TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N°24/ DU 09 Juillet 2024
Enrôlement : N° RG 23/05534 - N° Portalis DBW3-W-B7H-3MOI
AFFAIRE : M. [K] [E] ( Me Olivier KUHN-MASSOT)
C/ M. [N] [E] (la SELARL SOCIETE D’AVOCATS MATHERON, JOUAN & OLIVIER)
DÉBATS : A l'audience Publique du 11 Juin 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :
Président : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente
Greffier lors des débats : BERARD Béatrice,
Vu le rapport fait à l’audience
A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 09 Juillet 2024
Jugement signé par JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente et par BERARD Béatrice, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDEUR
Monsieur [K] [E]
né le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 5]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Olivier KUHN-MASSOT, avocat postulant au barreau de MARSEILLE et par Me Gautier DERAMOND de ROUCY de la SELARL GDR AVOCAT, avocat plaidant au barreau de PARIS
C O N T R E
DEFENDEUR
Monsieur [N] [E]
né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 7]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
représenté par Maître Gaspard JOUAN de la SELARL SOCIETE D’AVOCATS MATHERON, JOUAN & OLIVIER, avocats au barreau de MARSEILLE
EXPOSE DU LITIGE
Par acte en date du 12 mai 2023 auquel il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, [K] [E] a fait assigner [N] [E] devant le Tribunal judiciaire de Marseille afin de voir révoquer la donation en date du 27 septembre 2015 faite à son profit, et de le voir condamner à lui payer une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, il expose que par acte en date du 27 septembre 2015, il a fait donation à son fils [N] [E] de la nue-propriété d’un appartement sis [Adresse 2] à [Localité 8] ; que l’acte de donation défendait au donataire d’aliéner le bien, ce qu’il a pourtant tenté de faire avec la complicité de l’[9]; qu’en effet, de manière parfaitement infondée, il a été mis sous tutelle par jugement en date du 30 juin 2014, pour une durée de 60 mois, et 1’[9] a été désigné comme tuteur; que par ordonnance en date du 29 août 2019, 1e juge des tutelles a autorisé la vente de cet appartement au motif de diverses dettes fiscales
montées de toutes pièces par 1’[9]; qu’une promesse de vente a été signée le 12 octobre 2020, entre [N] [E], nu-propriétaire, [L] [B] de l’[9], représentant de [K] [E], usufruitier, et [O] [S], bénéficiaire, pour un montant de 111.000 euros; qu’il a enfin pu obtenir la mainlevée de sa tutelle, totalement abusive, par ordonnance en date du 13 décembre 2021; que la mise en vente n’était destinée qu’à servir les intérêts de [N] [E] puisque celui-ci devait toucher 80% du produit de la vente compte tenu de l’âge de son père; qu’il a deux autres enfants d’une précédente union, et la vente de l’appartement litigieux devait permettre à [N] [E] d’appréhender immédiatement 1e prix de cession et de se prémunir des effets d’une action en réduction de ses cohéritiers au titre de la réserve héréditaire; qu’il a néanmoins réussi a faire interrompre le processus de vente au vu de l’interdiction d’aliéner faite au donataire.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 23 octobre 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, [N] [E] demande au Tribunal :
- débouter [K] [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
A titre reconventionnel,
- condamner [K] [E] à lui payer une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral consécutivement subi du fait de la présente procédure qui constitue un abus de droit pur et simple,
- condamner [K] [E] à lui payer une somme de 3.000 € par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
- condamner [K] [E] aux entiers dépens.
Il fait valoir que le bien immobilier objet de la donation n’a nullement été aliéné; qu’en tout état de cause, la mise en vente du bien immobilier est intervenue à la demande de [K] [E] lui-même, étant rappelé que le plan de surendettement, sollicité et approuvé par ce dernier, prévoyait un moratoire pour lui permettre de vendre le bien afin de solder ses dettes ; que c’est pour permettre à son père de sortir du surendettement, et conformément à sa demande, qu’il ne s’est pas opposé à la vente du bien, étant précisé qu’il n’a lui-même entamé aucune démarche en ce sens; qu’aucun manquement ne saurait donc lui être reproché; que cette procédure, les accusations injustifiées et farfelues, et les demandes radicales et infondées formulées par son père ont bousculé son équilibre, aggravant ainsi son état de santé, et justifiant une augmentation sensible de son traitement psychotrope; qu’il est donc bien fondé à solliciter le versement de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
Par ordonnance en date du 24 octobre 2023, le juge de la mise en état a enjoint aux parties d’assister à une séance d’information sur à la médiation, si nécessaire par visio-conférence.
Par la suite, le médiateur désigné a indiqué que les parties n’avaient pas souhaité entrer en voie de médiation.
La procédure a été clôturée à la date du 9 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la révocation de la donation
Aux termes de l’article 953 du Code civil, la donation entre vifs ne pourra être révoquée que pour cause d'inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite, pour cause d'ingratitude, et pour cause de survenance d'enfants.
En l’espèce, suivant donation reçue par Maître [Y] [V] en date du 27 septembre 2005, [K] [E] a donné à son fils [N] [E] la nue-propriété d’un appartement sis [Adresse 2] à [Localité 8].
L’acte de donation prévoyait expressément qu’i1 était interdit au donataire de procéder à 1a vente de cet immeuble sous peine révocation de la donation.
[K] [E] reproche à son fils [N] [E] d’avoir vendu le bien objet de la donation, en violation de cette clause. Il ne verse aux débats aucun élément de nature à établir les prétendues manigances de l’[9] et de son fils.
Il ressort au contraire des pièces produites par [N] [E] que [K] [E] a été placé sous tutelle, à sa demande, par jugement en date du 4 juillet 2017, renouvelé par jugement en date du 25 juin 2019 pour une durée de cinq ans, confirmé par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence par arrêt du 5 mars 2020, l’[9] ayant été désigné en qualité de tuteur.
Cette mesure de tutelle a pris fin par jugement en date du 22 décembre 2021.
[K] [E], représenté par son tuteur, a sollicité le bénéfice de la procédure de surendettement, demande qui a été acceptée par décision en date du 17 janvier 2019.
Saisi par requête en date du 2 août 2019, le juge des tutelles de Marseille, par ordonnance en date du 23 août 2019, a autorisé l’[9] représentant [K] [E] à vendre le bien immobilier sis [Adresse 2], en raison de «la nécessité dans le cadre d’un futur redressement ou rétablissement personnel d’affecter la quote-part de la vente de cette part d’actif patrimonial au règlement de tout ou partie du passif exigible du patrimoine de Monsieur [K] [E] ».
Le plan conventionnel de redressement prévoyait en effet un moratoire de 24 mois pour que [K] [E] procède à la vente de sa résidence secondaire et du garage y attenant, afin de régler le solde de ses dettes.
L’accord du nu-propriétaire étant indispensable pour procéder à la mise en vente de l’appartement, [N] [E] a été sollicité par l’[9], et a donné son accord pour la vente par courrier du 12 mai 2019.
Une promesse de vente a ainsi été régularisée le 12 octobre 2020; il ressort des échanges avec le Notaire que cette vente n’a pu être finalisée compte tenu de l’occupation illicite du bien.
Il apparaît ainsi que le bien objet de la donation n’a pas été vendu, et qu’en tout état de cause, aucune inexécution des conditions de la donation n’est établie, puisque c’est pour obtenir le bénéfice d’un plan de surendettement que [K] [E] a du mettre en vente son bien, un moratoire de 24 mois lui ayant été octroyé pour vendre ce bien.
En conséquence, [K] [E] sera débouté de l’intégralité de ses demandes.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour préjudice moral
[N] [E] produit un certificat médical du Docteur [Z], psychiatre, qui atteste qu’il présente des troubles psychiques sévères entrant dans le cadre d’une schizophrénie paranoïde, et que son état s’est aggravé à la suite d’un conflit récurrent avec son père, conflit qui a mis à mal un équilibre précaire que le patient avait trouvé jusque là et qui a justifié une augmentation sensible de son traitement psychotrope.
Il résulte de ces éléments que la présente procédure, initiée le 12 mai 2023 et maintenue en dépit des explications apportées par [N] [E], a causé à ce dernier un préjudice moral qui sera réparé par l’allocation de la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur les autres demandes
Succombant, [K] [E] sera condamné aux dépens.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de [N] [E] l’intégralité des frais irrépétibles qu’il a été contraint d’exposer; [K] [E] sera donc condamné à lui payer la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
Déboute [K] [E] de l’intégralité de ses demandes,
Condamne [K] [E] à payer à [N] [E] la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
Condamne [K] [E] à payer à [N] [E] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
Condamne [K] [E] aux dépens.
AINSI JUGE ET PRONONCE ET MIS A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIÈRE CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 9 JUILLET 2024.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT