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13/06/2024 | FRANCE | N°22/06767

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, 2ème chambre cab3, 13 juin 2024, 22/06767


TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE


JUGEMENT N° 24/783


Enrôlement : N° RG 22/06767 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2EHP

AFFAIRE : Mme [R] [L] épouse [J] (Maître Steven LAYANI de la SARL UNIT AVOCATS) ; Mme [P] [J] (Maître Steven LAYANI de la SARL UNIT AVOCATS) ; Mme [C] [J] (Maître Steven LAYANI de la SARL UNIT AVOCATS)
C/ Association AGPM ASSURANCES (Maître Bernard MAGNALDI)


DÉBATS : A l'audience Publique du 11 Avril 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré

Président : M

adame Anne-Claire HOURTANE
Greffier : Madame Elisa ADELAIDE, lors des débats

A l'issue de laquelle, la date du délibéré ...

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT N° 24/783

Enrôlement : N° RG 22/06767 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2EHP

AFFAIRE : Mme [R] [L] épouse [J] (Maître Steven LAYANI de la SARL UNIT AVOCATS) ; Mme [P] [J] (Maître Steven LAYANI de la SARL UNIT AVOCATS) ; Mme [C] [J] (Maître Steven LAYANI de la SARL UNIT AVOCATS)
C/ Association AGPM ASSURANCES (Maître Bernard MAGNALDI)

DÉBATS : A l'audience Publique du 11 Avril 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré

Président : Madame Anne-Claire HOURTANE
Greffier : Madame Elisa ADELAIDE, lors des débats

A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 13 juin 2024

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024

PRONONCE par mise à disposition le 13 juin 2024

Par Madame Anne-Claire HOURTANE, Juge
Assistée de Madame Elisa ADELAIDE, Greffier

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

NOM DES PARTIES

DEMANDERESSES

Madame [R] [L] épouse [J], agissant en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de [G] [I], née le [Date naissance 3] 2016 à [Localité 6]
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]

représentée par Maître Steven LAYANI de la SARL UNIT AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [P] [J]
née le [Date naissance 2] 2004 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]

représentée par Maître Steven LAYANI de la SARL UNIT AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [C] [J]
née le [Date naissance 4] 2000 à [Localité 6], demeurant [Adresse 5]

représentée par Maître Steven LAYANI de la SARL UNIT AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

C O N T R E

DEFENDERESSE

Compagnie AGPM ASSURANCES, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié audit siège, dont le siège social est sis [Adresse 9]

représentée par Me Bernard MAGNALDI, avocat au barreau de MARSEILLE

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 27 avril 2018 aux environs de 22h45, Monsieur [O] [J], conducteur d’un véhicule PEUGEOT 206 a été victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule RENAULT CLIO conduit par Monsieur [M] [Y] et assuré auprès de la compagnie AGPM Assurances.

Alors que les deux véhicules circulaient dans le même sens de circulation sur la route départementale de [Localité 7] en direction du [Localité 8], le véhicule PEUGEOT 206 conduit par Monsieur [O] [J] a entrepris de dépasser le véhicule RENAULT CLIO conduit par Monsieur [M] [Y]. Les deux véhicules se sont alors percutés. Tandis que la RENAULT CLIO s’arrêtait quelques mètres plus loin sur la chaussée, la PEUGEOT 206 a terminé sa course en choc frontal contre un arbre situé en bordure de voie sur le côté opposé.

Monsieur [H] [K], arrivé en voiture sur les lieux de l’accident quelques minutes après la survenance de celui-ci, a alerté les secours qui ont entrepris de désincarcérer Monsieur [O] [J], dont le décès a été médicalement constaté à 23h50.

Diverses investigations ont été entreprises, dont une expertise automobile confiée à Monsieur [N] [E].

Les circonstances et causes de l’accident et de ses conséquences font l’objet de discussions entre les parties, en particulier quant à l’origine du choc entre les deux véhicules et à l’incidence des modifications apportées à son véhicule par Monsieur [O] [J] (tuning), passionné d’automobile.

Par acte d’huissier signifié le 06 juillet 2022, Madame [R] [J] née [L], mère de la victime, agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de sa fille mineure Madame [G] [I], et les deux autres soeurs de la victime Madame [P] [J] et Madame [C] [J] ont fait assigner devant ce tribunal la société d’assurance mutuelle à cotisations variables AGPM Assurances aux fins de la voir condamner à les indemniser des préjudices subis du fait du décès de Monsieur [O] [J].

1. Dans leurs conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 24 octobre 2023, Madame [R] [J] née [L], agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de Madame [G] [I], Madame [P] [J] et Madame [C] [J] sollicitent du tribunal, au visa de la loi du 5 juillet 1985 et de l’article 25 de la loi du 21 décembre 2006, et sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :

- condamner la société TEGO-AGPM-AGPM à payer à Madame [R] [J] la somme de 4.108,40 euros au titre des frais d’obsèques,

- condamner la société TEGO-AGPM-AGPM à payer :
- la somme totale de 65.000 euros à Madame [R] [J] en réparation de l’ensemble de ses préjudices,
- la somme totale de 30.000 euros à Madame [P] [J] au titre de l’ensemble de ses préjudices,
- la somme totale de 30.000 euros à Madame [C] [J] au titre de l’ensemble de ses préjudices,
- la somme de 15.000 euros à Madame [G] [I] au titre de son préjudice d’affection,
- condamner la société TEGO-AGPM-AGPM à payer à Madame [R] [J] les intérêts au double du taux légal portant sur la somme de l’indemnisation définitive, pendant la période ayant couru du 27 avril 2018 jusqu’au jour où la décision à intervenir sera devenue définitive,
- condamner la société TEGO-AGPM-AGPM au paiement de la somme totale de 2.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Steven LAYANI représentant la SARL UNIT AVOCATS.

2. Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 02 octobre 2023, la société d’assurance mutuelle à cotisations variables AGPM Assurances demande au tribunal, au visa des articles 1 à 5 de la loi du 5 juillet 1985, de :

- à titre principal, rejeter l’ensemble des demandes indemnitaires en l’état de la faute commise par Monsieur [O] [J], exclusive de tout droit à indemnisation et opposable aux héritiers,
- en tout état de cause, rejeter toute demande du chef d’un préjudice d’attente et d’inquiétude,
- rejeter toutes autres demandes comme non fondées.

Il est expressément référé, en application de l'article 455 du Code de procédure civile, à l’acte introductif d’instance et aux conclusions des parties pour connaître plus avant des faits, ainsi que de leurs moyens et prétentions.

La clôture de l’instruction de l’affaire a été prononcée par ordonnance du 05 février 2024.

Lors de l'audience du 11 avril 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs observations, et l'affaire mise en délibéré au 23 mai 2024, prorogé au 13 juin 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT

I - Sur le droit à indemnisation

Il résulte des dispositions de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 que la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis.

Il appartient au juge d'apprécier si la faute du conducteur victime a pour effet de limiter l'indemnisation ou de l'exclure : pour ce faire, il n'a pas à rechercher si cette faute est la cause exclusive de l'accident, mais si elle a contribué à son dommage. La faute de la victime en relation avec son dommage doit être appréciée en faisant abstraction du comportement de l'autre conducteur impliqué.

La faute de la victime est opposable à ses ayants-droit.

En l’espèce, la famille [J] soutient qu’en l’état de l’enquête de police et du rapport d’expertise automobile de Monsieur [N] [E], les circonstances exactes de l’accident sont indéterminées, de sorte que le droit à indemnisation de Monsieur [O] [J] est entier.

L’assureur AGPM Assurances conclut pour sa part à une faute de Monsieur [O] [J] exclusive de son droit à indemnisation.

A titre liminaire, il convient de relever que l’existence d’une discussion sur les circonstances de l’accident et le comportement fautif ou non de Monsieur [O] [J] ne correspondent pas en l’espèce à une hypothèse de circonstances indéterminées, en l’état notamment de l’expertise automobile qui analyse de façon détaillée l’accident.

Il y a lieu de souligner, de prime abord, qu’ont été écartées les hypothèses de conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou de stupéfiants, de conduite en faisant usage d’un télephone portable, ou encore en circulant à une vitesse excessive. En effet, contrairement à ce que laisse entendre la compagnie AGPM Assurances, il résulte des conclusions de l’expert automobile que Monsieur [O] [J] circulait avant sa manoeuvre de dépassement à une vitesse de 85 km/h n’excédant pas la vitesse de 90 km/h autorisée sur cette voie. La vitesse mesurée lors de la collision avec l’arbre était d’environ 73 km/h. Ainsi, si les passagères des deux véhicules impliqués ont pu évoquer une vitesse élevée du véhicule de Monsieur [O] [J], aucun excès de vitesse n’est démontré en l’espèce, ni n’a été retenu pas l’expert comme ayant eu un rapport causal dans l’accident.

Il n’est pas contesté que la manoeuvre de dépassement était autorisée sur cette portion de route, soit sur une ligne droite faisant suite à un virage et dépourvue de ligne blanche continue. En outre, il n’a pas été clairement retenu par l’expert de manoeuvre, sinon interdite, à tout le moins dangereuse au regard de la configuration de temps et de lieux, en lien avec l’accident.

Enfin, c’est à bon droit que la famille [J] relève que le fait pour Monsieur [O] [J] d’avoir été verbalisé le 25 mars 2018 pour avoir roulé à 79 km/h sur une portion limitée à 50 km/h est sans aucune incidence sur la preuve des circonstances de l’accident, alors même que l’hypothèse d’un excès de vitesse a de surcroît été écartée.

Le débat est pertinent en ce qu’il porte principalement sur deux points qui ont été relevés pendant l’enquête au vu des témoignages recueillis et soumis à l’expert automobile.

En premier lieu, les déclarations des protagonistes de l’accident sont divergentes quant aux circonstances du choc intervenu entre les deux véhicules. En effet, le véhicule PEUGEOT 206 de Monsieur [O] [J] a percuté sur son avant droit la porte conducteur du véhicule CLIO de Monsieur [M] [Y].

La passagère du véhicule PEUGEOT 206 conduit par Monsieur [O] [J], sa compagne Madame [D] [X], a affirmé que le véhicule RENAULT CLIO qu’ils étaient en train de doubler s’est déporté et a percuté leur véhicule.

Monsieur [H] [K], témoin indirect comme arrivé sur les lieux de l’accident après la survenance de celui-ci, a rapporté des propos conformes de Madame [X], et a soutenu que Monsieur [M] [Y], conducteur du véhicule CLIO, lui aurait indiqué avoir effectué un “petit coup de volant involontaire” pour redresser son véhicule qui partait dans le caniveau sur la droite, “poussant un peu” le véhicule PEUGEOT 206 à cette occasion.

Monsieur [M] [Y] a pour sa part toujours nié cette version des faits, y compris en étant expressément interrogé sur les déclarations de Monsieur [K]. Il a affirmé s’être déporté sur la droite pour faciliter le passage du véhicule PEUGEOT 206, mais ne s’être à aucun moment déporté sur la gauche, ni avoir “mordu” sur le bord de la chaussée sur la droite. Sa passagère et compagne Madame [A] [Z] a également contesté toute manoeuvre de la part de Monsieur [Y], soutenant à l’inverse que c’est le véhicule de Monsieur [J] qui aurait été à l’origine du choc, en se rabattant sur leur véhicule lors de la manoeuvre de dépassement.

L’expert a pour sa part été conduit, aux termes de son analyse incluant une reconstitution virtuelle de l’accident, à conclure que “l’hypothèse d’un déport de la RENAULT CLIO venant ainsi couper la route de la PEUGEOT 206 ne peut être retenue. Outre le caractère suicidaire d’une telle manoeuvre sur une route ne faisant que 4,15 m de large, les stigmates présents sur les deux voitures nous indiquent que dans ce cas la PEUGEOT 206 aurait été projetée quasiment à la perpendiculaire en direction du fossé. Or les rainurages au sol occasionnés lors de sa dérive dans l’accotement attestent de l’inverse.”

Ce faisant, il a écarté toute manoeuvre de Monsieur [M] [Y] qui serait à l’origine du choc et donc de l’accident.

La cause du choc entre les deux véhicules est notée dans l’exposé que fait l’expert des circonstances de l’accident : “Le conducteur de la PEUGEOT 206 avait entamé une phase de dépassement du véhicule RENAULT qui se trouvait devant lui. Lors de ce dépassement il avait perdu le contrôle de son véhicule et était venu percuter avant son avant droit le côté gauche de la RENAULT Clio qui se trouvait convenablement sur sa voie de circulation”.

L’expert ne fournit pas davantage d’explications sur ce point. Les déclarations des protagonistes de l’accident ne mettent pas en évidence un défaut de maîtrise de Monsieur [J].

Il ne résulte ainsi pas de ces constatations la démonstration d’une faute de conduite de Monsieur [O] [J] ayant provoqué la survenance de l’accident.

En second lieu, il résulte des déclarations des proches de la victime comme des constatations des policiers intervenus sur les lieux, puis de l’analyse détaillée de l’expert automobile, que Monsieur [O] [J], passionné d’automobile et pilote de rallye, avait procédé avec l’aide de son grand-père à de nombreuses et importantes modifications sur son véhicule.

Les parties s’opposent sur les conséquences à en tirer, en particulier dans la survenance de l’accident et du décès de la victime.

L’expert, à l’issue de son analyse des deux véhicules, a soutenu ne pas avoir “pu mettre en évidence de dysfonctionnement d’ordre mécanique ou d’entretien ayant pu avoir une incidence directe dans la survenance de l’accident”.

Cependant, il a été conduit à relever que le véhicule PEUGEOT 206 était dans un état général correct mais “conséquemment modifié”, précisant que “de nombreux accessoires et équipements de sécurité avaient été remplacés afin de le “tuner” et lui rendre un look “racing”(...)”. L’expert a procédé à l’énumération exhaustive de ces nombreux aménagements ; il est renvoyé au rapport pour plus ample exposé.

L’expert a en particulier relevé le fait que “les pneumatiques ne correspondaient pas aux préconisations du constructeur car leur dimension et leur indice de charge étaient inférieurs. Ils rendaient ainsi le véhicule non-conforme au code de la route au regard de l’article R59. En complément ils présentaient une usure plus qu’avancée”.

Si cet élément est de nature à caractériser une faute de la part de la victime, il n’est toutefois aucunement indiqué par l’expert que cette non-conformité aurait eu un quelconque lien de causalité avec la survenance de l’accident.

En revanche, l’expert a pu relever, par ailleurs, au nombre des modifications apportées au véhicule, l’absence d’airbag au niveau du siège conducteur du fait de l’installation d’un volant de type course qui en était dépourvu, ainsi que la défaillance de la fixation de la ceinture et du siège baquet du conducteur du véhicule.

Il a pu énoncer que l’accident s’est décomposé en trois collisions successives : la première entre les deux véhicules, la deuxième entre le véhicule PEUGEOT 206 et l’arbre et la dernière entre le corps de la victime et la colonne de direction, en raison de l’arrachement de la vis de fixation de la boucle de ceinture de sécurité lors de la collision contre l’arbre.

Monsieur [E] a clairement conclu que les dégâts constatés dans l’habitacle conducteur de la PEUGEOT 206 “ont plus été occasionnés par le corps de la victime que par la collision secondaire contre l’arbre elle-même” : il a soutenu que “la mauvaise fixation de la ceinture et l’absence d’Airbags lui auront été fatals. La passagère attachée a été préservée”- l’expert ayant noté plus haut que l’Airbag du passager s’était déclenché lors de l’accident.

Sur ce dernier point, il ne saurait être soutenu par les consorts [J] que le fait que la compagne de [O] [J] ait survécu et ait été préservée de blessures plus graves s’explique seulement par le fait que le choc entre le véhicule et l’arbre ait impacté l’avant gauche du véhicule. L’expert a expressément mis en cause le défaut de sécurité du siège conducteur en comparaison du siège passager, au regard de la présence ou de l’absence d’un airbag et d’une ceinture de sécurité correctement fixée.

En considération de tous ces éléments, il ne peut qu’être constaté que si les modifications apportées par Monsieur [J] à son véhicule ne sont pas mises en cause par l’expert comme ayant été à l’origine du choc générateur de l’accident, celles-ci ont indiscutablement contribué de façon significative à la violence du choc subi par la victime lors des collisions successives, cette dernière s’étant retrouvée privée des mécanismes de sécurité propres à limiter le risque de décès ou de blessures graves.

Il est ainsi établi une faute de Monsieur [O] [J] qui a contribué à son dommage, étant rappelé qu’il n’est pas nécessaire d’établir qu’elle en a été la cause exclusive.

En revanche, il y a lieu de tenir compte de ce qu’il n’est pas établi avec certitude que cette faute ait causé le choc initial, qui a pour partie causé le dommage subi par la victime, en provoquant la collision secondaire avec l’arbre puis la collision interne subie entre Monsieur [J] et le tableau de bord de son véhicule.

En conséquence, le droit à indemnisation de Monsieur [O], s’il ne sera pas intégralement exclu, sera limité à 50 %.

II - Sur les demandes indemnitaires

1) Sur le préjudice des frais d’obsèques

Sont susceptibles d’être indemnisés les frais d’obsèques et de sépulture engagés par les proches dès lors qu’il est justifié de leur coût.

En l’espèce, Madame [R] [J] communique la facture acquittée justifiant des frais d’obsèques assumés.

L’assureur AGPM concentre sa défense sur le droit à indemnisation et le préjudice d’attente et d’inquiétude sans émettre de réserve expresse sur ce poste de préjudice.

Il sera fait droit à cette demande, en tenant toutefois compte de la limitation du droit à indemnisation de Monsieur [O] [J], opposable à ses proches. Madame [R] [J] se verra ainsi allouer la somme de 2.054,20 euros de ce chef.

2) Sur le préjudice d’affection

Le préjudice d’affection est le préjudice moral subi par les proches à la suite du décès de la victime directe. S’il convient d’indemniser systématiquement les parents les plus proches, le préjudice est d’autant plus important qu’il existait une communauté de vie avec la victime.

En l’espèce, il est incontestable que Madame [R] [J] a subi un préjudice moral du fait du décès brutal de son fils aîné, âgé de vingt ans à peine. Il résulte en outre des procès-verbaux d’enquête que Monsieur [O] [J] vivait chez sa mère au moment de l’accident. Aucune précision ni pièce n’est fournie s’agissant des soeurs cadettes de la victime comme le relève l’assureur, mais une telle communauté pourrait se déduire de leurs âges respectifs (moins de 2 ans, 14 et 18 ans) au moment de l’accident, leur proximité avec leur frère étant, en tout état de cause, indiscutable et corroborée par les photographies communiquées.

L’assureur AGPM ne remet pas expressément en cause le principe d’un préjudice d’affection des victimes, qui apparaît caractérisé en raison de la profonde douleur nécessairement ressentie par la mère et les jeunes soeurs de la victime.

Celui-ci sera évalué de la manière suivante :
- Madame [R] [J] : 30.000 euros,
- Mesdames [C], [P] [J] et [G] [I] : 15.000 euros chacune.

Il sera tenu compte de la réduction du droit à indemnisation de Monsieur [O] [J] de sorte que les indemnités seront dues à hauteur de 15.000 euros pour la mère de la victime et 7.500 euros pour chacune de ses soeurs.

3) Sur le préjudice d’attente et inquiétude

Les proches d'une personne, qui apprennent que celle-ci se trouve ou s'est trouvée exposée, à l'occasion d'un événement, individuel ou collectif, à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, éprouvent une inquiétude liée à la découverte soudaine de ce danger et à l'incertitude pesant sur son sort.

La souffrance, qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposée au péril et qui naît de l'attente et de l'incertitude, est en soi constitutive d'un préjudice directement lié aux circonstances contemporaines de l'événement.

Ce préjudice, qui se réalise ainsi entre la découverte de l'événement par les proches et leur connaissance de son issue pour la personne exposée au péril, est, par sa nature et son intensité, un préjudice spécifique qui ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement.

En l’espèce, les proches de Monsieur [O] [J] soutiennent avoir été informés de l’accident quelques minutes après sa survenance, sans en connaître l’issue. Ils précisent qu’après avoir été transporté par les marins pompiers au service des urgences, Monsieur [J] est décédé de ses blessures.

Cependant, s’il est absolument incontestable que l’annonce du décès de Monsieur [J] a causé un préjudice très important à sa mère et à ses soeurs cadettes, il ne peut être considéré que les conditions d’indemnisation d’un préjudice d’attente et inquiétude tel que défini ci-dessus sont réunies en l’espèce, ainsi que le relève l’assureur AGPM.

En effet, contrairement à ce qui est indiqué, le décès de Monsieur [O] [J] a été médicalement constaté dès sa désincarcération du véhicule soit une heure après la survenance de l’accident - Monsieur [K] ayant indiqué aux enquêteurs qu’il n’avait pas senti le pouls de la victime lors de son arrivée sur les lieux dans les minutes qui ont suivi le choc, de sorte qu’il ne peut pas davantage être fait état d’un préjudice d’angoisse de mort imminente de la victime dont ses proches pourraient se prévaloir.

Il ne résulte d’aucun des procès-verbaux d’enquête qu’auraient été faites à la famille de la victime deux annonces successives, d’une part de l’accident et d’autre part du décès, ni par les policiers ou services de secours, ni par la compagne de Monsieur [J], laquelle a été transportée à l’hôpital. Le temps qui a séparé l’accident de la constatation du décès a en outre été très court.

Si la peine des proches de la victime n’est pas niée, les demandes formées pour ce poste de préjudice seront rejetées, faute d’être suffisamment caractérisées.

III - Sur la demande de doublement de l’intérêt légal

L’article L211-9 du code des assurances fixe les délais dans lesquels l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d'un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter une offre à la victime de l’accident.

L’article L211-13 du même code dispose que lorsque l'offre n'a pas été faite dans les délais impartis à l'article L. 211-9, le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l'assureur.

En l’espèce, les proches de Monsieur [J] se prévalent de ces dispositions pour réclamer une sanction de l’assureur AGPM faute d’offre émise dans les délais prescrits.

Cependant, l’article L211-9 susdit impose à l’assureur de formuler une offre dans le cas où la responsabilité n'est pas contestée, ce qui n’est de toute évidence pas le cas en l’espèce, alors que l’assureur a toujours opposé aux proches de [O] [J] la faute de celui-ci comme cause d’exclusion de son droit à indemnisation.

Cette demande ne pourra qu’être rejetée.

Sur les autres demandes
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la compagnie AGPM Assurances, partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens de la présente procédure, distraits au profit de Maître Steven LAYANI représentant la SELARL UNIT AVOCATS par application de l’article 699 du code de procédure civile.

En l’état d’un litige qui a dû être tranché par la présente décision de justice, il convient de condamner la compagnie AGPM à payer aux proches de Monsieur [O] [J] une somme qu’il convient toutefois de ramener à 1.800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Enfin, il convient de rappeler que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision, en vertu des articles 514 et suivants du code de procédure civile. Aucun motif n’impose d’en disposer autrement, en particulier au vu de l’ancienneté des faits.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, en matière civile ordinaire, en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Dit que le comportement fautif de Monsieur [O] [J] ayant contribué à son dommage emporte réduction de son droit à indemnisation à hauteur de 50%,

Rappelle que cette réduction est opposable à ses ayants-droit,

Condamne la société d’assurance mutuelle à cotisations variables AGPM Assurances à payer à Madame [R] [J] née [L] les sommes de :
- 2.504,20 euros (deux mille cinq cent quatre euros et vingt centimes d’euros) au titre de son préjudice personnel de frais d’obsèques,
- 15.000 euros (quinze mille euros) au titre de son préjudice personnel d’affection,
- 7.500 euros (sept mille cinq cent euros) au titre du préjudice personnel d’affection de sa fille mineure [G] [I], en qualité de représentante légale de cette dernière,

Condamne la société d’assurance mutuelle à cotisations variables AGPM Assurances à payer à Madame [P] [J] la somme de 7.500 euros (sept mille cinq cent euros) au titre de son préjudice personnel d’affection,

Condamne la société d’assurance mutuelle à cotisations variables AGPM Assurances à payer à Madame [C] [J] la somme de 7.500 euros (sept mille cinq cent euros) au titre de son préjudice personnel d’affection,

Déboute Madame [R] [J] née [L], Madame [P] [J] et Madame [C] [J] de leurs demandes au titre d’un préjudice d’attente inquiétude,

Déboute Madame [R] [J] née [L] de sa demande de doublement de l’intérêt légal,

Condamne la société d’assurance mutuelle à cotisations variables AGPM Assurances à payer à Madame [R] [J] née [L], agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure [G] [I], Madame [P] [J] et Madame [C] [J] la somme totale de 1.800 euros (mille huit cent euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société d’assurance mutuelle à cotisations variables AGPM Assurances aux entiers dépens d’instance, distraits au profit de Maître Steven LAYANI représentant la SARL UNIT Avocats,

Rappelle que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.

AINSI JUGÉ ET PRONONCÉ PAR MISE À DISPOSITION AU GREFFE DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE TREIZE JUIN DEUX MILLE VINGT-QUATRE.

LA GREFFIRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : 2ème chambre cab3
Numéro d'arrêt : 22/06767
Date de la décision : 13/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs en accordant des délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-13;22.06767 ?
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