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11/07/2024 | FRANCE | N°21/02111

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 11 juillet 2024, 21/02111


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]


JUGEMENT N°24/03168 du 11 Juillet 2024

Numéro de recours: N° RG 21/02111 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZC6Y

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Madame [H] [T]
née le 11 Avril 1978 à [Localité 8] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Léa TALRICH, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Jérôme STEPHAN, avocat au barreau de MARSEILLE


c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM 13
*
[Localit

é 2]
comparante en personne




DÉBATS : À l'audience publique du 18 Mars 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 1]

JUGEMENT N°24/03168 du 11 Juillet 2024

Numéro de recours: N° RG 21/02111 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZC6Y

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Madame [H] [T]
née le 11 Avril 1978 à [Localité 8] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Léa TALRICH, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Jérôme STEPHAN, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM 13
*
[Localité 2]
comparante en personne

DÉBATS : À l'audience publique du 18 Mars 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : DEPARIS Eric, Vice-Président

Assesseurs : VERNIER Eric
AMELLAL Ginette

L’agent du greffe lors des débats : AROUS Léa,

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 11 Juillet 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Madame [H] [T] a été embauchée depuis le 3 septembre 2007 au sein de la [7] en qualité de monitrice éducatrice et en poste à l’établissement [9], par contrat à durée indéterminée.

Suivant requête de son conseil expédiée le 16 août 2021, Madame [H] [T] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille afin de contester la décision implicite, devenue explicite et rendue le 17 août 2021 par la commission de recours amiable de la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône, ayant rejeté son recours et confirmé la décision du 16 mars 2021 refusant la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l’accident dont elle dit avoir été victime le 26 novembre 2020.

Après une phase de mise en état, l’affaire a été retenue à l'audience de plaidoirie du 18 mars 2024.

A l’audience, Madame [H] [T], représentée par son conseil, demande au tribunal de :
- Reconnaître le caractère professionnel de l’accident intervenu le 26 novembre 2020 et ayant entraîné un arrêt de travail,
- Dire et juger que l’accident dont elle a été victime sera pris en charge au titre de la législation sur les accidents de travail, avec toutes les conséquences de droit, d’indemnisation rétroactive des arrêts,
- Condamner la CPCAM des Bouches-du-Rhône au paiement d’un montant de 3 000 euros au titre du préjudice moral issue de sa responsabilité pour faute,
- Condamner la CPCAM des Bouches-du-Rhône à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la CPCAM des Bouches-du-Rhône aux entiers dépens,
- Ordonner l’exécution provisoire du présent jugement.

A l’appui de ses prétentions, Madame [H] [T] fait valoir que, le 26 novembre 2020, vers 14h30, elle a subi un choc émotionnel constaté médicalement en syndrome anxieux réactionnel suite à une agression verbale de sa supérieure hiérarchique, Madame [J], directrice qui, alors qu’elle se trouvait au téléphone, lui hurlait dessus, de manière très virulente et humiliante et alors que cela survenait dans un contexte conflictuel résultant de méthodes pathogènes de gestion. Elle estime que cette agression est corroborée par les attestations qu’elle produit, celle qui lui est opposée comme réfutant une telle agression, est estimée mensongère, en ce que Madame [I] [K], qui était employée en CDD, aurait cédé aux craintes de représailles par le fait d’être blacklistée auprès de futurs employeurs dans le monde social. Par ailleurs, les images de vidéosurveillance, dont la conservation a été confirmée, aurait dû être exploitée lors de la phase d’instruction de la CPAM qui aurait constaté que la gestuelle de la directrice confirmait l’agression verbale.

La CPCAM des Bouches-du-Rhône, représentée par une inspectrice juridique, conclut au débouté des prétentions adverses.

Elle considère dès lors qu’en l’absence de fait anormal à l’origine de la lésion de Madame [H] [T], il ne lui était pas permis de reconnaître l’existence d’un accident du travail, essentiellement au motif du seul témoignage direct, en l’occurrence de Madame [I] [K]. Par ailleurs, la vidéosurveillance ne comporte pas de bande sonore.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé plus ample de leurs prétentions et moyens.

L’affaire est mise en délibéré au 11 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la qualification de la décision

En l’espèce, toutes les parties ont comparu. Conformément aux dispositions de l’article 467 du code de procédure civile, la présente décision sera donc contradictoire.
Par ailleurs, par application de l’article 40 du code de procédure civile, la présente décision est rendue en premier ressort.

Sur le caractère professionnel de l’accident

Aux termes des dispositions de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Il ressort de ces dispositions que l’accident du travail suppose la réunion de trois critères : un fait soudain, l’existence d’une lésion, et la démonstration du caractère professionnel de l’accident.

La Cour de cassation a longtemps considéré que l’accident du travail est caractérisé par l’action soudaine et violente d’une cause extérieure provoquant, au cours du travail, une lésion de l’organisme humain (Cass. Ch. Réunies, 7 avril 1921). Elle a progressivement abandonné les critères de violence et d’extériorité pour se référer essentiellement à celui de soudaineté. Le fait soudain est donc désormais défini par la Cour de cassation comme tout fait accidentel ou lésionnel survenu soudainement au cours ou à l’occasion du travail.

Ce critère implique que l’accident ou la lésion ait eu lieu à une date et dans des circonstances certaines et précises.

La preuve de la matérialité ne peut résulter que d'un ensemble de présomptions sérieuses, graves et concordantes. Les seules déclarations du salarié sur l'accident qu'il a subi sont insuffisantes pour établir le caractère professionnel de l'accident. En effet, il appartient à celui qui prétend avoir été victime d'un accident du travail d'établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel.

La lésion peut être d’origine physique ou psychique.

Enfin, le fait accidentel doit revêtir un caractère professionnel au sens de l’article L411-1 du code de la sécurité sociale, c’est-à-dire qu’il doit être survenu par le fait ou à l’occasion du travail.

Ce critère est présumé rempli lorsque l’accident survient au temps et au lieu de travail. La présomption du caractère professionnel établit en réalité un double lien de causalité : d'une part, le lien entre la lésion et l'accident et d'autre part, le lien entre la lésion et le travail. La victime est par conséquent dispensée de rapporter cette double preuve.

La caisse ne conteste pas la matérialité de la lésion de Madame [T], et ne remet en cause ni la temporalité ni la spatialité indiquées dans la déclaration d’accident régularisée par l’employeur.

La caisse conteste en revanche l’existence et la gravité de l’agression verbale alléguée par Madame [H] [T].

L’assurée indique que le 26 novembre 2020, vers 14h30, Madame [J] – sa supérieure hiérarchique – lui hurlait dessus, de manière très virulente et humiliante.

Elle produit à l’appui un témoignage en date du 21 janvier 2021 de Madame [R] [Y], « comptable sur l’établissement [9] » qui rapporte « le 26/11/2020 vers 15h30, j’ai vu Mme [L] en pleurs dans sa voiture garée sur le parking de l’établissement. Je lui ai demandé ce qui se passait, elle m’a dit avoir été agressée verbalement avec violence par la directrice devant l’ascenseur au 1er étage. Plusieurs salariés se sont déjà plaints du même comportement ».

Madame [E] [Z], salariée dans l’établissement, a également attesté le 21 janvier 2021 « que le jeudi 26 novembre 2020 en finissant mon service à 15h30, j’ai vu ma collègue de travail, Mme [T] [H], sortir de l’ascenseur au RdC en pleurs avec toutes ses affaires, accompagnée de Mme [S] [A]. Cette dernière m’a sollicitée pour l’apaiser vu que je suis élue CSE et RP. [H] m’a dit :
- « [D] [J] m’a hurlé dessus sans raison valable, je n’en peux plus de ses agissements violents, elle me pousse à bout, je vais voir mon médecin » 
J’ai accompagné Mme [T] [H] jusqu’à sa voiture, ne voulant pas laisser partir dans cet état. Je lui ai demandé de m’envoyer un texto dès son arrivée à destination, ce qu’elle a fait ».

Madame [M] [X], également salariée dans l’établissement, a attesté le 21 janvier 2021 « que le jeudi 26 novembre 2020 vers 15h15-15h30, j’ai vu ma collègue de travail, Mme [T] [H] en pleurs. Quand je lui ai demandé ce qu’il se passait, [H] m’a répondu : « j’en peux plus, je suis à bout. [D] se permet de me hurler dessus dans les couloirs du collège. C’est trop violent. » 

Il sera relevé la concordance des témoignages sur l’état émotionnel dans lequel ces salariées ont trouvé Madame [H] [T] peu après l’interaction avec la directrice, et la cause qu’elle en rapportait.

La requérante produit également dans le compte-rendu de la réunion du 10 décembre 2020 « du périmètre Vitagliano », le commentaire des représentants du personnel à propos de l’obligation de l’employeur prévue à l’article L 4 121-1 du Code du travail d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés : « il s’agit d’un rappel à la loi au vu des tensions qu’il y a sur Vitagliano et la posture de la direction qui se permet de hurler sur les salariés ou de faire preuve de maltraitance en les rabaissant. Ces différents points seront remontés au SSCT ».

Dans le cadre de la présente instance, la CPCAM des Bouches-du-Rhône fait valoir le témoignage de Madame [I] [K], salariée qui a assisté à l’interaction avec Madame [T], pour en conclure que ce qui s’est passé le 26 novembre 2020 et notamment l’attitude de l’employeur ne revêt pas un caractère anormal, et ne permet dès lors pas de reconnaître l’existence d’un accident du travail.

Cet argument est cependant inopérant puisque ni l'article L411-1 du code de la sécurité sociale, ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de cassation n’exigent que le fait générateur à l’origine d’un trouble psychosocial présente un caractère anormal.

Il est en outre mal fondé puisqu’il ressort des pièces du dossier que la [6] a utilisé des méthodes de management pathogènes - et donc anormales - à l’endroit de Madame [T], justifiant notamment la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur selon jugement du conseil de prud’hommes en date du 3 avril 2023 qui relève « des pressions permanentes et des discours philippiques récurrents de la directrice d’établissement Madame [J] à l’égard de Madame [T], qui n’avait de cesse de dévaloriser professionnellement la salariée par de multiples réprimandes verbales ».

Au Surplus, il ressort des propos de Madame [K], recueillis téléphoniquement par un agent assermenté de la CPCAM : « Je ne peux pas qualifier d’altercation l’échange entre Mme [T] et Mme [J]. Je dirais plutôt que la directrice a employé un ton sec afin de recadrer la salariée. Celle-ci sortait d’une réunion au cours de laquelle elle a refusé la discussion et ce refus l’a mise en difficulté. Je me souviens du terme « tu n’arrêtes pas de pleurer ». La directrice, à ce moment, a fait plutôt preuve de bienveillance au vu de l’état de Mme [T]. Il n’y avait pas de méchanceté ou d’humiliation dans ses propos et je ne pense pas que Mme [J] avait l’intention de nuire à la salariée. »

Il sera relevé que l’emploi un ton sec des termes « tu n’arrêtes pas de pleurer » ne traduit en soi aucune manifestation de bienveillance, qui est une disposition d'esprit inclinant à la compréhension et à l'indulgence envers autrui, mais apparait comme un constat dépourvu d’empathie, d’autant que Madame [K] estime nécessaire d’utiliser l’adverbe d’amodiation « plutôt » signe d’un manque d’assurance de ce qui est affirmé, et si elle « ne peux pas qualifier d’altercation » l’interaction entre les protagonistes, elle ne qualifie pas pour autant ce qu’elle a été.

Dès lors, ces propos recueillis, empreints de contradictions internes, apparaissent peu fiables et en tout cas, impropres à pouvoir être qualifiés de propos reflétant la réalité de ce qu’il s’est passé, et à contredire l’ensemble des éléments rapportés par la requérante, qui constitue des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes permettant de retenir que Madame [H] [T] a été prise dans une altercation lui ayant occasionné une lésion psychique au cours et à l’occasion de son travail.

Il sera donc fait droit à la demande de Madame [H] [T] tendant à la reconnaissance de l’accident du travail dont elle a été victime le 26 novembre 2020.

Sur la demande de dommages et intérêts pour faute de la CPCAM

En application des dispositions de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l’espèce, le moyen n’articule aucune règle ou obligation précise non respectée quant à la situation de Madame [H] [T], qui ne produit, de surcroît, aucun justificatif du préjudice allégué, la CPCAM n’étant pas à la cause de la pathologie de la requérante, s’agissant de la question d’assurance immobilière et le débat ne porte pas sur l’inaptitude professionnelle ; enfin, il n’est justifié que d’ordonnances quant à l’allégation de frais médicaux restés à charge.

Sur les demandes accessoires

Les dépens de l'instance seront laissés à la charge de la CPCAM des Bouches-du-Rhône en application de l'article 696 du code de procédure civile.

L'issue du litige justifie de condamner la CPCAM des Bouches-du-Rhône à verser à [T] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, après en avoir délibéré, par mise à disposition au greffe, statuant par jugement contradictoire et en premier ressort,

FAIT DROIT au recours introduit par Madame [H] [T] et reconnaît le caractère professionnel de l’accident du travail dont elle a été victime le 26 novembre 2020,

RENVOIE Madame [H] [T] devant les services de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône afin d'être remplie de ses droits en conséquence,

CONDAMNE la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône à verser à Madame [H] [T] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône aux dépens de l’instance,

RAPPELLE que la présente décision est susceptible d’appel dans le délai d’un mois à compter de sa notification.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 21/02111
Date de la décision : 11/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-11;21.02111 ?
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