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28/05/2024 | FRANCE | N°19/03138

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 28 mai 2024, 19/03138


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]


JUGEMENT N°24/01671 du 28 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 19/03138 - N° Portalis DBW3-W-B7D-WHM5

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
S.A.S. [6]
[Adresse 7]
[Localité 2]
représentée par Me Morgane COURTOIS D’ARCOLLIERES, avocat au barreau de PARIS


c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM DE L’EURE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
non comparante, ni représentée



DÉBATS : À l'audience publiqu

e du 26 Mars 2024


COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : MEO Hélène, Première Vice-Présidente

Assesseurs : KASBARIAN Nicol...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]

JUGEMENT N°24/01671 du 28 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 19/03138 - N° Portalis DBW3-W-B7D-WHM5

AFFAIRE :
DEMANDERESSE
S.A.S. [6]
[Adresse 7]
[Localité 2]
représentée par Me Morgane COURTOIS D’ARCOLLIERES, avocat au barreau de PARIS

c/ DEFENDERESSE
Organisme CPAM DE L’EURE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
non comparante, ni représentée

DÉBATS : À l'audience publique du 26 Mars 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : MEO Hélène, Première Vice-Présidente

Assesseurs : KASBARIAN Nicolas
OUDANE Radia

L’agent du greffe lors des débats : LAINE Aurélie,

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 28 Mai 2024

NATURE DU JUGEMENT

réputée contradictoire et en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE
Par courrier en date du 26 juin 2017, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Eure (ci-après CPAM de l’Eure) a avisé la SAS [6] de la prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur [P] [L] au titre du tableau n° 98 sur la base d’une déclaration de maladie professionnelle en date du 14 octobre 2016, accompagnée d’un certificat médical faisant état d’une lombosciatique avec hernie discale L4L5.

Par courrier en date du 23 aout 2017, la SAS [6] a saisi la Commission de recours amiable de la CPAM de l’Eure d’une contestation afin que la reconnaissance de la maladie professionnelle de son salarié lui soit déclarée inopposable.

La commission de recours amiable de la CPAM de l’Eure a rendu une décision explicite de rejet le 25 janvier 2019, notifiée au conseil de la SAS [6] le 5 février 2019.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 mars 2019, reçue le 1er avril 2019, la SAS [6] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille d’un recours aux fins d’inopposabilité de la reconnaissance de la maladie professionnelle déclarée par son salarié.

L’affaire a été appelée pour plaidoirie à l’audience du 26 mars 2024.

Aux termes de ses conclusions en réponse et récapitulatives, soutenues oralement à l’audience, la SAS [6], représentée par son conseil, fait valoir que la caisse ne justifie pas que la condition liée à la désignation de la maladie visée dans le tableau n°98 a été caractérisée lors de l’instruction de la demande de son salarié.

La SAS [6] fait précisément valoir que les pathologies visées par le tableau des maladies professionnelles n° 98 exigent l’existence d’une « atteinte radiculaire de topographie concordante » et que, ni le certificat médical initial présenté par son salarié ni même le colloque médico-administratif, ne fait état d’une « atteinte radiculaire de topographie concordante ». La SAS [6] expose par ailleurs qu’il incombait au médecin-conseil de fonder son avis favorable à la reconnaissance de la maladie professionnelle sur un élément médical extrinsèque, absent en l’espèce, dans la mesure ou le libellé du certificat médical initial ne correspondrait pas au tableau n° 98 des maladies professionnelles.

La CPAM de l’Eure n’était ni présente ni représentée bien que régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 15 janvier 2024.
Elle a toutefois communiqué ses écritures au demandeur de sorte qu’il sera fait application, comme le prévoit l’article R142-10-4 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable pour les recours introduits entre le 1er janvier 2019 et le 1er janvier 2020, du second alinéa de l’article 446-1 du code de procédure civile selon lequel « Lorsqu'une disposition particulière le prévoit, les parties peuvent être autorisées à formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit sans se présenter à l'audience. Le jugement rendu dans ces conditions est contradictoire. Néanmoins, le juge a toujours la faculté d'ordonner que les parties se présentent devant lui. »
Dans ses écritures, la Caisse a sollicité la confirmation de la décision prise par la commission de recours amiable le 25 janvier 2019 et le rejet des demandes de la société [6].
Elle expose qu’elle justifie de ce qu’un colloque médico-administratif a été réalisé dans le cadre du présent dossier. S’agissant de la désignation de la maladie, elle rappelle que l’article L461-5 du code de la sécurité sociale n’exprime nullement la volonté du législateur d’imposer au médecin consulté par l’assuré la reprise à la lettre des énoncés des tableaux de maladie professionnelle et rappelle que le texte évoque au contraire « un certificat indiquant la nature de la maladie notamment les manifestations mentionnées au tableau et constatées ainsi que les suites probables » de sorte que l’utilisation de l’adverbe « notamment » et non pas « précisément » implique que le médecin n’a pas à décrire dans le détail et en exhaustivité l’ensemble des manifestations de la maladie au regard du tableau.
Elle ajoute qu’il appartient au médecin conseil de la Caisse de déterminer si la pathologie inscrite au certificat médical relève bien du tableau en case sans être tenu par le libellé retenu par le médecin traitant sur le certificat médical initial. Elle précise que dans ce cadre le médecin conseil s’est positionné lors du colloque médico-administratif en qualifiant la pathologie de « sciatique par hernie discale L4-L5 », que dans le tableau 98, il n’existe que 2 pathologies et notamment la sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 qui est obligatoirement avec atteinte radiculaire de topographie concordante de sorte qu’aucune confusion n’est possible.

L’affaire a été mise en délibéré au 28 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande en inopposabilité de la reconnaissance de la maladie professionnelle

L’article L461- 1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose :
« Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau ».
Il est constant que la charge de la preuve de la réunion des conditions exigées par l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pèse sur l'organisme social lorsque ce dernier a décidé d'une prise en charge contestée par l'employeur. A défaut, la prise en charge doit être déclarée inopposable à l'employeur.
Enfin, il est de jurisprudence constante que lorsque le certificat médical ne comporte pas toutes les énonciations requises pour caractériser la désignation médicale de la maladie prévue par le tableau, les énonciations du médecin conseil dans le colloque médico-administratif peuvent suppléer à cette carence à condition d’être fondées sur un élément médical extrinsèque ( Cass., 2e Civ., 21 octobre 2021, pourvoi n° 20-15.641 ; Cass., 2e Civ., 6 janvier 2022, pourvoi n° 20-14.868).

Il est de jurisprudence constante que pour être prise en charge au titre d’un tableau, la maladie doit être définie par les éléments de description et les critères d'appréciation fixés par ce tableau. La maladie déclarée doit dès lors correspondre à celle décrite au tableau, avec tous ses éléments constitutifs.

L’interprétation des tableaux est stricte, mais non restrictive de sorte que, comme le souligne justement la demanderesse, il appartient aux juges du fond à rechercher si l'affection déclarée correspond à la pathologie désignée par le tableau, sans s'arrêter à la désignation de la maladie telle que retenue par le certificat médical initial,afin d’éviter des inopposabilités exclusivement fondées sur des motifs terminologiques ou lexicaux qui ne correspondent pas à l’esprit du texte.
Ainsi, en présence d’un certificat médical imprécis, les juges du fond doivent rechercher si d’autres éléments ne permettent pas d’affirmer que la pathologie déclarée correspond à celle désignée dans le tableau.

L’avis du médecin-conseil apparaît, à cet égard, comme une pièce décisive. Encore faut-il que cet avis soit suffisamment étayé et qu’il mentionne les éléments médicaux sur lesquels il s’appuie.
En l’espèce, le certificat médical initial en date du 12 aout 2016 présenté par le salarié de la SAS [6] mentionne une « sciatique avec hernie discale L4-L5 et L5-S1 ».
Pour sa part, le tableau n° 98 des maladies professionnelles vise l’affection suivante :
« Sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante ».

La lecture de l’avis favorable émis par le médecin conseil de la Caisse lors du colloque médico-administratif en date du 1er juin 2017, pièce produite par la SAS [6], fait apparaitre les éléments suivants :

Accord du médecin conseil sur le diagnostic figurant sur le CMI : « oui »
Date de première constatation médicale : 10. 05. 2016
Document (s) ayant permis de fixer la date de la première constatation médicale de la maladie déclarée : « Arrêt de travail »
Code syndrome : 098AAM51A
Libellé complet du syndrome : « sciatique par hernie discale L4-L5 »
Conditions médicales réglementaires du tableau remplie : « sans objet ».
L’exposition au risque telle que prévue au titre du tableau est-elle prouvée : « oui »
Respect du délai de prise en charge : « oui »
Respect de la liste limitative des travaux : « oui »

Si le médecin-conseil n'est pas tenu par les termes du certificat médical initial et peut considérer que la pathologie concernée relève bien du tableau n°98 des maladies professionnelles, il lui incombe toutefois d’assoir une telle conclusion sur un élément médical extrinsèque, c’est-à-dire extérieure au certificat médical initial en date du 12 aout 2016.

Or, en l’espèce, le médecin conseil n'a non seulement pas repris littéralement le libellé complet de la pathologie, en reprenant l’énoncé de la maladie mentionnée sur le certificat médical initial qui diffère du libellé de la maladie figurant sur le tableau n° 98 des maladies professionnelles, mais s’est fondé uniquement sur l’arrêt de travail soit le certificat médical initial, qui ne peut à ce titre constituer une pièce médicale extrinsèque, pour caractériser la maladie professionnelle déclarée.

Or, le tableau n° 98 des maladies professionnelles, objet du litige, vise les affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention manuelle de charges lourdes. L’affection désignée par le tableau est la “sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante” ainsi que la “radiculalgie crurale par hernie discale L2-L3 ou L3-L4 ou L4-L5, avec atteinte radiculaire de topographie concordante”.
L’atteinte radiculaire de topographie concordante renvoie à la cohérence entre le niveau de la hernie et le trajet de la douleur.

La jurisprudence rendue en application de ce tableau démontre que les conditions de désignation de la maladie doivent être scrupuleusement vérifiées par les juges du fond.

Dès lors, selon le libellé actuel du tableau et en l’état de la doctrine médicale, la sciatique par hernie discale L4-L5 ou L5-S1 avec atteinte radiculaire de topographie concordante implique la réalisation d’imagerie médicale de sorte que l’atteinte radiculaire de topographie concordante telle qu’exigée par le tableau n°98 des maladies professionnelles n’est pas en l’espèce suffisamment caractérisée au regard du libellé du certificat médical initial repris par le médecin conseil lors du colloque médico-administratif. C’est effectivement en ce sens qu’a statué la 2ème chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2020 n° 19-13.851.

Il sera par ailleurs souligné que la loi du 27 janvier 1993 a prévu un système complémentaire de reconnaissance en maladie professionnelle pour des pathologies graves révélant un taux d’IPP prévisible au moins égale à 25% non inscrites dans un tableau ou qui ne répondent pas aux critères des tableaux.

Dès lors, c’est à tort que la Caisse estime qu’aucune confusion n’est possible à partir du moment où le médecin conseil a désigné la maladie comme une sciatique par hernie discale L4-L5.

Il s’ensuit que la SAS [6] est bien fondée dans son recours de sorte. Il convient dès lors de lui déclarer inopposable la décision en date du 26 juin 2017 de la CPAM de l’Eure ayant reconnu le caractère professionnel de la pathologie déclarée le 12 aout 2016 par son salarié, Monsieur [P] [L], au titre du tableau n°98 des maladies professionnelles.

Sur les dépens

En application de l'article 696 du Code de procédure civile, la partie succombant à l'instance en supporte les dépens. Par conséquent, les dépens de l’instance seront mis à la charge de la CPAM de l’EURE.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant, après débats publics, par jugement, mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,

FAIT DROIT à la demande de la SAS [6] en inopposabilité de la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'affection déclarée le 12 aout 2016 par Monsieur [P] [L] auprès de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches du Rhône et notifiée le 26 juin 2017 ;
DECLARE inopposable avec toutes conséquences de droit, la décision du 26 juin 2017 de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Eure ayant reconnu le caractère professionnel de la pathologie déclarée le 12 août 2016 par son salarié, au titre du tableau n°98 des maladies professionnelles ;

Condamne la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Eure aux dépens de l’instance

Dit que tout appel de la présente décision doit être formé dans le délai d’un mois à compter de la réception de sa notification.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 19/03138
Date de la décision : 28/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-28;19.03138 ?
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