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04/07/2024 | FRANCE | N°23/00922

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab2, 04 juillet 2024, 23/00922


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N°24/ DU 04 Juillet 2024


Enrôlement : N° RG 23/00922 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2U3G

AFFAIRE : Mme [T] [V]( Me Stéphanie BENITA-DUPONCHELLE)
C/ Organisme CPAM DES BOUCHES DU RHONE - M. LE PREFET DES BOUCHES DU RHONE et M. LE RECTEUR DE L’ACADEMIE D’[Localité 3] ( AARPI LOMBARD - SEMELAIGNE - DUPUY - DELCROIX)


DÉBATS : A l'audience Publique du 16 Mai 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL:

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT S

téfanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/ DU 04 Juillet 2024

Enrôlement : N° RG 23/00922 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2U3G

AFFAIRE : Mme [T] [V]( Me Stéphanie BENITA-DUPONCHELLE)
C/ Organisme CPAM DES BOUCHES DU RHONE - M. LE PREFET DES BOUCHES DU RHONE et M. LE RECTEUR DE L’ACADEMIE D’[Localité 3] ( AARPI LOMBARD - SEMELAIGNE - DUPUY - DELCROIX)

DÉBATS : A l'audience Publique du 16 Mai 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL:

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Greffier lors des débats : BESANÇON Bénédicte

Vu le rapport fait à l’audience

A l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 04 Juillet 2024

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

réputée contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Madame [T] [V]
née le [Date naissance 1] 2005 à [Localité 10] (13)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 9]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle totale numéro 130550012022019760 du 06/12/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Marseille)

représentée par Me Stéphanie BENITA-DUPONCHELLE, avocat au barreau de MARSEILLE,

C O N T R E

DEFENDERESSES

Organisme CPAM DES BOUCHES DU RHONE, dont le siège social est sis [Adresse 2]

défaillant

PREFET DU DEPARTEMENT DES BOUCHES DU RHONE, dont le siège social est sis [Adresse 5]

représentée par Maître Béatrice DUPUY de l’AARPI LOMBARD-SEMELAIGNE-DUPUY-DELCROIX, avocats au barreau de MARSEILLE, substituée à l’audience par Maître Charlotte POURREYRON, avocat au barreau de MARSEILLE

INTERVENANT VOLONTAIRE

M. LE RECTEUR DE L’ACADEMIE D’[Localité 3] pris en qualité de représentant de l’Etat dans le département, dont le siège social est sis [Adresse 11]
représentée par Maître Béatrice DUPUY de l’AARPI LOMBARD-SEMELAIGNE-DUPUY-DELCROIX, avocats au barreau de MARSEILLE, substituée à l’audience par Maître Charlotte POURREYRON, avocat au barreau de MARSEILLE

EXPOSE DU LITIGE

Le 29 novembre 2018, [T] [V], née en le [Date naissance 1] 2005 et scolarisée en 4ème au collège [6] à [Localité 10], a chuté alors qu’elle se trouvait en cours d’EPS, lors d’une séance de basket.
Elle a fait une glissade sur un ballon, entraînant sa chute, avec torsion et impotence immédiate du membre inférieur droit.
Elle a été prise en charge par les pompiers qui l’ont accompagnée aux urgences pédiatriques de [8] à [Localité 10].
Le bilan radio hospitalier a mis en évidence une fracture du tiers supérieur du péroné, et une fracture tiers médian du tibia. Après réduction, une contention plâtrée a été mise en place.
Devant l’aggravation, avec limitation anglo-fonctionnelle, à la demande du médecin traitant, un contrôle radiologique a été réalisé le 7 décembre 2018 par le Docteur [K], sous plâtre, retrouvant les foyers de fracture, avec déplacement de la fracture tibiale par rapport aux clichés précédents.
En conséquence, [T] [V] a été hospitalisée du 8 décembre 2018 au 11 décembre 2018 en service de chirurgie pédiatrique, pour une réduction à ciel ouvert et une ostéosynthèse par plaque LCP 5 à 7 vis.

Sa mère [R] [X] a sollicité la MAIF, assureur de l’établissement scolaire, pour obtenir l’indemnisation du préjudice de sa fille; une expertise a été mise en place, confiée au Docteur [Z], et un rapport a été déposé le 29 janvier 2021.
La MAIF a indiqué le 16 avril 2021 à Madame [X] que seule une somme de 122 euros était susceptible d’être versée au titre du contrat souscrit par la collectivité, la responsabilité du collège n’étant pas engagée dans l’accident de [T] [V].

Par requête enregistrée le 30 août 2022, Madame [X], agissant au nom de sa fille, a saisi le tribunal administratif en liquidation de ses préjudices.
Par ordonnance en date du 19 septembre 2022, le tribunal a rejeté sa requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Par actes en date des 18 et 23 janvier 2023, [R] [X], en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure [T] [V], a fait assigner l’Etat pris en la personne du Préfet des Bouches-du-Rhône et la CPAM des Bouches-du-Rhône devant le Tribunal judiciaire de Marseille aux fins d’obtenir l’indemnisation du préjudice subi, soit la somme de de 40.033,14 euros, outre 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 13 novembre 2023 auxquelles il y lieu de se référer pour un plus ample exposé des moyens, [T] [V] demande au Tribunal de:
- prendre acte de sa récente majorité et de l’action judiciaire reprise en son nom propre, - prendre acte de l’intervention volontaire du Recteur de l’académie d’[Localité 3] pour répondre des actes de l’enseignant du collège [6],
- juger le Recteur de l’académie d’[Localité 3] responsable de l’accident de [T] [V], en raison de la faute commise par l’enseignant,
Et en conséquence,
- condamner le Recteur de l’académie d’[Localité 3], à lui régler les sommes suivantes :
- Sur les préjudices patrimoniaux temporaires :
Dépenses de santé : 203,39 €
Frais d’assistance à expertise : 500 €
Préjudice scolaire : durant 3 mois et 2 semaines : 2.154,25 €
- Au titre des préjudices extra-patrimoniaux temporaires :
Déficit fonctionnel temporaire total : DFTT durant 5 jours : 150,00 €
Déficit fonctionnel temporaire partiel : Classe III : 870,00 €
Classe II : 487,50 €
Classe I : 1.278,00 €
Souffrances endurées : 12.000 €
Préjudice esthétique : 5.000 €
- Au titre des préjudices extra-patrimoniaux permanents :
Déficit fonctionnel permanent : 4.800 €
Aide humaine : 7.590 €
Préjudice d’agrément : 5.000 €
- la recevoir en la présente demande de déclaration de jugement au contradictoire de la CPAM des Bouches-du-Rhône,
- déclarer le jugement à intervenir opposable à la CPAM des Bouches-du-Rhône,
- dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamner en toute hypothèse le défendeur à payer la somme de 2.500,00 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Elle soutient que la faute du professeur de sport n’est pas contestable; qu’en effet, il est avéré qu’il y avait plusieurs ballons sur le terrain, en mouvement, et que les élèves étaient concentrés sur le leur, ne remarquant pas que d’autres ballons pouvaient rouler au sol; que le professeur avait le contrôle de l'exercice et se devait de prendre les précautions suffisantes pour remédier aux éventuelles défaillances prévisibles des enfants qui lâchaient leurs ballons; qu’il devait s’assurer que chaque élève avait la maîtrise de son ballon et à défaut, il aurait dû rappeler à l’ordre l’enfant qui a laissé son ballon rouler et même, prévenir l’élève [T] qu’il y avait un obstacle sur son chemin; que certes, l’activité de basket-ball n’est pas dangereuse, mais envahir le terrain avec une dizaine de ballons en mouvement est dangereux et le professeur a manqué de discernement dans l’organisation de son activité et n’a pas exercé une surveillance renforcée. Elle détaille ensuite ses préjudices en lien avec la faute alléguée.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 11 janvier 2024 auxquelles il y lieu de se référer pour un plus ample exposé des moyens, le Préfet des Bouches-du-Rhône et le Recteur de l’Académie d’[Localité 3], pris en qualité de représentant de l’Etat dans le département, intervenant volontaire, demandent au Tribunal de:
- mettre hors de cause le Préfet et accueillir le Recteur de l’Académie d’[Localité 3] en son intervention volontaire,
- débouter Madame [X] de ses demandes en l’absence de faute commise par l’enseignant qui puisse être à l’origine de l’accident survenu,
- Très subsidiairement et si par impossible le Tribunal croyait devoir retenu une faute commise par l’enseignant, condamner le Recteur à verser à Madame [X] une somme de 17.066,25 € en réparation du préjudice de sa fille mineure [T] [V] et la débouter de ses demandes plus amples et contraires,
- juger qu’en tout état de cause, le jugement à intervenir ne sera pas assorti de l’exécution provisoire.

Ils rappellent que seul le Recteur de l’Académie d’[Localité 3] a le pouvoir de défendre dans une instance initiée sur le fondement de l’article L911-4 du Code de l’éducation.
Ils font valoir que l’accident est survenu au cours d’une séance de basket avec des jeux de dribles, ce qui n’a rien d’une activité dangereuse; que l’accident est survenu parce que l’élève blessée a trébuché sur un ballon, qui n’est pas en soi une chose dangereuse qui devait faire l’objet d’une surveillance renforcée par l’enseignant, lequel se trouvait bien sur le terrain avec ses élèves quand l’accident est survenu et était attentif au jeu; que l’accident dont a été victime la demanderesse consiste en une chute que l’enseignant ne pouvait par hypothèse anticiper puisqu’elle a été soudaine et imprévisible; qu’ainsi, aucune faute n’est caractérisée.
A titre subsidiaire, ils sollicitent la réduction des sommes réclamées en réparation du préjudice allégué.

Assignée par rremise de l’acte à pesonne habilitée, la CPAM des Bouches-du-Rhône n’a pas constitué avocat.

La procédure a été clôturée à la date du 27 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article L 911-4 du Code de l’éducation énonce : « Dans tous les cas où la responsabilité des membres de l'enseignement public se trouve engagée à la suite ou à l'occasion d'un fait dommageable commis, soit par les élèves ou les étudiants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit au détriment de ces élèves ou de ces étudiants dans les mêmes conditions, la responsabilité de l'État est substituée à celle desdits membres de l'enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants.
Il en est ainsi toutes les fois que, pendant la scolarité ou en dehors de la scolarité, dans un but d'enseignement ou d'éducation physique, non interdit par les règlements, les élèves et les étudiants confiés ainsi aux membres de l'enseignement public se trouvent sous la surveillance de ces derniers.»
Il y a donc lieu de déclarer recevable l’intervention volontaire du Recteur de l’Académie d’[Localité 3] et de mettre hors de cause le Préfet des Bouches-du-Rhône.

Aux termes des dispositions de l’article 1242 du Code civil : «  On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. (...)
Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance.
La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité.
En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance. »

L’obligation de surveillance pesant sur les instituteurs est une obligation de moyens; pour considérer un comportement fautif, le juge doit établir le manque de vigilance, d'initiative ou de diligence.
S’agissant des accidents survenus pendant un cours de sport dans un établissement scolaire, la responsabilité de l’Etat ne peut être retenue que dans les cas où l’enseignant n’a pas pris de précaution suffisantes à raison du caractère dangereux de l’activité exercée et dans les cas où il n’a pas pu être légitimement surpris par la soudaineté et l’imprévisibilité de l’accident.

Le demandeur doit ainsi établir que l'instituteur n'a pas pris les mesures appropriées, qu'il a fait une mauvaise appréciation des risques, a manqué de prudence ou n'a pas pris toutes les précautions nécessaires.

En l’espèce, [T] [V] soutient que son professeur d’EPS a manqué de discernement dans l’organisation de son activité et n’a pas exercé une surveillance renforcée alors même que plusieurs ballons étaient utilisés en même temps sur le terrain. Il lui appartient de prouver la faute de son professeur.

Il ressort de la déclaration d’accident établie le jour-même par l’enseignant qu’il se trouvaitsur le terrain avec ses élèves quand l’accident est survenu, et qu’il surveillait l’activité, ce qui n’est nullement contesté.

Ce dernier déclare : « ce jeudi au gymnase [4], dans le complexe sportif [7], a eu lieu la 2ème séance de basket du 2ème cycle d’EPS de l’année pour la classe de 4ème C.
Le cours a commencé à 14H00. Après l’échauffement, différentes activités d’adresse, de tirs, de passes et de dribbles ont rythmé la séance. Durant un jeu de dribble, le deuxième groupe de 10 élèves avec les ballons se défient pour dribbler et chercher de prendre le ballon des autres adversaires. Les élèves éliminés sortent du terrain.
Il est environ 14H45, peu d’élèves restent dans le terrain. Parmi eux [T] [V] qui participe avec succès à l’activité. C’est à ce moment que [T] perd le contrôle de son ballon, et cherche tout de suite à le récupérer. Au même moment le ballon d’un autre élève, roulant au sol, passe lentement entre elle et son ballon. [T] est tellement engagée et concentrée sur son jeu qu’elle ne voit pas cet obstacle, trébuche avec la jambe droite sur la balle et tombe au sol. Elle n’arrive pas à se remettre debout … »

Il apparaît donc qu’au moment de l’accident, peu d’élèves restaient sur le terrain, et la demanderesse ne peut affirmer que le terrain était envahi par une dizaine de ballons.

En tout état de cause, la pratique du basket-ball est une activité qui n’est pas dangereuse par nature, l’âge des élèves (15 ans) ne nécessitait pas une surveillance constante et accrue ni la prise de précaution particulière.

La chute de [T] [V] est un risque inhérent à l’activité pratiquée, elle a été soudaine et imprévisible. La faute du professeur n’est nullement établie.

En conséquence, [T] [V] sera déboutée de l’intégralité de ses demandes, et condamnée aux dépens, qui seront recouvrés selon les règles applicables en matière d’aide juridictionnelle.

Le présent jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort,

Déclare recevable l’intervention volontaire du Recteur de l’Académie d’[Localité 3] et ordonne la mise hors de cause du Préfet des Bouches-du-Rhône,

Déboute [T] [V] de l’intégralité de ses demandes,

Condamne [T] [V], aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 4 JUILLET 2024.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab2
Numéro d'arrêt : 23/00922
Date de la décision : 04/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-04;23.00922 ?
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