TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N°24/ DU 11 Juillet 2024
Enrôlement : N° RG 19/05105 - N° Portalis DBW3-W-B7D-WLHP
AFFAIRE : Mme [X] [B]( Me Yves-laurent KHAYAT)
C/ S.A.S. MERCK SERONO (Me [K] [U]) - CPAM des BOUCHES DU RHONE
DÉBATS : A l'audience Publique du 23 Mai 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL:
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente
Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte
Vu le rapport fait à l’audience
A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 11 Juillet 2024
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
réputée contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Madame [X] [B]
née le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 5]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Yves-laurent KHAYAT, avocat au barreau de MARSEILLE, vestiaire : 0827
C O N T R E
DEFENDERESSES
S.A.S. MERCK SERONO, immatriculée au RCS de Lyon sous le n° 955 504 923, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Me Fabrice GILETTA, avocat postulant au barreau de MARSEILLE, et par Me Jacques-Antoine ROBERT, avocat plaidant au barreau de PARIS
Organisme CPAM 13, dont le siège social est sis [Localité 2]
défaillant
EXPOSE DU LITIGE
Par acte en date du 25 avril 2019, [X] [B] a fait assigner la SAS MERCK SERONO et la CPAM des Bouches-du-Rhône devant le Tribunal de grande instance de Marseille afin de voir :
A titre principal :
“- dire et juger que le laboratoire MERCK a engagé sa responsabilité civile, professionnelle et médicale suite à l’absorption par elle du médicament LEVOTHYROX nouvelle formule depuis le mois de mars 2017 qui a entraîné une sérieuse dégradation de son état de santé, son état de santé s’étant amélioré avec l’arrêt de l’absorption du médicament LEVOTHYROX nouvelle formule retiré du marché vu la multiplicité des plaintes de très nombreux patients et la remise sur le marché du médicament ancienne formule,
- désigner tel expert médical qu’il plaira au tribunal avec la mission de l’examiner et de déterminer l’ensemble des séquelles dont elle demeure atteinte avec mission habituelle en pareille matière,
- ordonner que les frais d’expertise soit à la charge du laboratoire MERCK ou à défaut à sa charge,
- condamner le laboratoire MERCK à lui verser une première provision de 5000 euros à valoir sur la réparation définitive de ses préjudices corporels et psychologiques,
- ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
- condamner le laboratoire MERCK à lui verser une indemnité de 5000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
- condamner le laboratoire MERCK aux entiers dépens de l’instance,
- A titre subsidiaire : ordonner une expertise médicale et désigner tel expert médical qu’il plaira au Tribunal avec pour mission dans un premier temps de dire si le laboratoire MERCK a engagé sa responsabilité civile, professionnelle et médicale, et dans l’affirmative, de l’examiner et de déterminer l’ensemble des séquelles dont elle demeure atteinte avec mission habituelle en pareille matière en ce qui concerne les conclusions médico-légales.”
Au soutien de ses prétentions, elle exposait qu’elle rencontrait de graves problèmes de thyroïde et s’était vu prescrire le médicament LEVOTHYROX depuis de très longues années ; que la prise de LEVOTHYROX nouvelle formule en 2017 lui avait causé les symptômes suivants : très grande fatigue, toux incessante, voix devenant plus rauque, douleurs musculaires gênantes et dérèglements thyroïdiens ; que c'est en revenant à l'ancienne formule du médicament que son état de santé avait commencé à s'améliorer.
Par jugement du 4 février 2021, le Tribunal a ordonné une expertise confiée à [N] [R], experte inscrite sur la liste de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Par ordonnance en date du 8 mars 2021, le Docteur [R] a été remplacée par une ordonnance du 8 mars 2021 par le Docteur [H] [E].
Le rapport a été déposé le 21 janvier 2022, concluant à l’absence d’imputabiIité directe et certaine entre Ia symptomatologie présentée par Madame [B] en 2017 et Ia prise de la nouvelle formule du L LEVOTHYROX.
Dans ses conlusions notifiées par RPVA le 6 mars 2023 auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Madame [B] demande au Tribunal de :
A titre principal
- ordonner la non-homologation du rapport d'expertise, Madame [B] considérant qu’il y a un lien direct, certain et exclusif entre l'absorption de la nouvelle formule du médicament LEVOTHYROX exploité par la SAS MERCK SERONO et l’apparition des symptomatologies telles que décrites dans ledit rapport d'expertise,
- Par voie de conséquence, condamner la SAS MERCK SERONO à lui verser une somme de 50.000 € au titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudices confondus,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
- condamner Ia SAS MERCK SERONO à lui verser une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamner la SAS MERCK SERONO aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise,
A titre subsidiaire,
- dire et juger que la SAS MERCK SERONO a commis un défaut d'information engageant sa responsabilite civile, professionnelle et médicale étant donné que lorsque la composition d’un médicament change et que cette évolution de formule n'est pas signalée explicitement dans la notice, le fabricant et l'exploitant peuvent se voir reprocher un défaut d'information pouvant causer un préjudice moral,
- condamner par voie de conséquence, la SAS MERCK SERONO à lui verser une somme de 50.000 € au titre de dommages et intérêts toutes causes de préjudices confondus,
- condamner la SAS MERCK SERONO à lui verser une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamner la SAS MERCK SERONO aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise.
Elle affirme qu’elle n’est absolument pas d'accord avecl’analyse de l'expert et qu’elle considère qu'il y a un lien certain, direct et exclusif entre l'absorption de la nouvelle formule LEVOTHYROX et les symptômes dont elle a été victime qui ont été confirmés par l'expert ; qu’en tout état de cause, lorsque la composition d’un médicament change et que cette évolution de formule n'est pas signalée explicitement dans la notice, le fabricant et l'exploitant peuvent se voir reprocher un défaut d'information pouvant causer un préjudice moral.
En défense, dans ses conlusions notifiées par RPVA le 19 janvier 2024 auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SAS MERCK SERONO demande au Tribunal de :
- rejeter l’intégralité des demandes de Madame [B] et plus généralement toute demande formulée contre MERCK SERONO,
- exclure l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamner Madame [B] aux entiers dépens.
Elle fait valoir que la demanderesse indique avoir ressenti certaines gênes à compter du mois de “mars ou avril 2017", or à cette date, elle n’avait pas encore initié son traitement au LEVOTHYROX nouvelle formule; qu’en tout état de cause, l’expert ne rattache aucun des symptômes à la prise de LEVOTHYROX nouvelle formule; qu’il appartient au Tribunal de faire une application exclusive de la responsabilité du fait des produits défectueux, et il incombe à la demanderesse d’apporter la preuve que les conditions d’engagement de cette responsabilité sont réunies, à savoir une imputabilité du médicament au dommage allégué, un défaut, et des préjudices en lien avec le défaut, ce qu’elle ne fait pas; qu’elle sollicite la “non homologation” du rapport d’expertise alors que la mesure d’instruction est un moyen pour le juge de s'informer et n’a pas à être enterinée au même titre qu'une convention passée par les parties; que Madame [B] ne s’est vue délivrer la nouvelle formule de LEVOTHYROX qu’à compter du mois de mai 2017 alors qu’il ressort des pièces versées aux débats que les troubles allégués sont apparus en mars 2017; que par ailleurs, il ressort du rapport d’expertise que Madame [B] avait des antécédents de syndrome dépressif, et la “fatigue inhabituelle” alléguée peut trouver son origine dans cette dépression; qu’en outre, les troubles allégués ont persisté après l’arrêt du traitement par LEVOTHYROX nouvelle formule; qu’enfin, malgré un retour à la nouvelle formule de LEVOTHYROX, Madame [B] rapporte une disparition des troubles; qu’ainsi, la preuve de l’existence d’une imputabilité des troubles allégués par Madame [B] avec le traitement par LEVOTHYROX nouvelle formule n’est pas rapportée; qu’en outre, Madame [B] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice indemnisable en lien avec la prise de LEVOTHYROX nouvelle formule; qu’en tout état de cause, Madame [B] ne démontre pas en quoi le LEVOTHYROX nouvelle formule n’offrirait pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre; que la qualité de la nouvelle formule de LEVOTHYROX n'est pas remise en cause et a été confirmée à de nombreuses reprises; qu'une information relative à la mise sur le marché de la nouvelle formule du LEVOTHYROX a bien été portée de manière répétée à la connaissance des divers acteurs du système de santé en amont de la commercialisation de la nouvelle formule et conformément aux obligations légales et règlementaires en vigueur; que postérieurement à la mise sur le marché, elle a continué à informer les professionnels de santé; que le Résumé des Caractéristiques du Produits (RCP) du LEVOTHYROX nouvelle formule indique expressément l’importance de surveiller l’équilibre thérapeutique chez certains patients à risque lors de changement d'un médicament contenant de la Levothyroxine sodique à un autre; que la notice de LEVOTHYROX nouvelle formule comporte également cette recommandation; que la preuve d’un fait générateur de responsabilité n’est pas rapportée.
Assignée par remise de l’acte à personne habilitée, la CPAM des Bouches-du-Rhône n’a pas constitué avocat.
La procédure a été clôturée à la date du 12 mars 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre principal, Madame [B] sollicite la condamnation de la société MERCK SERONO à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts, considérant qu’il y a un lien direct, certain et exclusif entre l'absorption de la nouvelle formule du médicament LEVOTHYROX et l’apparition de ses symptômes : fatigue intense, douleurs et faiblesse des membres inférieurs, toux et gêne laryngée à la déglutition, troubles du sommeil, troubles de l'appétit avec perte de poids, rauccité de la voix, troubles de l’humeur, troubles digestifs.
Aux termes de l’article 1245 du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
L’article 1245-3 précise qu’un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, et que dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Il appartient à Madame [B] de rapporter la preuve d’un dommage, de l’imputabilité de ce dommage à l’administration du produit, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et Ie dommage
L’expert relève que la symptomatologie de Madame [B] a débuté avant l’introduction de la nouvelle formule de LEVOTHYROX, ce qui est établi pas les pièces versées aux débats, et notamment le certificat du Docteur [P] et l’attestation de [S] [B], et qui n’est absolument pas contesté par Madame [B].
L’expert relève encore que ces symptômes n’ont pas été améliorés quelle que soit la formule utilisée, et qu’ils auraient disparu malgré la reprise de la nouvelle formule, ce qui n’est pas contesté par Madame [B].
Aucun élément ne permet donc de conclure que la mise en place dans le traitement de Madame [B] de la nouvelle formule de LEVOTHYROX a pu déclencher ou influencer ses symptômes.
Ainsi, l’imputabilité des troubles allégués par Madame [B] avec le traitement par LEVOTHYROX nouvelle formule n’est pas rapportée.
Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages-intérêts formée à ce titre.
A titre subsidiaire, Madame [B] sollicite la condamnation de la société MERCK SERONO à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral tiré du défaut d’information sur le changement de formule du médicament.
Elle se réfère uniquement à un arrêt de la Cour de cassation qui énonce que “lorsque la composition de médicaments change et que cette évolution de formule n'est pas signalée explicitement dans la notice, le fabricant et l'exploitant peuvent se voir reprocher un défaut d'information pouvant causer un préjudice moral” sans nullement exposer en quoi l’évolution de la formule n’était en l’espèce pas explicitement signalée dans la notice, et ce , alors même que la notice du médicament faisait apparaître les nouveaux excipients conformément à la réglementation en vigueur.
Elle ne démontre pas plus le préjudice qui en serait résulté puisqu’elle n’établit pas le lien entre la prise du médicament et les effets indésirables dont elle se plaint.
En conséquence, Madame [B] sera déboutée de l’intégralité de ses demandes, et condamnée aux dépens
L’exécution provisoire du présent jugement sera ordonnée, compt tenu de l’ancienneté de l’affaire.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort,
Déboute [X] [B] de l’intégralité de ses demandes,
Condamne [X] [B] aux dépens,
Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement.
AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 11 JUILLET 2024.
LE GREFFIER LE PRESIDENT