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21/05/2024 | FRANCE | N°16/03303

France | France, Tribunal judiciaire de Marseille, Gnal sec soc: cpam, 21 mai 2024, 16/03303


REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Adresse 8]


JUGEMENT N°24/02294 du 21 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 16/03303 - N° Portalis DBW3-W-B7A-V4AY

AFFAIRE :
DEMANDERESSES
Madame [H] [T]
née le 26 Octobre 1982 à [Localité 1]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
comparante en personne assistée de Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [Z] [T]
née le 18 Février 2006 à [Localité 1]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
comp

arante en personne assistée de Me Agnès STALLA, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [K] [T]
née le 29 Juin 2002 à [Localité 1]
[Adresse 16]
...

REPUBLIQUE FRANCAISE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE MARSEILLE

POLE SOCIAL
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Adresse 8]

JUGEMENT N°24/02294 du 21 Mai 2024

Numéro de recours: N° RG 16/03303 - N° Portalis DBW3-W-B7A-V4AY

AFFAIRE :
DEMANDERESSES
Madame [H] [T]
née le 26 Octobre 1982 à [Localité 1]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
comparante en personne assistée de Me Michel KUHN, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [Z] [T]
née le 18 Février 2006 à [Localité 1]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
comparante en personne assistée de Me Agnès STALLA, avocat au barreau de MARSEILLE

Madame [K] [T]
née le 29 Juin 2002 à [Localité 1]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
[Adresse 16]
représentée par Me Agnès STALLA, avocat au barreau de MARSEILLE

c/ DEFENDERESSE
S.A. [4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Elodie BOSSUOT-QUIN, avocat au barreau de LYON substitué par Me Swanie FOURNIER, avocat au barreau de LYON

Appelée en la cause:
Organisme CPCAM DES [Localité 7]
[Localité 1]
dispensée de comparaître

DÉBATS : À l'audience publique du 20 Février 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL lors des débats et du délibéré :

Président : MEO Hélène, Première Vice-Présidente

Assesseurs : PESCE-CASTELLA Catherine
MATTEI Martine

L’agent du greffe lors des débats : [S] [R]

À l'issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 14 Mai 2024, prorogé au 21 Mai 2024

NATURE DU JUGEMENT

contradictoire et en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 23 mai 2012, [M] [T], salarié de la société [4] depuis 1997, a déposé auprès de la caisse primaire centrale d'assurance maladie [Localité 17] (ci-après la CPCAM) des [Localité 7] une déclaration de maladie professionnelle hors tableau accompagné d'un certificat médical du Docteur [G] pour un lymphome diffus à grandes cellules du rein gauche-exposition chronique au benzène, toluène, éthanol et méthanol.

Suivant courrier daté du 11 mars 2013, la CPCAM des [Localité 7] a pris en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnels (ci-après CRRMP) de la région [Localité 1] PACA lequel a conclu à un taux d'IPP au moins égal à 25 % et à l'existence d'un rapport de causalité entre la maladie et les expositions dans le cadre professionnel.

[M] [T] est décédé le 12 mars 2013.

Par courrier du 3 juin 2013, la CPCAM des [Localité 7] a notifié à l'employeur et à l'épouse de [M] [T] la prise en charge de son décès.
Le 5 novembre 2013, la caisse a notifié à [H] [T] et ses deux filles, [Z] et [K] [T], l'attribution d'une rente d'ayant droit à compter du 1er avril 2013.

Par requête déposée du 23 juin 2014, les ayants droit d'[M] [T] ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des [Localité 7], devenu pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, la société [4], dans la survenance de sa maladie professionnelle du 2 mai 2012.

Par décision du 5 janvier 2016, [B] [U] a été désigné en qualité d'administrateur ad hoc chargé de représenter les intérêts des mineures [Z] et [K] [T], filles de d'[M] [T].

Par jugement du 16 mai 2018, le présent tribunal a :
annulé pour irrégularité l'avis du CRRMP de la région de [Localité 1] rendu le 6 février 2013 ;avant-dire droit, ordonné la saisine du CRRMP de la région [Localité 12] avec mission de dire si l'affection présentée par [M] [T] constatée le 23 mai 2023 par certificat médical a été essentiellement et directement causée par son activité professionnelle.
Le CRRMP de la région [Localité 12] a rendu son avis le 29 juin 2028 et retenu un lien direct et essentiel entre la maladie et l'activité professionnelle d'[M] [T].

Par jugement avant-dire droit du 22 mars 2019, le tribunal a annulé pour irrégularité l'avis du CRRMP de la région [Localité 12] et ordonné la saisine du CRRMP de la région [Localité 14] avec la même mission, ultérieurement remplacé par le CCRMP de la région [Localité 13] puis par celui de la région d'[Localité 15] [Localité 9].

Le CRRMP de la région d'[Localité 15] [Localité 9], selon avis du 11 mars 2020, a retenu un lien direct et essentiel entre la maladie et l'activité professionnelle.

Par jugement du 10 mars 2021, le pôle social a annulé pour irrégularité l'avis du CRRMP de la région d'[Localité 15] [Localité 9] et ordonné la saisine du CRRMP de la région [Localité 3] avec la même mission.

Le CRRMP de la région [Localité 10] a rendu son avis le 20 mars 2023 au terme duquel il a reconnu un lien direct et essentiel entre la maladie et le travail habituel de la victime.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 20 février 2024.

[H] [T], veuve de [M] [T], a comparu représentée par son conseil lequel a développé ses conclusions récapitulatives en demandant au tribunal de :
homologuer l'avis du CRRMP de la région [Localité 10] ;juger que la maladie professionnelle dont était atteint [M] [T] et dont il est décédé est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [4] ;juger que la maladie professionnelle dont il est décédé est due à la faute inexcusable de la société [4] ;En conséquence :
Au titre de l'action successorale :
accorder l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;fixer l'indemnisation des préjudices extra-patrimoniaux comme suit :souffrances physiques : 100.000 € ;souffrances morales : 100.000 € ;préjudice d'agrément : 100.000 € ;préjudice éthérique : 30.000 € ;préjudice sexuel : 30.000 € ;déficit fonctionnel temporaire : 38.400 € ;À titre personnel :
ordonner la majoration maximale de la rente service à ses ayants droit et le versement de l'indemnité forfaitaire ;condamner l'employeur à réparer le préjudice moral de Madame [W] [T] à hauteur de 100.000 € ;dire que la CPAM fera l'avance de ces sommes ;condamner l'employeur au paiement de la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Au soutien de ses demandes, [H] [T] estime que la faute inexcusable de l'employeur est présumée en application de l'article L. 4131-4 du code du travail dans la mesure où l'employeur était informé du risque lequel s'est matérialisé et se réfère aux comptes-rendus du CHSCT de 2001 à 2013. En tout état de cause, elle rappelle que le benzène est une substance inscrite depuis 1932 au tableau n°4 des maladies professionnelles et qu'en avril 1972 l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) a réalisé une fiche toxicologique sur ce produit de sorte que l'employeur ne pouvait qu'avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés.

Elle ajoute que son époux a exercé la profession d'aide-chimiste avant de devenir opérateur fabrication en 2006 et que l'attestation de [B] [E], ancien collègue de travail de son époux et secrétaire et/ou membre du CHSCT de 1997 à 2005, a confirmé l'exposition d'[M] [T] notamment au xylène et " bromo ", ainsi qu'au benzène. En dernier lieu, elle fait valoir que l'employeur n'a pas pris de mesures individuelles ou collectives suffisantes pour protéger la santé de ses salariés.

[K] et [Z] [T], majeures au jour de l'audience, comparaissent par l'intermédiaire de leur conseil. Elles réitèrent leurs conclusions en réplique 7 aux termes desquelles elles sollicitent du tribunal de :
homologuer l'avis du CRRMP de la région [Localité 10] ;juger que la maladie professionnelle dont était atteint [M] [T] est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [4] ;juger que la maladie professionnelle dont il est décédé est due à la faute inexcusable de la société [4] ; En conséquence :
Au titre de l'action successorale :
accorder l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;fixer l'indemnisation des préjudices extra-patrimoniaux comme suit :souffrances physiques : 100.000 € ;souffrances morales : 100.000 € ;préjudice d'agrément : 100.000 € ;préjudice esthétique : 30.000 € ;préjudice sexuel : 30.000 € ;déficit fonctionnel temporaire : 38.400 € ;Au titre de l'action personnelle des deux enfants :
ordonner la majoration maximale de la rente service à ses ayants droit et le versement de l'indemnité forfaitaire ;condamner l'employeur à réparer leur préjudice moral en leur versant à chacune la somme de 100.000 € ;dire que la CPAM fera l'avance de ces sommes ;condamner l'employeur au paiement de la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Elles s'associent à l'argumentation développée par leur mère et précisent que les photographies produites démontrent l'existence de fuites importantes au sol de sorte que la preuve de l'exposition à des substances toxiques est rapporté.

La société [4], représentée à l'audience par son conseil, a soutenu oralement ses conclusions récapitulatives et sollicité du tribunal de :
À titre principal :
débouter purement et simplement les consorts [T] de l'ensemble de ses demandes dans la mesure où le caractère professionnel de la maladie développée par [M] [T] n'est pas établi, en l'absence de preuve de l'existence d'un lien de causalité directe et essentielle entre le travail habituel de son salarié et la pathologie qu'il a développée ;À titre subsidiaire :
débouter les ayants droit d'[M] [T] de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur faute pour eux de rapporter la preuve de la conscience du danger et de l'absence de mesures prises par l'employeur pour préserver Monsieur [T] du risque auquel il a été prétendument exposé ;À titre plus subsidiaire :
constater qu'elle s'en remet à justice concernant la demande de majoration à son maximum des rentes des ayants droit ;rejeter toute demande d'attribution de l'indemnité forfaitaire ;ramener à de plus justes proportions les demandes formulées par les ayants droit de Monsieur [T] en réparation de ses souffrances physiques et morales et de leur préjudice moral ;débouter les consorts [O] de leurs demandes formées au titre du préjudice d'agrément, du préjudice esthétique, du préjudice sexuel et du déficit fonctionnel temporaire, et subsidiairement les ramener à de plus justes proportions ;En tout état de cause :
ramener à de plus justes proportions la somme sollicitée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;écarter l'exécution provisoire et subsidiairement, y faire droit, à hanteur de la moitié des sommes allouées.
Au soutien de ses prétentions, la société [4] conteste en premier lieu le caractère professionnel de la maladie développée par [M] [T] dans la mesure où elle estime qu'elle n'a pas été essentiellement et directement causée par le travail habituel de son salarié. Elle expose à ce titre qu'[M] [T] a été employé au sein de l'usine de [Localité 1] [Localité 18] à compter du 1er juin 1999 et a successivement occupé les postes d'aide-chimiste, d'opérateur extérieur purification, d'opération extérieur réaction, d'opérateur extérieur réaction animation et d'agent de sûreté, et fait valoir que l'exposition aux substances chimiques, comme l'indique d'ailleurs [B] [E], n'a été qu'indirecte et éventuelle. Elle ajoute que les comptes rendus des CHSCT évoquent la présence de benzène au sein des laboratoires uniquement au titre du risque incendie s'agissant d'une matière inflammable de sorte que l'article L. 4131-4 du code du travail ne trouve pas à s'appliquer.

La CPCAM des [Localité 6], dispensée de comparaître, aux termes de ses écritures datée du 20 octobre 2023 et régulièrement communiquées aux parties en amont de l'audience, s'en rapporte à l'appréciation du tribunal quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et, dans l'hypothèse où celle-ci est reconnue, demande au tribunal de ramener les demandes d'indemnisation formées par les ayants droit à de plus justes proportions et de condamner la société [4] à lui rembourser la totalité des sommes dont elle sera tenue d'assurer par avance le paiement.

L’affaire a été mise en délibéré au 14 mai 2024, prorogée au 21 mai 2024.

MOTIFS

Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui ci d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en ce qui concerne tant les accidents du travail que les maladies professionnelles.

L'employeur a, en particulier, l'obligation de veiller à l'adaptation de ces mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Les articles R. 4121-1 et R. 4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452 1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie (de l'accident) du salarié. Il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Il incombe au demandeur de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur et qu'aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir.

Enfin, la conscience du danger exigée de l'employeur est analysée in abstracto et ne vise pas une connaissance effective de celui-ci. En d'autres termes, il suffit de constater que l'auteur " ne pouvait ignorer " celui-ci ou " ne pouvait pas ne pas [en] avoir conscience " ou encore qu'il aurait dû en avoir conscience. La conscience du danger s'apprécie au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.

Toutefois, le code du travail, dans l'hypothèse où l'employeur a été alerté du risque, a prévu une présomption irréfragable de faute inexcusable.

Sur la présomption irréfragable

L'article L. 4131-4 du code du travail prévoit que le bénéfice de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est " de droit " pour le salarié victime d'un accident du travail alors même que l'employeur avait été alerté du risque qui s'est réalisé.
Ainsi, le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé.

Il ressort de la jurisprudence, contrairement à ce que soutient l'employeur, qu'il n'y a pas besoin de caractériser un danger grave et imminent, susceptible de justifier la mise en œuvre du droit de retrait. Le signalement d'un danger qui s'est finalement réalisé peut suffire à mettre en œuvre la présomption.

[H] [T] produit les comptes-rendus des CHSCT qui se sont tenus sur la période 2002-2013.
Ainsi, celui de l'année 2003, dans la présentation de l'établissement et plus précisément des sources de dangers particuliers à l'usine en matière de maladies professionnelles est rédigé comme suit : " Les produits que nous utilisons et qui sont visés par le texte de l'Arrêté Ministériel du 11.07.1977 sont : le brome, le chlore, le benzène, le xylène, le cyclohexane. Le personnel travaillant dans les Unités mettant en œuvre ces produits est particulièrement contrôlé par les Médecins du Travail. Nous suivons également l'exposition professionnelle du personnel concerné par ces produits et d'autres (méthanol, poussières de monomère) ".
La même formulation est utilisée dans les comptes rendus des années postérieures.

Il s'agit cependant d'une formulation générale reprenant les mesures mises en place par la société [4] dans le cadre de l'application de l'arrêté du 11 juillet 1977 fixant la liste des travaux nécessitant une surveillance médicale spéciale et non de l'information de l'employeur d'un risque identifié concernant un salarié ou un poste de travail particulier.

La présomption ne trouve dès lors pas à s'appliquer.

Sur la faute inexcusable prouvée

Il incombe dès lors aux ayants droit d'[M] [T] de rapporter la preuve que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures pour l'en préserver.

La société [4] conteste l'exposition au risque dans son établissement.

Sur l'exposition au risque

La jurisprudence de la Cour de cassation a posé le principe que l'exposition doit être habituelle et non pas permanente et continue.

L'unité de production [4] [Localité 1] a pour activité la production de l'acide amino-undécanoïque, matière première du Rislan, par le biais de la transformation de l'huile de ricin en vue de la fabrication d'une matière plastique.
Dans ce cadre, elle utilise des produits tels que le brome, le chlore, le benzène, le xylène ou le cyclohexane, visés par l'arrêté du 11 juillet 1977 comme nécessitant une surveillance médicale du personnel effectuant de façon habituelle des travaux comportant la préparation, l'emploi, la manipulation ou l'exposition à ces agents.

La société [4] conteste que la maladie développée par [M] [T] ait été essentiellement et directement causée par le travail habituel qu'il a effectué en son sein et fait valoir que l'attestation de [B] [E] produite en demande établit au contraire une exposition au risque éventuelle et indirecte.

Il résulte de la pièce 18 intitulée " reconstitution de carrière " produite par l'employeur qu'[M] [T] a occupé les fonctions suivantes au sein du site [4] [Localité 1] :
du 1er juin 1999 au 31 août 2006 : aide-chimiste ;du 1er septembre 2006 au 28 février 2009 : opérateur extérieur purification;du 1er mars 2009 au 31 octobre 2010 : opérateur extérieur réaction ;du 1er novembre 2010 au 31 août 2012 : opérateur extérieur réaction animation ;du 1er septembre 2012 au 12 mars 2013 : agent de sureté posté.
Il résulte des fiches métier " Opérateur Extérieur Réaction Animation " et " Opérateur Extérieur Purification ", de la société [4] que l'opérateur est notamment chargé de :
surveiller les installations extérieures de sa zone ;en liaison ou à la demande de l'opérateur intérieur, d'effectuer des démarrages et arrêts des installations, de mettre à disposition les appareils pour travaux outre d'effectuer des échantillonnages, des purges, relevés, …;effectuer un premier diagnostic des pannesidentifier les dérives et dysfonctionnement.
Selon [B] [P], retraité de la société [4] ayant travaillé sur le site de [Localité 1] du 2 janvier 1996 au 31 mars 2013, soit pendant la même période qu'[M] [T], et ayant exercé les fonctions de secrétaire du CHSCT et membre de ce comité de 1997 à 2005, [M] [T], alors qu'il travaillait dans l'unité Animation, n'était pas en contact direct avec l'ensemble des produits jugés nocifs pour la santé mais travaillait à proximité des unités de sorte qu'il a été en contact avec ces produits lorsque les vents dirigeaient les émanations gazeuses vers d'autres chantiers.
Il ajoute dans son attestation que :
[M] [T] côtoyait par contre directement le xylène et le "bromo" lequel lorsqu'il arrivait à l'animation contenait encore des traces de benzène.Lorsqu'il y avait des fuites sur des bouchons sur les lignes de transport, "nous" étions en contact avec le produit et c'est souvent en urgence que les interventions se faisaient et sans protection.Des fuites de xylène arrivaient sur les pompes et n'étaient pas toujours réparées dans l'urgence.L'exposition aux produits pouvait se faire pendant les tournées de contrôle faites [M] [T], dans la mesure où en sa qualité d'opérateur 43 sur l'unité de l'animation, il avait la charge de la surveillance des bacs de Bromo maintenu sous forme liquide dans des bacs chauffés par de la vapeur afin de ne pas " figer" . De la vapeur s'échappait avec des traces de brome et donc de fines particules de benzène.Il arrivait aussi que la conduite de transport du brome se bouche ; dans ce cas l'opérateur faisait appel au poste 43 afin qu'il envoie l'eau à forte pression à contre sens pour déboucher la ligne de l'animation vers la bromuration, ce qui amenait forcément un contact avec la bromo donc le benzène.À l'époque, beaucoup de bouchages avaient lieu.Dans le bassin 040 où sont systématiquement envoyés les produits après nettoyage aux jets d'eau, il y a également forcément du bromo donc du benzène ; le bassin recueillait tous les produits en un point afin de les piéger.L'opérateur 43 avait également en charge de faire les citernes d'huiles ; là aussi, les vapeurs respirées ne sont pas " des plus innocentes ".Sur l'unité de la bromuration, située à quelques mètres de l'Animation, nous faisions du lessivage environ tous les trimestres. Cette opération avait lieu la nuit car il y avait de fortes émanations de solvant donc de benzène et ces odeurs étaient dénoncées par le voisinage.[M] [T], bien que non concerné directement par cette manœuvre, a assisté indirectement à ces lessivages.
Parallèlement, les demandeurs fournissent le rapport annuel du médecin du travail pour l'année 2013 dans lequel on peut lire en page 28 les éléments suivants relatifs aux risques au poste de travail :
" Malgré des évolutions techniques importantes pour contrôler et connaître l'exposition au benzène en continu sur l'unité bromuration, il existe encore des accidents d'exposition au benzène en continu sur l'unité bromuration.
Le travail en vase clos n'est toujours pas obtenu de façon constante sur l'unité bromuration et des situations de travail comme les arrêts lessivage peuvent entrainer une exposition significative entre le début et la fin du poste même en cas de respect de l'indice biologique d'exposition (IBE).
Le nombre de salariés susceptibles d'être exposés au benzène et identifiés comme tels par l'entreprise est important.
Si le respect de la VME peut sembler pour l'entreprise une sécurité, le travail en vase clos n'est toujours pas atteint. Il existe des fuites qui nécessite le port d'équipement individuel.
L'ensemble de ces éléments conduit à la position suivante : sur le plan médical, la seule solution recommandable est la substitution du benzène car les mécanismes de la cancérogénèse sont multiples et complexes et à ce jour les suites de toxicité et les effets des faibles doses chroniques sont mal connus.
La surveillance médicale ne peut en aucun cas prévenir ou empêcher le développement d'une maladie si le risque est présent.
C'est le risque qu'il faut supprimer ".

Il résulte des comptes rendus des CHSCT que, sur le site de l'Animation, sont entreposés et utilisés du xylène, de l'ammoniac et des poussières de monomère, et que dans le laboratoire sont présents du méthanol, du benzène, du xylène, du cyclohexane, de l'éther et des alcools.

Dès lors, pendant le poste d'aide-chimiste occupé du 1er juin 1999 au 31 août 2006, [M] [T] a bien été exposé directement au benzène.

Le CRRMP de la région [Localité 10] a considéré que les éléments contenus dans le dossier d'[M] [T] confirment une exposition professionnelle à de multiples toxiques notamment au benzène.

Il est par ailleurs constant que concernant les produits chimiques, deux circonstances d'exposition existent selon que les produits sont utilisés de façon délibérée ou que l'activité donnent lieu à des émissions de produits chimiques. Par ailleurs, l'inhalation est le mode d'exposition professionnelle le plus fréquent avant la voie cutanée.
Enfin, l'exposition peut être liée à une situation ou un fonctionnement ordinaire et habituel lorsque les mesure de prévention sont insuffisantes ou inadaptées, ou être accidentelle en cas de rupture, fuite, procédé mal maîtrisé ou déversement accidentel.

Les comptes-rendus du CHST démontrent qu'une évaluation des risques aux postes de travail et un contrôle de concentration d'exposition professionnelle au benzène étaient effectués. Ainsi, à titre d'exemple, dans le compte-rendu de l'année 2002, les postes contrôlés ont été ceux d'opérateurs à l'animation montrant une exposition à hauteur de 0.012 ppm.

Enfin, l'analyse des " points saillants " dans les comptes rendus des CHSCT permet de vérifier l'existence d'accidents récurrents, de type fuite de produits ou dégagement de vapeurs.

Par conséquent, l'ensemble de ces nombreux éléments, qui permettent de conforter le témoignage particulièrement précis de [B] [P], suffit à caractériser une exposition habituelle qu'elle soit directe ou indirecte d'[M] [X] à différents produits chimiques dont le benzène.

Sur la conscience du danger

Les développements qui précèdent s'agissant du contenu des comptes-rendus des CHSCT depuis l'année 2022 démontrent la conscience que la société [4] avait du danger auquel elle exposait ses salariés en général et [M] [I] en particulier à des produits chimiques susceptibles d'être dangereux pour leur santé dans la mesure où l'ensemble des comptes-rendus débutent dans le chapitre relatif à la présentation de l'établissement par le listing des sources de dangers de maladies professionnelles particuliers à l'usine avec l'énumération des produits utilisés et visés par l'arrêté ministériel du 11 juillet 1977.

Par ailleurs, les risques sanitaires représentés par les hydrocarbures de la série benzénique sont connus depuis les années 1930 avec notamment la création du tableau n°4 des maladies professionnelles qui vise les hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermant par décret du 4 janvier 1931.
Le premier décret sur la prévention des risques issus de l'inhalation du benzène date du 19 octobre 1939.
En avril 1972, l'INRS a réalisé une fiche toxicologique sur le benzène identifiant ce produit comme " le plus dangereux de tous les solvants et l'intoxication benzénique professionnelle provoquée par l'inhalation répétée de petites doses est caractérisée par son effet insidieux ".
Par la suite, le décret du 13 février 1986, l'arrêté du 1er mars 1986 et le décret du 6 septembre 1991 ont fixé des seuils de plus en plus restrictifs d'exposition au benzène et l'arrêté du 6 juin 1987 a imposé une surveillance médicale spéciale et régulière pour les sujets exposés aux produits renfermant du benzène.

Dès lors, contrairement à ce qu'elle soutient, une entreprise de l'importance de la société [4] ne pouvait ignorer cette réglementation, étant rappelée que le groupe [4] est né en 2004 de la réorganisation d'ATOFINA, la branche chimie du groupe pétrolier TOTAL.

Sur mesures prises par l'employeur

En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur doit prendre les mesures adéquates pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

La société [4] ne développe aucun argumentaire à ce sujet.

Le témoignage de [B] [E] expose que les interventions, en cas de fuite ou de bouchages, s'effectuaient en urgence et sans protection.

Le rapport du médecin du travail de 2013 fait le constat de la persistance d'accidents d'exposition au benzène et de l'existence de fuites qui nécessite le port d'équipement individuel Elle indique que le travail en vase clos n'est toujours pas obtenu de façon constante sur l'unité bromuration et que des situations de travail comme les arrêts lessivage peuvent entraîner une exposition significative entre le début et la fin du poste.

Il se déduit de ces constats effectués en 2013 que les mesures de protections collectives et individuelles n'étaient manifestement pas adaptées lors de l'exposition d'[M] [T].

Au terme de ces développements, il y a lieu de considérer que la société [4] aurait dû avoir conscience du danger auquel elle a exposé son salarié, et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires à l'en préserver.

Par conséquent, la maladie professionnelle dont a été victime [M] [T], et dont il est décédé, sera jugé imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société [4].

Sur les conséquences de la faute inexcusable

Sur la majoration des indemnités

Selon l'article 53-VI 4ème alinéa de la loi du 2 décembre 2000, "La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, à l'occasion de l'action à laquelle le fonds est partie, ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de la sécurité sociale. L'indemnisation à la charge du fonds est alors révisée en conséquence".

Aux termes de l'article L. 452-2 alinéa 1er du code de sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de l'employeur, " La victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre ".

Sur l'indemnité forfaitaire

Il résulte de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

Le taux d'incapacité permanente d'[M] [T] ayant été fixé à 100 % par la caisse par notification du 6 juin 2013, ses ayants droit sont donc bien-fondés à recevoir de la CPCAM des [Localité 7] l'indemnité forfaitaire ci-dessus prévue.

Sur l'indemnisation des préjudices personnels subis par [M] [T]

* Sur l'indemnisation des souffrances morales et physiques

Conformément à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément, du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, ainsi que de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du dit code.

[M] [T] est décédé le 12 mars 2013 des suites d'un lymphome B malin diffuse à grandes cellules du rein gauche diagnostiqué dès le mois d'octobre 2009 alors qu'il était âgé de 37 ans.

Compte-tenu du jeune âge auquel [M] [T] a appris qu'il était atteint d'un cancer, de l'évolution rapide de la maladie puisqu'après une phase de rémission complète il a été victime d'une rechute quelques mois plus tard et est décédé 3 ans et demi après le diagnostic, de sa conscience de la gravité de son affection et de son caractère irréversible outre de l'angoisse suscitée, les souffrances morales d'[M] [T], qui était père de deux jeunes enfants âgés de 7 et 3 ans lors du diagnostic, peuvent être qualifiées de très importantes et justifier une indemnisation à hauteur de 60.000 €.

Compte-tenu du nombre d'hospitalisations subies par [M] [T], de la réalisation en première intention d'une néphrectomie totale gauche suivie de plusieurs cures de chimiothérapie jusqu'en avril 2011 accompagnées d'effets secondaires habituellement rencontrés, de l'apparition d'une lésion secondaire localisée au niveau du muscle psoas et de la réalisation en octobre 2011 d'une greffe de moelle osseuse, les souffrances physiques peuvent être qualités d'importantes et justifier une indemnisation à hauteur de 40.000 €.

* Sur le préjudice d'agrément

Ce poste de préjudice répare l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs qu'elle pratiquait antérieurement au dommage. Ce poste de préjudice répare également les limitations ou les difficultés à poursuivre ces activités.

La prise en compte d'un préjudice d'agrément n'exige pas la démonstration d'une pratique en club, une pratique individuelle suffisant à partir du moment où elle est prouvée.

Ses ayants droit exposent qu'[M] [T] pratiquait le football avant sa maladie et produisent deux attestations.

Monsieur [Y], collègue de travail, déclare que [M] était un vari " fan de football " et qu'ils avaient décidé de jouer tous les jeudis soir entre collègues de 21 heures à 22 heures au foot-salle de [11], puis en période creuse en après-midi grâce à leurs horaires décalés. Il indique qu'il a commencé à jouer au football avec son collègue en 2008 jusqu'en 2012 et que la fréquence a diminué quand la maladie s'est déclarée.

Monsieur [D], opérateur industrie chimie, confirme la passion du football par [M] [T]. Il précise que ce dernier jouait dans les tournois organisés par l'usine et entraînait également les jeunes à [Localité 5], et qu'il se réservait un jour par semaine pour jouer avec ses collègues de l'usine. Il déclare qu'avec la déclaration de la maladie, son ami s'arrêtait souvent en plein match pour vomir.

Il est ainsi établi l'existence d'une pratique régulière du football et d'une limitation ainsi que de difficultés pour continuer cette pratique après la déclaration de la maladie.

Compte-tenu du jeune âge d'[M] [T], une somme de 8.000 € lui sera allouée en réparation de ce préjudice.

* Sur le préjudice esthétique

Ce poste de préjudice a pour objet de réparer l'altération de l'apparence physique de la victime avant et après la consolidation.

Les demandeurs sollicitent de ce chef une indemnisation à hauteur de 30.000 € en indiquant que l'apparence physique d'[M] [T] était extrêmement diminuée.

Les photographies versées aux débats montrent qu'[M] [T] a perdu ses cheveux et justifient une indemnisation de ce chef de préjudice à hauteur de 6.000 €.

* Sur le préjudice sexuel

Le préjudice sexuel s'entend d'une altération partielle ou totale de la fonction sexuelle dans l'une de ses composantes :
atteinte morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi ;perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir) ;difficulté ou impossibilité de procréer.
L'évaluation de ce préjudice doit être modulée en fonction du retentissement subjectif de la fonction sexuelle selon l'âge et la situation familiale de la victime.

En l'espèce, il apparaît que pour [M] [T], ce préjudice comportait uniquement le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même.

Il ne peut être contesté que l'altération des conditions de vie au quotidien entraînée par les soins dispensés à [M] [J] a nécessairement eu un retentissement sur la sphère intime des époux [T].

[H] [T] confirme d'ailleurs que l'importance de la maladie de son époux l'a empêché d'avoir toutes relations sexuelles les dernières années de leur vie commune.

Ce préjudice sera arbitré au regard des éléments fournis à la somme de 10.000 €.

* Sur le déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.
L'évaluation des troubles dans les conditions d'existence tient compte de la durée de l'incapacité temporaire, du taux de cette incapacité (totale ou partielle), et des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité.

[M] [T] a déclaré une maladie professionnelle le 23 mai 2012 accompagnée d'un certificat médical fixant la date de 1ère constatation médicale en octobre 2009. Il a été consolidé avec un taux d'IPP à 100 % au 23 mai 2012 suivant la fiche de liaison médico-administrative produite par la CPCAM des [Localité 7].

La période susceptible s'être indemnisée, qui ne court pas jusqu'au décès comme le demande [H] [A] mais jusqu'à la consolidation, est donc de 2 ans et 7 mois soit 31 mois.

Il résulte des pièces médicales les éléments suivants :
octobre 2009 : découverte d'une volumineuse masse rénale traité par 3 cycles de DOXORUBICINE-IFOSFAMIDE (chimiothérapie) ;27 janvier 2010 : néphrectomie totale gauche ;diagnostic de l'lymphome B diffus à grandes cellules traité par 3 cures de R CHP jusqu'à juin 2010 ;septembre 2010 : bilan d'évaluation qui montre une lésion hyperfixante au niveau du psoas dont la biopsie prouve la récidive de lymphome ce qui justifie 2 nouvelles cures de R ICE ;scanner et tep-scanner de contrôle : ils montrent une progression métabolique de la masse de la partie postérieure du muscule psoas de plus de 6 cm d'où une radiothérapie de rattrapage avant autogreffe entre le 23 mars et le 21 avril 2011 ;à partir du 23 mai 2011, compte-tenu de la persistance d'une lésion de la paroi psoas antérieur, deux tentatives de chimiothérapie de mobilisation ont été effectuées avec un échec de collecte ;cytaphérèses en août 2011 et autogreffe en octobre 2011 ;le 8 décembre 2011, [M] [T] est considéré comme étant en rémission complète ;le certificat médical du 8 décembre 2011 indique toutefois que les cures de radio et chimiothérapies et l'autogreffe entraînent un état d'asthénie chronique associé à une anorexie et des douleurs diffuses ainsi qu'une dégradation de sa fonction rénale. Le médecin note une dégradation nette de son état de santé avec une incidence majeure sur ses activités normales de vie quotidienne.
Compte-tenu de ces éléments qui établissent la gêne importante subie par [M] [T] dans les actes de la vie quotidienne dès après la 1ère constatation de la maladie, étant précisé que la caisse a fixé le taux d'incapacité à 100 % à la date de consolidation au 23 mai 2012, les ayants droits sont bien fondés à obtenir une indemnisation sur la base d'un taux d'incapacité de 70 % (800 x 31 mois x 800 €) soit 17.360 €.

Sur l'indemnisation des préjudices personnels subis par les ayants droit d'[M] [T]

En vertu de l'article L. 452-3 alinéa 2 du code de sécurité sociale, en cas d'accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

[M] [T] est décédé à l'âge de 41 ans. Il était marié depuis 12 ans et avait deux filles.

Son épouse était âgée de 27 ans lors de l'apparition de la maladie de son époux et les filles du couple étaient âgées de 3 et 7 ans.

[H] [T] indique qu'elle a dû s'arrêter de travailler pour soutenir son époux et que ce sont ses parents qui ont dû s'occuper de leurs jeunes enfants.

Compte-tenu de ces éléments, il convient de réparer le préjudice de [H] [T] à hauteur de la somme de 60.000 € et d'allouer à chacune des filles d'[M] [T] une somme de 30.000 €.

Sur l'action récursoire de la CPCAM des [Localité 7]

En application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale qui dispose que la réparation des préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur, la CPCAM des [Localité 7], dans le cadre de son action récursoire, sera habilitée à récupérer auprès de la société [4] les sommes dont elle sera tenue de faire l'avance au titre de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande de condamner la société [4] à verser une somme de 3.500 € à [H] [T] et une somme de 3.500 € à [K] et [Z] [T] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

S'agissant des décisions rendues en matière de sécurité sociale, l'exécution provisoire est facultative, en application de l'article R. 142-10-6 du code de la sécurité sociale.

Compte-tenu des circonstances de l'espèce et ce l'ancienneté du litige, le tribunal ordonne l'exécution provisoire du présent jugement à hauteur de la moitié des sommes allouées, à l'exclusion des dispositions portant sur l'indemnité forfaitaire au titre desquelles l'exécution provisoire ne sera pas ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant après débats publics, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort :

DIT que la maladie professionnelle dont était atteint [M] [T] et dont il est décédé est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [4] ;

ALLOUE à [H], [K] et [Z] [T], en leur qualité d'ayants droit d'[M] [T], l'indemnité forfaitaire visée à l'article L. 452-3 alinéa 1er du code de sécurité sociale ;

DIT que cette indemnité sera versée directement par la CPCAM des [Localité 6] à la succession d'[M] [T] ;

FIXE l'indemnisation des préjudices personnels d'[M] [T] à la somme totale de 143.360 € comme suit :
souffrances morales : 60.000 € ;souffrances physiques : 40.000 € ;préjudice d'agrément : 8.000 € ;préjudice esthétique : 8.000 € ;préjudice sexuel : 10.000 € ;déficit fonctionnel temporaire : 17.360 € ;
DIT que le montant de cette indemnité sera versé directement par la CPCAM des [Localité 7] à la succession d'[M] [T] ;

FIXE l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit à la somme totale de 120.000 € se décomposant ainsi :
[H] [T] : 60.000 € ;[K] [N] : 30.000 € ;[Z] [T] : 30.000 € ;
DIT que la CPCAM des [Localité 7] versera directement aux ayants droit les sommes dues en réparation de leur préjudices personnels ;

DIT que la CPCAM des [Localité 7] pourra recouvrer le montant des indemnisations et majoration accordées à l'encontre de la société [4] et condamne cette dernière à ce titre ;

CONDAMNE la société [4] à verser une somme de 3.500 € à [H] [T] et une somme de 3.500 € à [K] et [Z] [T] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision à hauteur de la moitié des sommes allouées, à l'exclusion des dispositions portant sur l'indemnité forfaitaire ;

CONDAMNE la société [4] aux dépens ;

DIT que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être formé dans le mois de la réception de sa notification.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Marseille
Formation : Gnal sec soc: cpam
Numéro d'arrêt : 16/03303
Date de la décision : 21/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-21;16.03303 ?
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