TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N°
Enrôlement : N° RG 22/04881 - N° Portalis DBW3-W-B7G-Z7JA
AFFAIRE : M. [W] [T] (Me Audrey SELLES-GILOT)
C/ Compagnie d’assurance AXA FRANCE IARD (l’ASSOCIATION WILSON/DAUMAS) ; Organisme CPAM DES BOUCHES-DU-RHONE ()
DÉBATS : A l'audience Publique du 12 Avril 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré
Président : Madame Stéphanie BERTHELOT
Greffier : Madame WANDA FLOC’H, lors des débats
A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 07 Juin 2024
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2024
PRONONCE par mise à disposition le 07 Juin 2024
Par Madame Stéphanie BERTHELOT,
Assistée de Madame WANDA FLOC’H, Greffier
NATURE DU JUGEMENT
réputée contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDEUR
Monsieur [W] [T], agissant en qualité d’ayant droit de [T] [K], né le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 8] et décédé le [Date décès 6] 2018
né le [Date naissance 3] 1956 à ALGÉRIE, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Audrey SELLES-GILOT, avocat au barreau de MARSEILLE
C O N T R E
DEFENDERESSES
Compagnie d’assurance AXA FRANCE IARD, dont le siège social est sis [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
représentée par Maître Philippe DAUMAS de l’ASSOCIATION WILSON/DAUMAS, avocats au barreau de MARSEILLE
Organisme CPAM DES BOUCHES-DU-RHONE, dont le siège social est sis [Adresse 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
défaillant
EXPOSE DU LITIGE
Le [Date décès 6] 2018, Monsieur [K] [T] est décédé dans un accident de la circulation, passager transporté d’un véhicule assuré auprès de la société AXA FRANCE.
Le Docteur [S], désigné par protocole d’accord amiable, a déposé son rapport le 22 septembre 2021.
Par actes d’huissiers de justice signifiés le 6 mai 2022, Monsieur [W] [T], père de Monsieur [K] [T], a fait citer la société AXA ASSURANCES pour qu’elle soit condamnée à réparer, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, les préjudices subis à la suite de l’accident de la circulation précité, ainsi que la CPAM DES BOUCHES DU RHONE.
Par conclusions du 2 décembre 2022, Monsieur [T] sollicite que lui soient accordées, en réparation de son préjudice, les sommes suivantes :
I) Préjudices Patrimoniaux
I-A) Préjudices patrimoniaux temporaires
- Frais divers694, 29 euros
I - B) Préjudices patrimoniaux permanents
- Préjudice économique futur ..............................................50 000 euros
Et subsidiairement 20 000 euros
- Dépenses de santé futures....................................................38 400 euros
II) Préjudices extra-patrimoniaux
II-A) Préjudices extra-patrimoniaux temporaires
- Souffrances endurées50 000 euros
- Préjudice d’angoisse de mort imminente.............................20 000 euros
- Perte de chance de survie..................................................30 000 euros
II-B) Préjudices extra-patrimoniaux permanents
- Préjudice d’affection..............................................................50 000 euros
SOIT AU TOTAL239 094, 29 euros
Monsieur [T] demande en outre au tribunal de :
- condamner la société AXA ASSURANCES à lui payer la somme de
2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
- dire et juger n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
- condamner la société AXA ASSURANCES aux entiers dépens dont distraction.
Au soutien de ses prétentions, Monsieur [T] fait valoir que :
- il est fondé à réclamer l’indemnisation des préjudices subis par son fils avant son décès.
- Monsieur [K] [T] n’est pas mort sur le coup, mais à l’hôpital.
- il justifie d’un lien affectif avec son fils.
- le commerce qu’il tenait avec son fils a été fermé suite au décès.
- il doit continuer à suivre des soins de psychothérapie, non remboursées par la SECURITE SOCIALE.
- Monsieur [K] [T] n’est décédé que de nombreuses minutes après l’accident ; il a été confronté à l’imminence de sa mort prochaine.
- la perte de la chance de vivre plus longtemps est indemnisable.
Par conclusions notifiées le 1er août 2022, la société AXA FRANCE IARD ne conteste pas le droit à indemnisation de Monsieur [T] mais sollicite :
- que soit réservé le poste des souffrances endurées dans l’attente de la production d’une attestation de dévolution successorale,
- le débouté concernant la demande portant sur le préjudice économique futur, les soins futurs et le préjudice d’angoisse de mort imminente,
- la réduction des prétentions émises,
- le rejet de la demande formulée en vertu de l’article 700 du CPC et des dépens.
- l’exclusion de l’exécution provisoire ou sa limitation.
Elle estime que :
- aucun élément comptable n’est communiqué.
- l’existence d’une perte financière n’est pas démontrée.
- il n’est pas justifié de la fermeture du commerce.
- le poste occupé par le défunt aurait pu être occupé par une autre personne.
- Monsieur [T] ne justifie pas de la fréquence de ses consultations de prise en charge psychologique.
- aucun élément n’atteste qu’un suivi serait toujours en cours ou serait nécessaire jusqu’à la fin de ses jours.
- il n’est pas démontré que la victime serait restée suffisamment consciente pour envisager sa propre fin.
- compte-tenu de ses blessures, Monsieur [T] était inconscient au moment de son transfert à l’hôpital.
- elle a tout fait pour résoudre le litige à l’amiable.
L’organisme social bien que régulièrement mis en cause ne comparaît et ne fait pas connaître le montant de ses débours.
La clôture a été prononcée le 8 mars 2024.
Il est expressément référé, en application de l'article 455 du Code de procédure civile, à l’exploit introductif d instance et aux conclusions pour connaître des faits, moyens et prétentions des parties.
Lors de l'audience du 12 avril 2024, les conseils des parties entendus en leurs observations, l'affaire a été mise en délibéré au 7 juin 2024.
MOTIFS DU JUGEMENT
Sur le droit à indemnisation
La société AXA ASSURANCES ne conteste pas devoir indemniser Monsieur [T] des conséquences dommageables de l’accident du [Date décès 6] 2018 dans lequel son fils a trouvé la mort.
Sur le montant de l’indemnisation
Aux termes non contestés du rapport d’expertise, l’accident a entraîné pour la victime, les conséquences médico-légales suivantes :
- un déficit fonctionnel temporaire total du 7 au [Date décès 6] 2018
- des souffrances endurées qualifiées de 3,5/7
I) Les Préjudices Patrimoniaux
I-A) Les Préjudices Patrimoniaux Temporaires
Les frais divers :
Les frais divers sont représentés par le transfert des parts sociales de la société commerciale familiale et les frais notariés d’acte de notoriété, soit la somme non contestée de 694, 29 euros.
I-B) Les Préjudices Patrimoniaux Permanents
Le préjudice économique de Monsieur [W] [T]
Monsieur [T] expose qu’il exploitait une pizzeria avec son fils, qui occupait la fonction de gérant.
Il verse au débat une attestation du chiffre d’affaire réalisé en 2018.
Hormis durant les mois de novembre 2018 et mars 2019, le chiffre d’affaire mensuel reste compris dans une fourchette de 3 484 euros à 5 903 euros.
Il n’est donc pas démontré que le commerce aurait été fermé, que ce soit temporairement ou définitivement.
Il n’est pas justifié du devenir de cette activité après le mois de juillet 2019.
Dès lors, la perte de revenus de Monsieur [T] n’est pas établie, et sa demande sera rejetée.
Les soins futurs
Le demandeur soutient qu’il devra s’astreindre à un suivi psychologique, non pris en charge par la CPAM, jusqu’à la fin de ses jours.
Il produit un certificat médical rédigé le 9 décembre 2019 par un médecin psychiatre exerçant auprès d’un hôpital situé dans le département de l’ORNE, alors que l’adresse indiquée à la procédure est située à [Localité 7], ainsi que le lieu d’exploitation du restaurant.
Monsieur [T] ne démontre pas avoir poursuivi de suivi psychologique postérieurement au mois de décembre 2019.
Il ne démontre pas non plus que des dépenses exposées à ce titre seraient restées à sa charge.
Dès lors, cette demande sera rejetée.
II) Les Préjudices Extra Patrimoniaux
II-A) Les Préjudices Extra-Patrimoniaux Temporaires
Les souffrances endurées :
En sa qualité de père de la victime, Monsieur [W] [T] est fondé à réclamer l’indemnisation des préjudices subis par son fils.
La société AXA ASSURANCES n’est pas fondée à exiger la production d’un certificat de dévolution successorale, le lien de filiation entre la victime et le demandeur n’étant pas contesté.
Les souffrances endurées fixées par l’expert à 3,5/7 seront indemnisées par le versement de la somme de 12 000 euros.
Le préjudice d’angoisse de mort imminente
Le préjudice d'angoisse de mort imminente ne peut être constitué que pour la période postérieure à l'accident jusqu'au décès.
Il n’est pas contesté que Monsieur [K] [T] n’est pas décédé immédiatement lors de l’accident, mais un peu plus d’une heure plus tard, à l’hôpital.
Cependant, les seuls éléments produits n’établissent pas que Monsieur [T] était conscient entre le choc de l’accident et son décès quelques dizaines de minutes plus tard, à l’hôpital, alors qu’il souffrait d’un traumatisme crânio-facial sévère avec fracture de l’orbite droite et fracture de la base.
Par ailleurs, le rapport d’expertise médicale reproduit en page 2 le certificat médical initial, qui fait état d’un score de GLASGOW à 3.
L’expert note en page 4 que la victime présentait des lésions gravissimes au niveau encéphallique.
En l’absence de démonstration d’un état de conscience, l’angoisse de la mort n’est pas caractérisée, et cette demande sera rejetée.
La perte de chance de survie
Le demandeur invoque le préjudice lié à la perte de chance de son fils de n’avoir pas vécu plus longtemps.
Cependant, la perte de sa vie ne fait en elle même naître aucun droit à réparation dans le patrimoine de la victime.
En conséquence, la somme de 10 000 euros offerte par la société AXA ASSURANCES sera jugée satisfactoire.
II-B) Les Préjudices Extra-Patrimoniaux Permanents
Le préjudice d’affection :
Monsieur [T] est fondé à réclamer l’indemnisation du préjudice moral personnel résultant du brusque et prématuré décès de son fils.
En considération du jeune âge de ce dernier (25ans), et des circonstances de son décès, la somme de 25 000 euros lui sera allouée, en l’absence de démonstration que le fils et son père résidait dans le même foyer au moment de l’accident.
RÉCAPITULATIF
- frais divers694, 29 euros
- souffrances endurées12 000 euros
- perte de chance de survie10 000 euros
- préjudice d’affection25 000 euros
TOTAL47 694, 29 euros
PROVISION A DÉDUIRE7 000 euros
RESTE DU40 694, 29 euros
En application de l’article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.
Sur les demandes accessoires
L'article 514 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue de l'article 3 du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 applicable aux instances introduites après le 1er janvier 2020 prévoit que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision n’en dispose autrement.
Il n'y a pas lieu en l'espèce d'écarter l'exécution provisoire de droit.
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la société AXA ASSURANCES, partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens de la présente procédure, dont distraction.
Monsieur [T] ayant exposé des frais pour obtenir la reconnaissance de ses droits, il est équitable de condamner la société AXA ASSURANCES à lui payer la somme de 1 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, l’offre d’indemnisation émise n’incluant pas le poste des souffrances endurées.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
Statuant par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire, en matière civile ordinaire, en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Rejette la demande de Monsieur [W] [T] formée au titre du préjudice économique futur.
Rejette la demande de Monsieur [W] [T] formée au titre des dépenses de santé futures.
Rejette la demande de Monsieur [W] [T] formée au titre du préjudice d’angoisse de mort imminente.
Rejette la demande tendant à réserver le poste des souffrances endurées.
Condamne la société AXA ASSURANCES à payer avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement à Monsieur [W] [T] :
- la somme de 40 694, 29 euros en réparation de son préjudice corporel, et ce déduction faite de la provision précédemment allouée,
- la somme de 1 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Déclare le présent jugement commun et opposable à la CPAM des Bouches du Rhône.
Juge qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision .
Condamne AXA ASSURANCES aux entiers dépens, avec distraction au profit de Maître Audrey SELLES-GILLOT, avocat, sur son affirmation de droit.
AINSI JUGE ET PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA DEUXIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT-QUATRE.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE