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08/07/2024 | FRANCE | N°21/00055

France | France, Tribunal judiciaire de Nanterre, Expropriations, 08 juillet 2024, 21/00055


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE
JURIDICTION DE L'EXPROPRIATION DES HAUTS DE SEINE
JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

N° F.I. : N° RG 21/00055 - N° Portalis DB3R-W-B7F-WZXD


Minute N° :


Date : 08 Juillet 2024



OPERATION : Aménagement et renouvellement urbain des quartiers du [Adresse 3] et [Localité 22]






















ENTRE :
S.A CITALLIOS
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentée par Maître Michaël MOUSSAULT de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PA

RIS, vestiaire : T007

et

S.A.R.L. VIKING
[Adresse 3]
[Localité 10]

représentée par Maître Jean-Charles LERICHE-MILLIET, avocat au barreau de PARIS


En présence de Monsieur Olivier T...

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE
JURIDICTION DE L'EXPROPRIATION DES HAUTS DE SEINE
JUGEMENT FIXANT INDEMNITÉS

N° F.I. : N° RG 21/00055 - N° Portalis DB3R-W-B7F-WZXD

Minute N° :

Date : 08 Juillet 2024

OPERATION : Aménagement et renouvellement urbain des quartiers du [Adresse 3] et [Localité 22]

ENTRE :
S.A CITALLIOS
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentée par Maître Michaël MOUSSAULT de la SELAS DS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : T007

et

S.A.R.L. VIKING
[Adresse 3]
[Localité 10]

représentée par Maître Jean-Charles LERICHE-MILLIET, avocat au barreau de PARIS

En présence de Monsieur Olivier TEXIER, commissaire du Gouvernement

DEBATS

A l’audience du 03 Juin 2024, tenue publiquement.

JUGEMENT

Par décision publique, prononcée en premier ressort, contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

COMPOSITION

La Présidente : Noémie DAVODY
Le Greffier : Etienne PODGORSKI
FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL LE VIKING était propriétaire d’un fonds de commerce à usage d’hôtel-meublé, de restaurant et de café, exploité dans un immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 10]( sur la parcelle cadastrée section A n°[Cadastre 2].
Par arrêté du 15 novembre 2013, le préfet des Hauts-de-Seine a déclaré d’utilité publique au profit de la commune de [Localité 10] le projet d’aménagement et de renouvellement urbain du quartier [Adresse 3] à [Localité 10].
Par arrêté du 28 septembre 2016, le préfet des Hauts-de-Seine a transféré le bénéfice de la déclaration d’utilité publique prise par l’arrêté préfectoral du 15 novembre 2013 à la S.A.E.M. CITALLIOS.
Par arrêté préfectoral du 10 février 2020, les parcelles nécessaires à la réalisation de l’opération d’aménagement ont été déclarées immédiatement cessibles au profit de la société CITALLIOS.
Par ordonnance rendue le 23 juillet 2020, la présente juridiction a déclaré les propriétaires du bien situé [Adresse 3] expropriés et l’ensemble des droits réels et ou personnels existant sur ce bien ont été éteints.
La S.A.E.M. CITALLIOS a notifié à la SARL VIKING son offre d’indemnisation par lettre recommandée en date du 10 juin 2021.
Faute d’accord et suivant mémoire reçu au greffe le 16 juillet 2021, la S.A.E.M. CITALLIOS a saisi la présente juridiction aux fins de voir fixer l’indemnité d’éviction revenant à la SARL VIKING.
L'ordonnance fixant la date du transport et de l'audience a été rendue le 18 novembre 2021.
Les conclusions du commissaire du gouvernement ont été réceptionnées le 24 décembre 2021.
Le transport sur les lieux est intervenu le 12 avril 2022.
L’affaire a fait l’objet de nombreux renvois avant d’être retenue à l’audience du 3 juin 2024.  
Aux termes de son mémoire récapitulatif réceptionné au greffe le 20 mars 2023, la S.A.E.M. CITALLIOS demande au juge de l’expropriation de fixer, sous la forme alternative et comme suit l’indemnité revenant à la SARL VIKING:
-      en l’absence de bail régulier, à zéro euro l’indemnité devant revenir à la SARL VIKING,
-      en cas de reconnaissance d’un bail régulier et, partant, d’un droit à indemnité, fixer les indemnités d’éviction à la somme totale 500 402,23 euros décomposée comme suit :
-      indemnité principale : 427 000 euros,
-      indemnité accessoire de remploi : 43 850 euros,
-      indemnité accessoire de trouble commerciale : 5 792 euros,
-      indemnité accessoire de frais de licenciement : sursis à statuer.

La S.A.E.M. CITALLIOS fait valoir que le bien litigieux est un fonds commerce à usage d’hôtel meublé, de restaurant et de café, situé dans un immeuble élevé en R+4. Elle note que si l’intérieur du restaurant est en très bon état, la façade extérieure, exceptée la vitrine du bar/restaurant, est vétuste quant à elle. Elle relève que l’hôtel est composé de deux types de chambres, des grandes de 25m2 et des petites de 12m2 (avec salle de bain sur le palier( et note que leur état varie de correct à bon.
La SAEM CITALLIOS rappelle que la question de la régularité du bail commercial et des conditions d’occupation du bien par la SARL VIKING se pose légitimement compte tenu de ce que les intervenants volontaires à la procédure d’expropriation ont produit un jugement aux termes duquel le bail commercial leur a été déclaré inopposable et l’expulsion de l’occupant ordonnée, et ce, à une date antérieure à l’ordonnance d’expropriation. La SAEM CITALLIOS rappelle que pour apprécier l’existence d’un droit juridiquement protégé d’un occupant commercial, le juge de l’expropriation doit vérifier si l’occupant dispose ou non d’un bail commercial en cours de validité à la date de l’ordonnance d’expropriation. Après avoir rappelé que le jugement précité est frappé d’appel, elle relève que cette procédure en cours est susceptible d’avoir une incidence sur le droit à indemnité de l’occupant puisque la Cour d’appel de Versailles pourrait confirmer l’expulsion de la SARL LE VIKING prononcée à une date antérieure à l’ordonnance d’expulsion. La SAEM CITALLIOS demande donc de fixer l’indemnité sous la forme alternative et se prévaut à cet égard des dispositions de l’article L311-8 du code de l’expropriation.
Dans l’hypothèse où l’instance pendante devant la Cour d’appel conduirait à constater la régularité du bail commercial, la SAEM CITALLIOS se prévaut des termes de référence communiqués par le commissaire du gouvernement dont il ressort un coefficient de 220% du chiffre d’affaires, coefficient qu’elle propose de retenir.
La SAEM CITALLIOS souligne le caractère excessif des prétentions de la SARL VIKING. Elle conteste notamment l’ajout d’une somme de 40 000 euros à la moyenne du chiffre d’affaires des trois derniers exercices, somme qu’elle juge incertaine. Quant au coefficient disproportionné de 320% retenu par l’évincée, celui-ci semble être fondé sur des décisions judiciaires non communiquées et de surcroît trop anciennes.
La SAEM CITALLIOS ne s’oppose pas à l’allocation d’une indemnité pour trouble commercial sollicitée par l’évincée. Concernant l’indemnité pour les frais de licenciement, si l’expropriant ne s’y oppose pas dans son principe elle rappelle toutefois que les licenciements doivent effectivement être intervenus ce qui n’est pas le cas à ce stade de la procédure, de sorte qu’elle demande qu’il soit sursis à statuer sur ce point.
L’expropriant conteste l’allocation d’une indemnité au titre des frais de déménagement compte tenu de ce que l’indemnité principale accordée porte sur la valeur pleine et entière du fonds de commerce comprenant donc la perte de l’ensemble des éléments corporels attachés au fonds. Elle se prévaut à cet égard d’un arrêt de la cour d’appel de Paris (CA Paris, 1 juin 2017, 16/09572) ainsi que d’une décision du tribunal judiciaire de Nanterre (TGI Nanterre, 3 juin 2019, n°18/00124). Elle relève également que l’évincée ne produit aucun justificatif au soutien de sa demande.
La SAEM CITALLIOS s’oppose également à l’allocation d’une indemnité au titre des immobilisations non amorties et de la perte de stock compte tenu une fois encore de ce que l’indemnité principale accordée porte sur la valeur pleine et entière du fonds de commerce comprenant donc l’ensemble des éléments corporels attachés au fonds dont le matériel immobilisé et le stock. Elle se prévaut à cet égard de décisions de Cours d’appel (CA Paris, 22 octobre 2023, 12/07613 ; CA Aix-en-Provence, 30 janvier 2020, n°18/00044). Elle relève par ailleurs que les immobilisations non amorties dont se prévaut l’évincée correspondent à des travaux postérieurs à l’ordonnance d’expropriation dont elle a déjà rappelé qu’ils ne peuvent être pris en compte dans le cadre de l’évaluation de l’indemnité d’éviction.
Elle conteste l’octroi d’une indemnité pour perte de clientèle civile au motif que l’indemnité principale accordée tend déjà à indemniser la perte de clientèle. Elle relève que l’arrêt dont se prévaut la SARL VIKING à cet égard porte en réalité sur la perte de clientèle avant le départ de l’occupant en raison de la détérioration de l’environnement commercial, ce dont l’évincée ne justifie pas, son résultat d’exploitation ayant augmenté.
La SAEM CITALLIOS s’oppose à l’octroi d’une indemnité au titre des frais administratifs que génèrerait la cessation par la SARL VIKING de son activité au motif que cette dernière n’invoque aucun projet précis de réinstallation comme l’exige pourtant la jurisprudence, de sorte que le préjudice allégué est incertain. Elle s’oppose également à l’octroi d’une indemnité au titre des frais d’expertise compte tenu de ce que ce préjudice n’est pas un préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation et que l’expertise dont il est demandé le remboursement n’est de surcroit d’aucune utilité dans le cadre de la présente procédure, le contenu de l’expertise ne respectant pas les règles d’indemnisation en matière d’expropriation.
La SAEM CITALLIOS conteste la demande de consignation auprès de la Caisse des dépôts et consignations formulée par les membres de l’indivision [V], cette demande ne relevant pas de la compétence du juge de l’expropriation dans le cadre de la présente procédure.
Enfin, dans l’hypothèse où le bail commercial serait entaché d’irrégularité, la SAEM CITALLIOS soutient que l’indemnité devant revenir à la SARL VIKING doit être fixée à 0 euros.
Aux termes de son mémoire en réponse et récapitulatif n°4 réceptionné au greffe le 30 mai 2024, la SARL VIKING demande au juge de l’expropriation de :
-      fixer l’indemnité due à la SARL VIKING au titre de son éviction du local commercial situé [Adresse 3] à [Localité 10], comme suit :
-      indemnité principale : 872 349 euros,
-      indemnité de remploi : 86 085 euros,
-      indemnité au titre de trouble commercial : 7 700 euros,
-      indemnité au titre des frais de licenciement de Madame [I] [V] : 16 216,35 euros sauf à parfaire,
-      indemnité au titre des frais de rupture conventionnelle de Monsieur [W] [V] : 7 880, 40 euros sauf à parfaire,
-      indemnité au titre des frais de déménagement : 150 000 euros TTC sauf à parfaire,
-      indemnité au titres des immobilisation non amorties : 86 618 euros,
-      indemnité au titre de la perte du stock : 1026 euros,
-      indemnité au titre des frais administratifs : 6 360 euros,
-      indemnité au titre des frais d’expertise : 3 480 euros sauf à parfaire,
-      condamner la SAEM CITALLIOS à :
-      supporter seule les entiers dépens,
-      verser à la SARL VIKING la somme de 12 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-      rejeter toutes demandes contraires.
 
La SARL VIKING fait valoir que la procédure porte sur un fonds de commerce à usage d’hôtel meublé et de café-bar-restaurant exploité dans l’immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 10] dans un quartier résidentiel jouxtant la commune de [Localité 17] et à proximité notamment du [Adresse 18]. Elle insiste sur l’excellente desserte en transport en commun dont bénéficient les locaux litigieux. Elle note la qualité architecturale de l’immeuble dans lequel est exploité le fonds de commerce. Si le commissaire du gouvernement a pu noter que la façade extérieure nécessite un ravalement, elle rappelle qu’elle a déposé trois déclarations préalables pour le ravalement auxquelles la mairie s’est systématiquement opposée. Elle indique qu’à la suite d’un jugement rendu par les juridictions administratives, elle s’est vue délivrer le 5 octobre 2021 une attestation de non-opposition à sa demande de ravalement. Elle demande qu’il soit tenu compte de cette attestation dans la valorisation du fonds de commerce. Elle relève que l’immeuble accueille 25 chambres et 4 chambres familiales, soit un total de 29 chambres et non 21 chambres et un appartement.
 
Elle conteste l’affirmation selon laquelle des améliorations au bien dans lequel est exploité le fonds de commerce auraient été apportées postérieurement à l’ordonnance d’expropriation du 23 juillet 2020. Elle rappelle que la commission communale de sécurité a constaté lors de ses visites des 17 mai et 13 décembre 2018 que les travaux de mises aux normes demandés avaient été effectués. S’agissant de la devanture, elle ajoute que son état n’a pas changé, qu’il ressort d’ailleurs des captures d’écran communiquées par l’expropriant que le bien était en parfait état avant l’ordonnance d’expropriation et que seul le style a été modifié postérieurement à cette dernière.
 La SARL VIKING rappelle que les locaux sont occupés en vertu d’un bail commercial conclu le 19 mars 2010. Elle rappelle que cette exploitation est toujours d’actualité, comme cela a pu être constaté lors du transport sur les lieux du 12 avril 2022. Elle rappelle qu’en vertu d’une jurisprudence constante, « le bail d’un bien indivis consenti par un seul des indivisaires n’est pas nul, il est seulement inopposable ; qu’il est seulement inopposable aux autres indivisaires et que son efficacité est subordonnée au résultat du partage (voir notamment Cass. 1ère civ. 9 mai 1978, pourvoi n°76-12646(. Elle considère que le bail conclu avec la SARL VIKING n’est pas nul mais seulement inopposable aux indivisaires qui ne l’ont pas signé, le bail restant valable entre parties signataires. La SARL VIKING fait valoir que ce raisonnement a été confirmé par la Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt du 29 février 2024. Par ailleurs, elle indique que si l’expulsion de la SARL VIKING a été ordonnée, elle n’a jamais été poursuivie par la SAEM CITALLIOS.
S’agissant de l’évaluation de l’indemnité principale d’éviction, la SARL VIKING se fonde sur une moyenne des trois derniers chiffres d’affaires annuel TTC à laquelle il conviendra d’appliquer un coefficient en fonction de la nature de l’activité. Elle communique à cet égard les chiffres d’affaires des exercices 2018, 2019 et 2020 pour une moyenne de 212 048 euros TTC. Elle propose de calculer la moyenne du chiffre d’affaires TTC sur les seuls exercices 2022 et 2023, soit 205 270 euros TTC, à laquelle elle entend ajouter le chiffre d’affaires non enregistré de quatre chambres pour un montant potentiel de 30 500 TTC, soit un chiffre d’affaires total moyen de 235 770 euros TTC. Concernant le coefficient, elle rappelle que le fonds de commerce relève de deux activités, l’hôtellerie et l’activité de café-bar-restaurant et se prévaut du coefficient retenu dans le rapport d’expertise de Monsieur [J] [H] qu’elle a diligentée, soit un ratio de 370% du chiffre d’affaires TTC. Elle conteste le caractère excessif de ce ratio et se prévaut à cet égard d’un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 14 mai 2020 (n°19-16.309) confirmant le coefficient de 3,5 retenu par la cour d’appel de Paris pour l’expropriation de l’entier fonds de commerce d’un hôtel situé sur la commune de [Localité 21] (93). Elle rappelle également que dans le cadre du protocole d’accord transactionnel initié en 2013 avec l’autorité expropriante, cette dernière avait elle-même retenu un coefficient de 355%.
La SARL VIKING sollicite l’octroi d’une indemnité pour trouble commercial résultant de l’arrêt de l’exploitation, lequel n’est pas couvert par l’indemnité principale. Elle rappelle que la jurisprudence considère que cette indemnité est déterminée à partir du mode de calcul le plus favorable à l’évincé entre trois mois de bénéfice, un mois et demi de salaires et charges ou 15 jours de recettes journalières. Elle entend retenir le mode de calcul des trois mois de bénéfice, approche validée par Monsieur le commissaire du gouvernement.
Elle sollicite l’octroi d’une indemnité pour les frais de licenciement. Elle soutient que l’expropriation l’oblige à cesser son activité et à se séparer de son personnel (une cuisinière et un gérant). Elle se prévaut des calculs effectués par le cabinet d’expertise comptable CEG.
La SARL VIKING sollicite l’octroi d’une indemnité au titre des frais de déménagement justifiée par le départ forcé de l’évincée. Elle rappelle que l’indemnisation de la valeur pleine du fonds n’exclut pas l’indemnisation des frais de déménagement contrairement à ce que soutient l’expropriant. Elle se prévaut notamment d’un arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 1997 (Cass. 3ème civ., 25 juin 1997, n°95-70.257). Elle ajoute qu’elle entend déménager son mobilier, matériel et stock non écoulés vers l’Algérie et fait état de ce qu’un devis pour le déménagement de ces meubles vers l’Espagne fait déjà apparaitre un montant de 111.156 euros. De sorte que la somme de 150 000 euros demandée pour le déménagement vers l’Algérie lui parait justifiée. Elle produit également d’autres devis faisant ressortir des montants allant de 5660 euros TTC à 10 416 euros TTC pour le déménagement des biens mobiliers et affaires personnelles de Monsieur [W] [V], gérant, et Madame [I] [U], salariée, qui résident tous les deux dans l’immeuble.
La SARL VIKING sollicite l’octroi d’une indemnité au titre des frais administratifs générés par la cessation de son activité (frais de publication, honoraires du comptable pour la clôture des comptes( et se prévaut d’une décision du tribunal judiciaire de Bobigny (TJ Bobigny, 11 mars 2021, n°18/00181). Elle soutient que ce préjudice est en lien direct avec l’opération d’expropriation et qu’il ne se confond pas avec l’indemnité de remploi contrairement à ce qu’allègue le commissaire du gouvernement.
Elle sollicite l’octroi d’une indemnité au titre des immobilisations non amorties et de la perte de stock. Elle se prévaut à cet égard de plusieurs jurisprudences (Pour les immobilisations non amorties : TGI Nanterre, 13 juin 2012, n°11/41 ; CA Rennes, 27 février 2009, 05/00929 - Pour la perte de stock : CA Paris, 3 mai 2012, n°10/00068) et communique un bilan comptable laissant apparaitre un montant de 86 618 euros au titre des immobilisations non amorties et 3421 euros au titre du stock de marchandises non écoulées. Elle entend appliquer un coefficient de 30% au montant des stocks estimant qu’elle parviendra à en écouler 70%, chiffrage que valide le rapport d’expertise de Monsieur [H], portant ainsi la perte de stock à 1026 euros.
Elle sollicite enfin l’octroi d’une indemnité au titre des frais d’expertise. Elle soutient qu’elle a dû mandater un expert, Monsieur [J] [H], pour pouvoir être en mesure de répondre à l’argumentation chiffrée de la SAEM CITALLIOS et du commissaire du gouvernement. Elle communique plusieurs factures pour un montant total 3480 euros.
Aux termes de ses conclusions complémentaires et récapitulatives réceptionnées au greffe le 23 mars 2023, Monsieur le commissaire du gouvernement propose d’évaluer l’indemnité d’éviction pour le fonds de commerce dans sa totalité et sans réinstallation, comme suit et selon deux hypothèses :

-      au cas où le bail commercial de la SARL VIKING serait entaché d’irrégulartié : 0 euros,
-      au cas où le bail commercial de la SARL VIKING serait régulier, à la somme totale de 474 350 composée de la manière suivante :
-      indemnité principale : 427 400 euros,
-      indemnité de remploi : 41 550 euros,
-      indemnité au titre de trouble commercial : 5 800 euros,
-      indemnité au titre des frais de licenciement du personnel : sur justification ultérieure,
-      indemnité au titre des frais de déménagement : sur devis,
-      indemnité au titre des frais administratifs : 0 euros,
-      indemnité au titres des immobilisation non amorties : 0 euros,
-      indemnité au titre de la perte du stock : sur justification,
-      indemnité au titre de la perte de clientèle : 0 euros,
-      indemnité au titre des frais d’expertise : 0 euros.
 
Le commissaire du gouvernement expose que la procédure porte sur un fonds de commerce à usage d’hôtel meublé, de restaurant et de café élevé sur cave dans un immeuble en R+4 dont l’état extérieur nécessite un ravalement complet. Il note que les locaux sont situés juste en face du [Adresse 18], proche de la gare SNCF de [Localité 9]-[Localité 16] et des quais de Seine, dans un quartier présentant peu de commerces de proximité et en profonde restructuration.
Le commissaire du gouvernement note qu’un bail commercial existait entre la SARL LE VIKING et certains indivisaires de l’immeuble, mais qu’il a été déclaré inopposable aux autres co-indivisaires par jugement du 27 mai 2019. Toutefois, il relève qu’à l’occasion du transport sur les lieux, il s’est avéré que la SARL LE VIKING était toujours active dans locaux litigieux et qu’une des parties à l’instance susvisée à interjeté appel du jugement. Il prend soin de rappeler qu’un exploitant commercial ayant un bail irrégulier à la date de l’ordonnance d’expropriation ne peut être indemnisé.
Dans l’attente de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, le commissaire du gouvernement rappelle que deux méthodes de comparaison sont susceptibles de s’appliquer selon que le propriétaire du fonds de commerce se réinstalle ou non à proximité du fonds exploité, à savoir la méthode par comparaison dans le cas où le propriétaire ne se réinstalle pas à proximité du fonds exploité et la méthode du différentiel de loyer dans le cas contraire. La cession portant sur la vente d’un fonds sans réinstallation à proximité, il propose de retenir la méthode par comparaison. Au regard des trois termes de comparaison qu’il soumet, il en ressort un ratio moyen de 171 % du chiffre d’affaires moyen annuel HT et un ratio médian de 163 %. Il note la forte disparité des ratios de cessions pour ce type de fonds et propose de retenir afin de tenir compte de la situation géographique des locaux, de l’occupation prolongée de nombreuses chambres par les mêmes clients et de l’augmentation croissante du chiffre d’affaires, une valeur haute des termes produits, soit un ratio de 220% du chiffre d’affaires moyen annuel HT et non TTC. Il note que le chiffre d’affaires moyen HT des trois derniers exercices retenu par les parties s’élève à 193 901 euros mais entend exclure le complément hypothétique de 40 000 euros non enregistré dont se prévaut l’évincée, lequel complément est incertain. Enfin, il note que la méthode des barèmes utilisée dans de nombreux ouvrages vient confirmer la forte valeur du ratio retenu.

Le commissaire du gouvernement s’accorde sur l’octroi d’une indemnité au titre du trouble commercial, de même que sur l’octroi d’une indemnité pour frais de licenciement du personnel à la condition toutefois que ces licenciements soient la conséquence de l’éviction et que la SARL VIKING apporte la justification de la charge qu’elle aura réellement supportée, de sorte que cette dernière indemnité ne pourra être due qu’à posteriori du jugement. Il s’accorde également sur l’octroi d’une indemnité pour perte de stock qui sera néanmoins versée sur justificatif et si la liquidation d’un stock de marchandises périssables ou particulières s’avère difficile. Quant à l’indemnité pour frais de déménagement, il soutient que son montant devra être justifiée et ne pourra être prononcée que sur présentation de trois devis minimum.
Il s’oppose à l’octroi d’une indemnité au titre des frais administratifs générés par la cessation de l’activité, lesquels sont déjà couverts par l’indemnité de remploi. Il s’oppose également à l’allocation d’une indemnité au titre des immobilisations non amorties compte tenu de ce que l’indemnité principale accordée porte sur la valeur pleine et entière du fonds de commerce comprenant donc les installations et les aménagements. Il relève par ailleurs que les travaux de rénovation sont postérieurs à l’ordonnance d’expropriation. Il conteste l’octroi d’une indemnité pour perte de clientèle au motif que le fonds de commerce est évalué dans sa totalité et que cette indemnité est déjà comprise dans l’indemnité pour trouble commercial. Enfin, il s’oppose à l’octroi d’une indemnité pour les frais de déménagement.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré au 8 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
I. LE BIEN EXPROPRIÉ
A- Sur les dates à fixer et la situation de l’urbanisme
1 Sur la situation d’urbanisme et la date de référence pour l’usage du bien
En application de l’article L.322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.
Toutefois, et sous réserve de l'application des dispositions des articles L. 322-3 à L. 322-6, est seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L. 1 ou, dans le cas prévu à l'article L. 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l'article L. 121-8 du code de l'environnement ou par l'article 3 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat ou, lorsque le bien est situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté mentionnée à l'article L. 311-1 du code de l'urbanisme, à la date de publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique.
Aux termes de l’article L.213-4 a du code de l’urbanisme, la date de référence prévue à l'article L. 322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est
-pour les biens compris dans le périmètre d'une zone d'aménagement différé :
i) la date de publication de l'acte délimitant le périmètre provisoire de la zone d'aménagement différé lorsque le bien est situé dans un tel périmètre ou lorsque l'acte créant la zone est publié dans le délai de validité d'un périmètre provisoire ;
ii) la date de publication de l'acte créant la zone d'aménagement différé si un périmètre provisoire de zone d'aménagement différé n'a pas été délimité ;
iii) dans tous les cas, la date du dernier renouvellement de l'acte créant la zone d'aménagement différé ;
- pour les biens non compris dans une telle zone, la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.
En l’espèce, en application des articles précités, la date de référence est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.
En l’occurrence, s’agissant de la zone dans laquelle le bien est situé, la dernière modification opposable aux tiers du PLU est intervenue le 16 mai 2019.
La date du 16 mai 2019 sera donc retenue comme date de référence.
A cette date, l’emprise était située en zone UE1a du PLU de la commune de [Localité 10].
2) Sur la date d’appréciation de la consistance du bien
Aux termes de l’article L.322-1 du code de l'expropriation, le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété.
En vertu de l’alinéa 2 de l’article L. 322-1 du code de l’expropriation, les améliorations de toute nature faites à l’immeuble ne donnent lieu à aucune indemnité si, en raison de l’époque à laquelle ces améliorations ont eu lieu ou de toutes autres circonstances, il apparaît qu’elles ont été faites dans le but d’obtenir une indemnité plus élevée. Ainsi, les améliorations faites à l’immeuble à compter de l’ouverture de l’enquête publique ne peuvent être prises en compte par le juge de l’expropriation.
En l’espèce, l’ordonnance portant transfert de propriété a été rendue le 23 juillet 2020.
La consistance du bien doit donc être appréciée à cette date.
3) Sur la date d’estimation du bien
L’article L.322-2 du code de l’expropriation dispose que les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, principe dont il sera fait application.
4) Sur la superficie du bien
Selon les données cadastrales, la surface utile de l’immeuble serait de 950 m².
La SARL VIKING s’appuie sur un procès-verbal des engagements de la SEM 92 (désormais CITALLIOS) du 12 juillet 2023 pour affirmer que la superficie utile est de 676 m².

5) Sur la situation d’occupation
Un bail commercial a été conclu entre la SARL LE VIKING et certains indivisaires de l’immeuble le 1er avril 2010.
Lors du transport sur les lieux réalisé le 12 avril 2022, il a été constaté que la SARL LE VIKING était toujours en activité.
B - Les constats lors de la visite des lieux
Le transport sur les lieux a permis de faire les constatations figurant sur le procès-verbal de transport annexé au présent jugement.
II- SUR L’EXISTENCE D’UN DROIT A INDEMNITE
Par jugement du 27 mai 2019, le Tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré inopposable aux autres coindivisaires le bail conclu le 1er avril 2010. Par ailleurs, ce jugement a ordonné l’expulsion de la SARL LE VIKING.
Par arrêt du 29 février 2024, la Cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 27 mai 2019.
Dans son mémoire récapitulatif et en réponse parvenu au greffe le 20 mars 2023, CITALLIOS que si l’expulsion de la SARL LE VIKING était confirmée en appel, cela pourrait remettre en cause le droit à indemnité de la société évincée.
Il sera rappelé toutefois que le bail d’un bien indivis consenti par un ou plusieurs coindivisaires n’est pas nul mais seulement inopposable aux autres indivisaires. Ainsi, le bail est seulement privé d’effet à l’égard de l’indivisaire qui n’y a pas consenti.
Dès lors, l’inopposabilité du bail n’a pas pour effet d’anéantir l’acte, qui demeure parfaitement valable entre les parties.
En conséquence, le bail commercial conclu le 1er avril 2010 n’est pas nul et la SARL LE VIKING a droit à une indemnité consécutive à son éviction commerciale.
III- L’EVALUATION DE L’INDEMNITE
Aux termes de l’article L.321-1 du code de l’expropriation, les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation.
Aux termes de l’article R.311-22 du code de l’expropriation, le juge statue dans la limite des prétentions des parties, telles qu'elles résultent de leur mémoire et des conclusions du commissaire du gouvernement si celui-ci propose une évaluation inférieure à celle de l'expropriant. Si l'exproprié s'est abstenu de répondre aux offres de l'administration et de produire un mémoire en réponse, le juge fixe l’indemnité d'après les éléments dont il dispose.
A- Sur la méthode
Les parties s’accordent sur le fait que, au regard de la nature de l’activité exercée par la SARL LE VIKING, cette dernière ne pourrait se réinstaller dans un périmètre lui permettant de conserver sa clientèle. Dès lors, l’indemnité sera calculée sur la base de la valeur pleine et entière du fonds de commerce.
B- Sur l'indemnité principale
Les parties adoptent une méthode semblable pour déterminer la valeur dudit fonds de commerce, en multipliant le chiffre d’affaires moyen de la SARL LE VIKING par un coefficient multiplicateur. Pour la détermination du coefficient multiplicateur, elles procèdent par comparaison avec des cessions de fonds de commerce intervenues dans un périmètre géographique et temporel proche du fonds de commerce objet du présent litige.
-      Sur le chiffre d’affaires de la SARL LE VIKING
Les parties s’accordent pour indiquer que, sur les exercices 2018, 2019 et 2020, la SARL LE VIKING a réalisé un chiffre d’affaires moyen de 193 901 euros HT.
Contrairement à ce qu’indique la société évincée, il est d’usage, pour déterminer la valeur d’un fonds de commerce, de retenir le chiffre d’affaires HT et non le chiffre d’affaires TTC.
Par ailleurs, la SARL LE VIKING demande que le chiffre d’affaires retenu soit majorée de la somme de 40 000 euros, afin de tenir compte des six chambres non exploitées et utilisées par la famille du gérant.
Il sera rappelé toutefois que, conformément à l’article L. 321-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique,“les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation“. Par conséquent, il ne peut être tenu compte d’un chiffre d’affaires hypothétique qui s’ajouterait au chiffre d’affaires moyen réel de la SARL LE VIKING.
Ainsi, le chiffre d’affaires de 193 901 euros HT sera retenu.
-      Sur le coefficient multiplicateur
La SARL LE VIKING s’appuie sur le rapport du 27 septembre 2022 de Monsieur [J] [H] qui fonde son analyse sur les références suivantes :
1.      Arrêt de la Cour de cassation, Cass. 3ème Ch Civ, 14 mai 2020 relatif à un hôtel situé à [Localité 21]. La Cour retient un coefficient de 3,5 du CA TTC.
2.      TGI de Paris, 4 mai 2017, affaire Ville de [Localité 19] contre A la Grosse Bouteille.
Coefficient retenu : 3,2
3.      Cour d’appel de Paris, 14 janvier 2016, Hôtel-restaurant de 25 chambres à [Localité 20].
Coefficient retenu : 3.
La société évincée retient un coefficient de 370 % du chiffre d’affaires TTC annuel.
Afin de déterminer le coefficient multiplicateur applicable, Monsieur le Commissaire du Département se fonde quant à lui sur trois cessions de fonds de commerce d’hôtels meublés se situant dans le nord des Hauts-de-Seine et ayant un chiffre d’affaires moyen inférieur à 800 000 euros :

1.      Cession du 12 décembre 2017 (9214P03|2017A03915) d’un fonds de commerce d’hôtel meublé nommé “Hôtel [12]“ en R + 4 sis [Adresse 1] à [Localité 11].
Prix de vente : 350 000 euros.
Chiffre d’affaires moyen HT des trois dernières années : 215 381 euros.
Ratio de 163 % du chiffre d’affaires moyen HT des trois dernières années.
 
2.      Cession du 31 janvier 2020 (9224P02|2020A01242) d’un fonds de commerce d’hôtel, bar, restaurant nommé “[8]“ en R+1 avec trois studios équipés de cuisine et six chambres sis [Adresse 5] à [Localité 13].
 
Prix de vente : 625 000 euros.
Chiffre d’affaire moyen HT des trois dernières années : 490 753 euros.
            Ratio de 127 % du chiffre d’affaires moyen HT des trois dernières années.
3.    Cession du 19 août 2021 (9214P03|2021A05674) d’un fonds de commerce d’hôtel – restaurant nommé “[15]“ à [Localité 14].
Prix de vente : 1 300 000 euros.
Chiffre d’affaire moyen HT des trois dernières années : 581 864 euros.
Ratio de 223 % du chiffre d’affaires moyen HT des trois dernières années.
Monsieur le Commissaire en déduit un ratio moyen de 171 % et un ratio médian de 163 %. Il retient la valeur haute des termes de comparaison, à savoir 220 % du chiffre d’affaires HT.
Dans son mémoire récapitulatif et en réponse parvenu au greffe le 20 mars 2023, CITALLIOS reprend à son compte les références citées par Monsieur le Commissaire du gouvernement et retient lui aussi un ratio de 220 % du chiffre d’affaires HAT.
Préalablement à l’analyse des références produites, il y a lieu de relever que la SARL LE VIKING communique des références ayant trait notamment à des arrêts d’appel et de cassation statuant sur des jugements fixant des indemnités d’éviction commerciale à la suite de procédure d’expropriation (CA Paris, pôle 4, chambre 7, 14 janvier 2016, n°17/15457, Cass., 3ème civ., 14 mai 2020, n°19-16.309). Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article L.322-2 du code de l’expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance. Ainsi, s’agissant des références précitées, et sans préjuger de ces dernières, il conviendra d’apprécier leur ancienneté au regard de la date de la décision de première instance et non de la date de l’arrêt d’appel.
S’agissant de la première et de la troisième référence communiquées par la SARL LE VIKING, celles-ci concernent des décisions de justice anciennes ayant trait, de surcroit, à des fonds de commerce situés sur les communes de [Localité 21] (93) et de [Localité 20] (93). Ainsi, ces références, qui sont situées dans des secteurs géographiques trop éloignés pour être comparables et qui ne représentent pas l’état actuel du marché, seront écartées.
En ce qui concerne la deuxième référence de la société évincée, la SARL LE VIKING ne produit pas au débat le jugement dont il s’agit, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer la localisation du fonds de commerce objet du litige.

S’agissant des références communiquées par M. le Commissaire du gouvernement et reprises par l’expropriant, celles-ci concernent des fonds de commerce d’hôtels et d’hôtels / bar / restaurant, situés à [Localité 11], à [Localité 13] et à [Localité 14] et réalisant des chiffres d’affaires supérieurs à celui du fonds de commerce objet de la présente procédure.
L’ensemble des références citées par M. le Commissaire du gouvernement seront retenues. Il pourra néanmoins être tenu compte des spécificités du fonds litigieux dans le cadre de la fixation du coefficient final.
Il en ressort que la moyenne des termes de comparaison s’élève à 171 %.
Toutefois, il convient de souligner le lieu de situation du fonds de commerce, dans un quartier calme, en face d’un parc, proche d’une gare SNCF, avec restaurant et café au rez-de-chaussée de l’immeuble et une occupation ancienne de nombreuses chambres par les mêmes clients, ainsi qu’une augmentation croissante du chiffre d’affaires.
Ces éléments invitent, conformément à la proposition de M. le Commissaire du gouvernement, à retenir le ratio de la fourchette haute des termes de comparaison, à savoir 220% du chiffre d’affaires moyen HT.
Ainsi, l’indemnité principale s’élève à la somme de :
193 901 euros x 220 % = 427 000 euros.
L’indemnité principale doit donc être fixée à la somme de 427 000 euros.
C- L’indemnité de remploi
L’indemnité de remploi sera fixée comme usuellement et conformément à la jurisprudence de manière dégressive sur la base du montant de l’indemnité principale.
Elle est égale à :
- 5% jusqu’à 23 000 euros = 1 150 euros
- 10% pour le surplus = 40 400 euros arrondis.
Au total, l’indemnité de remploi s’élève à la somme arrondie de 41 550 euros. 
D- Sur les autres indemnités
 
1)    Sur l’indemnité pour trouble commercial
 
Une indemnité pour trouble commercial sera allouée afin de couvrir le préjudice résultant de l’arrêt de l’exploitation.
 
Il est d’usage que l’indemnisation du trouble commercial soit fixée à trois mois de bénéfice net ou à 15 jours de chiffres d’affaires ou à un mois et demi de salaires et charges.
 
La SARL LE VIKING proposait initialement que cette indemnité soit calculée sur la base de trois mois de bénéfices déclarés à l’administration fiscale.
 
Dans ses dernières écritures, l’autorité expropriante indique ne pas s’opposer à l’allocation d’une indemnité évaluée à 7114 euros, en raison du trouble commercial.
 
Au regard du bilan de l’exercice 2023, le mode de calcul le plus favorable à la société évincée consiste à retenir 15 jours de recettes journalières, soit (184 380 / 360) x 15 = 7682,50 €, arrondis à 7683 euros.
 
Ainsi, l’indemnité pour trouble commercial est estimée à 7683 euros.
 
2)   Sur l'indemnité pour frais de licenciement du personnel
 
La SARL LE VIKING sollicite une indemnité de 23 760,26 euros correspondant aux frais de licenciement de deux de ses salariés.
 
En cas de perte du fonds, les frais de licenciement du personnel sont retenus sur justification, à la condition qu’ils soient la conséquence directe de l’éviction commerciale. Il incombe à la société évincée de justifier de la charge réellement supportée consécutivement au licenciement total de son personnel, en raison de l’éviction commercial.
 
Si l’autorité expropriante s’accorde sur le principe de cette indemnité, cette indemnité ne peut être allouée qu’une fois les licenciements intervenus.
 
Dans ces conditions et dans l’attente de la production des éléments justifiant du licenciement effectif des salariés et des frais engendrés, il convient de surseoir à statuer sur cette demande.  
 
3)    Sur les frais de déménagement
 
La SARL LE VIKING sollicite une indemnisation à hauteur de 150 000 euros TTC consécutivement aux frais de déménagement. A l’appui de sa demande, elle produit un devis de la société RIEUTORT d’un montant de 111 156 euros TTC (pièce n°23) pour la livraison du mobilier et du matériel de la SARL LE VIKING à [Localité 7] (Espagne), étant précisé que la SARL LE VIKING indique que le mobilier ainsi que le matériel devront ensuite être acheminés d’Espagne en Algérie.
 
CITALLIOS s’oppose à l’octroi de cette indemnité dans la mesure où l’indemnisation porte sur la valeur pleine et entière du fonds de commerce, laquelle comprend la perte de l’ensemble des éléments corporels attachés à ce fonds.
Monsieur le commissaire du gouvernement, dans ses dernières conclusions parvenues au greffe le 23 mars 2023 estime que cette indemnité doit être justifiée par la production de trois devis au moins.
 
Si l’indemnité principale a été calculée sur la base de la valeur entière du fonds de commerce comprenant donc les éléments mobiliers présents sur les lieux, il est incontestable que la SARL LE VIKING va exposer des frais pour retirer les biens des lieux expropriés, étant rappelé que l’intégralité du préjudice subi par l’évincé doit être réparé.
 
Dès lors, il est acquis qu’une indemnité pour frais de déménagement doit être allouée à la SARL LE VIKING.
 
Il sera observé toutefois que la SARL LE VIKING ne verse au débat qu’un seul devis, alors qu’il est d’usage d’en produire au moins trois. En outre, le devis établi par la société RIEUTORT porte sur le déménagement d’un volume de 442 m3 de [Localité 9] à [Localité 7] (Espagne), étant observé qu’aucun projet de déménagement en Espagne n’est évoqué. En outre, le projet de déménagement en Algérie repose sur les seuls dires de la société évincée et n’est étayé par aucune pièce produite au débat.
 
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient d’écarter le devis produit par la SARL LE VIKING et d’octroyer à cette dernière une somme de 60 000 euros au titre de ses frais de déménagement.
 
 
4)   Sur les frais administratifs
 
La SARL LE VIKING sollicite une indemnité de 6360 euros TTC correspondant aux frais administratifs qu’elle a exposés (frais de publication, honoraires du comptable pour la clôture des comptes, information de la clientèle, résiliation des contrats en cours).
 
CITALLIOS et Monsieur le Commissaire du gouvernement demandent que la société évincée soit déboutée de cette demande.
 
Conformément à l’article L. 321-1 du code de l’expropriation, seuls les préjudices direct, matériel et certain sont indemnisés.
 
En l’espèce, il n’est ni invoqué ni encore moins établi de projet précis de réinstallation, de sorte que les frais administratifs et de publicité ne présentent à ce stade aucun caractère certain.
 
Il convient de rejeter la demande de la SARL LE VIKING au titre du remboursement des frais administratifs.
5)    Sur l’indemnité consécutive aux immobilisations non amorties et à la perte de stock
 
La SARL LE VIKING demande une indemnisation à hauteur de 86 618 euros au titre des immobilisations non amorties et 3421 euros au titre de la perte de stock.
 
CITALLIOS s’oppose à l’octroi d’une indemnité pour immobilisations non amorties et perte de stock au motif que le tribunal de céans indemnise l’occupant évincé de la valeur pleine et entière de son fonds de commerce, dont les immobilisations non amorties et la perte de stock font partie intégrante.
 
Il sera rappelé en effet que les immobilisations non amorties sont un élément du fonds de commerce à usage d’hôtel meublé, bar-restaurant, lequel n’est pas transféré. Les immobilisations non amorties ainsi que le stock sont donc incluses dans l’indemnisation de la valeur pleine et entière du fonds de commerce.
 
La demande d’indemnité au titre des immobilisations non amorties et de la perte de stock sera donc rejetée.
 
4) Sur l'indemnité pour frais et honoraires
 
La SARL LE VIKING sollicite l’octroi d’une indemnité de 3480 euros TTC au titre des frais et honoraires de l’expert [J] [H].
 
CITALLIOS et Monsieur le Commissaire du gouvernement s’opposent à l’octroi de cette indemnité.
 
Conformément à l’article L. 321-1 du code de l’expropriation, seuls les préjudices direct, matériel et certain sont indemnisés.
 
En l’espèce, les dépenses liées aux honoraires de l’expert correspondent à des dépenses que la SARL LE VIKING a pris l’initiative d’engager et dont rien ne conduit à faire supporter le coût à l’expropriant, dès lors qu’elles ne constituent pas un préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation.
 
Il convient donc de débouter la SARL LE VIKING de cette demande.
 
III- SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
Il convient de rappeler que les dépens sont à la charge de l’expropriant, par application de l'article L.312-1 du code de l'expropriation.
Au regard de la nature de l’affaire, la SARL LE VIKING se verra allouer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
FIXE l'indemnité due par CITALLIOS à la SARL LE VIKING au titre de l’éviction du local commercial situé [Adresse 3] à [Localité 10] sur la parcelle cadastrée section A n°[Cadastre 2] dans lequel celle-ci exploite une activité d’hôtel, café et restaurant, à la somme de 536 233 euros décomposée comme suit :
 
- indemnité principale : 427 000 euros,
- indemnités de remploi : 41 550 euros, 
- trouble commercial : 7683  euros,
- frais de déménagement : 60 000 euros,
 
SURSOIT à statuer sur l’indemnité au titre des licenciements dans l’attente de l’engagement des procédures de licenciement, à charge pour les parties de présenter au juge de l’expropriation un mémoire de poursuite d’instance en cas de désaccord,
REJETTE les demandes plus amples ou contraires des parties,
CONDAMNE CITALLIOS à verser à la SARL LE VIKING la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT que les dépens sont à la charge de CITALLIOS conformément à l'article L.312-1 du code de l'expropriation.
 Fait à Nanterre, le 8 juillet 2024
LE GREFFIER                                                                     LA JUGE DE L’EXPROPRIATION


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Nanterre
Formation : Expropriations
Numéro d'arrêt : 21/00055
Date de la décision : 08/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 29/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-08;21.00055 ?
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