REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
POLE SOCIAL
[Adresse 8]
[Adresse 9]
[Localité 2]
JUGEMENT N°24/03314 du 17 Juillet 2024
Numéro de recours: N° RG 21/00485 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YOKH
AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [J] [W]
né le 02 Juin 1947 à [Localité 11]
[Adresse 5]
[Adresse 12]
[Localité 4]
comparant en personne assisté de Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Jean BERNARDOT, avocat au barreau de MARSEILLE
c/ DEFENDERESSE
S.A. [14]
[Adresse 10]
[Adresse 7]
[Localité 13]
représentée par Me Isabelle RAFEL, avocat au barreau de MARSEILLE
Appelés en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 3]
dispensée de comparaître
Organisme FIVA
[Adresse 15]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me David GERBAUD-EYRAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
DÉBATS : À l'audience publique du 15 Mai 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :
Président : MEO Hélène, Première Vice-Présidente
Assesseurs : COMPTE Geoffrey
ZERGUA Malek
L’agent du greffe lors des débats : MULLERI Cindy
À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 17 Juillet 2024
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [J] [W] a exercé au sein de la société [14] à compter du 23 janvier 1973 en qualité d'aide-opérateur puis d'opérateur puis de chef de poste à temps plein jusqu'au 31 août 2002, date de son départ à la retraite.
Le 28 juillet 2017, M. [J] [W] a régularisé une déclaration de maladie professionnelle pour plaques pleurales et épaississements pleuraux, selon certificat médical initial du 7 juin 2017.
Par courrier du 22 janvier 2018, la caisse primaire centrale d'assurance maladie (ci-après CPCAM) des Bouches-du-Rhône a notifié à M. [J] [W] sa décision de prendre en charge les plaques pleurales au titre de la législation professionnelle mais elle a en revanche refusé, selon courrier du 31 janvier 2018, la prise en charge à ce titre des épaississements pleuraux.
Par décision du 5 mars 2018, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a retenu un taux d'incapacité permanente partielle de 5 % et décidé de l'attribution à M. [J] [W] d'une indemnité en capital d'un montant de 1 958,18 euros.
M. [J] [W] a parallèlement saisi le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (ci-après FIVA) et accepté une offre d'indemnisation le 16 août 2018.
Selon certificat médical initial du 12 décembre 2018, M. [J] [W] s'est vu diagnostiquer une fibrose pulmonaire. Une déclaration de maladie professionnelle a été établie le 14 janvier 2019.
Le 29 avril 2019, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a notifié à M. [J] [W] et à la société [14] sa décision de prendre en charge l'asbestose de M. [J] [W] au titre du tableau des maladies professionnelles n° 30 du régime général.
La société [14] a contesté cette décision et saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d'une demande d'inopposabilité enregistrée sous le numéro RG 19/05580.
Par courrier du 16 juillet 2019, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a notifié à M. [J] [W] la fixation de son taux d'incapacité permanente partielle à hauteur de 10 % et l'attribution d'une rente d'un montant trimestriel de 552,65 euros à compter du 10 avril 2019.
La société [14] a également contesté cette décision et saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille qui a enregistré ce recours en inopposabilité sous le numéro RG 20/00291.
Le 8 janvier 2020, M. [J] [W] a formulé, par l'intermédiaire de son conseil, une nouvelle demande d'indemnisation auprès du FIVA en raison de l'aggravation de son état de santé.
Le 30 juin 2020, le FIVA a adressé à M. [J] [W] une proposition de révision de son indemnisation avec réparation de ses préjudices personnels à hauteur de 2.000 euros que ce dernier a acceptée le 31 juillet 2020.
Par courrier du 21 juillet 2020, M. [J] [W] a soulevé, par l'intermédiaire de son conseil, le principe de la faute inexcusable de la société [14] devant la CPCAM des Bouches-du-Rhône et un procès-verbal de carence a été établi le 25 janvier 2021.
Par requête expédiée le 18 février 2021, M. [J] [W] a saisi, également par l'intermédiaire de son conseil, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [14].
Après une phase de mise en état, l'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 15 mai 2024.
En demande, M. [J] [W], assisté à l'audience de son conseil, reprend oralement les termes de ses dernières écritures et sollicite le tribunal aux fins de:
Sur la remise en cause du caractère professionnel de la maladie :
Confirmer que la maladie de M. [W] a un caractère professionnel;Subsidiairement, désigner un expert chargé de dire si la maladie de M. [W] remplit les conditions du tableau n° 30 ; Sur la faute inexcusable :
Dire et juger que la maladie professionnelle de [J] [W] est la conséquence de la faute inexcusable de son ancien employeur, la société [14] SA, site de [Localité 13] ; En conséquence, fixer au maximum légal la majoration de la rente attribuée par la CPCAM des Bouches-du-Rhône à M. [J] [W] et ce quel que soit le taux d'incapacité permanente partielle dont elle suivra l'évolution ; Dire que cette majoration devra être calculée sur la base du salaire réel de M. [W] à savoir 58.335,44 euros ; Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;Condamner en outre la défenderesse à verser à M. [W] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, M. [J] [W] fait principalement valoir s'agissant de l'exposition au risque que sa pathologie n'a pu être développée qu'à la suite d'une exposition conséquente à l'amiante. Il indique par ailleurs que la société [14] avait nécessairement conscience du danger et qu'elle n'a mis en œuvre aucune mesure de protection pour l'en préserver.
En défense, la société [14], représentée à l'audience par son conseil, reprend oralement les termes de ses dernières écritures et demande au tribunal de bien vouloir :
Débouter M. [J] [W] et le FIVA de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [14] ; Si, par impossible une faute inexcusable devait être retenue à l'encontre de la société [14] :Débouter le FIVA de ses demandes au titre du préjudice physique, du préjudice moral et du préjudice d'agrément ; Débouter M. [J] [W] de toute autre demande ;Au regard de l'action récursoire de la CPCAM des Bouches-du-Rhône, surseoir à statuer ; à défaut, débouter la CPCAM de sa demande au titre du remboursement des sommes qu'elle versera au FIVA et à M. [J] [W].
Au soutien de ses prétentions, la société [14] fait essentiellement valoir que M. [J] [W] ne démontre pas l'exposition au risque dans son service d'affectation et au cours des missions accomplies par lui de manière habituelle tout au long de sa carrière au sein de ses effectifs.
Le FIVA, intervenant volontaire à l'instance et représenté par son conseil à l'audience, réitère ses dernières conclusions écrites et demande au tribunal de bien vouloir :
Déclarer recevable la demande formée par M. [J] [W] dans le seul but de faire reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur ;Déclarer recevable sa demande dans la mesure où il est subrogé dans les droits de M. [W] ; Dire que la maladie professionnelle dont est atteint M. [W] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [14] ; Fixer à son maximum la majoration de la rente servie à M. [W] et dire que la CPAM des Bouches-du-Rhône devra verser cette majoration à M. [W] ; Dire que cette majoration devra suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente de M. [W] en cas d'aggravation de son état de santé; Dire qu'en cas de décès de la victime imputable à sa maladie professionnelle due à l'amiante, le principe de la majoration de la rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant ; Fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [W] au total à 2.000 euros répartis comme suit : Souffrances morales : 1.000 euros ;Souffrances physiques : 400 euros ;Préjudice d'agrément : 600 euros ; Dire que la CPAM des Bouches-du-Rhône devra verser cette somme au FIVA, créancier subrogé, en application de l'article L. 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale ;Condamner la société [14] à payer au FIVA une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;Condamner la partie succombant aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.
Le FIVA expose essentiellement les raisons de droit et de fait justifiant les indemnités dont devrait bénéficier M. [J] [W].
La CPCAM des Bouches-du-Rhône, dispensée de comparaître à l'audience, indique dans ses conclusions écrites s'en rapporter à l'appréciation du tribunal quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [14]. Dans l'hypothèse où celle-ci serait reconnue, elle demande au tribunal de :
Fixer les préjudices personnels de M. [J] [W] conformément aux articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale en les évaluant dans de justes proportions ; Condamner la société [14] à lui rembourser la totalité des sommes dont elle sera tenue d'assurer le paiement ; Dire que les éventuelles sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procé-dure civile ne seront pas mises à la charge de la CPCAM des Bouches-du-Rhône qui n'est que mise en cause.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un exposé plus ample de leurs moyens et prétentions.
L'affaire a été mise en délibéré au 17 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de M. [J] [W] de confirmation du caractère professionnel de sa maladie
En application de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladie professionnelle et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
M. [J] [W] sollicite du tribunal qu'il confirme le caractère professionnel de sa maladie.
Le tribunal relève tout d'abord que la société défenderesse ne conteste pas le caractère professionnel de la maladie de M. [J] [W] mais plutôt l'imputabilité de la survenance de ladite maladie aux conditions de travail en son sein.
Il convient de rappeler au surplus que, s'il est constant que l'employeur, dont la faute inexcusable est recherchée, est admis à contester en défense le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, il s'agit cependant d'un moyen de défense tendant à l'exonérer de sa responsabilité et non d'une prétention relative à la prise en charge par la caisse de l'accident ou de la maladie au titre de la législation professionnelle, qu'il conviendrait de trancher au dispositif.
En effet, en vertu de l'indépendance des rapports caisse-salarié et caisse-employeur, ce dernier n'est admis à contester la décision de prise en charge par la caisse de l'accident ou de la maladie au titre de la législation professionnelle que dans le cadre d'une demande en inopposabilité faisant l'objet d'une procédure distincte.
Dans ces conditions, il sera dit n'y avoir lieu à statuer sur le caractère professionnel de l'asbestose de M. [J] [W].
Sur la faute inexcusable de la société [14]
Aux termes de l'article L. 452-1 du même code, lorsque l'accident ou la maladie est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit à une indemnisation complémentaire.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité ; le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il ressort des dispositions de l'article 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile qu'il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et de prouver les faits nécessaires au succès de ses prétentions.
Il appartient donc au salarié qui souhaite voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de sa maladie d'établir que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
En outre, pour faire retenir la faute inexcusable de son employeur, le salarié doit nécessairement établir au préalable l'exposition au risque au sein de l'entreprise contre laquelle il a choisi d'agir, la présomption d'imputabilité au travail l'article L. 461-1 précité étant inopérante en matière de recherche de la faute inexcusable de l'employeur.
Sur l'exposition au risque au sein de la société [14]
S'agissant de l'exposition à l'amiante durant sa carrière au sein de la société [14], M. [J] [W] soutient que la plateforme [14] à [Localité 13] mène des activités de chimie et de fabrication de produits chimiques dérivés.
Il ajoute que le site [14] à [Localité 13] est un des principaux opérateurs chimiques en France de sorte qu'il est nécessairement établi qu'au sein du site, le risque amiante est réel et incontestable.
Dans le cadre de l'enquête administrative, M. [W] a décrit son poste de travail de la manière suivante :
Au port autonome : sur les quais pour des branchements (bateaux) ; A l'usine : Sur les voies ferrées : mise en place des wagons pour le chargement avec une loco. Ensuite chargement wagons ;Sur le parking : pour chargement camions ; Sous les hangars : pour chargement des fûts (remplissage) - PEG, OXO, Central Chloé "
Interrogé sur la survenance de sa maladie, il a indiqué : " Au poste de chargement, les joints étaient en amiante, je ne portais pas de protection individuelle adaptée aux poussières ".
Et que sa maladie serait survenue : " Par le remplacement des joints amiantés ; Par inhalation des poussières sous les hangars. Sous les hangars, pour le remplissage des fûts (PEG) certains calorifuges étaient défectueux laissant apparaître de l'amiante ".
En défense, la société [14] fait valoir qu'elle exerce une activité de services et de production d'oléfines c'est-à-dire d'hydrocarbures.
Elle soutient n'avoir jamais fabriqué de matériaux contenant de l'amiante, ni utilisé de l'amiante dans son processus de fabrication et qu'elle ne figure à ce titre sur aucune des listes des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
Elle ajoute qu'il ressort des déclarations même de M. [J] [W] qu'il n'a pas effectué de travaux exposant de manière notoire les travailleurs à l'amiante tels que les travaux sur fibrociment ou les travaux d'isolation et de calorifugeage.
Elle fait valoir par ailleurs que l'activité de M. [J] [W], qui était affecté au service expédition, n'avait pas pour mission habituelle de changer des joints et qu'il n'est en outre pas démontré que les joints en question étaient constitués d'amiante.
Elle précise enfin que la majorité du temps de travail du demandeur se déroulait en extérieur contrairement à ce qu'affirme M. [J] [W].
M. [J] [W] ne verse aux débats aucun élément susceptible de corroborer ses déclarations s'agissant des missions réalisées sur les postes de travail qu'il a successivement occupés, ni concernant ses conditions de travail sur lesdits postes, pas plus que s'agissant plus précisément de son exposition habituelle à l'amiante.
Celle-ci ne peut en effet s'inférer uniquement du fait que le site [Localité 13] soit l'un des principaux opérateurs chimiques en France, ni d'une décision judiciaire ayant reconnu l'exposition à l'amiante d'un employé de [14] affecté au service entretien sur le site [Localité 13], pas plus que de l'existence de 40 dossiers amiante ouverts auprès de l'association de défense des victimes des maladies professionnelles concernant des salariés ou ex-salariés de la société [14], ces éléments ne concernant pas directement la situation personnelle de M. [J] [W].
Dans ces conditions, M. [J] [W], sur qui repose la charge de la preuve, sera débouté de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [14].
Par voie de conséquence, le FIVA sera également débouté de l'ensemble de ses demandes.
Sur les demandes accessoires
En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, M. [J] [W], qui succombe en ses prétentions, sera condamné à supporter les dépens de l'instance.
En raison de motifs tirés de considération d'équité, il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après débats publics, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :
DÉCLARE recevable mais mal fondé le recours de M. [J] [W] ;
DÉCLARE le FIVA recevable mais mal fondé en son intervention volontaire ;
DIT n'y avoir lieu à statuer sur le caractère professionnel de l'asbestose de M. [J] [W] ;
DÉBOUTE M. [J] [W] de l'ensemble de ses autres demandes ;
DÉBOUTE le FIVA de l'ensemble de ses demandes ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [J] [W] aux dépens de l'instance ;
DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être formé dans le mois suivant la réception de sa notification.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE