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20/06/2024 | FRANCE | N°22/12597

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 1ère chambre cab2, 20 juin 2024, 22/12597


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/ DU 20 Juin 2024

Enrôlement : N° RG 22/12597 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2ZJV

AFFAIRE : Mme [R] [N] épouse [I] ( Me Aurore MORA)
C/ M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE

DÉBATS : A l'audience Publique du 11 Avril 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, en application des articles 804 et 805 du Code de Procédure Civile, avec l’accord des parties, les avocats avisés ne s’y étant pas opposés, et JOUBERT Stéfanie, Juge assesseur,

en qualité de Juge Rapporteur, a présenté son rapport à l’audience avant les plaidoiries et en a rendu compte a...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

PREMIERE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N°24/ DU 20 Juin 2024

Enrôlement : N° RG 22/12597 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2ZJV

AFFAIRE : Mme [R] [N] épouse [I] ( Me Aurore MORA)
C/ M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE

DÉBATS : A l'audience Publique du 11 Avril 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : SPATERI Thomas, en application des articles 804 et 805 du Code de Procédure Civile, avec l’accord des parties, les avocats avisés ne s’y étant pas opposés, et JOUBERT Stéfanie, Juge assesseur, en qualité de Juge Rapporteur, a présenté son rapport à l’audience avant les plaidoiries et en a rendu compte au Tribunal dans son délibéré,

En présence de PORELLI Emmanuelle, Vice-Procureur, Procureur de la République,

Greffier lors des débats : BERARD Béatrice

Vu le rapport fait à l’audience

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 20 Juin 2024

Après délibéré entre :

Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
Assesseur : JOUBERT Stéfanie, Vice-Présidente (juge rapporteur)
Assesseur : BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente

Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BERARD Béatrice, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSE

Madame [R] [N] épouse [I]
née le 19 Mai 1984 à [Localité 8] (FÉDÉRATION DE RUSSIE)
de nationalité Russe, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Aurore MORA, avocat au barreau de MARSEILLE,

C O N T R E

DEFENDERESSE

M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE MARSEILLE, près le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE en son parquet - [Adresse 4]

dispensé du ministère d’avocat

EXPOSE DU LITIGE

[R] [I], née le 19 mai 1984 à [Localité 8] (Russie), de nationalité russe, a contracté mariage le 5 décembre 2015 à [Localité 2] (France) avec [O] [N], né le 21 août 1989 à [Localité 3] (France), de nationalité française.
[R] [I] a souscrit le 23 juin 2022 une déclaration de nationalité française en application de l’article 21-2 du Code civil devant la Préfecture des Bouches-du-Rhône.

Par courrier reçu le 7 septembre 2022, le ministère de l’intérieur a refusé l’enregistrement de cette déclaration au motif qu’elle n’avait pas produit l’original de la copie intégrale de l’acte de naissance en langue étrangère de son enfant, [Z] [Y], né le 11 décembre 2009 ainsi que l’original en langue étrangère du jugement de divorce concernant sa première union.

Par acte en date du 22 décembre 2022, [R] [I] épouse [N] a fait assigner le Procureur de la République devant le Tribunal judiciaire de Marseille aux fins de voir prononcer la nullité du refus d’enregistrement de sa déclaration de nationalité française et ordonner son enregistrement et, à titre subsidiaire, voir ordonner l’enregistrement de sa déclaration.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, elle demande au Tribunal de :
- constater que la formalité prévue à l’article 1040 du Code de procédure civile a été effectuée,
A titre principal :
- prononcer la nullité du refus d’enregistrement de la déclaration de nationalité du 5 septembre 2022,
- ordonner l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 9 janvier 2020, y compris en tant qu’elle porte demande de francisation de nom et mention de son enfant mineur [Y] [Z],
- ordonner la remise à [R] [N] de sa déclaration de nationalité française revêtue de la mention de son enregistrement,
- dire qu’elle est de nationalité française en application de l’article 21-2 du Code civil,
- ordonner la mention prévue à l’article 28 du Code civil,
A titre subsidiaire :
- ordonner l’enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 9 janvier 2020, y compris en tant qu’elle porte demande de francisation de nom et mention de son enfant mineur [Y] [Z],
- ordonner la remise à [R] [N] de sa déclaration de nationalité française revêtue de la mention de son enregistrement,
- dire qu’elle est de nationalité française en application de l’article 21-2 du Code civil,
- ordonner la mention prévue à l’article 28 du Code civil,
En toute hypothèse :
- condamner Trésor Public au paiement de la somme de 1.500 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle soutient qu’il lui a été délivré un récépissé de sa déclaration de nationalité le 22 avril 2022 actant du dépôt de l’ensemble des pièces nécessaires à la preuve de la recevabilité de sa demande, et que dès lors, le Ministre de l’intérieur ne pouvait pas, sans méconnaître une formalité substantielle, refuser d’enregistrer sa déclaration au seul motif d’un défaut de pièces, ceci d’autant plus qu’il n’en a tiré aucune conséquence quant au caractère certain de l’état civil ou quant aux conditions d’acquisition de la nationalité française; que cette irrégularité lui a causé un grief puisqu’elle avait déjà fait l’objet d’une procédure de vérification de pièces pendant plus de deux ans, à laquelle elle a toujours répondu, qu’elle était en mesure de produire un jugement de divorce en temps utile et de réitérer ses explications quant à la délivrance d’actes de naissance russes en original unique, et qu’elle est contrainte, du fait du refus d’enregistrement, de redéposer un entier dossier déclaration de nationalité assorti d’actes actualisés; qu’elle demande donc in limine litis, que soit prononcée la nullité de la décision du 5 septembre 2022 en application de l’article 114 du Code de procédure civile.
Elle indique qu’en tout état de cause, la production du certificat de naissance original de son fils satisfaisait aux dispositions de l’article 9 du décret du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 telles qu’éclairées par la circulaire du 23 juillet 2014, sans qu’une copie intégrale de moins de six mois ne puisse être exigée; qu’aucune condition de date de délivrance ne s’appliquait en l’espèce, à défaut pour le système juridique russe de prévoir la remise de copies actualisées des actes de naissance, et elle avait joint à la déclaration de nationalité une attestation du Consulat russe suivant laquelle les actes de naissance sont délivrés en un seul exemplaire à la naissance de l’enfant et l’accompagnent toute sa vie; qu’en outre, en application des articles 14-1 du décret précité et de l’article 47 du Code civil, le certificat de divorce suffisait à démontrer la dissolution de la précédente union sans que la production du jugement de divorce ne soit nécessaire; que l’opposabilité du jugement de divorce en France a déjà été examinée lors de son mariage en France le 5 décembre 2015, l’acte de mariage faisant mention de ce divorce.
Elle ajoute que dans l’hypothèse où le Procureur de la République soutiendrait que le dossier est incomplet, il lui incomberait de communiquer la liste des pièces et l’avis joint au dossier de nationalité de Madame [N] transmis au ministre de l’intérieur et l’ensemble des pièces jointes à sa demande entre janvier 2020 et avril 2022, puisque, comme en acte la remise d’un récépissé de déclaration, elle a transmis un dossier complet assorti de toutes les traductions et apostilles utiles; que l’apostille de son acte de naissance et celui du certificat de naissance de son fils [Y] [Z] sont réguliers, le sceau ayant été apposé par les services du Ministère de la justice.

En défense, dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 décembre 2023 auxquelles il est expressément référé pour plus ample exposé des moyens, le Procureur de la République demande au Tribunal de :
- dire que la procédure est régulière au regard de l’article 1040 du Code de procédure civile,
- débouter [R] [I] de l’ensemble de ses demandes,
- dire que [R] [I], se disant née le 19 mai 1984 à [Localité 8] (Russie), n’est pas de nationalité française,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du Code civil,
- la condamner aux dépens.

Il soutient que la demanderesse opère une confusion entre la remise du récépissé qui atteste de la remise des pièces nécessaires à la preuve de la recevabilité de la déclaration de nationalité française et la décision prise par le ministère de l’intérieur sur l’enregistrement ou le défaut d’enregistrement d’une déclaration de nationalité française; que la nullité invoquée résultant du refus d’enregistrement d’une déclaration de nationalité française, qui n’est prévue par aucun texte, est infondée.
Il ajoute que dans le cadre de la procédure, la demanderesse produit une traduction d’un certificat de naissance ainsi que la copie du document en langue russe qui indique qu’elle est née le 19 mai 1984 à [Localité 8], [Localité 7], [Localité 6] (République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie) dépourvu de toute apostille, et donc en France et la pièce produite en réponse est une apostille irrégulière en ce qu’elle porte sur la signature de Me [F] [W] notaire.

La procédure a été clôturée à la date du 13 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il sera indiqué que le Tribunal n’est pas compétent pour prononcer la nullité du refus d’enregistrement de la déclaration de nationalité du 5 septembre 2022, mais pour ordonner l’enregistrement de cette déclaration.

Le récépissé prévu à l’article 1040 du Code de procédure civile a été délivré.

L'article 30 du Code civil dispose que, lorsque l'individu qui revendique la nationalité française n'est pas lui même titulaire d'un certificat de nationalité française, la charge de la preuve de sa nationalité lui incombe.

En l'espèce, [R] [I] épouse [N] n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française, de sorte qu'il lui appartient de rapporter la preuve qu'il remplit les conditions pour prétendre à la nationalité française.

Aux termes des dispositions de l’article 21-2 du Code civil, l'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.

Le requérant doit produire des pièces d'état civil fiables au sens de l'article 47 du Code civil selon lequel tout acte de l'état civil des français et des étrangers faits en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenues, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondant pas à la réalité.

Sauf convention internationale, les copies ou extraits d'actes de l'état civil établis par les autorités étrangères, doivent, pour recevoir effet en France, être légalisés. Les documents publics russes, dont les actes d’état civil, doivent être apostillés dès lors que la France et la Russie sont signataires de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961, remplaçant la formalité de la légalisation par celle, simplifiée, de l’apostille.

L’article 5 de la convention précise que l'apostille atteste la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu .

La Conférence de droit international de La Haye a publié en 2013 un « Manuel apostille» sur le fonctionnement pratique de la Convention. Ce manuel précise qu'en émettant une apostille , l'autorité compétente certifie les trois points suivants : l'authenticité de la signature figurant sur l'acte public ; la qualité du signataire de l'acte; l'identité du sceau ou timbre dont est revêtu l'acte.
Il ne s'agit pas ainsi de procéder à la vérification de la validité de l'acte ou de la réalité de la situation énoncée mais de contrôler certains éléments

Ce Manuel indique que les mentions suivantes doivent obligatoirement figurer sur l’apostille :
- le nom de l'Etat d'origine ;
- le nom du signataire de l'acte ("a été signé par") ;
- la qualité en laquelle le signataire a agi ("agissant en qualité de") ;
- le nom de l'autorité qui a apposé le sceau/timbre sur l'acte ;
- le lieu où l'apostille est émise ;
- la date à laquelle l'apostille est émise ;
- le nom de l'autorité qui émet l'apostille ;
- le numéro de l'apostille ;
- le sceau et timbre de l'autorité qui émet l'apostille ;
- la signature de l'autorité qui émet l'apostille.

En l'espèce, [R] [I] produit la traduction d’un certificat de naissance ainsi que la copie du document en langue russe qui indique qu’elle est née le 19 mai 1984 à [Localité 8], [Localité 7], [Localité 6] (République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie) de [I] [H] [X], de nationalité russe et de [I] [P] [G], de nationalité russe ; la naissance a été enregistrée le 30 mai 1984 sous le n°71.

Cet acte est revêtu d’une apostille qui porte sur la signature de Me [F] [W] notaire suppléant du district notarial de [Localité 5].

Cet apostille n'authentifie pas la signature de l'officier de l'état civil qui a délivré la copie de l’acte de naissance, dont le nom ne figure d’ailleurs pas sur la traduction de l’acte de naissance, mais celle du notaire qui certifie que la copie est conforme au document authentique.

Dès lors, faute pour l'apostille de répondre aux exigences de l'article 5, alinéa 2, de la convention précitée, cet acte ne peut produire effet en France.

Il s'ensuit que, ne disposant pas d'un état civil fiable et certain, [R] [I] ne peut se voir reconnaître la nationalité française.

Son extranéité sera donc constatée.

Il y a lieu d’ordonner la mention prévue par l’article 28 du Code civil.

Succombant, [R] [I] sera condamnée aux dépens, qui seront recouvrés selon les règles applicables en matière d’aide juridictionnelle. Elle sera déboutée de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort

Constate que le récépissé prévu par l’article 1040 du Code de procédure civile a été délivré ;

Déboute [R] [I] de ses demandes ;

Constate l’extranéité de [R] [I], née le 19 mai 1984 à [Localité 8] (Russie) ;

Ordonne la mention prévue par l’article 28 du Code civil ;

Condamne [R] [I] aux dépens.

AINSI JUGE ET PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 20 JUIN 2024.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 1ère chambre cab2
Numéro d'arrêt : 22/12597
Date de la décision : 20/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-20;22.12597 ?
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