- N° RG 23/01647 - N° Portalis DB2Y-W-B7H-CDBOH
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MEAUX
1ERE CHAMBRE
Date de l'ordonnance de
clôture : 06 mai 2024
Minute n° 24/664
N° RG 23/01647 - N° Portalis DB2Y-W-B7H-CDBOH
Le
CCC : dossier
FE :
Me LE MEN
Me RABIER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUGEMENT DU VINGT DEUX JUILLET DEUX MIL VINGT QUATRE
PARTIES EN CAUSE
DEMANDEURS
Madame [M] [G] épouse [E]
Monsieur [D] [G]
[Adresse 3]
représentés par Maître Gaëlle LE MEN de la SCP BOUAZIZ - SERRA - AYALA - BONLIEU - LE MEN - HAYOUN, avocats au barreau de FONTAINEBLEAU, avocats plaidant
DEFENDEURS
Madame [S] [R]
Monsieur [I] [W]
[Adresse 2]
représentés par Maître Emmanuel RABIER de la SELARL CABINET RABIER, avocats au barreau de MEAUX, avocats plaidant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lors des débats et du délibéré :
Président : M. BATIONO, Premier Vice-Président
Assesseurs: M. NOIROT, Juge
Mme BASCIAK, Juge
Jugement rédigé par : Mme BASCIAK, Juge
DEBATS
A l'audience publique du 16 Mai 2024
GREFFIER
Lors des débats et du délibéré : Mme BOUBEKER, Greffière
JUGEMENT
contradictoire, mis à disposition du public par le greffe le jour du délibéré, M. BATIONO, Président, ayant signé la minute avec Mme BOUBEKER, Greffière ;
- N° RG 23/01647 - N° Portalis DB2Y-W-B7H-CDBOH
EXPOSE DU LITIGE
Selon acte notarié du 27 avril 1999, M. [D] [G] et Mme [M] [E] épouse [G] (ci-après les époux [G]) ont procédé à l’acquisition de droits à construire dans un ensemble immobilier formant le lot 1 du lotissement cadastré section BH [Cadastre 1], à savoir le droit d’édifier une construction dénommée bâtiment B consistant en un pavillon de deux pièces principales avec comble aménageable et les 500/1000 des parties communes.
M. [I] [W] et Mme [S] [R] (Ci-après les Consorts [W]-[R]) ont acquis le 27 avril 1999 des droits à construire dans le même ensemble immobilier formant le lot 1 du lotissement cadastré section BH [Cadastre 1], le droit d’édifier un pavillon dénommé bâtiment A et les 500/1000 des parties communes.
Un état descriptif de division et règlement de copropriété a été dressé le 3 juin 1999 divisant l’ensemble immobilier en deux lots indépendants avec construction à édifier et une quote-part indivise de parties communes.
Par un arrêté du 28 septembre 2010, la mairie de [Localité 4] a autorisé la modification de l’article 6 du cahier des charges du lotissement interdisant tout morcellement ou subdivision du terrain même après réalisation des travaux, approuvée par les colotis lors d’une réunion du 12 mai 2008, conformément à l’article L. 442-10 du code de l’urbanisme.
Les époux [G] ont pris contact avec le cabinet [Localité 5] géomètre afin de préparer les divisions foncières des lots de lotissement en nouvelles parcelles cadastrales.
Lors de la réalisation du plan de division il est apparu que le lot A, appartenant aux Consorts [W]-[R], était d’une superficie de 301 m ² et que le lot B appartenant aux époux [G] était d’une superficie de 281m², soit un empiètement de 10 m² sur la propriété de ces derniers.
Les époux [G] ont sollicité des Consorts [W]-[R] le versement de la somme de 30 336 euros aux fins de rachat de la partie de la parcelle occupée, ce qu’ils ont refusé.
Les époux [G] ont fait assigner les Consorts [W]-[R] devant le juge des référés du tribunal de proximité de LAGNY-SUR-MARNE aux fins de désignation d’un expert.
Par une ordonnance de référé du 9 juin 2020, le juge des référés du tribunal de proximité de LAGNY-SUR-MARNE a fait droit à la demande des époux [G] en désignant M. [F] géomètre en qualité d’expert.
L’expert a déposé son rapport le 27 décembre 2022.
Par un acte de commissaire de justice du 31 mars 2023, les époux [G] ont fait assigner les Consorts [W]-[R] devant le tribunal judiciaire de Meaux aux fins de les voir condamner solidairement à leur payer la somme de 7000 euros de dommages et intérêts en réparation de la perte de 10 mètres carrés sur la parcelle leur appartenant, les voir solidairement condamnés à leur rembourser les frais exposés au titre des frais de constat d’huissier dressé le 20 septembre 2019 à hauteur de 348,09 euros, la somme de 11 280 euros au titre des frais d’expertise judiciaire et la somme de 3140,31 euros au titre des frais d’avocats et de les voir solidairement condamnés à leur payer la somme de 11 424 euros en réparation du préjudice de perte de jouissance de leurs parcelles depuis le début de l’année 2016.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 février 2024, les époux [G] demandent au tribunal de bien vouloir :
« CONDAMNER solidairement Monsieur [I] [W] et Madame [S] [R] à verser à Monsieur [D] [G] et à Madame [M] [E] épouse [G] un montant de 7.000 euros de dommages-intérêts correspond à la perte de 10m2 de la parcelle appartenant à Monsieur [D] [G] et à Madame [M] [E] épouse [G].
CONDAMNER solidairement Monsieur [I] [W] et Madame [S] [R] à verser à Monsieur [D] [G] et à Madame [M] [E] épouse [G] les sommes suivantes au titre des frais exposés :
-348,09 euros au titre des frais de constat d'huissier dressé le 20 septembre 2019 ;
-11.280 euros correspondant aux frais d'expertise judiciaire ;
-3.140,31 euros au titre des frais d'avocat exposés dans le cadre de la procédure en référé puis dans le cadre des opérations d'expertise ;
CONDAMNER solidairement Monsieur [I] [W] et Madame [S] [R] à verser à Monsieur [D] [G] et à Madame [M] [E] épouse [G] un montant de 11.424 euros de dommages-intérêts correspondant à la perte de jouissance de leur parcelle depuis le début de l'année 2016 jusqu'à ce jour ;
CONDAMNER solidairement Monsieur [I] [W] et Madame [S] [R] à verser à Monsieur [D] [G] et à Madame [M] [E] épouse [G] un montant de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
RAPPELER que l'exécution provisoire est de droit »
A l’appui de leur demande d’indemnisation au titre de l’empiètement des Consorts [W]-[R] sur leur propriété, les époux [G] se prévalent du rapport d’expertise préconisant un rachat de la perte de surface de 10 m² moyennant une valeur du terrain à bâtir à nu et libre dans ce secteur de 700 euros le mètre carré, soit la somme de 7000 euros correspondant à la perte de surface définitive de leur parcelle.
Ils demandent également le remboursement des frais d’huissier de justice exposés pour faire constater l’édification d’un mur le 20 septembre 2019 à hauteur de 348,09 euros sans aucune permission sur leur parcelle, outre les honoraires de l’expert judiciaire à hauteur de 11 280 euros.
Ils réclament réparation du préjudice de jouissance fondé sur l’occupation de la parcelle depuis l’année 2016 à hauteur de 13,60 euros du mètre carré sur une période de 12 mois pendant sept ans aboutissant à la somme de 11 424 euros à parfaire. Ils font valoir notamment qu’ils ont réglé une taxe foncière sur les 10 mètres carrés occupés par les Consorts [W]-[R] et que dans son rapport, l’expert a préconisé un dédommagement pour les démarches qu’ils ont accomplies depuis 2016, date de découverte de la situation de lésion.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 mars 2024, les Consorts [W]-[R] demandent au tribunal de bien vouloir :
« DONNER ACTE à Monsieur [I] [W] et Madame [S] [R] de leur accord visant à régler une indemnité de 7 000 euros correspondant à la perte de 10 m2 de la parcelle appartenant à Monsieur [D] [G] et Madame [M] [E], épouse [G] ;
DIRE ET JUGER que ce règlement, dès lors qu'il sera effectif, privera Monsieur [D] [G] et Madame [M] [E], épouse [G] et leurs acquéreurs successifs de la possibilité de former une nouvelle demande de dommages et intérêts pour la même cause ;
DEBOUTER Monsieur [D] [G] et Madame [M] [E], épouse [G] du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNER IN SOLIDUM Monsieur [D] [G] et Madame [M] [E], épouse [G] à payer à Monsieur [I] [W] et Madame [S] [R] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ».
Les Consorts [W]-[R] indiquent qu’ils acceptent de payer aux époux [G] la somme de 7000 euros au titre de l’empiètement sur leur propriété indiquant que la somme évaluée par l’expert est très inférieure à la demande d’indemnité formulée par leurs voisins initialement à hauteur de 30 336 euros.
Ils s’opposent au surplus des demandes des époux [G] indiquant que s’ils avaient formulé une demande de remboursement inférieure dès 2016, ils n’auraient pas subi de perte de jouissance de leur parcelle dès lors que la limite de propriété aurait pu être modifiée bien antérieurement au rapport d’expertise.
Ils font valoir, comme le constate l’expert dans son rapport, que l’empiètement ne leur est pas imputable mais que la faute revient au constructeur qui a réalisé les deux maisons concernées. Il indique que c’est M. [G] qui a installé un grillage au fond du jardin pour délimiter les deux propriétés et qu’il s’est basé sur celui-ci pour installer le mur, lequel est en outre implanté en retrait sur sa propriété.
La clôture de l’instruction a été fixée au 6 mai 2024 par ordonnance du même jour.
L’affaire a été évoquée à l’audience de plaidoiries du 16 mai 2024 et mise en délibéré au 22 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les demandes indemnitaires formées par les époux [G]
Au terme de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L’article 544 du code civil dispose, « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
Sur la demande de réparation du préjudice lié à la perte de surface
Dans son rapport, l’expert a confirmé que dans l’hypothèse d’une division en deux parcelles de propriété distincte au niveau de la jonction des deux pignons, avec annulation de la copropriété, le terrain des Consorts [W]-[R] présente une surface de 301 m² et le terrain des époux [G] une superficie de 281 m², alors que si les bâtiments avaient été implantés correctement, compte tenu des acquisitions à parts égales, la superficie de chaque lot devrait être de 291 m². Il en déduit que les époux [G] subissent une perte de superficie de 10 m² qu’il ne qualifie pas « d’empiètement » en ce que s’agissant d’une copropriété, la totalité du sol est une partie commune.
L’expert indique que les parties ne sont pas responsables de cette situation et que chacun a cru en toute bonne foi édifier clôture et mur sur la limite rectiligne passant par le prolongement de la jonction des pignons sans se sentir lésé avant la production des plans par le cabinet [Localité 5].
Dans la première solution il propose de « conserver les limites physiques « logiques » existantes adoptées en toute bonne foi par les deux parties par la construction de séparation – en ligne droite passant par le mitoyen des maisons- et de compenser la perte des époux [G] par une indemnité à verser par les Consorts [W]-[R], pour les 10 m² manquant aux époux. (10 m² achetés et restés chez le voisin. Valeur des terrains à bâtir nu et libre dans ce secteur : environ 700 euros le m² à ce jour), hors indemnité éventuelle pour compenser l’ensemble des démarches et occasionnés à ces derniers pour faire valoir leurs droits depuis 2016 ».
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que les Consorts [W]-[R] et les époux [G] s’accordent pour retenir la première solution évoquée par l’expert, sus rappelée, d’indemnisation des demandeurs pour la perte de superficie acquise mais dont ils ne profitent pas à hauteur de 700 euros le m², comme évalué par l’expert, soit la somme totale de 7000 euros.
En conséquence, les Consorts [W]-[R] seront condamnés in solidum à payer aux époux [G] la somme de 7000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de surface définitive de leurs parcelles.
Sur le préjudice de perte jouissance
Les époux [G] soutiennent avoir subi un préjudice de perte de jouissance caractérisé par l’impossibilité d’utiliser leur parcelle depuis le début de l’année 2016, sans aucune contrepartie des Consorts [W]-[R], qu’ils évaluent à la somme de 13,60 euros le m² correspondant au prix moyen de la location à [Localité 4] pour une maison d’habitation, soit depuis 2016 la somme totale de 11 424 euros.
En l’espèce, il est constant que les époux [G] ont nécessairement subi un préjudice de perte de jouissance caractérisé par l’impossibilité de profiter de la superficie dont ils ont été lésés de 10 m².
Toutefois, comme le relèvent les Consorts [W]-[R] et le rappelle l’expert dans son rapport, ils ne sont pas responsables de l’erreur d’implantation de leur bâtiment, laquelle est uniquement imputable au constructeur.
L’expert a indiqué clairement dans son rapport que les deux parties sont de bonne foi.
Il en résulte que les Consorts [W]-[R] n’ont commis aucune faute présentant un lien de causalité avec le préjudice subi par les époux [G].
En conséquence, les époux [G] seront déboutés de leur demande de condamnation solidaire des Consorts [W]-[R] à leur payer la somme de 11 424 euros au titre de leur préjudice de perte de jouissance.
Sur la demande en paiement de la somme de 348,09 euros au titre des frais de constat d’huissier dressé le 20 septembre 2019
Il ressort du procès-verbal de constat du 20 septembre 2019 que les époux [G] ont mobilisé l’huissier de justice aux fins de constat concernant un mur édifié par les Consorts [W]-[R].
Il en résulte que ce constat d’huissier ne présente pas de lien avec la présente procédure qui ne porte pas sur la remise en cause de l’implantation du mur mais sur l’implantation initiale du bâtiment des Consorts [W]-[R] aboutissant à une perte de surface de 10 mètres carrés au préjudice des époux [G].
En conséquence, les époux [G] seront déboutés de leur demande condamnation solidaire des Consorts [W]-[R] à leur payer la somme de 348,09 euros au titre des frais de constat d’huissier dressé le 20 septembre 2019.
Sur les demandes accessoires
Les Consorts [W]-[R] et les époux [G] succombant tous deux partiellement à l’instance seront tenus d’en supporter les dépens, en ce inclus les frais d’expertise, à hauteur de 50 % chacun.
De même, chacune des parties conservera la charge de ses propres frais de procédure.
En conséquence, les époux [G] seront déboutés de leur demande de condamnation solidaire des Consorts [W]-[R] à leur payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la somme de 3140,31 euros au titre des frais d’avocats exposés dans le cadre de la procédure en référé expertise puis dans le cadre des opérations d’expertise.
De leur côté, les Consorts [W]-[R] seront déboutés de leur demande condamnation in solidum des époux [G] à leur payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, il sera rappelé qu’en application des dispositions de l’article 514 du code de procédure civile, la présente décision est exécutoire par provision.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant après débats en audience publique, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe
CONDAMNE IN SOLIDUM M. [I] [W] et Mme [S] [R] à payer à M. [D] [G] et Mme [M] [E] épouse [G] la somme de 7000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de surface définitive de leurs parcelles ;
DEBOUTE M. [D] [G] et Mme [M] [E] épouse [G] de leur demande de condamnation solidaire de M. [I] [W] et Mme [S] [R] à leur payer la somme de 11 424 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;
DEBOUTE M. [D] [G] et Mme [M] [E] épouse [G] de leur demande de condamnation solidaire de M. [I] [W] et Mme [S] [R] à leur payer la somme de 348,09 euros au titre des frais de constat d’huissier dressé le 20 septembre 2019 ;
CONDAMNE M. [I] [W] et Mme [S] [R] d’une part et M. [D] [G] et Mme [M] [E] épouse [G] d’autre part, aux dépens, en ce inclus les frais d’expertise, à hauteur de 50 % chacun ;
DIT que chacune des parties conservera la charge de ses frais de procédure ;
DEBOUTE M. [D] [G] et Mme [M] [E] épouse [G] de leur demande de condamnation solidaire de M. [I] [W] et Mme [S] [R] à leur payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la somme de 3140,31 euros au titre des frais d’avocats exposés dans le cadre de la procédure en référé expertise puis dans le cadre des opérations d’expertise ;
DEBOUTE M. [I] [W] et Mme [S] [R] de leur demande condamnation in solidum de M. [D] [G] et Mme [M] [E] épouse [G] à leur payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT