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30/05/2024 | FRANCE | N°22/01792

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 30 mai 2024, 22/01792


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 1]


JUGEMENT N°24/02494 du 30 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 22/01792 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2G66

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Madame [C] [G]
née le 04 Juillet 1977 à [Localité 5] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Aurélie GROSSO, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Julie OKON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE


c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM 13
[Local

ité 2]
représentée par Mme [B] [K] (Inspecteur juridique), munie d’un pouvoir régulier


DÉBATS : À l'audience publique du 12 Février 2024...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 1]

JUGEMENT N°24/02494 du 30 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 22/01792 - N° Portalis DBW3-W-B7G-2G66

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
Madame [C] [G]
née le 04 Juillet 1977 à [Localité 5] (BOUCHES-DU-RHONE)
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Aurélie GROSSO, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Julie OKON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM 13
[Localité 2]
représentée par Mme [B] [K] (Inspecteur juridique), munie d’un pouvoir régulier

DÉBATS : À l'audience publique du 12 Février 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : DEPARIS Eric, Vice-Président

Assesseurs : JAUBERT Caroline
AMELLAL Ginette

Lors des débats : ELGUER Christine, Greffier

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 30 Mai 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE :

Le 30 juillet 2021, Mme [C] [G], préparatrice en pharmacie au sein de la société [7] depuis le 15 juillet 2003, a régularisé une déclaration de maladie professionnelle selon certificat médical initial du docteur [J] [M] en date du 16 juin 2021 constatant un « syndrome canalaire du nerf ulnaire coude gauche».

Après enquête administrative, la caisse primaire d’assurance maladie (ci-après CPAM) des Bouches-du-Rhône a considéré que les tâches que remplissaient Mme [C] [G] ne rentraient pas dans la liste limitative du tableau n°57 du régime général et a saisi le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (ci-après CRRMP) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur Corse pour avis.

Après avis défavorable dudit CRRMP en date du 7 mars 2022, la CPAM des Bouches-du-Rhône a notifié à Mme [C] [G], par courrier du 10 mars 2022, sa décision de refus de prise en charge de sa pathologie au titre de la législation professionnelle.

Mme [C] [G] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la CPAM des Bouches-du-Rhône par courrier du 18 mars 2022 dont la commission a accusé réception le 5 avril.

Par requête expédiée le 5 juillet 2022, Mme [C] [G] a saisi, par l’intermédiaire de son conseil, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d’un recours à l’encontre de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.

Par ordonnance du 26 juillet 2022, le tribunal a désigné le CRRMP de la région Nouvelle-Aquitaine afin de recueillir un second avis en application de l’article R. 142-17-2 du code de la sécurité sociale.

Le 31 août 2023, ce comité a également rendu un avis défavorable.

Les parties ayant été régulièrement convoquées après une phase de mise en état, l’affaire a été appelée à l'audience du 12 février 2024.

En demande, Mme [C] [G], reprenant oralement et par l’intermédiaire de son conseil les termes de ses dernières écritures, sollicite le tribunal aux fins de :

- Constater que la pathologie dont elle souffre est inscrite au tableau n°57 de l’annexe II tableaux des maladies professionnelles ;
- Constater que la pathologie dont elle souffre a été contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau ;
- Juger qu’il existe un lien direct entre la pathologie dont elle souffre et les gestes/postures de travail ;
- Déclarer recevable et bien fondée sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle ;
- Constater le caractère professionnel de sa maladie ;
- Condamner la CPAM des Bouches-du-Rhône à lui payer la somme de 2.000 euros au titre du préjudice moral subi ;
- Condamner la CPAM des Bouches-du-Rhône à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, Mme [C] [G] fait principalement valoir qu’elle rapporte la preuve d’une exposition habituelle aux postures pathogènes telles qu’énumérées par le tableau n°57 du régime général de sorte que le caractère professionnel de son affection doit être reconnu.

En défense, la CPAM des Bouches-du-Rhône, représentée à l’audience par un inspecteur juridique habilité, reprend oralement les termes de ses dernières conclusions et demande au tribunal de bien vouloir :

- La recevoir en ses conclusions ;
- Entériner l’avis du CRRMP de Nouvelle-Aquitaine et par là même le refus de prise en charge de la maladie professionnelle du 11 janvier 2021 de Mme [G] par notification du 10 mars 2022 ;
- Débouter Mme [G] de son recours et de toutes ses demandes.

Au soutien de ses prétentions, la CPAM des Bouches-du-Rhône fait principalement valoir que Mme [G] ne démontre pas avoir accompli de manière habituelle des mouvements de flexion forcée du coude ni avoir été contrainte de s’appuyer de manière prolongée sur la face postérieure de son coude gauche de sorte que sa décision de refus de prise en charge de l’affection au titre de la législation professionnelle est bien fondée.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé plus ample de leurs moyens et prétentions.

L'affaire a été mise en délibéré au 30 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le caractère professionnel de la maladie de Mme [G]

Il résulte des dispositions de l'article L.461-1 alinéa 4 du code de la sécurité sociale qu'est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Aux termes de l’alinéa 5, si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Dans ce cas, la caisse reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un CRRMP.

Le tableau n°57 du régime général concerne la prise en charge des affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail.

S’agissant du syndrome canalaire du nerf ulnaire dans la gouttière épitrochléo-olécrânienne, le tableau prévoit un délai de prise en charge de 90 jours à la condition que soit démontrée une durée d’exposition de 90 jours ainsi que la réalisation de travaux comportant habituellement des mouvements répétitifs et/ou des postures maintenues en flexion forcée ou des travaux comportant un appui prolongé sur la face postérieure du coude.

Il est constant que si l’avis d’un CRRMP s’impose toujours à la caisse, il ne saurait s’imposer au juge du fond dans son appréciation souveraine du caractère professionnel de la pathologie en cause.

En l’espèce, dans le cadre de l’enquête administrative diligentée par ses soins, la CPAM des Bouches-du-Rhône a considéré qu’il n’était pas démontré que Mme [G] avait réalisé, de manière habituelle, les travaux tels que limitativement énumérés par le tableau n°57 du régime général.

Il ressort ainsi du procès-verbal de constatation du 4 janvier 2022 qu’à l’issue d’une observation de plus de 5 minutes de Mme [G] à son poste de travail, l’agent assermenté de la CPAM des Bouches-du-Rhône n’a pas constaté l’accomplissement de « mouvements répétitifs en flexion forcée » ni de « postures maintenues en flexion forcée » ni enfin « d’appui prolongé sur la face postérieure du coude ».

Le CRRMP de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur Corse, consulté par la caisse dans le cadre de son instruction, a rendu un avis défavorable sur le lien direct pouvant exister entre l’affection litigieuse et l’activité professionnelle de Mme [G] au motif que:

« L’intéressé attribue son canal ulnaire à la préparation des piluliers et à ses gestes répétitifs pour sortir les comprimés de l’emballage et des alvéoles.

Il ressort de l’observation qu’aucun mouvement en flexion forcée du coude gauche ni appui prolongé n’est produit ; donc le canal épitrochléo-olécranien n’est pas comprimé.

En conséquence, le comité ne retient pas un lien direct entre la pathologie déclarée et la profession exercée ».

Dans le cadre du présent litige, le tribunal a consulté le CRRMP de la région Nouvelle-Aquitaine qui a également rendu un avis défavorable au motif que :

« Au vu de l’étude des éléments figurant au dossier soumis aux membres du CRRMP, le comité considère que les sollicitations du coude gauche sont ponctuelles et que les gestes décrits sont variés et sans caractères spécifiques par rapport à la pathologie déclarée ».

Il ressort cependant de la description des travaux tels qu’énumérés par le tableau n°57 du régime général que l’exposition au risque de développement d’un syndrome du canal ulnaire est caractérisée par la démonstration de l’accomplissement habituel de mouvements de flexion répétée du coude, ou de flexion en force du coude ou d’appui prolongé sur le coude.

Il n’est pas nécessaire que les mouvements répétés de flexion du coude aient été accomplis de manière forcée.

Or, à l’appui de sa demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, Mme [G] fait justement valoir que la quasi-totalité de son temps de travail hebdomadaire depuis 2016 était occupé à constituer en moyenne 170 piluliers à destination de pensionnaires d’établissement de santé et qu’elle était affectée à des tâches de saisie informatique sur son temps de travail restant.

Mme [G] avance que ces tâches l’obligeaient à des gestes répétitifs incluant une posture fréquente en flexion des coudes.

Au soutien de ses prétentions, elle produit l’avis en date du 17 avril 2019 du docteur [I] [L], chirurgien orthopédique du centre de chirurgie de la main du Pays d’Aix, précisant que :

« Ce qui est sûr, c’est que le geste répétitif est directement à l’origine du problème ; que [Mme [G]] doit faire une déclaration de maladie professionnelle et arrêter de faire ce travail immédiatement ».

Elle produit également une attestation du docteur [J] [M], son médecin traitant, en date du 16 juin 2021 aux termes duquel :

« Je, soussignée [J] [M], docteur en médecine, certifie avoir vu ce jour en consultation Mme [G] [C]. J’effectue ce jour une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour cette patiente présentant un syndrome canal ulnaire coude gauche. Patiente droitière, préparatrice en pharmacie et plus précisément préparant des piluliers avec des gestes répétitifs pour sortir les comprimés de l’emballage, gestes nécessitant pouces, poignets et coudes droit et gauche ».

Elle verse enfin l’avis du docteur [H] [N], expert en évaluation du dommage corporel, en date du 23 janvier 2024, qui constate :

« Il est bien entendu très difficile de préciser combien de fois les gestes particulièrement sollicitant pour les membres supérieurs étaient réalisés chaque jour, mais le remplissage d’un seul pilulier nécessitait de toute évidence une gestuelle répétitive dans un laps de temps court qu’on pourrait estimer entre 20 et 100 fois selon les ordonnances pour des pensionnaires prenant de 3 à 14 comprimés par jour.

Au minimum, 30 à 40 piluliers étaient confectionnés, chaque jour de travail pouvant donc générer la réalisation du geste plusieurs milliers de fois.

La contestation de Madame [G] dans le cadre du litige l’opposant à la CPAM nous semble bien fondée, il nous semble nécessaire d’insister sur la description gestuelle, sur le poste de travail, et sur l’intensité de la répétition de l’ordre de plusieurs milliers de fois par jour, ce qui n’a pas été pris en compte par les membres du comité.

La pathologie du nerf cubital n’est pas exclusivement en rapport avec des mécanismes d’hyper-sollicitation mais à l’inverse, les hyper-sollicitations peuvent favoriser le développement de cette pathologie ».

Le tribunal relève qu’il ressort de l’instruction diligentée par la CPAM des Bouches-du-Rhône que l’employeur confirme la description du poste telle que déclarée par Mme [G] à savoir 4,5 heures par jour de travaux de confection de piluliers et 1,5 heure de travaux de saisie informatique.

Les photos prises dans le cadre de l’observation du poste de travail de Mme [G] par l’agent assermenté de la CPAM des Bouches-du-Rhône présentent l’assurée en position de déblistage des comprimés au-dessus du réceptacle où il est possible de constater une posture de flexion prolongée des coudes.

Il n’est enfin pas contesté que Mme [G] a été déclarée inapte à son poste de travail sans reclassement possible en juin 2023.

Il s’évince de la combinaison de l’ensemble de ces éléments que Mme [G] démontre avoir été exposée de manière habituelle aux postures pathogènes telles que limitativement énumérées par le tableau n°57 du régime général.

Dans ces conditions, le caractère professionnel de la maladie de Mme [G] sera reconnu et cette dernière sera renvoyée devant la CPAM des Bouches-du-Rhône afin d’être remplie de ses droits.

Sur la demande d’indemnisation au titre du préjudice moral

Le tribunal relève que Mme [G] ne développe aucun moyen au soutien de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral qu’elle prétend avoir subi.

Dans ces conditions, Mme [G] sera déboutée de sa demande.

Sur les demandes accessoires

En application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la CPAM des Bouches-du-Rhône, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance.

Enfin, en raison de motifs tirés de considérations d’équité, il sera dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats publics par jugement contradictoire et en premier ressort mis à disposition au greffe,

DECLARE recevable le recours de Mme [C] [G],

DIT que la maladie de Mme [C] [G], déclarée le 30 juillet 2021 suivant certificat médical initial du 6 juin 2021, est d’origine professionnelle ;

RAPPELLE que la présente décision a vocation à se substituer aux décisions de la CPAM des Bouches-du-Rhône ;

RENVOIE Mme [C] [G] devant la CPAM des Bouches-du-Rhône afin d’être remplie de ses droits ;

DEBOUTE Mme [C] [G] de sa demande d’indemnisation au titre de son préjudice moral ;

DIT n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la CPAM des Bouches-du-Rhône aux dépens de l’instance.

DIT que tout appel de la présente décision doit être formé, sous peine de forclusion, dans le délai d’un mois à compter de la réception de sa notification, conformément aux dispositions de l'article 538 du Code de procédure civile.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.

Notifié le :

LA GREFFIERE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 22/01792
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;22.01792 ?
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