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12/06/2024 | FRANCE | N°22/02158

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 12 juin 2024, 22/02158


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
Caserne du Muy
CS 70302 – 21 rue Ahmed Litim
13331 Marseille cedex 03


JUGEMENT N°24/02635 du 12 Juin 2024

Numéro de recours: N° RG 22/02158 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2LNE

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [N] [R]
né le 01 Février 1969 à [Localité 8] (MAROC)
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 1]
représenté par Me Dominique FERRATA, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDEUR
Monsieur [G] [X]
né le 28 Décembre 1951 à [Localité 9] (VAL-DE-

MARNE)
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Pierre OBER, avocat au barreau de TOULON

Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHE...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
Caserne du Muy
CS 70302 – 21 rue Ahmed Litim
13331 Marseille cedex 03

JUGEMENT N°24/02635 du 12 Juin 2024

Numéro de recours: N° RG 22/02158 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2LNE

AFFAIRE :
DEMANDEUR
Monsieur [N] [R]
né le 01 Février 1969 à [Localité 8] (MAROC)
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 1]
représenté par Me Dominique FERRATA, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDEUR
Monsieur [G] [X]
né le 28 Décembre 1951 à [Localité 9] (VAL-DE-MARNE)
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Pierre OBER, avocat au barreau de TOULON

Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
[Localité 2]
dispensée de comparaître

DÉBATS : À l'audience publique du 03 Avril 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : MEO Hélène, Première Vice-Présidente

Assesseurs : PESCE-CASTELLA Catherine
AMIELH Stéphane

L’agent du greffe lors des débats : MULLERI Cindy

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 12 Juin 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE

Le 22 septembre 2017, [N] [R], salarié de [G] [X] depuis le 1er mars 2016 en qualité d'employé de maison, a été victime d'un accident de travail décrit dans la déclaration effectuée le jour de l'accident par l'employeur comme suit : " Activité de la victime : relevé des compteurs eau+EDF, gestion locative + état des lieux. Nature de l'accident : Agression physique-violences volontaires- plainte ".

Le certificat médical initial établi le même jour par le service des urgences de l'hôpital [7] mentionne la présence de cervicalgies, dorsalgies et lombalgies.

Cet accident du travail a été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels par la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône qui a déclaré l'état d'[N] [R] consolidé le 7 mai 2021, lui attribuant un taux d'incapacité permanente partielle (ci-après IPP) de 19 %.

[N] [R] a saisi la CPCAM des Bouches-du-Rhône d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de [G] [X]. Un procès-verbal de non-conciliation a été établi par l'organisme le 6 janvier 2022.

Par courrier recommandé expédié le 18 août 2022, [N] [R], par l'intermédiaire de son conseil, a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, [G] [X], dans la survenance de l'accident du travail du 22 septembre 2017.

Les parties ont été convoquées à une audience de mise en état le 29 novembre 2023 au cours de laquelle un calendrier de procédure a été établi, puis les débats ont été clôturés avec effet différé au 20 mars 2024 et les parties ont été convoquées à une audience de plaidoirie du 3 avril 2024.

[N] [R], représenté par son conseil qui reprend oralement ses dernières conclusions en réponse et récapitulatives, demande au tribunal, au bénéfice de l'exécution provisoire, de :
dire et juger que l'accident dont il a été victime est dû à la faute inexcusable de son employeur, [G] [X], en ce qu’il a manqué à son obligation de sécurité de résultat ;En conséquence :
ordonner la majoration de la rente à son taux maximum ;désigner un médecin-expert pour l'examiner et évaluer les préjudices qu'il a subis avec la mission détaillée dans ses conclusions ; lui allouer une provision de 50.000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel ;condamner [G] [X] à lui verser une provision à valoir sur ses frais d'expertise à hauteur de 4.000 € ;condamner l'employeur au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, [N] [R] rappelle le déroulement des faits, à savoir que, le jour de l'accident, il a été victime d'une agression de la part de [P] [B], locataire de son employeur, qui exerce une activité de gestion de biens immobiliers.
Il soutient en premier lieu que son employeur avait conscience du danger auquel il l'exposait puisqu'il avait déposé une première plainte à l'encontre de ce locataire 10 jours auparavant pour avoir fourni de faux bulletins de salaires et de travail à l'appui de la conclusion de son bail d'habitation, et en raison des plaintes des autres locataires sur son activité de trafic et de vente frauduleuse de tabac à l'intérieur des locaux loués. Il ajoute qu'il a, deux jours avant les faits, déposé une main courante indiquant avoir reçu des menaces de violences de la part de [P] [B] à la suite de son dépôt de plainte et que son employeur chez lequel il résidait ne pouvait ignorer.
Il estime que son employeur n'a pas pris les moyens pour le protéger puisqu'il est intervenu à sa demande dans l'immeuble [Adresse 4] dans lequel réside [P] [B] pour contrôler des compteurs d'eau et d'électricité.

[G] [X], représenté à l'audience par son conseil, soutient oralement ses dernières écritures en sollicitant du tribunal de :
dire et juger qu'[N] [R] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute inexcusable ;débouter purement et simplement [N] [R] de l'ensemble de ses demandes ;le condamner à lui verser une indemnité de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il conteste en premier lieu l'existence d'un lien salarial entre les parties et avoir établi un contrat de travail à [N] [R], lui reprochant d'en avoir été à l'initiative en précisant avoir eu connaissance de la déclaration de l'accident du travail qu'en 2019 quand la CPCAM des Bouches-du-Rhône l'a contacté. Il précise avoir accepté à la demande de ce dernier une reconnaissance de faute inexcusable, une lettre de licenciement et un certificat de travail afin de mettre fin à ces agissements.
S'agissant de la présente procédure, [G] [X] fait valoir qu'il n'avait pas conscience de la dangerosité de ce locataire puisque la plainte portait uniquement sur des faux de sorte que l'agression n'était pas prévisible.

La CPCAM des Bouches du Rhône, dispensée de comparaître, aux termes de ses écritures régulièrement communiquées aux parties en amont de l'audience, s'en rapporte à l'appréciation du tribunal quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et demande que [G] [X] soit expressément condamné à lui rembourser la totalité des sommes dont elle sera tenue d'assurer par avance le paiement, si la faute inexcusable était reconnue. Elle demande par ailleurs que la décision à intervenir soit déclarée commune et opposable à la compagnie d'assurance GAN, assurer de l'employeur.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux écritures des parties pour un exposé plus ample de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS

Sur la qualité d'employeur de [G] [X]

L'action en reconnaissance de faute inexcusable ne peut être exercée que contre l'employeur qui demeure tenu des obligations résultant d'une telle faute.

[N] [R] produit un contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er mars 2016 au terme duquel [G] [X] l'a embauché en qualité de secrétaire particulier et de chauffeur avec les missions suivantes :
assurer les déplacements pour les rendez-vous médicaux et professionnels;assurer la gestion des tâches administratives courantes personnelles ou professionnelles ;établir et suivre la gestion courante des contrats de location pour les immeubles Curiol et Corneille ;établir toutes déclarations utiles auprès des organismes.
[G] [X], s'il prétend dans le cadre de ses écritures ne pas être à l'origine de l'établissement de ce contrat de travail, n'en tire toutefois aucune conséquence dans le cade de cette procédure.
Il indique par ailleurs dans ses conclusions qu'[N] [R], en contrepartie de l'hébergement à titre gratuit à son domicile et au regard de ses problèmes de santé, lui apportait un soutien et une aide pour l'accompagner à ses rendez-vous médicaux, pour les tâches ménagères et pour la gestion locative de ses deux immeubles.

Le demandeur produit toutefois plusieurs courriers que [G] [X] ne conteste pas avoir écrit dans le cadre de la saisine de la caisse en reconnaissance de sa faute inexcusable tout en assurant que ce n'était que sous la dictée d'[N] [R]. Ainsi, dans la réponse qu'il a effectuée à la CPCAM des Bouches-du-Rhône, il a qualifié [N] [R] de son employé.
Par courrier daté du 14 octobre 2021, suite à la reconnaissance de l'inaptitude d'[N] [R], il lui a signifié la fin de son contrat en calculant son solde de toute compte et a rédigé à cette même date un certificat de travail.

La relation de travail entre les parties a par ailleurs été reconnue par la cour d'appel d’Aix-en-Provence, dans son arrêt définitif du 4 novembre 2022, aux termes duquel elle a considéré que la contestation soulevée par [G] [X] sur l'authenticité du contrat de travail ne revêtait pas un caractère sérieux et considéré que les nombreux autres éléments produits par [N] [R] (bulletins de salaires établis par l'URSSAF dans le cade du dispositif CESU sur lequel l'employeur payait des charges sociales, lettre de rupture du contrat de travail et certificat de travail, nombreux témoignages circonstanciés) établissaient au contraire l'existence d'un lien de subordination entre Messieurs [R] et [X], et permettaient de retenir l'existence d'un contrat de travail.

En dernier lieu, il résulte de la pièce n°9 produite par le demandeur que [G] [X] a adressé un mail le 30 octobre 2017 à son courtier d'assurance afin de lui déclarer " l'agression de son employé en date du 22/09/17 " et le questionnant sur l'engagement de sa responsabilité.

Dès lors, l'accident du travail est bien intervenu dans le cadre de l'exécution du contrat de travail du 1er mars 2016.

Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui ci d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne tant les accidents du travail que les maladies professionnelles.

L'employeur a, en particulier, l'obligation de veiller à l'adaptation de ces mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Les articles R. 4121-1 et R. 4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452 1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie (de l'accident) du salarié. Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Il incombe au demandeur de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur et qu'aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir.

Enfin, la conscience du danger exigée de l'employeur est analysée in abstracto et ne vise pas une connaissance effective de celui-ci. En d'autres termes, il suffit de constater que l'auteur " ne pouvait ignorer " celui-ci ou " ne pouvait pas ne pas [en] avoir conscience " ou encore qu'il aurait dû en avoir conscience. La conscience du danger s'apprécie au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.

En l'espèce, les circonstances de l'accident de travail sont déterminées et non contestées. Elles sont relatées non seulement dans la déclaration d'accident de travail mais également dans le dépôt de plainte effectuée le 25 septembre 2017 par [N] [R].

Sur la conscience du danger

Il résulte des éléments produits que [G] [X] a déposé plainte le 12 septembre à l'encontre de [P] [B] en l'accusant d'avoir produit de faux documents à l'appui de son contrat de bail, et en informant les services de police que les autres locataires l'ont averti de ce qu'il se livrerait à un trafic et une vente frauduleuse au détail de tabac.

Le 20 septembre 2017, [N] [R], se présentant comme mandaté par le propriétaire de l'appartement au [Adresse 4], s'est présenté au commissariat de police pour déposer une main courante en indiquant que suite à la plainte déposée par le propriétaire à l'encontre de [P] [B], ce dernier l'a contacté sur son téléphone portable la veille et l'a menacé de venir lui " casser la gueule si de notre côté on ne retirait pas la plainte […] ". Il ajoute qu'il l'a également menacé de venir mettre le feu à l'immeuble, puis qu'après ces menaces il a escaladé le 1er étage et cassé une vitre de son appartement pour entrer à l'intérieur.

Il ne se déduit pas de ces éléments que [G] [X] avait conscience de la violence de son locataire dans la mesure où, d'une part, le dépôt de plainte qu'il a effectué portait sur l'établissement de faux documents et la suspicion d'un trafic de cigarettes et non pas sur une atteinte aux personnes et, d'autre part, la main courante a été effectuée par [N] [R] qui relate des propos menaçants que [P] [H] aurait tenu à son endroit, de sorte qu'il n'est pas établi que [G] [X] en avait connaissance, le fait qu'[N] [R] était hébergé par son employeur n'étant pas en soi suffisant pour établir que [G] [X] était informé de ces appels et de ces menaces commises quelques jours avant l'agression.

Le courrier rédigé par [G] [X] le 22 avril 2019 à l'attention de l'Assurance Maladie, qui décrit [P] [W] comme " dangereux et pernicieux ", ne peut être pris en considération dans la mesure où établi après l'agression, il ne peut permettre de démontrer que lors de la commission de celle-ci il avait conscience du danger encouru par son salarié.

Dès lors, [N] [R] échoue à rapporter la preuve que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé.

Par conséquent, [N] [R] sera débouté de l'intégralité de ses demandes.

Sur les demandes accessoires

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La nature du présent jugement justifie de ne pas l'assorti l'exécution provisoire

[N] [R], succombant, supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, statuant après débats publics, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

DÉCLARE [N] [R] recevable mais mal-fondé en son action ;

DÉBOUTE [N] [R] de l'intégralité de ses demandes ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision ;

CONDAMNE [N] [R] aux dépens ;

DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être formé dans le mois de la réception de sa notification.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 22/02158
Date de la décision : 12/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-12;22.02158 ?
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