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22/08/2024 | FRANCE | N°23/01462

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 2ème chambre cab3, 22 août 2024, 23/01462


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N° 24/1063


Enrôlement : N° RG 23/01462 - N° Portalis DBW3-W-B7H-26ZH

AFFAIRE : M. [E] [P] (Me Karine TOUBOUL-ELBEZ)
C/ Compagnie d’assurance du Crédit Mutuel IARD (la SELARL ABEILLE & ASSOCIES) ; CPAM DES BOUCHES DU RHONE ( )


DÉBATS : A l'audience Publique du 23 Mai 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré

Président : Madame Anne-Claire HOURTANE
Greffier : Madame Elisa ADELAIDE, lors des débats

A l'issue de laquelle

, la date du délibéré a été fixée au : 22 Août 2024

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lie...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N° 24/1063

Enrôlement : N° RG 23/01462 - N° Portalis DBW3-W-B7H-26ZH

AFFAIRE : M. [E] [P] (Me Karine TOUBOUL-ELBEZ)
C/ Compagnie d’assurance du Crédit Mutuel IARD (la SELARL ABEILLE & ASSOCIES) ; CPAM DES BOUCHES DU RHONE ( )

DÉBATS : A l'audience Publique du 23 Mai 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré

Président : Madame Anne-Claire HOURTANE
Greffier : Madame Elisa ADELAIDE, lors des débats

A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 22 Août 2024

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 22 Août 2024

PRONONCE en audience publique par mise à disposition le 22 Août 2024

Par Madame Anne-Claire HOURTANE, Juge
Assistée de Madame Elisa ADELAIDE, Greffière

NATURE DU JUGEMENT

réputée contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDEUR

Monsieur [E] [P]
né le [Date naissance 3] 1984 à [Localité 7] (TAHITI), demeurant [Adresse 2]
Immatriculée à la sécurité sociale sous le numéro [Numéro identifiant 1]

représenté par Me Karine TOUBOUL-ELBEZ, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDERESSES

Organisme CPAM DES BOUCHES DU RHONE, prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège social est sis [Adresse 4]

défaillant

Compagnie d’assurance du Crédit Mutuel IARD, prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège social est sis [Adresse 5]

représentée par Maître Etienne ABEILLE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 31 juillet 2018, Monsieur [E] [P] a été victime, en qualité de conducteur d’un trois-roues, d’un accident de la circulation impliquant un véhicule automobile assuré auprès de la SA ASSURANCES DU CRÉDIT MUTUEL IARD (ci-après “SA ACM IARD”).

Le médecin conseil mandaté en phase amiable par la MAIF, assureur de la victime, le Docteur [Z] [H], a rendu un rapport provisoire le 10 juillet 2019, l’état de Monsieur [E] [P] n’étant pas consolidé.

Contestant la première analyse de ce médecin, Monsieur [E] [P] a saisi le Président du Tribunal de grande instance de Marseille (devenu Tribunal Judiciaire de Marseille) statuant en tant que juge des référés aux fins d’expertise judiciaire et provision.

Par ordonnance de référé du 16 octobre 2020, une expertise médicale a été confiée au Docteur [M] [W]. Il n’a pas été fait droit à la demande de provision de la victime en l’état d’une contestation sérieuse, les garanties contractuelles de la MAIF n’étant pas acquises faute de consolidation.

L’expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 15 avril 2021.

Par actes d’huissier de justice signifiés les 25 et 30 janvier 2023, Monsieur [E] [P] a fait assigner devant ce tribunal la SA ACM IARD au visa de la loi du 5 juillet 1985 afin qu’elle soit condamnée à réparer les préjudices consécutifs à l’accident, ainsi que la CPAM des Bouches-du-Rhône en qualité de tiers payeur.

1. Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 04 septembre 2023, Monsieur [E] [P] sollicite du tribunal de :

- condamner la SA ACM IARD à lui payer, en réparation des préjudices consécutifs à l’accident du 31 juillet 2018, la somme totale de 61.284,90 euros, déduction faite des sommes avancées par la MAIF, et décomposée comme
suit :
PRÉJUDICES PATRIMONIAUX
- dépenses de santé actuelles : créance CPAM,
- assistance à expertise (déduction faite des sommes allouées par la MAIF) : 540 euros,
- incidence professionnelle : 38.760 euros,
- tierce personne temporaire : 432 euros,
PRÉJUDICES EXTRAPATRIMONIAUX
- déficit fonctionnel temporaire : 1.848,90 euros,
- souffrances endurées : 8.000 euros,
- préjudice esthétique temporaire : 2.500 euros,
- préjudice esthétique permanent : 3.000 euros,
- déficit fonctionnel permanent (déduction faite des sommes allouées par la MAIF) : 6.204 euros,
- condamner la SA ACM IARD à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, incluant les frais d’expertise, et distraits au profit de Maître Karine TOUBOUL-ELBEZ par application de l’article 699 du code de procédure civile.

2. Par conclusions notifiées par voie électronique le 02 novembre 2023, la SA ACM IARD demande au tribunal, au visa de la loi du 5 juillet 1985, de:

- réduire les demandes indemnitaires de Monsieur [E] [P] et le débouter de ses demandes injustifiées,
- déduire des sommes qui seront allouées à Monsieur [E] [P] la créance des organismes sociaux,
- dire n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement à venir, ou à défaut la limiter à la somme offerte,
- débouter Monsieur [E] [P] du surplus de ses demandes,
- dire n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,
- laisser à la charge du demandeur les dépens d’instance.

3. Bien que régulièrement assignée à personne morale, la CPAM des Bouches-du-Rhône n’a pas comparu, de sorte que la présente décision sera réputée contradictoire à l’égard de toutes les parties, conformément aux dispositions de l’article 473 du code de procédure civile.

Elle n’a pas fait parvenir au tribunal le montant de ses débours définitifs comme l’y autorise pourtant l’article 15 du décret du décret du 06 janvier 1986. Les parties ne les communiquent pas davantage. La victime verse aux débats une attestation de paiement d’indemnités journalières du 1er août 2018 au 26 octobre 2018, et justifie avoir sollicité la créance de l’organisme social.

Il est expressément référé, en application de l'article 455 du Code de procédure civile, à l’acte introductif d’instance et aux conclusions en défense pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties.

La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée par ordonnance du 23 février 2024.

Lors de l'audience du 23 mai 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs observations, et l'affaire mise en délibéré au 22 août 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT

Sur le droit à indemnisation

La SA ACM IARD ne conteste pas devoir indemniser Monsieur [E] [P] des préjudices consécutifs à l’accident du 31 juillet 2018.

Sur le montant de l’indemnisation

Aux termes non contestés du rapport d’expertise, l’accident a causé:
- un traumatisme crânien avec perte de connaissance,
- des cervicalgies,
- des dermabrasions multiples,
- une fracture ouverte de la tête phallangienne de l’hallux gauche.

En outre, les examens pratiqués ont démontré l’existence d’un oedème au niveau du genou gauche, un épanchement intra articulaire, des lésions cartilagineuses rotuliennes sans lésion méniscale ou ligamentaire du pivot central.

Monsieur [E] [P] a enfin fait état d’acouphènes bilatéraux non-permanents ; l’audiométrie est restée dans les limites de la normale.

La date de consolidation a été fixée au 31 octobre 2019.

L’accident a entraîné pour la victime, selon l’expert, les conséquences médico-légales suivantes:

- un arrêt de travail du 31 juillet 2018 au 28 octobre 2018,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel à 33% du 31 juillet 2018 au 15 septembre 2018,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel à 25% du 16 septembre 2018 au 28 octobre 2018,
- un déficit fonctionnel temporaire partiel à 10% du 29 octobre 2018 au 31 octobre 2019,
- un déficit fonctionnel permanent à 06%,
- des souffrances endurées évaluées à 3/7,
- un préjudice esthétique temporaire évalué à 2,5/7 pendant 2 mois,
- un préjudice esthétique permanent évalué à 1,5/7,
- une tierce personne temporaire de 4h par semaine du 31 juillet 2018 au 15 septembre 2018.

Au titre de l’incidence professionnelle, l’expert a relevé que l’accident avait impliqué un réaménagement du poste de travail, sans perte de salaire.

Sur la base de ce rapport, contre lequel aucune critique médicalement fondée n’est formée, et compte tenu des conclusions et des pièces communiquées en demande comme en défense, le préjudice corporel de Monsieur [E] [P], âgé de 35 ans au moment de la consolidation de son état, doit être évalué ainsi qu’il suit.

1) Les Préjudices Patrimoniaux

1 -a) Les Préjudices Patrimoniaux Temporaires

Les dépenses de santé actuelles

Les dépenses de santé sont les frais médicaux et pharmaceutiques, non seulement les frais restés à la charge effective de la victime, mais aussi les frais payés par des tiers (sécurité sociale, mutuelle...), les frais d’hospitalisation et tous les frais paramédicaux (infirmiers, kinésithérapie etc..).

Monsieur [E] [P] ne formule aucune prétention de ce chef et renvoie à la créance de la CPAM des Bouches-du-Rhône, qu’il a sollicitée sans apparemment l’obtenir. Aussi, celle-ci demeure inconnue et ne pourra être fixée au dispositif de la présente décision.

Les frais divers

L’assistance à expertise

L'assistance de la victime lors des opérations d'expertise par un médecin conseil, en ce qu'elle permet l'égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d'indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité au titre des frais divers dès lors qu’il en est justifié.

En l’espèce, Monsieur [E] [P] communique les notes d’honoraires du Docteur [T] [C], qui l’a assisté aux deux accédits d’expertise, pour un montant total de 1.080 euros. Il précise avoir obtenu en phase amiable de la part de son assureur MAIF le paiement de la somme de 540 euros et sollicite les 540 euros restés à sa charge.

La SA ACM IARD ne s’oppose pas à l’indemnisation de ce poste de préjudice, ni ne conteste le montant réclamé.

Il sera fait droit à cette demande.

La tierce personne temporaire

Sont indemnisables les dépenses liées à l’assistance temporaire d’une tierce personne pour aider la victime handicapée à effectuer les démarches et plus généralement les actes de la vie quotidienne.

Le versement d’une indemnité ne peut être subordonné à la production de justificatifs de dépenses liées au recours à un professionnel agréé, dès lors qu’est indemnisable l’assistance bénévole par un ou plusieurs membres de la famille.

En l’espèce, les parties s’accordent sur le principe de l’aide humaine de 4 heures par semaine retenue par l’expert sur la période de déficit fonctionnel temporaire partiel à 33% dans les suites immédiates de l’accident et pour les six semaines qui ont suivi, soit du 31 juillet 2018 au 15 septembre 2018. La divergence a trait au coût horaire adapté, s’agissant d’une aide non médicalisée.

La somme de 18 euros sollicitée par Monsieur [E] [P] apparaît adaptée aux circonstances de l’espèce, et sera retenue.

Monsieur [E] [P] sera donc indemnisé des 24 heures de tierce personne temporaire à hauteur de 432 euros.

La perte de gains professionnels actuels

Monsieur [E] [P] ne formule aucune demande de ce chef, la perte de gains professionnels actuels subie ayant été indemnisée par la MAIF au titre de la garantie contractuelle ainsi qu’il en justifie - après déduction des indemnités journalières perçues.

1 -b) Les Préjudices Patrimoniaux Permanents

L’incidence professionnelle

Ce poste a pour objet d’indemniser non pas la perte de revenus, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, telles que la dévalorisation sur le marché du travail, la perte de chance professionnelle, l’augmentation de la pénibilité de l’emploi occupé ou le préjudice consécutif à l’abandon de la profession exercée avant l’accident au profit d’une autre choisie en fonction du handicap.

En l’espèce, il n’est pas contesté que Monsieur [E] [P] exerce la profession de réparateur/dépanneur de petit et gros électroménager au sein de la SARL IDEM en CDI à temps plein depuis 2004. Comme l’a constaté l’expert judiciaire, il n’a pas subi de perte de revenus, mais l’accident et ses suites ont nécessité un réaménagement de son poste de travail.

Monsieur [E] [P] a communiqué à l’expert judiciaire une attestation de son employeur qui soutient que celui-ci effectue davantage de tâches sédentaires au sein de l’atelier de l’entreprise, son métier étant difficile voire impossible dans les logements situés en étages élevés non accessibles par ascenseur, nombreux dans le centre ville de [Localité 6].

Monsieur [E] [P] affirme subir une incidence professionnelle décomposée comme suit:

- une pénibilité accrue à la tâche, du fait des douleurs et séquelles fonctionnelles subies, évaluée à 31.760 euros suivant méthodologie détaillée dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé,

- un désintérêt partiel pour son emploi majoritairement sédentaire le privant du contact avec les clients, évalué à 2.000 euros,
- une dévalorisation sur le marché du travail dès lors qu’il ne peut exercer que sur un poste aménagé qu’il aura des difficultés à obtenir hors le cadre de son entreprise actuelle, évaluée à 5.000 euros.

La SA ACM conclut à titre principal au rejet des demandes de Monsieur [E] [P], subsidiairement à ce que le montant du préjudice soit ramené à la somme de 5.000 euros.

S’agissant tout d’abord de la pénibilité accrue alléguée, celle-ci n’est pas contestable en l’état des séquelles conservées par la victime, soit un syndrome post-contusif rotulien du genou gauche, des douleurs et de la limitation au niveau de la dernière phalange de l’hallux gauche, des douleurs cervicales et de la limitation modérée plus marquée à gauche, des acouphènes non permanents. Il en résulte des limitations fonctionnelles douloureuses qui ont été détaillées par l’expert dans le cadre de son examen clinique et correspondent aux doléances de la victime.

Dans ces conditions, il n’est pas contestable que Monsieur [E] [P] voit la pénibilité des tâches exercées accrues en raison de la nature et localisation de ces douleurs et limitations fonctionnelles, s’agissant d’un emploi de type manuel impliquant une mobilisation physique certaine.

Le fait pour la victime d’éviter de s’accroupir complexifie de façon évidente l’exercice de sa profession de dépanneur en petit et gros électroménager. Le port de charges lourdes est de toute évidence plus pénible au regard des douleurs et limitations cervicales, au genou et au pied subies par Monsieur [E] [P]. Le fait de monter et descendre des escaliers ne peut de même qu’être plus pénible pour une victime qui souffre du genou et du pied et est limitée dans sa mobilité fonctionnelle.

La SA ACM IARD n’est pas fondée à remettre en cause le fait que Monsieur [E] [P] exerce son activité avec une pénibilité accrue, ce qui résulte des conclusions de l’expertise et de l’attestation de son employeur, venant corroborer les dires de la victime.

Elle questionne en revanche à bon droit la méthodologie proposée, tenant compte du salaire annuel net de référence, du taux de déficit fonctionnel permanent et de l’âge de la victime à la date de consolidation, avec capitalisation. Outre les limites inhérentes à cette méthode de calcul, il convient de souligner que Monsieur [E] [P] ne justifie pas de son salaire actuel, ni de son âge de départ à la retraite ; il propose par ailleurs l’application d’un euro de rente qui n’est pas retenu par le tribunal.

Cette méthodologie sera donc écartée.

Pour autant, le tribunal retient l’existence d’un préjudice de pénibilité accrue des tâches exercées, et pour évaluer ce préjudice, tient compte de l’âge de la victime à la date de consolidation de son état, laissant présager une carrière professionnelle encore longue, ainsi que l’ampleur de cette pénibilité, qui affectera durablement ses conditions de travail.

Cette pénibilité accrue sera justement indemnisée en considération de ces éléments à hauteur de 30.000 euros.

Quant au préjudice tenant en la perte d’intérêt partielle ressentie par la victime pour son métier, la SA ACM IARD ne peut déduire du fait que ce préjudice n’ait pas été expressément abordé devant les experts l’inexistence de celui-ci. Il n’est pas contesté que Monsieur [E] [P] exerce son métier depuis 2004 ni que le réaménagement consécutif à l’accident implique une activité majoritairement sédentaire en atelier.

L’activité de l’entreprise étant concentrée sur le centre ville de [Localité 6], Monsieur [E] [P] se retrouve dès lors privé de nombreux déplacements et du contact avec la clientèle que ceux-ci impliquaient, ce qui ne peut qu’emporter une part de désintérêt pour l’exercice actuel de ces fonctions. En outre, ce préjudice, composante avérée de l’incidence professionnelle, se ressent nécessairement de plus fort après écoulement du temps nécessaire à la victime pour avoir du recul sur ses nouvelles conditions d’emploi.

Le préjudice invoqué par Monsieur [E] [P] est établi en son principe. Le montant réclamé est raisonnable et justifié au regard des circonstances de fait décrites supra. Il sera retenu à hauteur de 2.000 euros.

Enfin, quant à la dévalorisation sur le marché de l’emploi, celle-ci est écartée par la SA ACM IARD faute d’éventualité d’une rupture du contrat de travail de la victime.

Ce faisant, la SA ACM IARD ne vient pas questionner expressément le principe même d’une dévalorisation, laquelle est suffisamment établie en l’espèce alors qu’il n’est pas contesté que du fait des séquelles consécutives à l’accident, Monsieur [E] [P] ne pourra plus exercer ses fonctions de la même façon qu’antérieurement et ne pourra qu’être recruté que sur un poste aménagé. Le principe même d’un préjudice est établi, indépendamment de l’emploi actuel ou à venir de la victime. A cet égard, le reclassement favorable dont elle bénéficie chez son employeur actuel du fait de la relation de confiance instaurée sur du long terme et des capacités d’organisation de ce dernier ne peut être tenu pour définitivement acquis. Si Monsieur [E] [P] subissait une perte d’emploi, il subirait une telle dévalorisation. Cette dévalorisation limite également ses possibilités d’évoluer professionnellement dans cette entreprise ou une autre, ce qui constitue un droit dont il ne peut être privé.

Monsieur [E] [P] justifie bien d’un préjudice qu’il évalue justement à la somme de 5.000 euros.

En considération de tout ce qui précède, le préjudice d’incidence professionnelle de Monsieur [E] [P] sera justement indemnisé à hauteur de la somme totale de 37.000 euros.

2) Les Préjudices Extra Patrimoniaux

2-a) Les Préjudices Extra-Patrimoniaux Temporaires

Le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice est destiné à indemniser l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que subit la victime jusqu’à sa consolidation, et correspond à une perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, incluant le préjudice d’agrément temporaire pendant cette période.

En l’espèce, les parties s’accordent tant sur le principe d’un tel préjudice que sur les périodes et taux de déficit fonctionnel retenues par l’expert (et détaillées supra). Un désaccord persiste quant à la base journalière adaptée.

Compte tenu de la nature des lésions subies par Monsieur [E] [P] exposées supra, et de la gêne qu’elles ont nécessairement entraînée sur sa vie quotidienne, il y a lieu d’indemniser ce poste de préjudice sur la base de 30 euros par jour réclamée par la victime, qui est la plus adaptée.

Il sera fait droit à ses prétentions en tenant compte du nombre de jours demandés, soit :

- déficit fonctionnel temporaire partiel à 33% : 455,40 euros
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % : 292,50 euros
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % : 1.101 euros
TOTAL 1.848,90 euros

Les souffrances endurées

Il s’agit d’indemniser ici toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime pendant la maladie traumatique et jusqu’à la consolidation.

L’expert a évalué sans être contesté ce poste de préjudice à 3 sur 7, tenant compte de l’accident initial à forte cinétique sur autoroute, du traumatisme crânien avec perte de connaissance, des polycontusions, des excoriations diffuses importantes avec des soins cutanés, de la suture de la plaie mentonnière, de la fracture ouverte au niveau de la dernière phallange de l’hallux gauche, des contusions du genou, de l’infiltration, de la rééducation, de l’immobilisation, des traitements et de l’ensemble du stress engendré.

Les parties discutent du quantum adapté.

Au regard des conclusions expertales relativement aux souffrances endurées par la victime antérieurement à la consolidation, ce poste de préjudice sera justement indemnisé par le versement de la somme de 7.000 euros.

Le préjudice esthétique temporaire

Ce poste vise à réparer le préjudice né de l’obligation pour la victime de se présenter temporairement au regard des tiers dans une apparence physique altérée en raison de ses blessures.

En l’espèce, l’expert a retenu un tel préjudice et l’a évalué à 2,5/7 pendant deux mois compte tenu des cicatrices nombreuses et apparentes de la victime.

La SA ACM IARD ne s’oppose pas à l’indemnisation de ce préjudice, mais réclame un quantum bien moindre à la demande émise par la victime, se prévalant du caractère momentané de ce préjudice qui s’apprécie nécessairement au regard du préjudice permanent.

Cependant, si le préjudice esthétique temporaire revêt par définition un caractère momentané dont le juge doit tenir compte, il peut arriver, si les circonstances de fait le commandent, que le préjudice temporaire s’évalue de façon égale voire supérieure au préjudice permanent, nonobstant cette durée limitée, en particulier lorsque dans les suites immédiates de l’accident, la victime subit des cicatrices qui sont bien plus visibles que celles qu’elle conservera durablement.

Si le préjudice esthétique temporaire subi par Monsieur [E] [P] se limite à deux mois, l’expert a bien retenu un taux supérieur à celui du préjudice esthétique permanent, compte tenu de l’aspect des cicatrices dans les deux mois qui ont suivi l’accident. Il résulte tant des constatations de l’expert que des photographies communiquées par la victime l’ampleur du préjudice esthétique lié aux dermabrasions et contusions dues à l’accident.

Ces circonstances justifient qu’il soit fait droit à la demande de la victime à hauteur de 2.500 euros.

2-b) Les Préjudices Extra-Patrimoniaux Permanents

Le déficit fonctionnel permanent

Ce poste de préjudice est destiné à indemniser le préjudice extra-patrimonial découlant de l’incapacité médicalement constatée et à réparer ses incidences touchant exclusivement la sphère personnelle de la victime, soit non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de celle-ci mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d’existence après consolidation.

L’indemnité réparant le déficit fonctionnel est fixée en multipliant le taux du déficit fonctionnel par une valeur du point. La valeur du point est elle-même fonction du taux retenu par l’expert et de l’âge de la victime à la consolidation.

En l’espèce, l’expert a fixé ce taux à 06% compte tenu du syndrome post-contusif rotulien du genou gauche, des douleurs et de la limitation au niveau de la dernière phallange de l’hallux gauche, des douleurs cervicales et de la limitation modérée plus marquée à gauche, des acouphènes non-permanents.

Monsieur [E] [P] était âgé de 35 ans à la date de consolidation de son état.

Il réclame une évaluation de son préjudice à 12.210 euros dont il convient de déduire la somme de 6.006 euros déjà versée par la MAIF.

La SA ACM IARD ne s’oppose pas à l’indemnisation de ce poste de préjudice mais sollicite qu’il soit indemnisé à hauteur de 4.794 euros, déduction faite de la somme versée par la MAIF.

Cependant, en l’état des séquelles de la victime, du taux de déficit fonctionnel permanent fixé par l’expert et de son âge au moment de la consolidation de son état, la valeur de point retenue par Monsieur [E] [P] est adaptée.

Il sera fait droit à sa demande portant l’indemnisation à charge de la SA ACM IARD, déduction faite de la somme acquitée par la MAIF en phase amiable, à la somme de 6.204 euros.

Le préjudice esthétique permanent

Ce poste vise à réparer le préjudice né de l’obligation pour la victime de se présenter durablement au regard des tiers dans une apparence physique altérée en raison de ses blessures.

En l’espèce, l’expert judiciaire a évalué le préjudice de Monsieur [E] [P] à 1,5/7 du fait des rançons cicatricielles notamment au niveau du membre inférieur droit et de la jambe droite, de la plaie au niveau du menton.

Les parties discutent à nouveau du quantum adapté.

Il y a lieu de tenir compte des conclusions de l’expert quant aux cicatrices conservées, situées dans des endroits visibles et affectant de façon durable un homme âgé de 35 ans au moment de la consolidation de son état.

Cependant, faute pour la victime de justifier de l’aspect exceptionnel des cicatrices conservées, il convient de réduire sa prétention, tenant compte de la différence de taux retenue par l’expert avec son préjudice temporaire, même si la durée de ces deux préjudices se distingue nécessairement.

En conséquence, le préjudice esthétique permanent de Monsieur [E] [P] sera justement indemnisé à hauteur de 2.000 euros.

RÉCAPITULATIF

Dans un souci de clarté du jugement, les montants retenus sont ceux qui correspondent aux indemnités allouées à la victime après déduction des sommes versées en phase amiable par la MAIF :

- frais divers (assistance à expertise) 540 euros
- frais divers (tierce personne temporaire) 432 euros
- incidence professionnelle 37.000 euros
- déficit fonctionnel temporaire partiel (au total) 1.848,90 euros
- souffrances endurées 7.000 euros
- préjudice esthétique temporaire 2.500 euros
- déficit fonctionnel permanent 6.204 euros
- préjudice esthétique permanent 2.000 euros
TOTAL 57.524,90 euros

La SA ACM IARD sera condamnée à indemniser Monsieur [E] [P] à hauteur de ce montant en réparation de son préjudice corporel consécutif à l’accident du 31 juillet 2018.

En application de l’article 1231-7 du code civil, cette condamnation emportera intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement.

Sur les autres demandes
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la SA ACM IARD, partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens de la présente procédure, distraits au profit de Maître Karine TOUBOUL-ELBEZ en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Il convient de rappeler que par application de l’article 695 du même code, le coût de l’expertise judiciaire est inclus dans les dépens, de sorte que la victime est fondée à en obtenir le remboursement dans ce cadre.

Monsieur [E] [P] a dû saisir la justice pour faire valoir ses droits. La SA ACM IARD sera condamnée à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, il convient de rappeler que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision, en vertu des articles 514 et suivants du code de procédure civile. Aucun motif n’impose de l’exclure ni de la limiter. Elle est compatible avec la nature de l’affaire et nécessaire vu l’ancienneté des faits.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire, en matière civile ordinaire, en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Évalue le préjudice corporel de Monsieur [E] [P], hors débours de la CPAM des Bouches-du-Rhône, et après déduction des sommes versées par la MAIF en phase amiable, ainsi que suit :

- frais divers (assistance à expertise) 540 euros
- frais divers (tierce personne temporaire) 432 euros
- incidence professionnelle 37.000 euros
- déficit fonctionnel temporaire partiel (au total) 1.848,90 euros
- souffrances endurées 7.000 euros
- préjudice esthétique temporaire 2.500 euros
- déficit fonctionnel permanent 6.204 euros
- préjudice esthétique permanent 2.000 euros
TOTAL 57.524,90 euros

EN CONSÉQUENCE :

Condamne la SA ASSURANCES DU CRÉDIT MUTUEL IARD à payer à Monsieur [E] [P], en deniers ou quittances, la somme totale de 57.524,90 euros (cinquante sept mille cinq cent vingt quatre euros et quatre-vingt dix centimes d’euros) en réparation de son préjudice corporel consécutif à l’accident de la circulation du 31 juillet 2018, déduction faite des sommes versées par la MAIF en phase amiable,

Dit que cette condamnation emportera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,

Condamne la SA ASSURANCES DU CRÉDIT MUTUEL IARD à payer à Monsieur [E] [P] la somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SA ASSURANCES DU CRÉDIT MUTUEL IARD aux entiers dépens, incluant le coût de l’expertise judiciaire et distraits au profit de Maître Karine TOUBOUL-ELBEZ,

Rappelle que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.

AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ PAR MISE À DISPOSITION AU GREFFE DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE VINGT-DEUX AOÛT DEUX MILLE VINGT-QUATRE.

LA GREFFIRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 2ème chambre cab3
Numéro d'arrêt : 23/01462
Date de la décision : 22/08/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 29/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-08-22;23.01462 ?
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