite de moto auprès de l’auto-école ABC DRIVE, dont les locaux sont situés 8 rue Vauban à SAULIEU (21210). Au décours de la leçon dispensée, elle faisait une sortie de route avant de percuter un rocher.
Il en est résulté des blessures pour Madame [J] [I] nécessitant son transport aux urgences de l’hôpital de SEMUR-EN-AUXOIS, puis son héliportage à l’Hôpital de DIJON.
Au moment de cet accident, la flotte de véhicules de l’auto-école DRIVE était assurée par un contrat souscrit auprès de la société ABEILLE IARD & SANTE (anciennement AVIVA ASSURANCES), référencée n°7658568.
Par acte en date du 7 février 2024, Madame [J] [I] a assigné en référé la société ABEILLE & SANTE devant le Président du Tribunal judiciaire de Nanterre, aux fins de voir condamner la société ABEILLE & SANTE à lui verser une provision de 282.500 euros à valoir sur l’indemnisation de son préjudice corporel, ainsi que la somme de 3500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’affaire étant venue à l’audience du 4 juin 2024, Madame [J] [I] a maintenu le bénéfice de son exploit introductif d’instance, exposant que cet accident a eu des répercussions sur la vie quotidienne et professionnelle de Madame [I], ainsi que sur sa vie familiale ; que la société ABEILLE a accepté de mobiliser sa garantie au titre de la police n°7658568, à l’exclusion de la loi dite Badinter ; qu’elle a ainsi reçu trois provisions pour un montant total de 117.000 euros ; que les parties s’entendaient pour diligenter une expertise confiée aux docteurs [W] et [V], lesquels déposaient un rapport définitif le 1er février 2023 ; que suite au dépôt de ce rapport, la société d’assurance transmettait une offre définitive au titre de la garantie conducteur chiffrée à hauteur de 828.500,85 euros, dépassant le plafond de garantie de 400.000 euros ; qu’elle dispose ainsi d’une créance non sérieusement contestable vis-à-vis de la société ABEILLE ASSURANCES, à hauteur de 282.500 euros, après déduction des provisions déjà versées ; qu’elle sollicite une provision correspondant au montant non sérieusement contestable de l’obligation indemnitaire à la charge de la compagnie ABEILLE ASSURANCES ; que la compagnie ABEILLE, en acceptant d’allouer des provisions dans le cadre de transactions provisionnelles, a renoncé au bénéfice de sa clause provisionnelle plafonnant le montant de la provision à la somme de 47.435 euros et à toute contestation quant au bénéfice de cette clause ; que rien n’impose à la compagnie d’assurance de délivrer cette somme par procès-verbal détaillé.
Subsidiairement, elle demande à bénéficier des dispositions de l’article 837 du code de procédure civile et sollicite que cette affaire soit renvoyée à une audience dont la date aura été fixée pour qu’il soit statué au fond.
La société ABEILLE & SANTE a conclu au rejet des demandes de Madame [I] faisant valoir qu’il n’appartient pas au juge des référés de fixer la provision sur la base d’une approche en termes de liquidation définitive du préjudice ; que la demande de Madame [I] ne peut être examinée qu’au regard du périmètre de la garantie contractuelle strictement définie aux conditions particulières et générales du contrat d’assurance souscrit auprès d’elle par l’auto-école DRIVE ; que la demande de provision s’assimile à une demande aux fins de liquidation définitive de la garantie contractuelle de l’assureur ; que ladite demande fait totalement fi des termes du contrat prévoyant expressément les modalités de versement d’une provision fixant un plafond de 45.735 euros ; qu’en l’état d’une incapacité permanente partielle fixée à 70 % selon les conclusions médico-légales des docteurs [W] et [V], les droits à provision de Madame [I] ne peuvent excéder un montant de 32.014,50 euros ; que c’est uniquement sous couvert d’une instruction amiable du litige et de manière exceptionnelle au vu de la gravité de la situation de handicap de la victime qu’elle a accepté d’exécuter son contrat par le versement de provisions d’un montant global de 117.500 euros, soit au-delà des prévisions du contrat ; que la garantie contractuelle qui s’impose à elle ne consiste pas à mobiliser forfaitairement un plafond de garantie comme le revendique pourtant Madame [I], mais à liquider les préjudices de la victime, puis à appliquer les limitations de garantie prévues au contrat.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de provision
Suivant l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
Au regard de cette disposition, le juge des référés doit apprécier préalablement si le créancier justifie de l’existence d’une obligation de paiement en sa faveur non sérieusement contestable. Dans cette hypothèse, il lui appartient de fixer souverainement le montant de la provision dans la limite du montant qu’il juge non sérieusement contestable, étant précisé néanmoins que ce montant peut correspondre à la totalité de la créance.
En second lieu, s’il appartient au demandeur à une provision d’établir l’existence de la créance qu’il invoque, c’est au défendeur de prouver que cette créance est sérieusement contestable.
L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Suivant l’article 2044 dudit code, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Ce contrat doit être rédigé par écrit.
Au cas particulier, la demande de provision est sollicitée sur la base de « la garantie conducteur » prévue par le contrat d’assurance souscrit par l’auto-école DRIVE auprès de la société ABEILLE IARD & SANTE, permettant l’indemnisation du conducteur en évaluant les préjudices selon les règles de droit commun de la responsabilité civile, sous déduction des prestations indemnitaires versées par les tiers payeurs.
Notamment, cette garantie s’exerce en cas d’accident de la circulation impliquant le véhicule donnant droit à garantie dès lors que le conducteur se trouve au volant du véhicule, monte ou descend du véhicule, ou dépanne le véhicule en urgence au bord de la route.
Les conditions générales du contrat d’assurance qui s’imposent au conducteur victime comportent en page 35 une clause précisant :
« En cas d’infirmité permanente totale, la provision s’élève à 45.735 €
En cas d’infirmité permanente partielle prévisible dont le taux est au moins égale à 20 %, la provision est calculée sur la base de 45.735 € en appliquant un taux déterminé selon le barème indicatif des séquelles de droit commun.
En cas de décès, nous versons au conjoint une provision de 10.672 € et 6098 € à chacun des enfants du conducteur décédé.
La ou les provisions sont versées dans un délai d’un mois suivant la déclaration de l’accident, sous réserve de la signature d’une quittance de non-alcoolémie/non-usage de stupéfiants. »
En l’espèce, il est constant que l’assureur a versé à Madame [I] la somme totale de 117.000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation définitive du préjudice corporel de cette dernière, soit un montant bien supérieur au plafond fixé par la clause précitée.
Suivant le rapport d’expertise des Docteurs [W] et [V] dont les conclusions ne sont pas contestées par les parties, Madame [I] présente un taux d’incapacité permanente partielle de 70 %.
Sur la base de ladite clause, la provision à lui verser aurait été de 32.014,50 euros (45.735 x 70%).
Madame [I] prétend néanmoins que cette clause n’a pas plus vocation à s’appliquer dans la mesure où par le versement de plusieurs provisions d’un montant supérieur à ce plafond, les parties auraient conclu une transaction, par laquelle la compagnie d’assurance aurait renoncé aux effets de cette clause.
Cependant, il n’est versé aux débats aucun accord écrit signé des deux parties, mentionnant une telle renonciation de la société ABEILLE.
Si la question de l’exigence d’un écrit prescrit par l’article 2044 du code civil doit s’apprécier comme une condition probatoire et non de validité, de sorte que ce sont les règles du droit commun de la preuve qui s’appliquent, il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de procéder à une analyse des éléments du dossier afin d’en déduire l’existence d’une renonciation tacite à cette clause de la part de la société d’assurance du fait qu’elle aurait procédé à des versements de provisions d’un montant supérieur à ce plafond.
D’autre part, s’il y a eu véritablement transaction sur ce point au sens de l’article 2044 du code civil, Madame [I] aurait eu interdiction d’introduire une action en justice aux fins de réclamer une nouvelle provision, conformément aux prescriptions de l’article 2052 du code civil.
Au surplus, en décidant de mettre fin au processus amiable de son indemnisation au profit d’un règlement par la voie judiciaire, les offres formulées à ce titre par l’assureur, quelque soit l’importance de leur montant, n’ont pas à être prises en considération, de sorte que celui-ci est parfaitement en droit de se prévaloir des clauses du contrat d’assurance qui s’imposent au conducteur victime.
Par conséquent, la demande de provision se heurtant à une contestation sérieuse, il convient de rejeter celle-ci, sans qu’il y ait besoin d’examiner les autres moyens énoncés par la partie défenderesse.
Sur l’application des dispositions de l’article 837 du code civil
Aux termes de l’article 837 du code de procédure civile, à la demande de l’une des parties et si l’urgence le justifie, le président du tribunal judiciaire saisi en référé peut renvoyer l’affaire à une audience dont il fixe la date pour qu’il soit statué au fond. Il veille à ce que le défendeur dispose d’un temps suffisant pour préparer sa défense
En l’espèce, au regard des explications de la requérante, il n’est fait état d’aucune circonstance justifiant l’urgence, condition requise à la mise en œuvre de la passerelle vers le juge du fond, étant précisé que l’absence de contestation sur le montant de l’indemnité à hauteur de 282.500 invoquée par la requérante ne constitue nullement un critère pour l’application de ce texte.
Par conséquent, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
En application de l’article 696 du code de procédure civile, Madame [J] [I], succombant en ses prétentions, sera condamnée eux entiers dépens de la présente instance.
En raison de cette condamnation, il y a lieu de la débouter de sa demande en paiement sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Statuant par décision mise à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,
RENVOYONS les parties à se pourvoir sur le fond du litige,
DÉBOUTONS Madame [J] [I] de sa demande en paiement d’une provision vis-à-vis de la société la société ABEILLE & SANTE
DISONS n’y avoir lieu à renvoyer l’affaire à une audience pour qu’il soit statué au fond,
DÉBOUTONS Madame [J] [I] de sa demande en paiement en application de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNONS Madame [J] [I] aux dépens de l’instance,
RAPPELONS que la présente décision est exécutoire par provision,
FAIT À NANTERRE, le 16 juillet 2024.
LA GREFFIÈRE
Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière
LE PRÉSIDENT
François PRADIER, 1er Vice-président