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18/06/2024 | FRANCE | N°21/01261

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 18 juin 2024, 21/01261


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 5]
[Adresse 6]
[Localité 1]


JUGEMENT N°24/02692 du 18 Juin 2024

Numéro de recours: N° RG 21/01261 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YXZS

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Madame [S] [D]
née le 27 Avril 1957 à IRLANDE DU NORD
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Cedric HEULIN, avocat au barreau de MARSEILLE


c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM 13
*
[Localité 2]
représentée par Mme [J] (Inspecteur)




DÉBATS : À l'audien

ce publique du 14 Mars 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : PAWLOWSKI Anne-Sophie, Vice-Présidente

Assesseurs : PFIS...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 5]
[Adresse 6]
[Localité 1]

JUGEMENT N°24/02692 du 18 Juin 2024

Numéro de recours: N° RG 21/01261 - N° Portalis DBW3-W-B7F-YXZS

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Madame [S] [D]
née le 27 Avril 1957 à IRLANDE DU NORD
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Cedric HEULIN, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM 13
*
[Localité 2]
représentée par Mme [J] (Inspecteur)

DÉBATS : À l'audience publique du 14 Mars 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : PAWLOWSKI Anne-Sophie, Vice-Présidente

Assesseurs : PFISTER Laurent
DURAND Patrick

L’agent du greffe lors des débats : AROUS Léa,

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 18 Juin 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

[S] [D] a déclaré une maladie professionnelle le 13 janvier 2020 sur la base d’un certificat médical du jour même faisant mention d’un « épisode dépressif majeur chronicisé déclenché par ses conditions de travail avec vécu de harcèlement moral avec un premier arrêt de travail le 29/3/2017 ».

L’affection n’étant pas désignée dans un tableau de maladies professionnelles, la caisse primaire centrale d’assurance maladie (CPCAM) des Bouches du Rhône a transmis le dossier de [S] [D] au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour examen.

Par avis du 06 août 2020, le CRRMP de la région PACA Corse a rejeté l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie de [S] [D] et son travail habituel.

Par courrier du 14 septembre 2020, la CPCAM a notifié à [S] [D] cet avis défavorable.

Par courrier recommandé avec demande d’avis de réception expédié le 10 mai 2021, [S] [D] a, par l’intermédiaire de son avocat, saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille aux fins de contester la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de la CPCAM des Bouches du Rhône saisie par courrier réceptionné le 08 octobre 2020.

Par décision du 17 décembre 2020, la commission de recours amiable de la CPCAM des Bouches du Rhône a explicitement rejeté le recours introduit devant elle par [S] [D].

Par ordonnance du 17 janvier 2023, le président du pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a, dans le cadre de l’instruction de l’affaire, désigné un second CRRMP (région Grand Est) avec pour mission de :
- dire si l’affection présentée par [S] [D] a été essentiellement et directement causée par son travail habituel,
- dire si cette affection devait être prise en charge sur la base de la législation relative aux maladies professionnelles, hors tableau.

Le CRRMP région Grand Est a rendu son avis le 18 septembre 2023.

L’affaire a été retenue à l’audience du 14 mars 2024.

Par voie de conclusions soutenues oralement par son avocat, [T] [D] demande au tribunal de dire que l’affection dont elle est atteinte a été directement et essentiellement causée par son activité professionnelle habituelle et ses conditions de travail de sorte qu’elle doit être prise en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles. Elle sollicite, en tout état de cause, la condamnation de la CPCAM à lui verser la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par voie de conclusions soutenues oralement par une inspectrice juridique, la CPCAM des Bouches du Rhône conclut au rejet de l’ensemble des demandes de [S] [D].

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé plus ample de leurs prétentions et leurs moyens.

L’affaire a été mise en délibéré au 18 juin 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’existence d’un lien direct et essentiel entre l’affection et le travail habituel

Aux termes de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, peut être reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
La caisse primaire reconnaît alors l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Par avis du 06 août 2020, le CRRMP de la région PACA Corse a rejeté le lien de causalité direct et essentiel entre la pathologie déclarée et l’exposition professionnelle incriminée aux motifs suivants :
« Le comité est interrogé au titre du 7ème alinéa pour affection non inscrite dans un tableau de maladies professionnelles et entraînant un taux prévisible d’incapacité permanente au moins égal à 25 %.

Dans son courrier du 10/02/2020, le psychiatre traitant, qui suit l’assurée depuis plusieurs années, déclare qu’elle a présenté un ‘épisode dépressif majeur chronicisé déclenché par ses conditions de travail avec vécu de harcèlement moral avec premier arrêt de travail le 29/03/2017’.
Arrêt de travail continu à partir du 30/03/2017 pour un ‘burn out’.
Antécédent de dépression d’origine non professionnelle suite au décès de son père il y a 25 ans, avec traitement antidépresseur prescrit jusqu’à 2007 environ, puis nouvel épisode suite au décès de sa mère en 2011/2012. Traitement antidépresseur de nouveau à partir de janvier 2016 suite à un accident de trajet.

Le dossier du médecin du travail, transmis par l’assurée, relate également une séparation conjugale, ainsi que de la peur suite aux attentats de 2015.

Le poste occupé est celui de directrice d’un programme d’étude pour les étudiants américains, en CDI depuis 2001 : accueil des étudiants américains pour suivre des cours en français.
Selon l’assurée, en 2015 le siège à [Localité 7] aurait décidé de mettre en place des nouvelles méthodes de travail, ce qui aurait augmenté la charge de travail, ne permettant pas de récupérer les heures supplémentaires, ce que l’employeur infirme. Concernant la charge de travail, selon l’employeur, elle était importante à chaque début de session puis diminuait, notamment lors des vacances scolaires des étudiants.

Selon l’assurée, les conditions de travail se seraient dégradées avec l’arrivée d’une nouvelle supérieure hiérarchique. Les nombreux témoignages présents dans l’instruction administratives ne sont pas en faveur d’une dégradation de l’ambiance et des conditions de travail qui semblent même indiquer le contraire.

Le contrat de travail de l’assurée a pris fin le 03 avril 2020 suite à un avis d’inaptitude émis par le médecin du travail. Ce dernier conseille un changement de poste hors de France.

L’absence de faits objectifs en faveur d’une organisation délétère dans l’entreprise et l’existence d’antécédents dépressifs d’origine non professionnelle avant l’épisode déclaré en maladie professionnelle, ne permettent pas de retenir un lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et les conditions de travail.

En conséquence, le comité ne retient pas un lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et la profession exercée ».

Par avis du 18 septembre 2023, le CRRMP région Grand Est a également rejeté l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie présentée et l’activité professionnelle réalisée aux motifs suivants :
« Madame [D] a rédigé le 13/01/2020 une demande de reconnaissance de maladie professionnelle hors tableau au titre de l’article L 461-1 du code de la sécurité sociale (épisodes dépressifs), appuyée par un certificat médical initial établi le 13/01/2020 par le docteur [H]. La pathologie est caractérisée avec une première constatation médicale fixée au 30/03/2017 (début d’un arrêt de travail en rapport).

L’intéressée a occupé un poste de directrice de programmes dans l’organisation de séjours pour étudiants étrangers à partir de 2001. La déclarante évoque une surcharge de travail liée à des astreintes téléphoniques et, plus globalement, une dégradation de ses conditions de travail intégrant des difficultés relationnelles avec son employeur, associées à un manque de reconnaissance. Son employeur confirme que Madame [D] pouvait organiser son activité en parfaite autonomie. La lecture attentive de son dossier confirme l’identification de difficultés d’origine personnelle ayant participé à la genèse de la maladie. Prenant en considération l’ensemble de ces facteurs, les membres du CRRMP estiment qu’un lien direct et essentiel ne peut être établi entre la maladie présentée et l’activité professionnelle exercée ».
La CPCAM sollicite l'homologation de ces deux avis.

[S] [D] demande, quant à elle, à ce qu’ils soient écartés. Elle considère en effet qu’elle rapporte la preuve d’un lien direct et essentiel entre la pathologie dont elle est atteinte et son travail habituel.

Conformément aux dispositions de l'alinéa 7 de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale sus-mentionné, la maladie déclarée par [S] [D], dès lors qu’il n’est pas contesté qu’il s’agit d’une maladie « hors tableau », ne peut être reconnue d'origine professionnelle que s'il est établi qu'elle est directement et essentiellement causée par le travail habituel de la victime.

Les deux CRRMP ont rendu des avis défavorables sur ce point.

Néanmoins, dans la mesure où le tribunal n’est pas lié par ces derniers, il lui appartient de déterminer si la pathologie dont est atteinte [S] [D] présente un lien direct et essentiel avec son travail habituel.

Dans son avis, le CRRMP de la région PACA Corse met en exergue des antécédents dépressifs de l’assurée d’origine non professionnelle.

Ceux-ci sont associés toutefois à des événements précis pour certains anciens voire très anciens ; il est en effet question de traitements antidépresseurs prescrits, par épisodes, à la suite du décès de son père en 2005, du décès de sa mère en 2011/2012 et d’un accident de trajet en 2016.

Contrairement à ce que retient ce CRRMP, il y a lieu de considérer par ailleurs que les témoignages recueillis lors de l’enquête administrative permettent d’associer la dégradation des relations de travail de [S] [D] avec l’arrivée d’une nouvelle supérieure hiérarchique, [L] [O]. [N] [R] indique en effet : « j’ai travaillé en tant qu’assistant de programme à temps partiel sous la direction de Madame [D] [S]. Ne me rappelant plus les dates exactes de mon CDD, je peux dire que j’ai occupé ce poste pour une période de dix-huit mois, de l’été 2014 jusqu’à mi-janvier 2016.

Je n’ai jamais rencontré Madame [O] [L] de manière officielle ni eu d’interactions avec elle. Les seules choses dont je peux témoigner relèvent des conditions de travail auxquelles j’ai été soumis et de mes interactions professionnelles avec Madame [D] (…) Souvent, Mme [D] m’envoyait faire des courses pendant ses réunions avec la direction. J’ignorais les sujets de discussion mais à mon retour, je la retrouvais tendue, énervée et frustrée.
(…) Suite aux interactions avec Mme [O], de mon point de vue, Mme [D] perdait petit par petit sa passion. Généralement, avant et après une réunion avec Mme [O], Mme [D] sur les nerfs. Mme [D] faisait preuve de surmenage (…) Je me suis inquiété plusieurs fois après l’avoir retrouvée en larmes dans son bureau ».

[I] [P], fait état, pour sa part, des difficultés qu’elle a personnellement rencontrées avec [L] [O] : « début novembre 2019, Madame [L] [O] a repris la direction du bureau d’[Localité 4]. En quelques semaines, la charge de travail était devenue insupportable.
Une pression constante, des mails en continue et surtout en mettant des doutes sur le travail que j’avais effectué sans reproche pendant presque 3 ans. Cette dégradation des conditions de travail a créé un climat de travail anxiogène et m’a poussé à consulter le médecin du travail fin novembre ».

Si [K] [E] atteste dans son témoignage « avoir eu l’impression, à travers des discussions avec elle, que [[S] [D]] rencontrait des difficultés dans le cadre d’une relation, qui provoquaient des épisodes de dépression l’obligeaient à s’absenter du travail de manière inattendue », ses impressions ne sont toutefois étayées par aucune autre pièce.

Dans le certificat médical initial établi le 13 janvier 2020, le docteur [H] fait correspondre l’épisode dépressif majeur qu’il constate chez l’assuré avec ses conditions de travail, il précise en effet que « l’épisode dépressif majeur chronicisé » de l’assurée a été « déclenché par ses conditions de travail avec vécu de harcèlement moral avec un premier arrêt de travail le 29/03/2017 ».

Enfin, dans l’avis transmis au CRRMP et daté du 29 juin 2020, le médecin du travail, le docteur [M] qualifie de « professionnelle » l’origine de la maladie et précise avoir « réalisé une alerte sur la QVT et notamment les FPS » ainsi qu’une demande de « audit concernant la totalité des agences CEA en France ».

Au regard de ces éléments, et compte tenu notamment de la nature et/ou de l’ancienneté des épisodes dépressifs antérieurs de l’assurée comme de l’absence de cause extra-professionnelle avérée, il convient de considérer que la pathologie de [S] [D] se trouve en lien direct et essentiel avec la dégradation des conditions de travail observées depuis l’arrivée de Madame [L] [O] et ce, indépendamment des mesures prises par cette dernière pour tenir compte des doléances de la salariée.

Par conséquent, il sera fait droit à la demande de [S] [D] et le caractère professionnel de sa pathologie sera reconnu.

Sur les demandes accessoires

En application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens seront laissés à la charge de la CPCAM des Bouches du Rhône.

L’issue du litige justifie de condamner la CPCAM à verser à [S] [D] une somme de 750 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant en audience publique par mise à disposition au secrétariat, par jugement contradictoire et en premier ressort,

FAIT DROIT au recours introduit par [S] [D] et reconnaît le caractère professionnel de sa maladie ;

RENVOIE [S] [D] devant la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône afin qu'elle soit remplie de ses droits ;

LAISSE les dépens à la charge de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône ;

CONDAMNE la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône à verser à [S] [D] une somme de 750 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

RAPPELLE que la présente décision est susceptible d’appel dans le délai d’un mois à compter de sa notification.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 21/01261
Date de la décision : 18/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-18;21.01261 ?
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