TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N°
Enrôlement : N° RG 21/09358 - N° Portalis DBW3-W-B7F-ZJB4
AFFAIRE : Mme [P] [O] (Me Paul-victor BONAN)
C/ Compagnie d’assurance GROUPAMA MEDITERRANEE (l’ASSOCIATION BORDET - KEUSSEYAN - BONACINA) ; Organisme CPAM 13 ()
DÉBATS : A l'audience Publique du 24 Mai 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré
Président : Madame Stéphanie BERTHELOT
Greffier : Madame WANDA FLOC’H
A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 05 Juillet 2024
PRONONCE : En audience publique, le 05 Juillet 2024
Par Madame Stéphanie BERTHELOT,
Assistée de Madame WANDA FLOC’H, Greffier
NATURE DU JUGEMENT
réputée contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
Madame [P] [O]
née le [Date naissance 3] 1999 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5],
Immatriculée à la sécurité sociale sous le N°[Numéro identifiant 2]
représentée par Me Paul-victor BONAN, avocat au barreau de MARSEILLE
C O N T R E
DEFENDERESSES
Compagnie d’assurance GROUPAMA MEDITERRANEE, dont le siège social est sis [Adresse 4], pris en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.
représentée par Maître Guillaume BORDET de l’ASSOCIATION BORDET - KEUSSEYAN - BONACINA, avocats au barreau de MARSEILLE
Organisme CPAM 13, dont le siège social est sis [Adresse 1], pris en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.
défaillant
EXPOSE DU LITIGE
Le 1er février 2019, Madame [P] [O] a été victime d’un accident de la circulation, en qualité de passagère transportée, dans lequel est impliqué un véhicule assuré auprès de la société GROUPAMA MEDITERRANEE.
Le Docteur [N], désigné par ordonnance de référé du 11 juin 2019 du tribunal de grande instance d’AIX-EN-PROVENCE, a déposé son rapport le 21 mai 2021.
Par actes d’huissiers de justice signifiés les 20 et 21 octobre 2021, Madame [O] a fait citer la société GROUPAMA MEDITERRANEE pour qu’elle soit condamnée à réparer, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, les préjudices subis à la suite de l’accident de la circulation précité, ainsi que la CPAM DES BOUCHES DU RHONE.
Par conclusions signifiées le 10 janvier 2023, Madame [O] sollicite que lui soient accordées, en réparation de son préjudice corporel, les sommes suivantes :
I) Préjudices Patrimoniaux
I-A) Préjudices patrimoniaux temporaires
- Dépenses de santé actuelles450 euros
- Frais divers1 420 euros
I-B) Préjudices patrimoniaux définitifs ..............................2 846 514 euros
II) Préjudices extra-patrimoniaux
II-A) Préjudices extra-patrimoniaux temporaires
-
- Déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 %500 euros
- Déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 %1 150 euros
- Souffrances endurées5 000 euros
II-B) Préjudices extra-patrimoniaux permanents
- Déficit fonctionnel permanent1 800 euros
SOIT AU TOTAL2 856 834 euros
dont il convient de déduire la somme de 500 euros déjà versée à titre de provision.
Madame [O] demande en outre au tribunal de :
- condamner la société GROUPAMA MEDITERRANEE à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
- condamner la société GROUPAMA MEDITERRANEE aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :
- l’accident a entravé ses révisions pour le concours d’entrée en seconde année de faculté de médecine.
- elle a subi un déficit temporaire partiel à 25% jusqu’au 1er avril 2019, alors que les examens se déroulaient les 15 et 16 mai 2019.
- son admission en seconde année de médecine s’est jouée à 7 places.
- le déficit fonctionnel temporaire a incontestablement joué dans les résultats à ce concours.
- les séquelles l’ont handicapée et donc pénalisée dans ses révisions.
- elle a dû s’orienter vers des études de pharmacie qui ne lui plaisent pas.
- cette orientation professionnelle va provoquer une perte de revenus par rapport à la profession de médecin.
- ses chances de réussite au concours de médecine étaient de 99% pour ne pas dire 100%.
Par conclusions notifiées le 24 novembre 2022, la société GROUPAMA MEDITERRANEE ne conteste pas le droit à indemnisation de Madame [O] mais sollicite :
- le débouté concernant les demandes portant sur les dépenses de santé et l’incidence professionnelle/préjudice universitaire,
- la réduction des prétentions émises,
- le rejet de la demande formulée en vertu de l’article 700 du CPC, et des autres demandes.
Elle estime que :
- le rapport d’expertise n’a retenu aucun préjudice professionnel de quelque nature que ce soit, ni préjudice universitaire ou de formation.
- la demanderesse ne qualifie pas la nature de sa demande.
- le sapiteur psychiatre a expressément exclu tout préjudice scolaire ou universitaire.
- l’accident n’a eu aucune répercussion sur les études de la requérante.
- la période de DFP à 25% a pris fin 6 semaines avant les examens.
- la fin de période du port du collier cervical se situe 3 mois avant les examens.
- le lien de causalité certain entre l’accident et son échec au concours n’est pas démontré.
- les évaluations de rémunérations versées au débat n’ont rien d’officiel.
L’organisme social bien que régulièrement mis en cause ne comparaît pas et ne fait pas connaître le montant de ses débours.
La clôture a été prononcée le 19 avril 2024.
Il est expressément référé, en application de l'article 455 du Code de procédure civile, à l’exploit introductif d instance et aux conclusions pour connaître des faits, moyens et prétentions des parties.
Lors de l'audience du 24 mai 2024, les conseils des parties entendus en leurs observations, l'affaire a été mise en délibéré au 5 juillet 2024.
MOTIFS DU JUGEMENT
Sur le droit à indemnisation
La société GROUPAMA MEDITERRANEE ne conteste pas devoir indemniser Madame [O] des conséquences dommageables de l’accident du 1er février 2019.
Sur le montant de l’indemnisation
Aux termes non contestés du rapport d’expertise, l’accident a entraîné pour la victime, les conséquences médico-légales suivantes :
- un déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % du 1er février au 1er avril 2019
- un déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % du 2 avril 2019 au 10 mars 2020
- une consolidation au 10 mars 2020
- une atteinte à l’intégrité physique et psychique de 1%
- des souffrances endurées qualifiées de 2/7
Sur la base de ce rapport, contre lequel aucune critique médicalement fondée n’est formée, et compte tenu des conclusions et des pièces produites, le préjudice corporel de Madame [O], âgée de 21 ans au moment de sa consolidation, doit être évalué ainsi qu’il suit :
I) Les Préjudices Patrimoniaux
I-A) Les Préjudices Patrimoniaux Temporaires
Les dépenses de santé :
Madame [O] justifie avoir suivi des séances d’EMDR pour un coût de 450 euros.
La société GROUPAMA MEDITERRANEE ne démontre pas que de tels soins seraient pris en charge par le régime obligatoire de l’assurance maladie.
Par ailleurs, elle n’est pas fondée à exiger de la demanderesse qu’elle rapporte la preuve négative de l’absence de prise en charge par une mutuelle.
Les frais divers :
Les frais divers sont représentés par les honoraires d’assistance à l’expertise du médecin conseil, soit 1 420 euros, au vu des éléments produits.
I-B) Les Préjudices Patrimoniaux Permanents
Madame [O] soutient qu’en raison de l’accident du 1er février 2019, elle aurait raté le concours d’admission en deuxième année de faculté de médecine.
Elle invoque une perte de gains professionnels futurs résultant de la différence de rémunération entre un médecin et un pharmacien, voie dans laquelle elle s’est engagée pour la suite de ses études.
Il appartient à la demanderesse de démontrer un lien de causalité entre ses résultats aux examens universitaires et l’accident.
Dans les suites de l’accident, elle a présenté une entorse cervicale imposant le port d’un collier cervical durant 15 jours, soit jusqu’à la moitié du mois de février 2019, ainsi qu’un traitement par anti-inflammatoire.
Cette période a donc pris fin trois mois avant les examens du mois de mai 2019.
Par ailleurs, elle a consulté un médecin psychiatre qui décrit, le 21 octobre 2019, une grande souffrance psychique avec sensation d’échec et syndrome de repli.
Cette description est postérieure à l’échec au concours d’entrée en deuxième année, et ne démontre donc pas de lien de causalité avec l’accident.
De même, la praticienne en EMDR n’a été consultée que le 13 novembre 2019, soit plus de 9 mois après l’accident.
Son certificat est insuffisant à établir l’existence de troubles au moment des examens du mois de mai 2019.
Le sapiteur psychiatre que s’est adjoint l’expert judiciaire a conclu qu’il n’y a pas lieu d’envisager un évitement universitaire.
Le rapport d’expertise a retenu un état de stress post émotionnel traité par oligo-éléments.
Madame [O] verse au débat des attestations qui établissent que dans les mois suivants l’accident elle été perturbée par des cauchemars et un mauvais sommeil, ainsi que des reviviscences de l’accident.
Le rapport d’expertise indique également des douleurs cervicales avec céphalées.
Ces éléments ont nécessairement pesé sur le trimestre précédant les examens.
Un lien exclusif n’est pas démontré ; toutefois, les séquelles de l’accident ont rendue plus pénible et difficile la préparation du concours, faisant perdre à la demanderesse une chance de le réussir.
Malgré son classement au trimestre précédent, elle n’est pas fondée à soutenir que la perte de chance approcherait les 100%, en considération du caractère très sélectif du concours d’entrée en deuxième année de médecine.
Compte-tenu de la nature et de la gravité des séquelles, une perte de chance de 10% sera retenue.
Madame [O] n’établit pas qu’elle aurait avec certitude achevé ses études de médecine et réussi une spécialisation.
Le niveau de revenus invoqué ne revêt pas non plus de caractère de certitude, tant existent de disparités dans les statuts et modes d’exercice de la médecine.
Il n’est pas démontré que le métier de pharmacien, qui peut être exercé à titre salarié ou libéral, lui procurerait nécessairement des revenus moindres que ceux qu’elle aurait perçus en exerçant le métier de médecin.
En conséquence, au titre de la perte de chance de poursuivre les études auxquelles elle se destinait, il lui sera alloué une somme de 10 000 euros.
II) Les Préjudices Extra Patrimoniaux
II-A) Les Préjudices Extra-Patrimoniaux Temporaires
Le déficit fonctionnel temporaire :
Ce poste de préjudice est destiné à indemniser l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que subit la victime jusqu’à sa consolidation et correspond à une perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante incluant le préjudice d’agrément temporaire pendant cette période.
Compte tenu de la nature des lésions subies par Madame [O] et de la gêne qu’elles ont entraînée sur sa vie quotidienne, il y a lieu d’indemniser ce poste de préjudice sur la base de 30 euros par jour.
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 25 % : 450 euros
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 10 % : 30 E X 344 J X 10%
=1 032 euros
Total1 482 euros
Les souffrances endurées :
Les souffrances endurées fixées par l’expert à 2/7 seront indemnisées par le versement de la somme de 4 000 euros.
II-B) Les Préjudices Extra-Patrimoniaux Permanents
Le déficit fonctionnel permanent :
Ce poste de préjudice est destiné à indemniser le préjudice extra-patrimonial découlant de l’incapacité médicalement constatée et à réparer ses incidences touchant exclusivement la sphère personnelle de la victime, soit non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de celle-ci mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans ses conditions d’existence après consolidation.
Compte tenu des séquelles conservées par la victime, il a été estimé par l’expert à 1%.
Il y a donc lieu de l’indemniser par l’allocation de la somme de 1 800 euros.
RÉCAPITULATIF
- dépenses de santé actuelles450 euros
- frais divers1 420 euros
- préjudice patrimonial permanent10 000 euros
- déficit fonctionnel temporaire1 482 euros
- souffrances endurées4 000 euros
- déficit fonctionnel permanent1 800 euros
TOTAL19 152 euros
PROVISION A DÉDUIRE500 euros
RESTE DU18 652 euros
En application de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Sur les demandes accessoires
L'article 514 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue de l'article 3 du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites après le 1er janvier 2020 prévoit que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision n’en dispose autrement.
Il n'y a pas lieu en l'espèce d'écarter l'exécution provisoire de droit.
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la société GROUPAMA MEDITERRANEE, partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens de la présente procédure.
La victime n’a pas permis à l’assureur de lui présenter une offre d’indemnisation suffisante dans le délai légal qui lui est imparti, en application des dispositions de l’article L211-9 du code des assurances. Elle a intenté l’action judiciaire avant expiration de ce délai.
C’est pourquoi les dépenses qu’elle a exposées au titre de l’article 700 du code deprocédure civile resteront à sa charge, les demandes contraires étant rejetées.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire, en matière civile ordinaire, en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Evalue le préjudice corporel de Madame [P] [O], hors débours de la CPAM des Bouches du Rhône ainsi que suit :
- dépenses de santé actuelles450 euros
- frais divers1 420 euros
- préjudice patrimonial permanent10 000 euros
- déficit fonctionnel temporaire1 482 euros
- souffrances endurées4 000 euros
- déficit fonctionnel permanent1 800 euros
TOTAL19 152 euros
PROVISION A DÉDUIRE500 euros
RESTE DU18 652 euros
EN CONSÉQUENCE :
Condamne la société GROUPAMA MEDITERRANEE à payer avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement à Madame [P] [O] la somme de 18 652 euros en réparation de son préjudice corporel, et ce déduction faite de la provision précédemment allouée.
Rejette la demande formulée en vertu de l’article 700 du CPC.
Déclare le présent jugement commun et opposable à la CPAM des Bouches du Rhône.
Juge qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision .
Condamne la société GROUPAMA MEDITERRANEE aux entiers dépens.
AINSI JUGE ET PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT-QUATRE.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE