TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION B
JUGEMENT N°
Enrôlement : N° RG 21/06211 - N° Portalis DBW3-W-B7F-Y6NG
AFFAIRE :
S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT venant aux droits du CIFRAA (SELARL PHARE AVOCATS)
C/
[R] [Z], [C] [O], S.C. BE-MA (SELARL LESCUDIER & ASSOCIES)
Rapport oral préalablement fait
DÉBATS : A l'audience Publique du 09 Février 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats
Président : HERBONNIERE Isabelle, Première Vice-Présidente adjointe
GARNIER Patricia, Juge
BERBIEC Alexandre, Juge
Greffier : FAVIER Lindsay
A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 24 Mai 2024
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors du délibéré :
Président : HERBONNIERE Isabelle, Première Vice-Présidente adjointe
GARNIER Patricia, Juge
BERBIEC Alexandre, Juge
Greffier lors du prononcé : FAVIER Lindsay
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT venant aux droits du CIFRAA
Société Anonyme à Conseil d’Administration, au capital de 124 821 566 € dont le siège social est [Adresse 4], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro B 379 502 644, venant aux droits de la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), radiée à la suite de la fusion par absorption selon déclaration de régularité et de conformité constatant la réalisation définitive de la fusion en date du 1er juin 2015
représentée par Maître Frédéric BERGANT de la SELARL PHARE AVOCATS, avocats au barreau de MARSEILLE et par Maître Jean-François PUGET, avocat au barreau de PARIS
C O N T R E
DEFENDEURS
Madame [R] [Z]
née le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 10]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
représentée par Maître Dorothée SOULAS de la SELARL LESCUDIER & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE
Monsieur [C] [O]
né le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 10]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]
représenté par Maître Dorothée SOULAS de la SELARL LESCUDIER & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE
S.C. BE-MA
au capital de 69.000 €, dont le siège social est sis [Adresse 3], inscrite au RCS de [Localité 10] sous le n° 440 292 167, prise en la personne de son représentant légal y domicilié.
représentée par Maître Dorothée SOULAS de la SELARL LESCUDIER & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE
EXPOSE DU LITIGE
[R] [Z] a acquis plusieurs biens immobiliers à l’aide divers emprunts, souscrits auprès de différentes banques.
Afin de financer l’acquisition en l'état futur d'achèvement d’un appartement à usage locatif dans un ensemble immobilier dénommé « Résidence Atlantique » sis [Localité 12], [R] [Z] a accepté le 21.06.2002 une offre de prêt n°20233 d’un montant de 151.687,00 €, émise par la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE FINANCIERE RHONE AIN (CIFFRA).
L’acte de prêt a été renouvelé en la forme authentique le 07.11.2002 devant Me [B] [V], notaire à [Localité 8].
Ce prêt était garanti par une inscription d’hypothèque provisoire sur le bien immobilier dont [R] [Z] est propriétaire, sis à [Adresse 3], dont l’inscription se périmait le 29.12.2017.
Elle n’en a pas honoré toutes les échéances, de sorte que l’établissement prêteur lui a notifié la déchéance du terme le 29.10.2008.
*
Exposant avoir été victimes d'agissements frauduleux de la société APOLLONIA, agent immobilier s'étant présenté comme gestionnaire de patrimoine immobilier et intermédiaire en opérations de banque, les ayant conduits à s'endetter de façon inconsidérée, et mettant en cause la responsabilité de plusieurs établissements bancaires, ainsi que de Maître [B] [V] et la SCP RAYBAUDO DUTREVIS [V] COURANT LESTRONE, notaires intervenus dans le cadre de ces opérations, de nombreux particuliers dénonçant des agissements similaires, ont déposé une plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de MARSEILLE, qui a ouvert une information judiciaire, notamment, d'escroquerie en bande organisée et faux en écritures publiques.
Une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel a été rendue courant 2022 ; elle a été partiellement confirmée par un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE en date du 15.03.2023. La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés sur cet arrêt.
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[R] [Z] a assigné la société APOLLONIA, et plusieurs établissements bancaires, dont la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT venant aux droits et obligations de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE, par actes d’huissier des 28, 29 avril 2010 et 3, 4, 5 mai 2010 en indemnisation des préjudices subis du fait de ces opérations.
Cette procédure est enregistrée sous le n° de RG 10/7034.
Le juge de la mise en état, par ordonnance en date du 24.11.201, a ordonné le sursis à statuer « jusqu’au prononcé d’une décision pénale définitive dans le cadre de l’instruction pénale ouverte devant le juge d’instruction de MARSEILLE » et le retrait de l’affaire du rang des affaires en cours.
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Par acte d’huissier du 07.06.2010, la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT, venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), a fait assigner [R] [Z], devant le tribunal de grande instance de céans, aux fins d’obtenir le paiement de sommes dues au titre du prêt contracté. Cette procédure est enregistrée sous le n° de RG 10/7942.
Par mention au dossier en date du 28.11.2010, l’action en paiement engagée par la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT venant aux droits et obligations de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA) à l’encontre d’[R] [Z] enregistrée sous le n° de RG 10/7942 a été jointe à l’action en responsabilité à l’initiative d’[R] [Z] enregistrée sous le n° de RG 10/7034
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Par acte du 28 décembre 2017, [R] [Z] a apporté à la société BE-MA (SIRET 440.292.167) le bien situé [Adresse 3] à [Localité 11], avec réserve d’usufruit jusqu’à son décès.
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Par acte d’huissier du 01.06.2021, la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT venant aux droits et obligation de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA) a fait assigner [R] [Z], [C] [O] et la société civile BE-MA devant le tribunal de grande instance céans, aux fins d’obtenir l’inopposabilité de l’apport du bien dont est propriétaire [R] [Z], sis à [Adresse 3], à la société civile BE-MA, dont les associés sont [R] [Z] et [C] [O].
Cette procédure est arrivée au service de l’enrôlement et a été enregistrée sous le n° de RG 21/6211.
-
Par une ordonnance du juge de la mise en état en date du 06.07.2023, l’instruction de l’affaire a été clôturée et fixée à l’audience au fond du 09.02.2024.
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Par des conclusions en date du 01.02.2023, auxquelles il conviendra de se reporter pour l’exposé des motifs, la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT demande au tribunal au visa de l’article 1341-2 du code civil de :
- « DIRE ET JUGER inopposable à la BANQUE l’acte d'apport en société du 28 décembre 2017 par lequel Madame [R] [Z] a apporté à la société BE-MA, son bien immobilier
« A [Localité 11] – Bouches-du-Rhône)
Un appartement de type T4, un box garage et une cave (lots 173, 219 et 134), figurant au
cadastre rénové de ladite Commune sous les références suivantes, savoir
cadastré section [Cadastre 6] E, surface 0Ha 94a 30ca, n°[Cadastre 7], situé [Adresse 9] à [Localité 11]
au sein de l'ensemble immobilier en copropriété dénommé [Adresse 9]
EFFET RELATIF
Acquisition par Madame [R] [Z] suivant acte reçu par Maître [T] [X], notaire à [Localité 10], le 5 août 1999 dont une copie authentique a été publiée au bureau des hypothèques de [Localité 10] 4ème Bureau, le 13 octobre 1999, volume 1999 P, numéro 5153,
Apport en nature de cet immeuble par Madame [Z] suivant acte en date du 28 décembre 2017 publié au registre de la publicité foncière de Marseille à la société civile BE-MA, société civile immobilière au capital de 69.000 euros, dont le siège social est situé à [Localité 11], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Marseille sous le numéro 440.292.167. »
- DIRE ET JUGER que par conséquent la BANQUE sera fondée à réaliser toute mesure d’exécution sur ledit bien immobilier en garantie de sa créance issue du contrat de prêt n° 20233 ;
- DEBOUTER Madame [R] [Z], Monsieur [C] [O] et la société civile BE-MA de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir ;
- CONDAMNER les défendeurs à payer à la BANQUE la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du CPC. »
Par des conclusions notifiées par RVPA le 30.08.2022, auxquelles il conviendra de se reporter pour l’exposé des motifs, [R] [Z], [C] [O] et la société civile BE-MA demandent au tribunal au visa des articles 1341-2 du code civil et des articles 696 et suivants et 700 du code de procédure civile de :
« De mettre hors de cause Madame [Z] et Monsieur [O],
De condamner le CIDF à leur payer chacun la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du CPC,
De débouter le CIDF de toutes ses demandes, fins et conclusions,
De condamner le CIDF à payer la société civile BE-MA la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du CPC outre aux entiers dépens. »
A l’audience du 09.02.2024, les conseils des parties ont plaidé conformément à leurs dernières conclusions.
L’affaire a été mise en délibéré au 24.05.2024.
SUR CE :
A titre préliminaire, il convient de préciser que les demandes visant à « dire » ou « dire et juger », tout comme les demandes de « donner acte », ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31, 768 et 954 du code de procédure civile, mais des moyens et arguments au soutien des véritables prétentions, de sorte que le tribunal n’est pas nécessairement tenu d’y répondre.
Toutefois, constituent des prétentions sur lesquelles il doit être statué, les demandes figurant au dispositif des conclusions et formulées sous la forme de « dire et juger », dès lors qu’elles visent à obtenir une décision sur un point précis en litige.
Sur la demande de mise hors de cause
Les défendeurs se prévalent de ce que l’action paulienne doit être dirigée contre le seul tiers cocontractant et que la mise en cause d’[R] [Z] et [C] [O] ne s’imposait donc pas.
Toutefois, les débats portant sur une créance initiale entre la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT et [R] [Z], il est indispensable qu’elle soit partie à la procédure, comme seule à même d’en débattre utilement.
En outre, dans la mesure où [R] [Z] et [C] [O] sont les seuls associés de la société civile BE-MA et que la présente procédure est de nature à entrainer des conséquences sur la valeur des parts sociales détenues par [C] [O] dans la société, le fait que [C] [O] soit en cause est de nature à lui permettre de défendre ses propres intérêts ; il n’y a pas lieu de le mettre hors de cause.
Les demandes de mise hors de cause seront donc rejetées.
Sur l’action paulienne
La SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT se prévaut de ce que l’apport en nature, avec réserve d’usufruit, du bien grevé d’une hypothèque par [R] [Z], même à quelques jours de son terme, constituerait un acte d’appauvrissement volontaire qui lui serait préjudiciable, alors que sa créance existait en son principe, et qu’elle présentait à tout le moins une apparence d’insolvabilité.
Les défendeurs soulignent quant à eux que la créance de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT envers [R] [Z] n’était pas certaine en son principe, en l’état d’une procédure en paiement en cours devant cette juridiction, et de l’absence de preuve de l’existence d’une fraude et de son insolvabilité. Ils ajoutent que l’acte en cause n’était pas un acte d’appauvrissement, et qu’il n’est pas démontré :
que le transfert de propriété diminue la garantie que constitue le droit de suite du créancier, ni la « complicité » du cocontractant à l’acte onéreux en cause.
L’article 1341-2 du Code civil dans sa version en vigueur depuis le 01 octobre 2016, dispose que : « Le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude. »
Sur le caractère gratuit ou onéreux de l’opération
Il résulte de l’acte constitutif de la société BE-MA en date du 07.12.2001 que cette société a été constituée avec un capital social apporté exclusivement en numéraire de 69 000 €, qu’[R] [Z] détenait 499 parts et [C] [O] une.
Il est constant que l’hypothèque dont bénéficiait la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT sur le bien d’[R] [Z] était toujours en cours lors de l’apport en nature de ce bien par acte notarié du 28.12.2017.
La lecture de cet acte notarié démontre qu’il a été prévu, à titre de « rémunération des apports », l’attribution de 700 parts sociales d’une valeur nominale de 220 € « qui seront créées par la société à titre d’augmentation de capital. »
Il résulte de l’extrait K-bis de la société BE-MA, en date du 05.02.2021, que le capital social n’a pas été modifié postérieurement à l’apport en cause.
Dans ces conditions, si l’acte en cause s’apparente à un titre onéreux à la lecture de sa simple lettre, la demanderesse démontre qu’aucune publication relative à la modification du capital social n’est venue concrétiser la prétendue « rémunération des apports ».
Les défendeurs ne justifient pas de la preuve contraire, notamment par la preuve d’un procès-verbal d’assemblée générale modifiant le capital social, ce qui donne à penser que la mention relative à la « rémunération des apports », dont la concrétisation n’est pas démontrée, n’a été faite que pour la forme.
Dès lors, l’apport doit être considéré comme un acte gratuit.
Toutefois, et surabondamment, à supposer que la modification du capital social ait été formalisée, ce qui n’est pas démontré, il n’en demeure pas moins que la gérante de la société BE-MA est [R] [Z]. Elle est également l’associée majoritaire de la société BE-MA.
Dans ces conditions, il ne saurait être envisagé que la société BE-MA, personne morale, n’ait pas été parfaitement informée de l’acte en cause et de l’éventuelle intention de fraude aux droits du créancier qui l’aurait motivé.
Dès lors, la connaissance par le tiers cocontractant est démontrée, quelle que soit la qualification de l’acte.
L’action paulienne est donc recevable.
Sur l’insolvabilité du débiteur
Si les créanciers peuvent faire révoquer les actes faits par leurs débiteurs en fraude de leurs droits, cette révocation ne peut être prononcée que si, à la date d’introduction de la demande, les biens appartenant encore au débiteur ne sont pas de valeur suffisante pour permettre au créancier d’obtenir son paiement.
La SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT avait intérêt à assurer la garantie de ses droits en ce que, lors de l’acte en cause, la débitrice avait cessé d’honorer les échéances de son crédit depuis un peu moins de 10 ans.
Par ailleurs, dès 2010, [R] [Z] avait assigné les divers établissements bancaires et la société APOLLONIA en responsabilité en raison d’un empilement de crédits qu’elle n’était pas à même de rembourser. Cette action est toujours pendante.
Depuis lors, 17 ans se sont écoulés et il n’est pas contesté qu’aucun nouveau remboursement n’est survenu.
Dans ces conditions, l’insolvabilité de la débitrice est suffisamment démontrée.
Sur la créance
Il suffit, pour l’exercice de l’action paulienne, que le créancier justifie d’une créance certaine en son principe au moment de l’acte argué de fraude et au moment où le juge statue sur son action, même si elle n’est pas encore liquide.
Il est constant qu’[R] [Z], par offre acceptée le 21.06.2002, a souscrit auprès de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA) un crédit pour une durée de 18 ans et un montant total de 151 687 € et qu’elle a cessé tout paiement au plus tard à la date de la notification de la déchéance du terme le 29.09.2008.
Lors de la notification de la déchéance du terme, il était indiqué à [R] [Z] qu’elle était redevable envers la banque d’une somme de 137 461,08 €, dont 131 927,12 € au titre du capital restant dû.
Si une procédure relative à ce prêt est en cours, ce n’est pas [R] [Z] qui est venue contester le principe même de la créance, mais la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT qui est venue en réclamer le paiement. Ce n’est qu’au titre de sa défense qu’[R] [Z] vient contester devoir diverses sommes accessoires au capital restant dû, dans le cadre de « l’annulation des notifications de déchéances du terme », ou son exigibilité immédiate, dans le cadre de la demande de « suspension des remboursements de prêts ». Ainsi, de l’aveu même des défendeurs, le principe même de la créance n’est pas contesté.
Dans ces conditions, la créance est certaine en son principe.
Il n’est pas nécessaire, à ce stade qu’elle soit liquide et exigible.
Sur la fraude
[R] [Z] se prévaut de ce qu’elle détiendrait « 99% des parts » sociales de La société civile BE-MA, de sorte qu’elle ne se serait pas appauvrie et que la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT serait toujours à même de recouvrer sa créance.
Toutefois, il convient de relever que la société civile BE-MA est une personne différente d’[R] [Z], et que leurs patrimoines sont distincts.
Le fait d’apporter un bien immobilier à une société, à plus forte raison sans effectuer les démarches matérielles visant à l’augmentation du capital social prévue en contrepartie de cet apport, est incontestablement constitutif d’un appauvrissement du patrimoine d’[R] [Z].
Ce faisant, [R] [Z] a réduit le patrimoine sur lequel la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT était susceptible de recouvrer sa créance, et s’était garantie, dans le cadre d’une hypothèque.
Elle a donc agi ainsi en fraude des droits de son créancier.
Sur le droit de suite du créancier hypothécaire
Les défendeurs se prévalent de ce que le transfert de propriété du bien ne priverait pas la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT de son droit de suite, de sorte qu’il ne serait pas démontré que l’acte en cause serait de nature à compromettre les chances de la banque de recouvrer sa créance.
Toutefois, en transférant le bien en cause dans le patrimoine d’un tiers, [R] [Z] a rendu l’exercice du droit de suite de son créancier plus complexe -à plus forte raison à la veille de l’expiration de la garantie hypothécaire-, plus long et plus onéreux.
C’est donc à tort qu’[R] [Z] se prévaut de ce que l’acte en cause aurait été sans conséquence sur les chances de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT, venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), de recouvrer sa créance.
Dans ces conditions, c’est à bon droit que la banque demande que l’acte d’apport du bien grevé d’une hypothèque lui soit rendu inopposable.
Sur les demandes accessoires
Il résulte des dispositions combinées des articles 696 et 700 du Code de procédure civile que les dépens sont à la charge de la partie succombante et que les frais irrépétibles en suivent le sort, sauf considérations tirées de l’équité ou de la différence de situation économique entre les parties.
[R] [Z] et la société civile BE-MA qui succombent, seront condamnées solidairement à payer à la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT, venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), la somme de 3000 € au titre des frais irrépétibles, outre les dépens.
L’instance a été introduite postérieurement au 01.01.2020.
L’article 514 du code de procédure civile dispose que : « Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. »
Il n’est donc pas nécessaire d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement, celle-ci étant de droit.
PAR CES MOTIFS :
Statuant collégialement, publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort et mis à disposition par le greffe,
Rejette la demande de mise hors de cause de [R] [Z] et [C] [O] ;
Déclare inopposable à la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT, venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), l’acte d’apport en société en date du 28.12.2017 par lequel [R] [Z] a apporté à la société civile BE-MA l’appartement de type 4, le box garage et la cave portant les numéros de lots 173, 219 et 134, situé dans l'ensemble immobilier en copropriété dénommé [Adresse 9], cadastré section [Cadastre 6] E, surface 0Ha 94a 30ca, n°[Cadastre 7], (acte en date du 28 décembre 2017 publié au registre de la publicité foncière de Marseille sous le numéro 440.292.167) ;
Condamne solidairement [R] [Z] et la société civile BE-MA au paiement de 3000 € au titre des frais irrépétibles ;
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes ;
Condamne in solidum [R] [Z] et la société civile BE-MA au paiement des dépens de l’instance ;
Dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire, de droit.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT