TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE
TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION B
JUGEMENT N°
Enrôlement : N° RG 12/06908 - N° Portalis DBW3-W-B64-OYU5
AFFAIRE :
S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT CIFRAA (SELARL PHARE AVOCATS)
C/
[I] [K] (SCP GOBERT & ASSOCIES)
Rapport oral préalablement fait
DÉBATS : A l'audience Publique du 09 Février 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats
Président : HERBONNIERE Isabelle, Première Vice-Présidente adjointe
GARNIER Patricia, Juge
BERBIEC Alexandre, Juge
Greffier : FAVIER Lindsay
A l'issue de laquelle, la date du délibéré a été fixée au : 24 Mai 2024
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL lors du délibéré :
Président : HERBONNIERE Isabelle, Première Vice-Présidente adjointe
GARNIER Patricia, Juge
BERBIEC Alexandre, Juge
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDERESSE
S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT CIFRAA
Société Anonyme à Conseil d’Administration, au capital de 124 821 566 € dont le siège social est [Adresse 1], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro B 379 502 644, venant aux droits de la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), Société Anonyme au capital de 181 039 170 euros, inscrite au RCS de
Lyon sous le n°391 563 939 dont le siège social est [Adresse 4] représentée par son dirigeant social en exercice, à la suite de la fusion par absorption selon déclaration de régularité et de conformité constatant la réalisation définitive de la fusion en date du 1er juin 2015
représentée par Maître Frédéric BERGANT de la SELARL PHARE AVOCATS, avocats au barreau de MARSEILLE et par Maître Jean-François PUGET, avocat au barreau de PARIS
C O N T R E
DEFENDEUR
Monsieur [I] [K]
né le [Date naissance 3] 1949 à [Localité 7]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Maître Christophe JERVOLINO de la SCP GOBERT & ASSOCIES, avocats au barreau de MARSEILLE et par Maître Cécile FOURNIÉ, avocat au barreau de PARIS
EXPOSE DU LITIGE
[I] [K] a acquis plusieurs biens immobiliers à l’aide de sept emprunts, souscrits auprès de six banques différentes, pour un montant total de 1 771 189€, outre les intérêts.
Pour financer l’acquisition de deux villas et d’un appartement en l’état futur d’achèvement au sein de la résidence « [Adresse 8] », sur la commune de [Localité 5], [I] [K] a accepté le 03.04.2006 une offre de prêt d’un montant de 377 208€ auprès de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA).
L’acte de prêt a été renouvelé en la forme authentique le 30.06.2006, devant Me [J], notaire à [Localité 6].
Il n’en a pas honoré toutes les échéances, de sorte que l’établissement prêteur lui a notifié la déchéance du terme le 15.01.2009.
*
Exposant avoir été victimes d'agissements frauduleux de la société APOLLONIA, agent immobilier s'étant présenté comme gestionnaire de patrimoine immobilier et intermédiaire en opérations de banque, les ayant conduits à s'endetter de façon inconsidérée, et mettant en cause la responsabilité de plusieurs établissements bancaires, ainsi que de Maître [M] [L] et la SCP RAYBAUDO DUTREVIS [L] COURANT LESTRONE, notaires intervenus dans le cadre de ces opérations, nombreux particuliers dénonçant des agissements similaires, ont déposé une plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de MARSEILLE, qui a ouvert une information judiciaire, notamment, d'escroquerie en bande organisée et faux en écritures publiques.
Une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel a été rendue courant 2022 ; elle a été partiellement confirmée par un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE en date du 15.03.2023. La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés sur cet arrêt.
*
[I] [K] a assigné la société APOLLONIA, et plusieurs établissements bancaires, dont la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA) aux droits de laquelle vient la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD), devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE, par acte d’huissier des 9, 10, 11 et 16 juin 2010 en indemnisation des préjudices subis du fait de ces opérations et en déchéance du droit aux intérêts au taux contractuel.
Cette procédure est enregistrée sous le n° de RG 10/8543.
Le juge de la mise en état, par ordonnance en date du 13.10.2011, a ordonné le sursis à statuer « jusqu’au prononcé d’une décision pénale définitive dans le cadre de l’instruction pénale ouverte devant le juge d’instruction de MARSEILLE » et ordonné le retrait du rôle de l’affaire.
*
Par acte d’huissier du 17.05.2010, la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE, aux droits de laquelle vient la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD), a fait assigner [I] [K] devant le tribunal de grande instance de VERSAILLES, aux fins de le voir condamner, à titre principal, à lui payer la somme de 392 470,66€ due au titre du prêt qu'elle lui a consenti.
Par ordonnance en date du 15.03.2011, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de VERSAILLES s’est dessaisi au profit du tribunal de grande instance de MARSEILLE.
Cette ordonnance a été confirmée par la cour d’appel de VERSAILLES le 06.10.2011.
Cette procédure est arrivée au service de l’enrôlement le 31.05.12 et a été enregistrée sous le n°12/6908.
*
Par ordonnance du juge de la mise en état en date du 16.03.2017, il a été :
Déclaré recevable l'intervention volontaire de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT venant aux droits et obligations de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE,Rejeté la demande de sursis à statuer formée par [I] [K],Rejeté la demande de provision formée par la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENTCondamné [I] [K] à verser à la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT la somme de 2.000,00 Euros, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,Rejeté la demande formée par [I] [K] sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,Renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état,Enjoint à [I] [K] de conclure au fond pour cette date,Condamné [I] [K] aux dépens.Cette décision a été confirmée par la cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE le 22.03.2018.
*
Par une ordonnance en date du 15.10.2020, le juge de la mise en état a :
- Déclaré recevable la demande de sursis à statuer formée [I] [K],
- Sursis à statuer jusqu'à ce qu'une juridiction pénale se soit prononcée définitivement sur les faits dénoncés,
- Rejeté la demande de provision formée par la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT,
- Rejeté la demande formée par la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
- Condamné la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT à verser à [I] [K] la somme de 1.000,00 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Condamné la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT aux dépens.
Par un arrêt du 21.10.2021, la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE a infirmé cette ordonnance, et déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer de [I] [K], dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer et condamné [I] [K] à verser à la SA CIFD la somme de 2 000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
*
Par ordonnance du juge de la mise en état en date du 04.05.2023, il a été :
- Dit parfait le désistement de [I] [K] relatif à sa demande de sursis à statuer ;
- Rejeté la demande de condamnation à une amende civile, le juge de la mise en état étant incompétent pour en connaître ;
- Renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état électronique et informé les parties qu’elles devaient se tenir en état pour cette date, le dossier étant désormais en état d’être clôturé ;
- Condamné [I] [K] à payer la SA CREDIT IMMOBILIER DE France DEVELOPPEMENT, venant aux droits et obligations de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), une somme de 3000 € au titre des frais irrépétibles de l’incident ;
- Rejeté toutes les autres demandes des parties ;
- Condamné [I] [K] au paiement des dépens de l’incident.
*
Par une ordonnance du juge de la mise en état en date du 07.09.2023, l’instruction de l’affaire a été clôturée et l’audience au fond fixée au 09.02.2024.
*
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 17.07.2023, auxquelles il conviendra de se reporter pour l’exposé des motifs, la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD), venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), demande au tribunal, au visa des articles 1108, 1116, 1134,1147, 1154, 1319, 1351 et 2224 du Code civil, des articles L.137-2 et suivants du Code de la consommation et des articles 699 et du Code de procédure civile, de :
« Sur la demande principale de la société CIFD- CONDAMNER Monsieur [K] à verser à la société CIFD la somme de 376.617,26 € au titre du prêt n°400080649
- JUGER que cette somme portera intérêt au taux contractuel de 4,40 % à compter de la déchéance du terme et jusqu'au parfait paiement des sommes dues entre les mains de la société CIFD
- ORDONNER la capitalisation des intérêts légaux par application de l'article 1154 du Code civil.
- CONDAMNER Monsieur [K] à verser à la société CIFD la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts.
Sur l’exception de nullité pour dol invoquée par Monsieur [K]- DECLARER l’exception de nullité pour dol invoquée par Monsieur [K] irrecevable comme prescrite ;
o Subsidiairement, si l’exception de nullité était déclarée recevable
- REJETER l’exception de nullité pour dol invoquée par Monsieur [K].
- REJETER la demande de nullité des intérêts conventionnels, frais de rejet et indemnités contractuelles au titre du prêt de Monsieur [K] ;
- REJETER la demande restitution des sommes perçues de Monsieur [K] ;
Sur la demande reconventionnelle de déchéance des intérêts conventionnels du contrat de prêt de Monsieur [K] REJETER la demande reconventionnelle de Monsieur [K] de déchéance des intérêts conventionnels en raison de la non-application du Code de la consommation
o Subsidiairement, si la demande de déchéance des intérêts conventionnels était déclarée recevable et les dispositions du Code de la consommation applicables
- REJETER la demande reconventionnelle de Monsieur [K] de déchéance des intérêts conventionnels.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts de Monsieur [K] DEBOUTER Monsieur [K] de leur demande reconventionnelle de dommages intérêts
En tout état de cause- DEBOUTER Monsieur [K] de sa demande de réduction de la clause pénale
- DEBOUTER Monsieur [K] de toutes leurs demandes, fins et conclusions
- ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir
- CONDAMNER Monsieur [K] à verser à la société CIFD somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi, qu’aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Agnès SUZAN, conformément à l’article 699 du Code de procédure civile ».
Dans ses dernières conclusions au fond en date du 05.09.2023, auxquelles il conviendra de se reporter pour l’exposé des motifs, [I] [K] demande au tribunal, au visa des articles 1147 du code civil (1231-1), des articles L 312-7, L 312-8, L 312-10 et L 312-33 du Code de la consommation dans leur rédaction applicable et de l’article L 110-4 du Code du Commerce dans son ancienne rédaction applicable, de :
« SUR LA DEMANDE DE PAIEMENT DU CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE
A titre principal :
- JUGER recevable et bien fondée la demande de déchéance des intérêts conventionnels pour non-respect du formalise des offres de prêts
- DEBOUTER le CIFD de sa demande de condamnation au paiement des intérêts conventionnels
- ORDONNER la déchéance de la totalité des intérêts conventionnel sur l’offre de prêt n°80649 de 377.208 €,
ORDONNER l’imputation sur le capital restant dû des intérêts conventionnels versés
Subsidiairement :
Vu l’article 72 du CPC
Vu l’avis de la Cour de cassation du 18/09/2019
- JUGER recevable et bien fondée la demande de déchéance des intérêts conventionnels pour non-respect du formalise des offres de prêts à titre de moyen en défense,
- DEBOUTER le CIFD de sa demande de condamnation au paiement des intérêts conventionnels à compter de la déchéance du terme
A titre infiniment subsidiaire : A défaut de déchéance des intérêts conventionnels
Vu l’article 1134 ancien du Code civil ;
- DEBOUTER le CREDIT IMMOBILIER DE France DEVELOPPEMENT de ses demandes des intérêts au taux de 4,40 %
- FIXER la créance de CIFD au titre des intérêts au taux conventionnel Euribor 6 mois + 2,4 points révisables dans les termes des offres de prêts à compte de la déchéance du terme sur la somme de 365.948,03 € (capital restant dû après déchéance du terme) au titre du prêt n°80649
Vu l’article 1353 nouveau du Code civil ;
- CONDAMNER AVANT DIRE DROIT le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE
DEVELOPPEMENT à communiquer un décompte des intérêts conventionnels au taux Euribor à 6mois + 2,4 points à compter de la déchéance du terme sur :
- la somme de 365.948,03 euros € au titre du prêt n°80649
A défaut de communication :
- DEBOUTER le CREDIT IMMOBILIER DE France DEVELOPPEMENT de ses demandes au titre des intérêts conventionnels ;
En tout état de cause
- ORDONNER l’imputation de la somme de 17.216,64 payés après la déchéance du termes sur le capital restant dû après déchéance des intérêts et omises par le CIFD
Juger que cette imputation sera faite conformément aux dispositions de l’article 1343-1 du code civil
SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE REPARATION de Monsieur [K]
Vu les articles 1231et suivants du Code civil (ancienne rédaction 1147 et svt)
- CONDAMNER le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT au paiement de la somme de 196.000 euros à titre de dommages et intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 9 juin 2010.
SUR LA DEMANDE DE CONDAMNATION DU CREDIT IMMOBILIER DE France A DES DOMMAGES ET INTERETS
- JUGER irrecevable car prescrite la demande de dommages et intérêts du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT formulée en janvier 2023
- DEBOUTER le CREDIT IMMMOBILIER DE France DEVELOPPEMENT de sa demande de dommages et intérêts
SUR LA CAPITALISATION DES INTERETS CONVENTIONNELS :
Vu les articles L312-21, L312-22 et L312-23 anciens du Code de la consommation ;
- DEBOUTER le CREDIT IMMOBILIER DE France DEVELOPPEMENT de ses demandes au titre de la capitalisation des intérêts conventionnels ;
A titre subsidiaire, vu l’article 1134 ancien du Code civil ;
- DEBOUTER le CREDIT IMMOBILIER DE France DEVELOPPEMENT de ses demandes de capitalisation des intérêts au taux conventionnel
SUR LA DEMANDE D’EXECUTION PROVISOIRE
-DEBOUTER le CREDIT IMMOBILIER DE France DEVELOPPEMENT de sa demande d’exécution provisoire du jugement à intervenir
SUR LES DEPENS ET LES FRAIS IRREPETIBLES
- CONDAMNER le CIFD au paiement de la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 6399 du CPC. »
A l’audience de plaidoirie en date du 09.02.24, les parties ont plaidé conformément à leurs dernières écritures.
L’affaire a été mise en délibéré au 24.05.2024.
MOTIVATION :
Les parties ne débattent pas de la souscription du crédit, ni de son versement. Elles ont renoncé aux débats sur la nullité du contrat et sur le taux effectif global.
Sur l’application volontaire du code de la consommation au contrat en cause
Les parties s’accordent sur le fait que le Code de la consommation n’est pas, de plein droit, applicable aux contrats en cause.
[I] [K] se prévaut dès lors de l’application volontaire par les cocontractants de ses dispositions.
La banque ne prend pas soin de répondre précisément sur ce point.
La soumission volontaire de la banque, dans le cadre des conditions des prêts, au Code de la consommation, ne peut être présumée et l’emprunteur, qui s’en prévaut, doit démontrer que la référence au Code de la consommation figurant sur les contrats de prêt a été faite de façon volontaire, expresse et éclairée par la banque, alors que les prêts n’y étaient pas soumis de plein droit.
La simple mention pré-imprimée visant les dispositions du code de la consommation sur les prêts et dans les conditions générales ne caractérise pas une soumission volontaire de la banque aux dispositions de ce code.
Il résulte de l’examen de la fiche de renseignements bancaires que [I] [K] apparaît comme salarié de la SA BULL, et qu’il se précise « LMNP » (loueur en meublés non professionnel).
Il n’est pas contesté qu’un bail commercial de logement meublé était annexé à cette fiche valant demande de crédit.
La vocation commerciale du bail, qui précisait, en son article 4, qu’il avait pour objet une « activité à caractère de résidence para-hôtelière » excluait toute ambiguïté sur l’applicabilité de plein droit du Code de la consommation, de sorte que c’est en toute connaissance de cause que la banque a accepté que le contrat en cause soit soumis à l’application du Code de la consommation.
Les dispositions du Code de la consommation sont dès lors applicables au contrat en cause.
Sur la violation des dispositions du Code de la consommation
Le défendeur se prévaut de l’absence d’envoi direct des offres de prêts.
Il ajoute que la charge de la preuve de l’envoi postal reposerait sur la banque et qu’il serait établi par la procédure pénale que le process habituel, en ce qui concernait les dossiers apportés par APOLLONIA, était que les établissements préteurs adressent directement les offres à cette société et pas aux emprunteurs.
La banque affirme avoir adressé ce document à l’emprunteur, et que celui-ci s’en serait prévalu lors de son dépôt de plainte du 12.12.2008 page 17.
De première part, il convient de relever qu’aucune mention de cette sorte ne résulte de cette pièce, non seulement en sa page 17, mais dans son entièreté.
Par ailleurs, aux termes de l’article L 312-7 du Code de la Consommation, dans sa version applicable au 16.11.2005 :
« Pour les prêts mentionnés à l'article L. 312-2, le prêteur est tenu de formuler par écrit une offre adressée gratuitement par voie postale à l'emprunteur éventuel ainsi qu'aux cautions déclarées par l'emprunteur lorsqu'il s'agit de personnes physiques.»
Aux termes d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'inobservation de cette règle de forme est sanctionnée par la déchéance du droit aux intérêts. Cette règle a d’autant plus de sens que c’est le cachet de la poste qui permet au juge de contrôler le respect du délai de réflexion de 10 jours, prévu à l’article L312-10 du même code.
L’article L. 312-33 de ce même code dans cette même version disposait que : « Le prêteur ou le bailleur qui ne respecte pas l'une des obligations prévues aux articles L. 312-7 et L. 312-8, à l'article L. 312-14, deuxième alinéa, ou à l'article L. 312-26 sera puni d'une amende de ancienne rédaction: 3 700 €.
Le prêteur qui fait souscrire par l'emprunteur ou les cautions déclarées, ou reçoit de leur part l'acceptation de l'offre sans que celle-ci comporte de date ou dans le cas où elle comporte une date fausse de nature à faire croire qu'elle a été donnée après expiration du délai de dix jours prescrit à l'article L. 312-10, sera puni d'une amende de 30 000 €.
La même peine sera applicable au bailleur qui fait souscrire par le preneur ou qui reçoit de sa part l'acceptation de l'offre sans que celle-ci comporte de date ou dans le cas où elle comporte une date fausse de nature à faire croire qu'elle a été donnée après l'expiration du délai de dix jours prescrit à l'article L. 312-27.
Dans les cas prévus aux alinéas précédents, le prêteur ou le bailleur pourra en outre être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge. »
La banque ne prouve pas l’envoi postal ni sa date, en la présente espèce.
Ce fait est conforme aux investigations pénales récapitulées dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, qui met en exergue qu’APOLLONIA sollicitait des établissements bancaires de lui adresser les offres de prêts directement, au prétexte d’un gain de temps.
De fait, cette pratique avait pour conséquence de priver les emprunteurs de l’original de l’offre, d’une part, et du délai de rétractation de 10 jours, d’autre part.
Il y a dès lors lieux à faire droit à la demande de déchéance du droit aux intérêts.
Sur les conséquences au regard des demandes du CIFD
Le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT, SA, venant aux droits et obligations du CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), demande la condamnation de [I] [K] au paiement de 376 617,26 € au titre du prêt en cause, sans plus de précision.
Au regard de la déchéance du droit aux intérêts, et au regard du fait que [I] [K] a cessé de rembourser le crédit en cause en octobre 2008, il apparaît que le capital dû à cette date (échéance 27 du tableau d’amortissement) était de 361 994,97 €.
[I] [K] sollicite par ailleurs à bon droit que les sommes versées jusqu’ici au titre des intérêts viennent se compenser sur le capital restant dû.
Il ne prend toutefois pas soin de justifier du montant concerné, pas plus que la banque, alors même qu’il s’agit d’intérêts à taux variable. L’examen du tableau d’amortissement susvisé permet néanmoins d’établir qu’à l’échéance 27, un montant total de 35 601,29 € avait été versé au titre des intérêts cumulés.
Par ailleurs, l’emprunteur se prévaut, sans être contredit, d’un versement de 17 216,64€, qui aurait été omis dans le décompte de la banque.
Les pièces versées au débat et plus particulièrement la pièce n°37 du demandeur démontrent la réalité de huit versements entre février 2009 et novembre 2010, de 2 152,08€ chacun au CIFRAA. Le total de ces versements, de 17 216,64€, devra être imputé sur le capital dû par [I] [K].
Dès lors, [I] [K] sera condamné à payer à la banque un solde de 309 177, 04 € (soit : 361 994,97 € - (35 601,29 + 17 216,64€)).
Faute de demande subsidiaire au titre des intérêts moratoires, il convient de faire application de l’article 1231-7 du code civil, qui dispose qu’en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal, même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement.
L’article 1343-2 du code civil prévoit que les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts par une demande judiciaire, pourvu qu’il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.
L’équité commande de rejeter cette demande.
Sur la responsabilité de la banque
Sur les manquements de la banque à ses devoirs généraux
Le demandeur se prévaut de fautes de la banque qui justifieraient une indemnisation venant en compensation avec les condamnations en paiement.
L’établissement prêteur de deniers supporte un devoir général d'information, une obligation de mise en garde, sous certaines conditions, et un devoir de conseil, si la banque a pris un engagement en ce sens.
L'emprunteur qui a fait des déclarations inexactes ou incomplètes sur sa situation financière ne peut pas reprocher à la banque un manquement à son obligation du mettre en garde, ou de se renseigner, sauf anomalie apparente.
Sauf anomalie apparente, la banque peut se fier aux informations transmises par l'emprunteur pour évaluer sa solvabilité et son risque d'endettement excessif.
L’article 1147 du Code civil, dans sa version en vigueur du 21 mars 1804 au 01 octobre 2016, disposait que : « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
L’obligation de mise en garde, prévue à l’ancien article 1147 du Code civil, est subordonnée à deux conditions : la qualité d’emprunteur non averti et l’existence, au regard des capacités financières de l’emprunteur, d’un risque d’endettement né de l’octroi du prêt.
Sur le devoir d’information
Le crédit accordé en la présente espèce l’a été sur le fondement d’une fiche de renseignement bancaire datée du 16.11.2005, signée par l’emprunteur.
La fiche de renseignements bancaires, versée aux débats par la banque, mentionne un « salaire net » de 5 247,98 € et, au titre du patrimoine immobilier : une résidence principale et des placements.
Il est indiqué par le défendeur dans ses conclusions qu’il a émis, le même jour, 6 fiches valant demande de crédits, identiques, présentées à 6 établissements de prêts différents, sans jamais préciser cette information dans des documents.
La seule particularité de ce document est que la durée du crédit est omise. Toutefois, le taux d’intérêt, le coût du crédit, le montant des mensualités et par voie de conséquence le taux d’endettement dépendant de ce facteur, il convient de considérer cette imprécision comme une anomalie majeure, qui justifiait une rencontre entre l’emprunteur et le prêteur aux fins de clarification.
Ainsi, s’abstenant de rencontrer l’emprunteur, la banque a commis une première faute.
Sur l’obligation de mise en garde
En procédant aux vérifications, notamment en recevant ses clients, la banque se serait mise en mesure, d’une part, d’éventuellement refuser l’octroi du prêt en fonction des informations complémentaires obtenues, d’autre part, d’exercer utilement son devoir de mise en garde envers l’emprunteur.
L’emprunteur était salarié dans une société d’informatique au moment de l’emprunt. Il ne mentionnait aucun crédit immobilier dans sa fiche de renseignement.
Il se revendiquait de la mention « LMNP », location de meublés non professionnelle.
Il n’apparaît donc pas que, lorsqu’il a souscrit le crédit en cause, il disposait d’une compétence et d’une expérience en matière économique et financière lui permettant de mesurer les risques attachés à ses engagements.
Il doit donc être considéré comme emprunteur non averti.
En la présente espèce, il appartenait à la banque d’évaluer la potentialité d’un endettement excessif.
Il résulte de la comparaison entre cette fiche et le tableau d’amortissement que :
la première année, les échéances étaient de 1508, 84 €, ce qui portait le taux d’endettement de l’emprunteur à 28,75 % ;à partir de la deuxième année, étaient de 2 569,82 €, ce qui portait le taux d’endettement de l’emprunteur à 48,97%.
Au regard de ces informations, il appartenait à la banque de recevoir l’emprunteurs pour l’alerter sur la dangerosité potentielle de l’opération en fonction de sa situation réelle.
Elle a ainsi commis une faute en manquant à son obligation de mise en garde.
Sur le manquement à l’obligation de conseil relatif à la souscription d’une assurance
[I] [K] se prévaut de ce que la banque a également manqué à son obligation de conseil relatif à la garantie contre le risque de perte d’emploi, à plus forte raison alors qu’il a effectivement perdu son emploi en mars 2008.
Il résulte de l’examen du contrat d’assurance que [I] [K] n’était pas garantie en cas de perte de son emploi.
En la présente espèce, le défendeur, qui s’en prévaut, ne démontre pas d’éléments anormaux, notoires ou visibles, qui auraient dû attirer l’attention de la banque au point qu’elle passe outre son devoir de non immixtion et lui suggère de solliciter un contrat d’assurance différent de celui adossé au contrat de prêt.
Il n’est donc pas démontré de faute de la banque sur ce point.
Sur les préjudices
Sur le préjudice financier
Le préjudice de l’emprunteur, résultant des fautes de la banque, s’analyse en la perte de chance de ne pas contracter.
Il convient donc d’évaluer la probabilité que l’emprunteur ait renoncé à l’emprunt en cause si la banque l’avait avisé des risques liés à un endettement excessif au regard du montant du prêt, de ses échéances successives dans le temps et de son taux d’endettement.
Pour ce faire, il convient de se replacer au moment de la souscription du contrat, et de prendre en compte les éléments de faits à la disposition du tribunal pour évaluer au plus près la solution la plus probable.
Au regard des éléments résultant de l’ordonnance de renvoi citée plus haut, il apparaît qu’en 2005, date de l’octroi des crédits en cause, les comportements douteux d’APOLLONIA n’avaient pas encore été diffusés dans le public par la presse. Il résulte de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du juge d’instruction en date du 15.04.2022 (p.190, 191) que ce n’est qu’à partir de 2007 que les banques ont dû faire face à des impayés de clients apportés par APOLLONIA.
Dans ces conditions, les éléments d’informations qui auraient pu être communiqués à [I] [K] par la banque n’auraient porté que sur un risque d’endettement excessif, et pas sur des mécanismes dangereux et sérieusement documentés comme tels.
Par ailleurs, il résulte de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel que le mécanisme mis en œuvre par APOLLONIA, qui reposait sur le silence et l’enfermement, créait ce qui peut s’apparenter à une sorte d’emprise sur les emprunteurs, qui non seulement étaient dissuadés d’en parler aux professionnels, mais qui, dès lors, étaient peu réceptifs à recevoir un avis contraire extérieur.
Par ailleurs, le CIFRAA n’était pas le banquier habituel de [I] [K] , de sorte qu’il n’existait pas entre eux une relation de confiance ancienne et ancrée de nature à mettre à mal ce verrouillage.
Il résulte de la fiche de renseignements bancaires qu’il s’agissait du premier emprunt de [I] [K] , qui était propriétaire de son logement.
Il n’en a pas moins souscrit, en quelques mois un nombre important de crédits, pour un montant total de plus de 1,7 millions d’euros.
Dans de telles conditions, les chances que [I] [K] ne souscrive pas cet emprunt sur la base d’une simple mise en garde de la banque doivent être estimées comme moyennes à faibles, et seront ainsi justement évaluées à 40% du préjudice occasionné par cet emprunt.
L’assiette du préjudice correspond au montant de la condamnation au titre de l’emprunt, minoré de la valeur vénale du bien immobilier acquis à l’aide de cet emprunt -dont il dispose dans son patrimoine, de la somme perçue au titre du crédit de TVA remboursé et des loyers perçus dans le cadre de l’exploitation du bien acquis à l’aide de l’emprunt.
En ce qui concerne la valeur vénale du bien, la banque se prévaut, sur la base d’un prix au m² de 2 872 € et d’une surface de 76,32 m², d’une valeur vénale de 219 191€. Il justifie d’une évaluation du prix au m² extrait du site internet « Meilleurs agents ».
L’emprunteur, qui conteste ces éléments et était en mesure de faire procéder à l’évaluation de son bien, se contente de contester cette évaluation par voie d’allégation.
C’est donc cette valeur qui sera retenue.
Le montant de la TVA remboursée, tel que figurant au compromis de vente est de 61 817 € en ce qui concerne cette opération.
Enfin, la banque propose une évaluation du prix de location du bien acquis de 10 408 € par an, sur la base du bail commercial du bien financé, et ce pendant 13 ans.
A nouveau, l’emprunteur conteste le montant proposé en proposant d’en retrancher des charges dont il ne justifie en rien, alors qu’il était en mesure de le faire.
C’est donc la somme de 135 304 €, proposée par la banque, qui sera retenue à ce titre.
Dès lors, le CIFRAA sera condamné à payer à [I] [K] la somme de 8 828 € (soit 40% x [219 191 – (61 817 + 135 304)]).
Sur la demande de dommages et intérêts de la banque
A titre préliminaire, il convient de relever que la BPI sollicite 30 000 € à titre de dommages et intérêts.
Cette demande est motivée par la rétention d’informations sur l’empilement de crédits ayant privé la banque de la possibilité de ne pas contracter et par la déloyauté du comportement de l’emprunteur, qui s’est abstenu de rembourser la somme empruntée pendant plus de dix ans.
Il a été démontré plus haut que par sa négligence, la banque a concouru à son préjudice à un tel point qu’il n’est pas envisageable d’indemniser une quelconque perte de chance de ne pas contracter, à supposer qu’elle existe en l’espèce.
Sa demande indemnitaire sera donc rejetée.
Sur les demandes accessoires
Sur l’exécution provisoire
Conformément à l’article 515 du code de procédure civile, dans sa version applicable à la date de l’assignation, il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement, celle-ci n’étant ni nécessaire en l’état.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il résulte des dispositions combinées des articles 696 et 700 du Code de procédure civile que les dépens sont à la charge de la partie succombante et que les frais irrépétibles en suivent le sort, sauf considérations tirées de l’équité ou de la différence de situation économique entre les parties.
En la présente espèce, l’équité commande de laisser les frais irrépétibles à la charge respective des parties qui les auront engagées.
[I] [K] qui succombe partiellement, sera condamné au paiement des dépens de l’instance.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant après audience publique, collégialement, par jugement contradictoire, en premier ressort, mis à la disposition des parties au greffe,
Déchoit la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD), venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), du droit aux intérêts prévus au contrat en date du 03.04.2006 le liant à [I] [K] (n°400080649) ;
Ordonne la compensation sur le capital restant dû des sommes déjà versées au titre des intérêts contractuels ;
Condamne [I] [K] à payer la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD), venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), la somme de 309 177, 04 €, correspondant au capital restant dû minoré des intérêts versés et des paiements postérieurs à la notification de la déchéance du terme ;
Rappelle que ces sommes produiront, de droit, intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
Rejette la demande de capitalisation des intérêts ;
Condamne la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD), venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA), à payer à [I] [K] la somme de 8 828 € à titre de dommage et intérêts ;
Rappelle que la compensation légale des sommes objets des précédentes condamnations s’opère de plein droit conformément à la loi, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives ;
Rejette la demande indemnitaire de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD), venant aux droits de la SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE RHONE ALPES AUVERGNE (CIFRAA) ;
Rejette toutes les autres demandes des parties, y compris celles formulées au titre des frais irrépétibles ;
Rejette la demande relative à l’exécution provisoire ;
Condamne [I] [K] au paiement des dépens de l’instance.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT